Interview de M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État en charge des retraites, à BFM Business le 25 mars 2021, sur les leviers du gouvernement pour contraindre les entreprises à renforcer le télétravail pendant l'épidémie de Covid-19.

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Texte intégral

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
On a plein de questions sur le télétravail : est-ce qu'il faut être plus contraignant pour les entreprises ? Sur les professions exposées. On a parlé des enseignants mais quid de certains travailleurs dans les entreprises et donc on a proposé à Laurent PIETRASZEWSKI, le secrétaire d'Etat chargé notamment de la Santé au travail et des Retraites d'être avec nous ce matin.

SANDRA GANDOIN
Bonjour.

LAURENT PIETRASZEWSKI
Bonjour à tous.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Merci d'avoir répondu à notre invitation pour préciser tout ça. Le télétravail, un seul chiffre. Seuls 31 % de travailleurs, de salariés ont été en télétravail toute la semaine contre 44 % en novembre. On a donc régressé en matière de télétravail. Je pourrais donner les chiffres pour une journée, pour deux jours mais ce seul chiffre donne le ton. On ne va pas au bout de ce qu'on pourrait faire en matière de télétravail. Vous n'êtes est pas capable, parce que vous n'avez peut-être pas les moyens juridiques - vous allez nous le dire - d'imposer plus aux entreprises.

LAURENT PIETRASZEWSKI
Je vais vous dire tout de suite quels sont les moyens dont nous disposons collectivement. D'abord moi je fais un appel à la responsabilité. A la responsabilité des employeurs et des salariés.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Mais ça, ça fait des semaines que vous le faites.

LAURENT PIETRASZEWSKI
Je vais vous dire, ça ne fonctionne pas si mal. Vous avez raison de dire qu'on peut faire mieux. Pourquoi on peut faire mieux ? Parce que le télétravail, c'est un formidable levier de lutte contre la diffusion du virus. On a 30 % de chances en moins d'attraper le virus si on reste chez soi et qu'on fait du télétravail. Donc il faut vraiment développer ce télétravail. Comment on peut faire ? On a rappelé - je l'ai fait lundi soir aux organisations patronales et organisations syndicales - la règle. La règle, c'est 100 % en télétravail de tout ce qui est réalisable à distance. 100 % télétravail avec une possibilité lorsque le salarié le demande, qui est notamment en difficultés psychologiques ou de conditions de travail, de revenir une fois par semaine dans l'entreprise. Ça, c'est la règle. L'employeur doit la respecter.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Mais Laurent PIETRASZEWSKI, on va se parler franchement. On a des inspecteurs du travail qu'on reçoit et qui nous disent : je ne peux pas imposer dans une entreprise ni sanctionner le fait que je me rends compte qu'effectivement il y a des gens qui sont là qui pourraient ne pas l'être.

LAURENT PIETRASZEWSKI
Si vous avez les inspecteurs du travail qui vous disent ça, c'est qu'ils n'utilisent pas tous les leviers qui sont à leur disposition.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Ils disent que c'est compliqué d'aller...

LAURENT PIETRASZEWSKI
J'en ai d'autres qui me disent le contraire. Comme vous m'avez donné un chiffre pour démarrer la matinée, je vous en donne un qui répond je crois à votre question. Plus de 29 000 contrôles sur ces sujets du télétravail et du protocole sanitaire depuis le début de l'année.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Combien de sanctions ?

LAURENT PIETRASZEWSKI
59 mises en demeure. Vous savez la mise en demeure, pour ceux qui connaissent un peu les relations avec l'inspection du travail, vous avez des lettres d'observation où on vous dit bon : on a vu ça, il va falloir bouger sur ça et puis vous avez des mises en demeure où on vous dit : vous avez un temps défini pour vous caler immédiatement. Donc c'est très sérieux, la mise en demeure. Les mises en demeure, elles fonctionnent et elles fonctionnent aussi au même titre d'ailleurs que les lettres d'observation. Parce que vous savez quand vous êtes employeur, vous n'êtes pas non plus toujours le méchant qui veut que ça se passe mal.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Non.

LAURENT PIETRASZEWSKI
Vous avez besoin aussi d'aide, qu'on vous explique comment vous pouvez faire mieux. Donc moi je crois aux deux. Un : aux contrôles, à l'exigence et à l'accompagnement.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
On a reculé. On est passé de 31 % de télétravailleurs toute la semaine, de 44 à 31 donc est-ce que vous allez aller plus loin ? Est-ce que vous avez dans les dossiers sous le coude une manière d'être plus coercitif si ça ne fonctionne pas ?

LAURENT PIETRASZEWSKI
Je vous donne la suite, ce qu'on a décidé et ce qu'on a demandé aux partenaires sociaux de réaliser lundi soir : c'est la mise en place d'un plan d'action. Un plan d'action dans toutes les entreprises pour aller chercher entreprise par entreprise la journée de télétravail supplémentaire, le temps de travail supplémentaire. Et ça, ça se fait comment ? Ça se fait dans une discussion de terrain. Ça se fait dans un échange entre l'employeur, le chef d'équipe, le manager et ceux et celles qui sont là.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Ça sera obligatoire ?

