Déclaration de M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice, sur la justice pénale des mineurs, à l'Assemblée nationale le 10 décembre 2020.

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Circonstance : Discussion à l'Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée, d'un projet de loi

Texte intégral

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi ratifiant l'ordonnance no 2019-950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs (nos 2367, 3637).

Présentation

Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. C'est un honneur pour moi de vous présenter aujourd'hui le projet de loi de ratification de l'ordonnance du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs. Dans les jours qui viennent, nous évoquerons le sort et l'avenir des enfants. Nos enfants. Et je mesure toute la responsabilité qui est la mienne – je devrais dire : qui est la nôtre.

Vous le savez, cette question préoccupe nos concitoyens. Les Français nous regardent et nous attendent : 97 % d'entre eux estiment cette réforme importante, et 59% la jugent même prioritaire. Mais c'est un autre chiffre qui nous éclaire sur les enjeux qui entourent notre débat ce matin : 68% des Français pensent que la justice des mineurs fonctionne mal.

Bien sûr, j'ai, comme vous, entendu les nombreuses voix – trop nombreuses peut-être – qui se sont exprimées en dehors de l'hémicycle : le sujet de la délinquance des mineurs suscite des réactions diverses, souvent excessives, rarement mesurées. J'ai entendu, aussi, les nombreuses voix qui se sont exprimées dans l'hémicycle.

Avant de vous parler du fond, je souhaite donc souligner l'implication des parlementaires sur un sujet aussi crucial pour notre société, et remercier la quasi-totalité des groupes pour le travail de longue haleine mené dans le cadre du groupe de contact créé par ma prédécesseure, Mme Nicole Belloubet, dont je salue ici chaleureusement l'engagement et la détermination. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Dem et Agir ens.)

Rarement aura-t-on vu une codification aussi concertée et véritablement coconstruite. Cette réforme devrait donc pouvoir faire l'objet d'un large consensus parmi vous. C'est maintenant dans l'hémicycle que nous allons en débattre : ce rendez-vous démocratique doit nous permettre d'aborder ce sujet avec la sérénité, l'humanité et la justesse qu'il impose. L'enjeu est trop important pour s'accommoder d'excès ou de caricatures – celle des uns, qui jugent la réforme judiciaire trop laxiste, celle des autres, qui la jugent trop répressive.

M. Raphaël Schellenberger. Pourtant, la caricature est consubstantielle à la liberté d'expression !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je ne vous interromprai pas, monsieur le député, lorsque vous prendrez la parole.

M. Ugo Bernalicis. Il ne faut pas prendre de tels engagements !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je ne prétends pas les réconcilier, mais je sais votre capacité, mesdames et messieurs les députés, à défendre une réforme d'équilibre, dans le seul intérêt du mineur. Cette réforme est le fruit de plus de dix ans de consultations : quatre gardes des sceaux et presque autant de majorités ont travaillé à cette clarification et codification de notre droit.

Le texte que je vous présente consacre donc tous les principes fondamentaux de l'ordonnance de 1945 : la primauté de l'éducatif, l'atténuation de la peine et la spécialisation des acteurs. Les réformes successives, empilées sans cohérence au gré des alternances politiques, avaient petit à petit transformé l'ordonnance de 1945 en un texte illisible : après de nombreux travaux, de la commission Varinard en 2008 au remarquable rapport de M. le rapporteur Jean Terlier et de Mme Cécile Untermaier publié en 2019, cette réforme est désormais arrivée à maturité.

Avant toute chose, j'entends être clair et précis sur la question des moyens : il va de soi que la réforme ne saurait être appliquée sans que davantage de moyens y soient consacrés. Dans nos juridictions, l'affectation de 72 magistrats au 1er septembre 2020 et le déploiement de 100 greffiers ont permis un renfort immédiat, en anticipant les sorties d'école et les mobilités. C'est le cas, par exemple, de l'affectation de 4 greffiers à Bobigny, répondant ainsi aux demandes exprimées par les chefs de juridiction. Au sein de la protection judiciaire de la jeunesse, cette réforme a également été anticipée depuis 2018 : 252 nouveaux emplois seront ainsi créés d'ici 2022. En complément, grâce au budget alloué à la justice de proximité, 86 éducateurs ont été recrutés.

