Déclaration de M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer, sur les crédits de la mission Outre-mer dans le projet de loi de finances pour 2022, à l'Assemblée nationale le 9 novembre 2021.

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Circonstance : Présentation à l'Assemblée nationale des crédits de la mission Outre-mer dans le projet de loi de finances pour 2022

Texte intégral

M. le président.
La parole est à M. le ministre des outre-mer.

M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer.
Monsieur le président de l'Assemblée, à mon tour de vous remercier de présider cette séance importante pour nos concitoyens d'outre-mer. Je salue M. le rapporteur spécial, le président Serva, le rapporteur Naillet et l'ensemble des parlementaires. Pour la deuxième année consécutive, je me réjouis de vous présenter les crédits de la mission Outre-mer . Merci par ailleurs pour les mots personnels que, les uns et les autres, vous avez bien voulu m'adresser.

C'est un budget résolument tourné vers le quotidien de nos concitoyens ultramarins – c'est tout de même bien ainsi qu'ils sont désignés –, malheureusement bouleversé par la crise sanitaire. Je veux ici avoir une pensée pour les victimes, leurs familles endeuillées et remercier les soignants venus en renfort par les trois océans. L'État a été et sera aux côtés des outre-mer face à cette crise, tant sur le plan sanitaire qu'économique. Nous l'avons collectivement prouvé.

Comme l'année dernière, je commencerai par un rappel général. Le budget de l'État dédié aux outre-mer est bien plus large que la seule mission Outre-mer que nous examinons ce soir. En effet, le budget de l'outre-mer s'étend sur 32 missions et 94 programmes et, en additionnant les dépenses budgétaires et fiscales, l'État y consacre près de 26 milliards d'euros en AE et 27,6 milliards d'euros en CP. À cela s'ajoutent les crédits outre-mer du plan de relance, dont la moitié est déjà territorialisée et constitue une véritable réponse sur le volet économique.

Au-delà de la mission Outre-mer , trois autres missions dépassent le milliard d'euros : Relations avec les collectivités territoriales , Écologie, développement et mobilité durables et Solidarité, insertion et égalité des chances . La mission Travail et emploi , quant à elle, frôle le milliard, avec une hausse des crédits de près de 345 millions d'euros, ce qui est inédit. Par ailleurs, deux missions consacrent des dépenses de personnel importantes à l'outre-mer : près de 5,3 milliards d'euros pour les agents de l'éducation nationale, contre 4,7 milliards l'année dernière, et un peu plus de 1,1 milliard pour les forces de sécurité intérieure.

Des investissements de taille sont à noter. Les territoires d'outre-mer bénéficient ainsi d'investissements fondamentaux comme partout ailleurs dans la République en termes de justice, de sécurité, d'éducation, d'enseignement supérieur, d'insertion, d'infrastructures structurantes, de transition écologique, de prévention des risques. J'en citerai quelques-uns pour rendre mon propos concret : en Guadeloupe, la rénovation et l'extension du palais de justice de Basse-Terre et le développement des énergies renouvelables ; en Martinique, la livraison d'un nouvel hôtel de police à Fort-de-France pour 37 millions d'euros et la construction du pôle universitaire de santé pour 2 millions d'euros ; en Guyane, le doublement du pont du Larivot pour 97 millions d'euros – un projet ancien et attendu –, la construction d'un nouvel hôtel de police à Cayenne pour près de 50 millions d'euros, ou encore la création d'un foyer de jeunes travailleurs de 240 places ; à la Réunion, la réhabilitation des locaux de l'université et la construction de nouveaux logements du centre régional des oeuvres universitaires et scolaires (CROUS), pour laquelle la plupart des parlementaires du territoire s'étaient mobilisés ; à Mayotte, la création de 500 classes, la rénovation de 500 autres et la construction de réfectoires, et le développement d'un système d'alerte et d'information des populations à la suite de la découverte d'un volcan sous-marin ; en Polynésie française, des panneaux photovoltaïques dans les casernes de Faaa, la poursuite de la construction de la cité judiciaire de Papeete pour plus de 30 millions d'euros ; en Nouvelle-Calédonie, la construction d'un centre de détention à Koné ; à Wallis-et-Futuna, des investissements de l'Agence de santé ; à Saint-Pierre-et-Miquelon, l'achèvement du quai de croisière. Ce sont là autant de projets qui se veulent concrets.

