Interview de M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué chargé des transports, à RMC le 11 mars 2021, à propos de l'expérimentation du passe sanitaire pour le transport aérien et de la baisse du trafic aérien due au Covid-19.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

APOLLINE DE MALHERBE
L'invité de l'actu c'est vous, Jean-Baptiste DJEBBARI. Bonjour.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Bonjour à vous.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous êtes ministre délégué auprès de la ministre de la Transition écologique ; vous êtes chargé des Transports. On va évidemment se poser la question de savoir si l'aérien va réussir à traverser cette crise, mais une question très immédiate. A partir d'aujourd'hui, AIR FRANCE commence pour quatre semaines une expérimentation du pass sanitaire sur deux liaisons. Ce sera sur la Guadeloupe et la Martinique. Est-ce que c'est une arrivée un peu en catimini de ce qui pourrait être une préfiguration du passeport vert ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
C'est sûr que le secteur a souhaité anticiper pour deux raisons. D'abord ça permet de faciliter l'emport des documents et donc de les numériser et de les authentifier. Ça évite aussi les fraudes. Et puis ç'a un intérêt : c'est que ça désengorge les queues. Vous n'avez plus à vous arrêter trois à quatre fois et donc à créer des queues et donc c'est utile sur le plan sanitaire en tant que tel. Et oui, ça peut être une préfiguration ou une anticipation, en tout cas une expérimentation grandeur nature de ce que pourrait être demain un futur Travel pass ou un pass sanitaire. Donc ça me paraît intéressant de pouvoir d'abord fluidifier les trajets vers l'Outre-mer et puis voir si tout ça marche bien en temps réel.

APOLLINE DE MALHERBE
Donc à court terme effectivement, c'est plutôt une question pratique. C'est-à-dire que pour l'instant, vous êtes obligé d'apporter votre test PCR imprimé sur une feuille A 4 que vous avez pliée dans le fond de votre sac. Là, il y aura tout sur votre téléphone et sur une seule application. Mais quand vous dites c'est peut-être la préfiguration d'un passeport vert, vous avez conscience que c'est quand même encore très polémique. Ça veut dire qu'en gros, vous considérez comme acquis l'idée qu'à un moment ou à un autre il faudra bien avoir fait le vaccin pour vacciner et pour reprendre l'avion.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Non, je ne dis pas ça. Je parlais des transports internationaux et aujourd'hui pour de toute façon vous transporter à l'international, vous présentez un test PCR négatif, demain peut être effectivement un certificat de navigation. C'est très différent du sujet on va dire vie quotidienne en France de savoir s'il faudra un vaccin ou un test PCR et ou d'autres documents pour pouvoir accéder au restaurant, au théâtre ou à d'autres lieux de vie.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais est-ce que vous pouvez nous affirmer qu'il ne faudra pas l'obligation d'avoir été vacciné pour reprendre l'avion dans quelques mois ou quelques années peut-être ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
D'abord cette discussion n'a pas encore eu au plan politique, ni au niveau international, ni au niveau de l'OMS, ni au niveau européen donc je ne préempte aucune discussion politique. Les autorités sanitaires auront à s'exprimer. Il faut aussi voir d'ailleurs le rythme de la vaccination. Aujourd'hui vous n'avez encore que quelques pourcents de la population au niveau mondial qui est vacciné. Donc ce débat, il est très largement anticipé si on raisonne à l'horizon de quelques mois. Ce qui est sûr c'est qu'il y aura très certainement des protocoles sanitaires qui imposeront soit d'avoir un test, soit d'avoir un certificat de vaccination et que, du coup, ces applications en lien avec des laboratoires qui simplifient le voyage, elles auront très certainement une utilité qui sera démontrée dans les prochains jours.

APOLLINE DE MALHERBE
Jean-Baptiste DJEBBARI, le secteur aérien est évidemment dans une crise qu'il n'a jamais connue. Jusqu'à 30 000 emplois qui pourraient disparaître à Roissy-Charles de Gaulle à cause de la chute du trafic aérien. Vous confirmez ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
D'abord je confirme que le trafic aérien a vécu une baisse de l'ordre de 70% l'an passé, environ 50% cette année donc c'est effectivement la pire crise de l'histoire. Donc ce qu'on a fait, c'est qu'on a essayé d'amortir les effets de la crise partout - dans les aéroports, les compagnies aériennes, l'industrie aéronautique - avec tous les dispositifs que vous connaissez.

APOLLINE DE MALHERBE
Pour l'instant, vous portez par les aides. Ça, ils en sont bien conscients mais la suite, c'est 30 000 emplois supprimés.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Les aides, ça permet quand même d'abord d'éviter les faillites. Je note que par rapport à l'an passé, on a trois fois moins de faillites. En tout cas, on a maintenu le niveau de faillite à un niveau inférieur à ce qu'il était à l'avant-crise. Ça montre quand même la puissance du dispositif d'amortissement. Et puis c'est préparer l'avenir parce que le secteur ne repartira pas tout à fait pareil. Je prends un exemple : on investit énormément sur ce qu'on appelle la décarbonation des avions, avoir des avions qui polluent moins. C'est évidemment de l'emploi préservé maintenant et puis ce sera un avantage comparatif par rapport aux Chinois demain, aux Américains d'autre part sur une nouvelle génération d'avions.

