Texte intégral
SONIA MABROUK
Bienvenue à vous, et bonjour Elisabeth BORNE.
ELISABETH BORNE
Bonjour.
SONIA MABROUK
CARREFOUR, fleuron français, premier employeur privé du pays, face à une perspective de rachat par une chaîne canadienne. Est-ce que la ministre du Travail que vous êtes s'inquiète d'éventuelles conséquences sur l'emploi ?
ELISABETH BORNE
Ecoutez, moi, je pense que c'est important que CARREFOUR soit préservé dans sa stratégie, il joue un rôle très important dans notre sécurité alimentaire. Comme vous l'avez dit, c'est le premier employeur français, moi, j'étais chez eux lundi, parce qu'ils s'engagent pour l'emploi des jeunes, voyez, ils emploient, ils vont embaucher cette année 15.000 jeunes. Donc que la stratégie de CARREFOUR ne soit pas remise en cause par un nouvel actionnaire, ça me semble effectivement très important.
SONIA MABROUK
Mais vous iriez jusqu'à dire qu'il en va de notre sécurité alimentaire, que c'est même une question de souveraineté dans ce domaine-là ?
ELISABETH BORNE
Mais je pense que la stratégie de CARREFOUR, qui est de faire travailler les producteurs locaux, les agriculteurs locaux, c'est effectivement quelque chose dont on a pu voir que c'était important dans la crise sanitaire, d'avoir des chaînes d'approvisionnement sécurisées, ça aussi, c'est très important.
SONIA MABROUK
Donc vous y êtes opposée ?
ELISABETH BORNE
Eh bien, moi, je suis favorable à ce qu'il n'y ait pas effectivement de remise en cause de l'actionnariat actuel de CARREFOUR, et qu'il puisse poursuivre sa stratégie.
SONIA MABROUK
Donc opposée à cette perspective de rachat ?
ELISABETH BORNE
Donc opposée à un rachat.
SONIA MABROUK
Clairement. Madame la Ministre du Travail, quelles sont les perspectives plus largement sur le marché du travail, la BANQUE DE FRANCE parle d'un taux de chômage qui pourrait remonter à 11 % pour ce premier semestre 2021 ?
ELISABETH BORNE
Ecoutez, moi, ce que je peux dire, c'est que jusqu'à présent, les conséquences de la crise sur l'emploi ont pu être relativement contenues grâce à toutes les mesures d'urgence qu'on a mises en place, enfin, vous vous souvenez qu'au premier confinement, on avait eu une augmentation très forte du chômage, avec plus d'un million de demandeurs d'emploi de catégorie A, c'est-à-dire ceux qui n'ont aucune activité supplémentaire, surtout parce qu'il y avait eu une disparition des contrats courts, des missions d'intérim, parce que dans le même temps, l'activité partielle avait permis de protéger 9 millions de salariés, l'activité était à l'arrêt pour beaucoup d'entreprises, ils avaient pu garder leurs salariés, parce que l'Etat avait pris en charge la rémunération de près de 9 millions de Français.
SONIA MABROUK
Et là, cet amortisseur va se poursuivre évidemment…
ELISABETH BORNE
Cet amortisseur, il va se poursuivre, donc vous avez vu qu'avec le rebond de notre économie cet été, on a pu réduire cette hausse du chômage, on avait 300.000 demandeurs d'emploi supplémentaires à l'automne, moi, ce qui m'importe aussi, c'est la situation pour les jeunes…
SONIA MABROUK
On va en parler…
ELISABETH BORNE
Vous savez que dans ces crises, en général, ils en sont les premières victimes…
SONIA MABROUK
Bien sûr, mais précisément, juste sur la prise en charge de l'activité partielle dans les secteurs en grande souffrance, vous la prolongez jusqu'au 1er mars, en réalité ; en réalité, il n'y a plus de date, c'est tant que durera la crise, il faut le dire…
ELISABETH BORNE
C'est très clair, moi, je veux vraiment que les entreprises soient rassurées, en particulier celles qui sont fermées, qui ont des contraintes liées à la situation sanitaire, pour toutes les entreprises fermées totalement ou partiellement, on prendra en charge à 100 % l'activité partielle tant que la crise durera.