J'ai bien conscience que les moyens, ainsi renforcés, n'auraient pas l'efficacité escomptée sans une méthode permettant de s'approprier la réforme. C'est pourquoi je veux répondre ici à des inquiétudes légitimes, et rassurer : l'état des stocks – pardon pour ce vocable néo-capitalistique – d'affaires a été finement analysé par une mission dédiée de l'inspection générale de la justice. Dans ce cadre, seules une dizaine de juridictions ont été identifiées, qui bénéficient déjà d'un soutien particulier. Tous les services du ministère sont donc pleinement mobilisés pour fournir aux juridictions un appui inédit, qui sera poursuivi et intensifié.

Je l'affirme très clairement devant vous : l'application de la réforme conduit à réorienter des procédures, en tenant compte de l'ancienneté des faits, de la réinsertion du mineur et, bien entendu, de l'indemnisation de la victime. Et qu'on se le dise : ceux qui doivent être sanctionnés le seront.

Il est urgent de doter la justice des mineurs de notre pays d'outils procéduraux performants, garantissant un équilibre entre une réponse pénale prévisible et un travail éducatif continu. Des commentateurs pressés ont affirmé que la justice rapide remettait en cause la primauté de l'éducatif. Cet argument ne résiste pourtant pas à une lecture fidèle des nouvelles dispositions. Vous le savez, 45% des affaires sont jugées après que le mineur a atteint ses 18 ans. C'est pourquoi nous avons choisi de supprimer la phase de mise en examen qui, je le rappelle, n'est aujourd'hui encadrée par aucun délai.

La nouvelle procédure dite de césure permet une intervention judiciaire plus proche du passage à l'acte, l'audience d'examen de la culpabilité ayant lieu dans un délai compris entre dix jours et trois mois après les faits. Cette première audience est cruciale, car elle permet de faire respecter le droit fondamental d'un mineur à voir statuer sur sa culpabilité dans un délai raisonnable, alors qu'il est aujourd'hui de dix-huit mois en moyenne. Dix-huit mois, mesdames et messieurs les députés ! La procédure de césure permet en outre d'apporter une réponse éducative plus efficace, axée sur la responsabilité du mineur, la place de la victime et la responsabilité des parents, et ce dans un temps proche des faits reprochés.

Je veux insister sur la place désormais reconnue aux victimes, qui sont convoquées dès la première audience de déclaration de culpabilité et n'ont donc plus à attendre l'issue d'une procédure officieuse inconnue. La seconde audience, consacrée au prononcé de la sanction – mesure éducative ou peine – intervient dans un délai de six à neuf mois après la déclaration de culpabilité. Là encore, la victime y a, bien sûr, toute sa place.

Entre ces deux audiences, la période de mise à l'épreuve éducative redonne du sens au travail des éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse. Si le mineur est reconnu coupable de nouveaux faits, les affaires pourront être regroupées, plutôt que de constituer un empilement de dossiers disjoints. Le travail éducatif s'inscrira ainsi dans un continuum, qui pourra se poursuivre pendant cinq ans après la sanction, et jusqu'aux 21 ans du jeune.

Les jugements rapides en audience unique restent exceptionnels et soumis à l'appréciation aiguisée des procureurs spécialisés, qui doivent bien sûr concilier gravité des faits et personnalité du mineur. Les garde-fous sont nombreux ; le juge saisi conserve la possibilité de revenir au principe de la césure.