Je ne peux pas évoquer ce budget sans parler de la crise sanitaire, des aides d'urgence, mais aussi de la relance. Depuis le début de la crise, le Gouvernement est mobilisé pour soutenir toutes les entreprises en difficultés avec des aides adaptées aux situations locales. Elles représentent plus de 6 milliards d'euros en outre-mer, dont 3,5 milliards de prêts garantis par l'État, 1,1 milliard du fonds de solidarité, 830 millions d'euros de reports de charges et 650 millions d'euros d'activité partielle. Vous conviendrez, mesdames, messieurs les députés, qu'il serait délicat de balayer ces chiffres d'un revers de main.

Je rappelle aussi que depuis le 1er octobre, les territoires ultramarins soumis à des restrictions d'activité sont les seuls en France à bénéficier du fonds de solidarité ainsi que de l'activité partielle. Les collectivités ont été également aidées et continueront de l'être : je pense à la subvention exceptionnelle de 82 millions d'euros en faveur de la Nouvelle-Calédonie, liée aux dépenses de la crise sanitaire, qui a été complétée hier par 40 millions d'euros. Nous avons reçu une nouvelle demande de prêt garanti par l'État de la part du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie : elle sera examinée très prochainement. Enfin, une aide complémentaire au fonds de solidarité va être mise en place tout prochainement pour répondre à la situation de certaines TPE et PME ultramarines, notamment polynésiennes, qui, bien que très touchées par les mesures de restriction, ne pouvaient prétendre actuellement au fonds de solidarité – je sais, madame Sage, que vous vous étiez mobilisée avec le président Fritch pour faire évoluer les choses sur ce point. Cette aide sera automatique et ne concernera que l'outre-mer.

Un mot sur le plan de relance. Sur les 100 milliards d'euros de France relance, plus de 1,5 milliard d'euros sont dédiés aux outre-mer, avec 669 millions pour la transition écologique, 566 millions pour la cohésion sociale et territoriale et 316 millions pour la compétitivité des entreprises en outre-mer. Les bénéficiaires de ces crédits sont des collectivités, des entreprises, des associations, des ménages, des jeunes en recherche d'emploi : personne n'en est exclu. Les COM du Pacifique bénéficient, comme les DROM, de certaines des mesures de France relance, dans le respect de leurs compétences propres et parfois au-delà, en lien et en accord avec les gouvernements locaux.

S'agissant de la mission Outre-mer elle-même et de ses deux programmes, elle présente une légère baisse des AE. Ces dernières s'élèvent à 2,57 milliards d'euros, contre 2,65 l'année précédente, ce qui s'explique par la baisse des exonérations consenties dans le cadre des dispositions de la loi pour le développement économique des outre-mer, dite LODEOM. Il faut par ailleurs se réjouir d'une hausse des CP sur l'intégralité de la mission. Surtout, je note une accélération des paiements sur les projets d'investissement dans le logement et les infrastructures publiques, ce qui est une bonne nouvelle pour nos concitoyens et tout le tissu économique ultramarin. Le député Lorion y est revenu. Nous étions dans un creux ; il y a un redémarrage cette année et quelque chose me dit que l'année prochaine sera aussi une bonne année en matière d'investissements, donc en termes d'argent réellement dépensé. Nous le savons tous, l'enjeu de cette mission n'est pas seulement d'inscrire des sommes en AE, mais de les consommer en CP.

En ce qui concerne le programme 138, il est évidemment touché par la baisse mécanique des exonérations dites LODEOM. Cela n'enlève rien au soutien apporté par le Gouvernement à nos entreprises ultramarines, d'autant moins que le dispositif est cette année étendu au secteur de l'aéronautique, ce qui était une demande de nombre d'entre vous.

Une nouvelle mesure importante de ce PLF est portée par ce programme : l'ouverture d'une nouvelle compagnie du service militaire adapté à Mayotte. Les élus du territoire s'étaient mobilisés pour cela, et nous l'avions visitée avec le député Kamardine. Cette compagnie, c'est 9,7 millions d'euros et 175 ETP. Une expérimentation permettra notamment d'allonger la durée moyenne de l'accueil, de mettre en place le permis pour tous et d'accueillir des mères célibataires : ça aussi, c'est du concret.