SONIA MABROUK
Peut-être jusqu'à septembre, hier, j'entendais le président du Conseil scientifique qui disait : peut-être jusqu'à septembre pour voir la sortie du tunnel, donc vous n'avez pas de date butoir.
ELISABETH BORNE
Sur les activités qui sont pénalisées par la crise, qui sont fermées totalement, partiellement, ou qui n'arrivent pas à redémarrer, qui ne sont pas forcément fermées, comme l'hôtellerie et l'évènementiel, on les protégera le temps qu'il faudra.
SONIA MABROUK
D'ailleurs, probablement que ce soir, Madame la Ministre, pour éviter justement une cascade de faillites pour ces cafés, restaurants et l'événementiel, vous allez augmenter les aides du fonds de solidarité, on parle du relèvement du plafond, de la couverture de frais fixes.
ELISABETH BORNE
Le Premier ministre annoncera les mesures ce soir, en tout cas, moi, je peux vous assurer que sur l'activité partielle, c'est un dispositif qui a été très efficace pour protéger des millions d'emplois, et il faut le maintenir pour les secteurs qui sont en difficulté, tout le temps que ce sera nécessaire.
SONIA MABROUK
Les jeunes, les jeunes en grande souffrance, psychologique, économique évidemment, et, est-ce que vous nous confirmez ce matin que chaque jeune éloigné de l'emploi pourra bénéficier, Madame la Ministre, d'un accompagnement vers l'emploi et d'une rémunération de 500 euros par mois ?
ELISABETH BORNE
Alors, d'une part, on s'est vraiment mobilisé dans le plan « 1 jeune 1 solution », qu'on a présenté dès juillet, d'abord, pour limiter la hausse du chômage des jeunes. Et vous savez que les primes qu'on a mises en place ont très bien fonctionné, puisqu'on a eu plus d'un million d'embauches de jeunes de moins de 26 ans en CDD de plus de 3 mois ou en CDI entre le mois d'août et le mois de novembre.
SONIA MABROUK
Ça a tellement bien marché que, aujourd'hui, il y a beaucoup de TPE et de PME qui se plaignent de n'avoir rien reçu, c'est très dommageable pour leur situation financière, c'est peut-être le revers du succès de la prime à l'embauche d'apprentis ?
ELISABETH BORNE
Alors, moi, je ne veux pas que les entreprises croient qu'on ne verse pas les aides, elles sont versées, il fallait accélérer, c'est ce qu'on est en train de faire. On a reçu effectivement, notamment sur l'apprentissage, beaucoup de dossiers dans un temps très court, 350.000 qui avaient été reçus à la fin de l'année, on en a payé un tiers. Et moi, je prends l'engagement que tous les dossiers soient réglés avant le 5 février, j'attire l'attention des chefs d'entreprise sur le fait qu'il faut qu'ils nous mettent leur relevé d'identité bancaire, vous savez, on a eu 60.000 dossiers où il n'y avait pas de relevé d'identité bancaire…
SONIA MABROUK
Bien sûr, le RIB avec le dossier…
ELISABETH BORNE
Donc on va faire vraiment d'ici le 5 février, dès lors qu'on nous donne un relevé d'identité bancaire, on réglera tous les dossiers.
SONIA MABROUK
Bien, j'attire votre attention, Elisabeth BORNE, sur la situation d'un apprenti dont le patron qui est boulanger à Besançon est en grève de la faim depuis 10 jours, il proteste contre l'expulsion de son employé guinéen, cet apprenti, Madame la Ministre, il a été pris en charge en tant que mineur isolé, et maintenant, il va être expulsé, un patron, un patron qui met quand même en danger sa vie pour son apprenti, il faut réagir, il faut agir ?
ELISABETH BORNE
Moi, je comprends l'émotion que suscite cette situation. La règle, c'est effectivement que normalement quand un mineur est accueilli en France, il est pris en charge par l'aide sociale à l'enfance, il doit recevoir une formation comme tout le monde, quand ça s'est bien passé, au bout de 2 ans, il peut continuer à travailler, là, on a un cas particulier, on a des doutes sur les déclarations que le jeune a pu faire, donc il y a une procédure judiciaire, moi, je ne vais pas me prononcer dessus.