APOLLINE DE MALHERBE
L'avion de demain.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
L'avion de demain.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais vous n'avez pas répondu à ma question. Est-ce que vous confirmez ce chiffre qui est évoqué notamment par le journal Le Monde ? 30 000 emplois qui pourraient disparaître à Roissy-Charles de Gaulle.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Je ne confirme pas ce chiffre. Ce sont des hypothèses qui sont faites sur les bases des prévisions de trafic, de la reprise du trafic. Enfin, entre ceux qui disent que ça va repartir en 2022, en 2023, en 2027, vous voyez on peut faire tous les calculs qu'on veut. D'ailleurs ceux qui avaient fait ces calculs avaient dit qu'on supprimerait 900 000 emplois en France cette année. C'est trois fois moins d'emplois qui ont été supprimés. La vérité, c'est que personne ne sait. Ce qui est sûr, c'est qu'il faut se mettre en capacité d'amortir les effets de la crise et préparer l'avenir, parce que ça pour le coup, l'avenir demain tant pour les compagnies que pour l'industrie ne sera pas…

APOLLINE DE MALHERBE
Vous parliez de l'avion de demain qui sera décarboné. Il y a cette loi climat qui est examinée depuis le début de la semaine. Vous avez l'air de dire que pour vous, ces mesures écologistes c'est une bonne chose pour l'avenir de l'avion. Pourtant de JUNIAC, qui est quand même le directeur général de l'Association de transport aérien, Alexandre de JUNIAC est contre, l'Union des aéroports français est contre. Est-ce que ça ne va pas donner un dernier coup à un secteur qui a quand même énormément de mal à repartir ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
En fait, quand on regarde réellement quelles sont les mesures pour le transport aérien, elles sont déjà très largement compatibles avec ce qu'on avait engagé. Nous, on a agi d'abord en complémentarité et non en concurrence des modes de transports. On a donné une très grande priorité au ferroviaire. Un exemple : le plan de relance, c'est 11 milliards pour les transports, c'est 5 milliards pour le ferroviaire, donc on a de toute façon un investissement massif sur le ferroviaire. Et ensuite la réalité, c'est que le secteur aérien va changer. Donc soit on subit, soit on anticipe et on investit. Et là l'idée, c'est quand même qu'on a par exemple sur la construction aéronautique un leader mondial, AIRBUS. Soit on dit, il ne se passera jamais rien et les Chinois n'inventeront pas l'avion de demain ou les Américains non plus. Moi ce que je constate, c'est que ce sont deux blocs, deux pays qui sont archi financés, qui ont beaucoup de compétences et qui sont en train de faire le travail. Donc la réalité y compris géopolitique dans la vraie vie, c'est qu'il faut investir dans l'aérien, aller vers un aérien moins carboné. C'est le sens de l'histoire pour avoir effectivement de toute façon une action climatique qui soit raisonnable et organisée, et donc c'est ce travail que nous organisons avec…

APOLLINE DE MALHERBE
Dans ce contexte, AIR FRANCE va mal. Début mars, vous aviez évoqué des discussions avec Bruxelles pour qu'il vous donne le feu vert, qui vous autorise à aider une nouvelle fois AIR FRANCE. Est-ce que Bruxelles vous dit oui ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
A recapitaliser. En fait on a déjà aidé AIR FRANCE. Des prêts de sept milliards chez nous et de trois milliards chez les Néerlandais. J'étais encore hier à Bruxelles avec la commissaire madame VESTAGER sur différents sujets et on a pu évoquer ce cas d'AIR FRANCE-KLM. Les discussions continuent.

APOLLINE DE MALHERBE
Ils ne vous ont pas encore dit oui donc.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Ça, ce n'est pas dire oui. C'est une négociation. On ne va pas quémander l'accord de Bruxelles, c'est une négociation. Nous on dit : on respecte le droit européen. On a soutenu nos compagnies aériennes pour des montants considérables. Moi je considère que ces compagnies aériennes, elles sont systémiques au sens où elles sont des actifs stratégiques pour la France et pour l'Europe, et donc il faut que la compétition, la concurrence à l'issue de cette crise elle soit équitable. Et tout le sujet, c'est où on pose le curseur sur…

APOLLINE DE MALHERBE
Comment vous comprenez le mot équitable vous ici ? Peut-être qu'en belge, on ne dit pas exactement pareil.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Moi je vais vous expliquer en français. Le mot équitable, c'est que quand vous mettez des milliards sur les compagnies aériennes systémiques, vous n'avez pas six mois plus tard des compagnies aériennes ultra low cost qui ne respectent pas le droit européen, qui profitent de l'après-crise. C'est ça.