LAURENT PIETRASZEWSKI
Absolument. C'est obligatoire.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Ça sera sanctionné si ce n'est pas fait ?

LAURENT PIETRASZEWSKI
Et d'ailleurs c'est requis. A chaque fois que l'inspection du travail le souhaite, elle demandera le plan d'action. Alors on a mis des formalismes différents. Ma maman qui était ébéniste, évidemment avec ses deux compagnons, elle n'avait pas le même formalisme que dans une grosse boîte où j'ai travaillé avant où on avait un staff RH. Donc dans un cas on demandera d'expliciter les actions de mise en oeuvre et dans un autre cas, on demandera le compte-rendu CSE ou le document écrit.

SANDRA GANDOIN
Mais est-ce que ce plan d'action - certains nous l'ont dit sur ce plateau pas plus tard qu'hier - ce n'est pas de la paperasse supplémentaire à destination des employeurs qui doivent le mettre en place, ce plan ?

LAURENT PIETRASZEWSKI
Je vais vous le faire d'expérience. Si on ne fait pas comme on fait ce matin, si on ne se pose pas, si on ne s'assied pas, si on ne prend pas tous 15 minutes, 30 minutes, une heure pour dire : voilà Laurent, ça, est-ce que tu pourrais le faire de chez toi ? Comment tu t'organises ? Comment est-ce qu'on peut t'aider ? Ah, il te manque un portable : OK, très bien, on va te fournir un portable. Si on ne fait pas ce temps, ce travail qui n'est pas très longue mais qui est nécessaire pour gagner cette journée supplémentaire de travail à distance dans toutes les entreprises, département par département, on n'arrivera pas à revenir sur les taux que vous avez évoqués. C'est un travail presque de fourmi, de dentelle. Il faut qu'on fasse de la dentelle tous ensemble pour des raisons simples. Ce qu'on veut, c'est protéger la santé de nos concitoyens. C'est ça notre sujet. Ce qu'on veut, c'est ne pas mettre en situation de saturation nos services de réanimation.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Oui. La santé et la santé mentale et psychique. Je sais que votre situation est compliquée mais on sait que plus on laisse les gens chez eux - il y a des gains de productivité, beaucoup d'entreprises nous disent : c'est formidable le télétravail - mais en même temps au bout d'un moment, si c'est trop imposé, on sait que ça a des effets dévastateurs sur la santé psychique des salariés.

LAURENT PIETRASZEWSKI
Et j'en suis conscient et, vous savez, le gouvernement en est conscient de cela. Sur le fond, on a besoin de ce lien social. Regardez, vous avez parlé de cette séquence-là de travail pour réfléchir mais c'est vrai partout. On a besoin d'un échange les uns avec les autres. Le digital déshumanise un peu quand même cette relation-là. Moi je veux vous dire que si nous avons avec Elisabeth BORNE autorisé le retour en entreprise une journée par semaine à la demande du salarié - je précise : à la demande du salarié et pas de l'employeur - parce qu'il a ou des conditions de travail très particulières parce qu'il faut se rendre compte que travailler dans sa cuisine, ce n'est pas toujours très facile ; ou parce qu'il a, c'est vrai, un certain malaise et il a besoin de se retrouver dans son univers professionnel, c'est possible. C'est pour ça que nous avons maintenu cette possibilité.

SANDRA GANDOIN
La sortie de crise va passer par la vaccination massive. Hormis le problème des doses et de la fourniture de doses, il y a qui est-ce qu'on vaccine en priorité. Est-ce que vous avez pensé, est-ce que vous pensez à des fonctions en priorité pour dispenser cette vaccination en entreprise ? Quelles professions sont concernées dans votre réflexion au gouvernement ?

LAURENT PIETRASZEWSKI
Merci de votre question. Redisons un mot de la stratégie vaccinale. Nous protégeons les plus vulnérables, ceux qui ont le plus de risques de faire une forme sévère de Covid. C'est ce que nous faisons.

SANDRA GANDOIN
Par tranche d'âge pour le moment.

LAURENT PIETRASZEWSKI
Voilà, par tranche d'âge. Actuellement nous sommes sur les plus de 55 ans qui sont vulnérables et notamment qui peuvent se faire vacciner dans leur service dans leur travail.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Et on a sans doute bien fait. Mais ensuite, on va arriver à la population plus générale et Sandra a raison : le président a parlé des enseignants ; c'est une bonne idée et c'est sans doute nécessaire. On parlera tête de l'école après, mais quid des autres professions très exposées ? Je pense par exemple aux caissières dans les supermarchés. Est-ce qu'à un moment donné, vous allez hiérarchiser les catégories de salariés qui doivent être vaccinés en priorité ?