SONIA MABROUK
Mais enfin, il y a une situation humaine également, quand vous voyez un employeur qui s'investit ainsi pour son employé, je suppose qu'au-delà des règles évidemment qui s'imposent, il y a aussi une prise en compte de ces situations.
ELISABETH BORNE
Voilà, il y a une procédure judiciaire, moi, je suis vraiment aussi bien sensible évidemment à l'émotion que ça suscite. Et je vous dis, ça ne doit pas se passer comme ça normalement, quand un jeune mineur arrive en France, qui fait une formation, que ça se passe bien, alors, il peut continuer à travailler en France.
SONIA MABROUK
Alors le gouvernement, Elisabeth BORNE, s'est réuni hier évidemment, vous, également, en séminaire pour évoquer les éventuelles réformes à venir, est-ce que vous êtes d'accord avec le ministre de l'Economie, qui estime que la réforme des retraites est prioritaire pour rembourser la dette du Covid ?
ELISABETH BORNE
Ecoutez, moi, je pense que notre pays a besoin d'une réforme des retraites, mais la priorité absolue, c'est de surmonter la crise. Et donc aujourd'hui, ce dont on discute…
SONIA MABROUK
Mais est-ce que c'est contradictoire ce que vous dites ?
ELISABETH BORNE
Ce dont on discute avec les partenaires sociaux, et on a besoin d'un dialogue social apaisé, c'est de tous les outils qui vont nous permettre de surmonter la crise, on a parlé de l'activité partielle, l'activité partielle de longue durée…
SONIA MABROUK
Oui, bien sûr, ce n'était pas ma question, Elisabeth BORNE…
ELISABETH BORNE
Moi, je dis que, aujourd'hui, la priorité, c'est bien celle-là…
SONIA MABROUK
D'accord, mais est-ce que cette réforme des retraites peut être une solution, l'une des pistes pour rembourser la dette du Covid ?
ELISABETH BORNE
La réforme des retraites qui a été portée par le président de la République dans sa campagne, c'est une réforme qui doit permettre d'avoir plus de justice, plus de lisibilité, et donc c'est sur cet objectif que, le cas échéant, en fonction de la situation économique, sociale, sanitaire…
SONIA MABROUK
Que de précautions !
ELISABETH BORNE
Je pourrais reprendre des discussions avec les partenaires sociaux, c'est une réforme qui doit se faire dans la concertation.
SONIA MABROUK
Mais je note que vous n'allez pas sur cet aspect budgétaire et financier comme le ministre de l'Economie. Ecoutez quand même l'avertissement de Laurent BERGER, il y a quelques semaines, à notre micro, le leader de la CFDT.
LAURENT BERGER, SECRETAIRE GENERAL DE LA CFDT
Si, comme c'était plutôt l'orientation prise par monsieur LE MAIRE, c'est une question de réforme financière des retraites, la réponse est non pour la CFDT, clairement non…
SONIA MABROUK
Donc aucun projet de réforme des retraites sur la table.
LAURENT BERGER
Oui, d'ici la présidentielle, soyons clairs, il n'y a pas de possibilité…
SONIA MABROUK
Pas pour ce quinquennat donc…
LAURENT BERGER
Sauf à vouloir une explosion sociale.
SONIA MABROUK
Une explosion sociale, vous êtes prêt à prendre ce risque ?
ELISABETH BORNE
Moi, je dis qu'on a besoin de mener toutes les réformes qu'on est en train de mener pour protéger l'emploi des Français, pour surmonter la crise, on a une réforme de l'assurance-chômage…
SONIA MABROUK
On va en parler…
ELISABETH BORNE
Moi, je souhaite qu'on aille au bout de cette réforme…
SONIA MABROUK
Mais risque d'explosion sociale, vous dit quand même un leader syndical qui est plutôt dans le dialogue et la construction…
ELISABETH BORNE
Enfin, vraiment, moi, ma philosophie, c'est que les bonnes réformes, elles se mènent avec les partenaires sociaux dans le dialogue social. C'est ce qu'on a fait pour surmonter la crise, c'est que je veux faire sur la réforme de l'assurance-chômage, il faut qu'on aille au bout de cette réforme…
SONIA MABROUK
Elle est indispensable celle-ci aussi ?