APOLLINE DE MALHERBE
Deux questions très pratiques pour ceux qui nous écoutent. Une question quand même sur le remboursement. On le voit bien, et Marie DUPIN nous l'expliquait tout à l'heure, c'est extrêmement compliqué. C'est la croix et la bannière pour se faire rembourser encore aujourd'hui. Pas forcément par AIR FRANCE mais par d'autres compagnies pour les billets des voyages qui ont été soit annulés, soit dont on nous promettait qu'on pouvait les annuler y compris jusqu'à la dernière minute. Dans les faits, il y a encore beaucoup de personnes qui attendent le remboursement. Est-ce que vous allez taper du poing sur la table et vraiment imposer que les consommateurs puissent se faire rembourser ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Alors d'abord c'est ce qu'on fait. Vous savez que quand vous faites une demande de remboursement, faites-là évidemment à votre opérateur, votre agence de voyages et pas au ministère parce que c'est passé un certain délai, notamment deux mois, que nous on peut agir. Non mais je le dis parce qu'on peut agir y compris sanctionner les compagnies aériennes, les agences de voyages qui n'auraient pas respecté mais passé le délai de deux mois…

APOLLINE DE MALHERBE
Mais ils jouent l'usure, ils jouent l'usure. On le sent.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Non, ils ne jouent pas l'usure. Enfin, on a eu 3 500 signalements qu'on a aidé à résoudre sur l'ensemble de l'année dernière. 3 500 signalements et la très grande majorité des cas sont solutionnés assez rapidement. On retient toujours les cas qui effectivement posent problème. Mais je vous le dis, d'une manière générale les délais ont augmenté du fait du volume de demandes, mais d'une manière générale agences de voyages et compagnies aériennes remboursent.

APOLLINE DE MALHERBE
Agences de voyages, voyagistes qui avaient obtenu de votre part un délai de 18 mois pour pouvoir rembourser ce qui était vraiment un voyage global, avec à la fois billet d'avion et voyage sur place. Ces 18 mois, ils arrivent à échéance en septembre. Beaucoup de ces voyagistes ont vécu sur cette trésorerie et n'ont plus les sous. Est-ce que l'État pourrait devenir la personne qui rembourse ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
D'abord on va regarder puisque, vous le dites, septembre. On va regarder comment se passe la reprise si elle existe au gré de l'amélioration de la vaccination, peut-être d'un printemps un peu plus ensoleillé sur le plan sanitaire. On regardera comment se passe l'été et on va regarder ce que ça veut dire en termes de trésorerie et de capacité de l'entreprise.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais s'il le faut, est-ce que l'État pourrait devenir…

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
… vous voyez, au milieu du printemps, mi-mai pour regarder comment tout ça va se positionner, en tout cas va se matérialiser et on prendra les décisions qui s'imposent pour soutenir le secteur, pour faire en sorte que les consommateurs évidemment puissent exercer leurs droits.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous ne vous interdisez pas l'idée qu'éventuellement, si les compagnies n'ont pas les moyens de rembourser les consommateurs, ce soit l'État qui rembourse ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Vous voyez, aujourd'hui l'État a très largement nationalisé une partie de l'économie et en France beaucoup plus qu'ailleurs. Donc l'État ne s'interdit rien en la matière, mais l'idée c'est quand même dans un jeu de droits et devoirs des opérateurs.

APOLLINE DE MALHERBE
De droits et de devoirs. Une question encore pour ceux qui nous écoutent et qui prennent peut-être le RER B. C'est un million de voyageurs par jour, c'est des rames extrêmement vétustes. Il y avait un contrat de renouvellement qui avait été signé que refuse d'honorer ALSTOM. Qu'est-ce qu'on fait ? C'est-à-dire que c'est des histoires de sous mais pendant ce temps-là, ce sont des usagers qui chaque jour se retrouvent dans une situation extrêmement difficile.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Alors pour expliquer en deux mots. C'est un contrat entre la région, la SNCF et la RATP et effectivement ALSTOM qui depuis a acquis BOMBARDIER et qui avait gagné le contrat discute les termes du contrat. Moi ce que je dis, c'est ça.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais en attendant, il ne se passe rien pour ceux qui prennent le RER.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
C'est ce qu'on appelle du précontentieux, les discussions qui vont continuer. Donc l'État souhaite que le contrat soit exécuté et encourage à ce que les discussions qui ont lieu continuent de manière à trouver une solution qui soit acceptable, et effectivement qui ne pénalise pas les usagers.

APOLLINE DE MALHERBE
Merci Jean-Baptiste DJEBBARI d'avoir répondu à mes questions. Vous êtes ministre délégué auprès de la ministre de la Transition écologique, vous êtes chargé des Transports.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 12 mars 2021