LAURENT PIETRASZEWSKI
Le président s'est exprimé sur le sujet. Lorsque nous serons au mois d'avril - c'est dans quelques semaines – lorsque nous serons au mois d'avril dans une situation d'avoir des approvisionnements massifs de vaccins, nous allons donc évoluer dans cette stratégie vaccinale et nous allons pouvoir avancer en population générale. Moi je trouve que c'est une bonne idée d'instruire le sujet de celles et de ceux qui sont exposés, notamment dans les ERP, les établissements recevant du public. On a évoqué les enseignants mais on pourrait aussi évoquer peut-être la situation de celles et ceux qui produisent de l'énergie, de l'eau. Vous savez, c'est tous ces biens vitaux pour le fonctionnement de notre société.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Mais ça sera quoi le critère ? Ça sera le nombre de gens croisés dans une journée ? On pourra dire que les salariés prioritaires seront ceux qui voient dix, trente, cent personnes par jour.

LAURENT PIETRASZEWSKI
Vous avez bien vu là avec votre question que ça nécessite d'être instruit au niveau interministériel. C'est ce que nous allons faire dans les jours qui viennent.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Et donc en avril, il y aura une liste de professions et de salariés prioritaires par rapport à d'autres.

LAURENT PIETRASZEWSKI
Je vous ai dit, je trouve que c'est une idée intéressante qu'il faut gratter, qu'il faut construire et on va le faire en interministériel.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors autre question sur l'école parce que ça concerne aussi la santé des salariés qui télétravaillent chez eux. On a un doute en ce moment : on se demande si les variants n'affectent pas plus les enfants. Il y a d'ailleurs malheureusement des enfants, des adolescents maintenant à l'hôpital davantage qu'avant. Est-ce que ce n'est pas désormais à l'école que les contagions entre enfants puis ensuite entre enfants et parents se font ?

LAURENT PIETRASZEWSKI
Vous ne m'en voudrez pas de ne pas vous parler en spécialiste sanitaire. D'abord ce n'est ni ma formation ni ma fonction, mais simplement de partager quelques éléments avec vous. D'abord vous le savez, Jean-Michel BLANQUER a mis à disposition des écoles plus de 300 000 tests salivaires qui permettent justement aux enfants et également aux enseignants d'avoir une détection et, si c'est nécessaire, tout de suite une action pour isoler celui ou celle qui serait concerné. Alors moi, vous savez, je crois avec Jean-Michel BLANQUER mais je crois tout le gouvernement, qu'il faut que nous soyons en situation de maintenir le plus longtemps possible nos écoles ouvertes. Parce que le risque que nous prenons, c'est d'avoir une génération sacrifiée au regard de...

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Vous excluez aujourd'hui une nouvelle fermeture des écoles.

LAURENT PIETRASZEWSKI
Tout en protégeant, comme je vous l'ai dit juste avant et en détectant grâce aux tests salivaires à chaque fois que c'est nécessaire. S'il y a un doute, il faut faire la levée de doute.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Encore une question. Vous êtes secrétaire d'Etat chargé donc de la Santé au travail et des Retraites.

LAURENT PIETRASZEWSKI
Oui.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Vous avez perdu une partie de votre portefeuille puisque la réforme des retraites n'est plus d'actualité.

LAURENT PIETRASZEWSKI
Vous avez remarqué que l'autre partie me prenait beaucoup de temps. Elle est fort importante.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Non mais la question, c'est la réforme des retraites vous ne la ferez pas ?

LAURENT PIETRASZEWSKI
Ecoutez, je ne vais pas vous répondre sur la réforme des retraites mais vous dire juste une conviction. Une conviction, c'est que lorsque nous serons sortis de cette crise sanitaire, et il faut être raisonnable ce qui vous mobilise... Pourquoi vous m'avez invité aujourd'hui ? C'est pour toutes les questions que vous avez posées jusqu'à maintenant, c'est la crise sanitaire. Quand nous serons sortis de cette crise sanitaire, il faudra que l'on puisse se reposer la question collectivement de la façon dont nous assurons la solidarité entre les générations. La solidarité des professions notamment vis-à-vis de celles et ceux de la seconde ligne que vous avez évoqués.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Oui, mais s'occuper des retraites en 2022, ça ne sera pas trop tard ? On n'aura pas encore perdu 5 ans pour réformer les retraites ?

LAURENT PIETRASZEWSKI
Ecoutez, nous verrons lorsque nous sortirons de cette crise sanitaire, et nous allons sortir grâce à la vaccination, quelles sont les priorités que nous fixerons à ce moment-là collectivement.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Vous serez peut-être ministre des Retraites en 2022 - on vous le souhaite - pour achever cette réforme qui est quand même une réforme inachevée. Ça doit être une frustration quand on est ministre des retraites, non ?

LAURENT PIETRASZEWSKI
Vous savez, quand on est ministre on est occupé de très tôt le matin à très tard le soir et, vous avez raison : bien sûr que la notion de solidarité me passionne, mais c'est aussi pour ça que je suis heureux de m'occuper de la santé au travail.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Merci Laurent PIETRASZEWSKI, Secrétaire d'Etat chargé donc de la Santé au travail. Merci beaucoup.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 26 mars 2021