ELISABETH BORNE
Ecoutez, la réforme de l'assurance-chômage, elle est très importante…
SONIA MABROUK
Pourquoi ?
ELISABETH BORNE
Parce qu'elle doit permettre de lutter contre la précarité en dissuadant le recours à des contrats courts, des recours abusif à des contrats courts, c'est le système de bonus-malus que l'on veut mettre en place, et puis, c'est aussi une réforme pour plus d'équité dans le calcul de l'allocation chômage, vous savez qu'aujourd'hui, si vous travaillez à mi-temps tous les jours ou à temps plein, un jour sur deux, à la fin, vous avez travaillé le même nombre d'heures, eh bien, vous n'avez pas du tout la même allocation chômage…
SONIA MABROUK
Oui, j'ai compris, mais, vous dites plus d'équité, Madame la Ministre, pourtant, en novembre, le Conseil d'Etat a déclaré que le nouveau mode de calcul de l'indemnisation pouvait porter atteinte au principe d'égalité entre allocataires.
ELISABETH BORNE
Eh bien, c'est pour ça qu'on a une concertation avec les partenaires sociaux pour regarder comment on porte cet objectif, moi, je vous dis pourquoi les allocations ne sont pas du tout les mêmes, quand vous avez travaillé le même nombre d'heures, mais on tiendra naturellement compte des observations du Conseil d'Etat, la concertation, la prise en compte des observations du Conseil d'Etat, pour arriver à aboutir sur cette réforme de l'assurance-chômage.
SONIA MABROUK
Et allez-vous tenir compte des observations du Conseil d'analyse économique qui, je le rappelle à nos auditeurs, est un think tank rattaché à Matignon, et qui vient de publier une note pour le moins explosive, proposant d'institutionnaliser la reprise en main du régime par l'Etat, et donc, en bref, de faire fi des partenaires sociaux ?
ELISABETH BORNE
Ecoutez, c'est un groupe d'experts qui a effectivement présenté une analyse, moi, je suis convaincue que les partenaires sociaux ont un rôle très important à jouer dans l'assurance-chômage…
SONIA MABROUK
Donc ce n'est pas un ballon d'essai, cette proposition ?
ELISABETH BORNE
C'est un avis qui n'engage qu'eux.
SONIA MABROUK
Quand même, ils disent qu'il faut moduler les indemnités en fonction de la croissance, de la situation économique, c'est-à-dire qu'on module en gros la générosité de l'assurance-chômage en fonction de la conjoncture, ce n'est pas rien comme paradigme…
ELISABETH BORNE
Ecoutez, je pense que ça peut être une bonne idée dont il faut qu'on discute avec les partenaires sociaux, d'avoir des règles plus protectrices quand la situation du marché du travail est plus difficile, ça, sur ce point-là, je pense que c'est quelque chose dont on peut débattre avec les partenaires sociaux…
SONIA MABROUK
Est-ce que ces deux réformes, à la fois retraites et assurance-chômage, seront menées avant la fin du quinquennat ?
ELISABETH BORNE
Je vous dis, la réforme de l'assurance-chômage, on a eu beaucoup de concertations avec les organisations patronales et syndicales…
SONIA MABROUK
Ou reprises pour celle-ci…
ELISABETH BORNE
Et moi, je souhaite reprendre les discussions avant la fin du mois, s'agissant de la réforme des retraites, je pense que notre pays a besoin d'une réforme des retraites, mais elle doit se faire dans un dialogue social, et on verra quelle est la situation économique, sociale, sanitaire, dans les prochains mois…
SONIA MABROUK
Avant la fin du quinquennat ? Donc vous n'excluez pas que ce soit fait avant la fin du quinquennat ?
ELISABETH BORNE
Mais je pense que si le contexte le permet, enfin, moi, ma volonté, c'est de pouvoir reprendre des discussions quand le contexte le permettra avec les partenaires sociaux.
SONIA MABROUK
Eh bien, on verra tout cela, en tous les cas, peut-être la reprise de ces réformes. Merci Elisabeth BORNE d'avoir été notre invitée ce matin.
ELISABETH BORNE
Merci.
SONIA MABROUK
Bonne journée à vous ainsi qu'à nos auditeurs.
ELISABETH BORNE
Bonne journée.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 15 janvier 2021