L'efficacité d'une réponse éducative se mesure également à sa souplesse. Durant le temps de mise à l'épreuve, avant l'audience de sanction, le juge garde toute latitude pour ajuster le contenu de la mesure ; le juge des enfants peut même la prolonger si cela lui paraît nécessaire. Les équilibres sont bien maintenus.

La mesure judiciaire éducative unique constitue une avancée majeure de cette réforme. Elle comprend quatre modules, pouvant se combiner : insertion, réparation, placement et bien sûr santé. Vous y retrouvez donc toutes les composantes de la mission assurée par les éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse – PJJ –, dont le cadre d'intervention est ainsi clarifié et rendu plus flexible. Les services de la PJJ sont mobilisés pour relever ces défis. Ils ont d'ailleurs démontré leur capacité d'adaptation en poursuivant leurs missions essentielles pendant la crise sanitaire, dans des conditions plus que particulières. Je veux ici rendre un hommage solennel à leur professionnalisme. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Dem et Agir ens.) Cette réforme répond aussi à leurs attentes : ils étaient, rappelez-vous, les premiers à réclamer cette procédure de césure, afin de travailler avec le mineur, sans hypocrisie, une fois sa culpabilité reconnue.

Alors que 80% des mineurs incarcérés le sont provisoirement, pour de courtes durées, sans possibilité concrète d'élaborer un projet de sortie, une autre avancée considérable apportée par le code de la justice pénale des mineurs consiste à renforcer les alternatives à ces incarcérations provisoires, dans le prolongement de la loi de programmation pour la justice du 23 mars 2019 et de son programme de création de centres éducatifs fermés. Il n'est pas nécessaire d'être un professionnel ou un expert de cette justice pénale des mineurs pour considérer qu'un accompagnement renforcé, centré sur un projet de vie professionnelle, présente davantage de sens et sera plus efficace qu'un séjour de quelques semaines au quartier des mineurs de Fleury-Mérogis. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et quelques bancs du groupe LaREM.)

Notre objectif partagé consiste notamment à réduire la part des mineurs récidivistes et réitérants. Magistrats, éducateurs, avocats, tous les acteurs font valoir depuis longtemps que l'incarcération est vécue comme une fatalité, faute d'autres options : cette réforme leur donne raison. Je suis convaincu, viscéralement, que les nouvelles dispositions permettront un retour au bon sens. Fuguer d'un centre éducatif fermé ne doit pas nécessairement conduire en détention. (Mme Cécile Untermaier applaudit.) Inversement, les mineurs récidivistes dont un acte grave remet en cause le pacte social seront incarcérés.

Je suis attaché au débat démocratique et convaincu qu'il peut encore enrichir cette réforme. La commission des lois a déjà retenu plusieurs avancées supplémentaires, comme la présence obligatoire de l'avocat lors des auditions libres, ou encore l'interdiction de recourir à la visioconférence pour le placement en détention d'un mineur. Je tiens à remercier ici le rapporteur Jean Terlier, pour sa détermination sans faille à faire aboutir cette réforme et pour la qualité du travail qu'il a mené en ce sens depuis plus de deux ans. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM, Dem et Agir ens.) Je remercie également Alexandra Louis, dont l'implication a permis de faire évoluer le texte sur de nombreux points, toujours dans l'intérêt de l'enfant. (Mêmes mouvements. – Mme Cécile Untermaier applaudit également.) Les débats dans l'hémicycle aboutiront sans doute à de nouveaux progrès touchant quelques sujets d'importance : je pense en particulier à la question de la compétence du juge chargé de placer le mineur en détention provisoire.

Mesdames et messieurs les députés, cette occasion de réformer la justice pénale des mineurs est historique. Mieux protéger la société, mieux protéger les mineurs, leur offrir des perspectives d'avenir en les sortant de la délinquance, tels sont les enjeux immenses qui nous réunissent aujourd'hui : je sais que vous serez, que nous serons à la hauteur. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Dem et Agir ens.)


source http://www.assemblee-nationale.fr, le 15 décembre 2020