Cela me permet d'évoquer l'amendement par lequel le Gouvernement proposera la création d'une nouvelle compagnie de SMA à Hao, dans les Tuamotu, conformément à un engagement pris par le Président de la République lors de son dernier déplacement officiel, effectué en juillet dernier. Nous portons plusieurs ambitions sur ce projet : redynamiser l'économie de l'atoll, notamment après la fin du Centre d'expérimentation du Pacifique (CEP) ; porter des filières d'avenir – autosubsistance, énergies vertes, tourisme, communication – ; respecter une faible empreinte écologique. Vous l'aurez compris, c'est aussi un peu le régiment du service militaire adapté (RSMA) de demain que nous souhaitons construire. Nous devrions accueillir les premiers stagiaires dès l'automne 2022, dans un calendrier à ce point resserré qu'il en constitue un record. L'amendement propose d'ouvrir près de 7 millions d'euros en AE et plus de 5,5 millions d'euros en CP.

S'agissant du programme 123 relatif aux conditions de vie outre-mer, les CP augmentent de 64 millions d'euros. Le logement figure parmi les priorités. Un mouvement vers la réhabilitation est enclenché : cette nouvelle doctrine, qui n'envisage plus seulement la construction de neuf, en particulier aux Antilles et à La Réunion, favorise la consommation des crédits. En début d'année, on a observé une augmentation de 146 % du nombre de projets.

Sur le volet fiscal, ce PLF pour 2022 porte la reconduction du dispositif de l'outre-mer de 2022 à 2027. Cette reconduction a été validée par l'Union européenne en juin dernier et il importait de la transcrire dans notre droit avant la fin de l'année, avec des modifications de seuil en faveur de nos TPE et PME.

Plus globalement, ce sujet de l'outre-mer me permet d'évoquer le sujet de la vie chère, comme je l'ai fait cet après-midi lors des questions au Gouvernement. Nous en connaissons les causes : d'abord la fiscalité locale, à savoir l'octroi de mer, qui est à l'origine une barrière douanière, mais qui a aussi indéniablement un impact sur le coût de la vie qui n'est pas toujours compris aujourd'hui ; des monopoles et positions dominantes qui empêchent de faire jouer la concurrence ; l'éloignement et la dépendance vis-à-vis des importations, principalement en provenance de l'Hexagone, faute de filières locales structurées, qui engendrent des coûts de transport supérieurs à ceux de l'Hexagone. C'est incontestablement le dossier majeur des mois et des années qui viennent. Il faut en parler sans tabou et j'espère que la période électorale à venir nous permettra de le faire.

Cette mission, mesdames et messieurs les députés, s'attache à la vie quotidienne de nos concitoyens. J'entends les prises de parole des uns et des autres, et je n'ignore pas les prochaines échéances électorales. Néanmoins, ce budget a le mérite d'être sincère et de correspondre aux attentes des territoires. En tout cas, je vous le présente avec sincérité et beaucoup d'enthousiasme – et, si vous me le permettez, beaucoup de coeur. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Dem, UDI-I et LT.)



Mme la présidente.
Nous en venons aux questions des groupes.
La parole est à Mme Maud Petit.

Mme Maud Petit.
Monsieur le ministre, la crise covid a dramatiquement mis en lumière les problèmes structurels du système hospitalier ultramarin. Ces problèmes, notamment des infrastructures vieillissantes et un manque de moyens conséquents, ne sont pas nouveaux. Déjà dans les années 1970-1980, les ministres de la santé étaient interpellés sur ce sujet. Cette situation mérite plus que jamais notre attention. Notre système hospitalier est précieux et nous devons préserver cette chance : le droit pour chacun de recevoir des soins adéquats dans les meilleures conditions possibles.
Le rapport que mes collègues Cécile Rilhac et Josette Manin et moi-même avons présenté en 2018 au nom de la délégation aux outre-mer, soulignait les difficultés auxquelles les systèmes hospitaliers locaux faisaient face, entraînant des discriminations dans la prise en charge et la qualité des soins.
Nous évoquions par exemple le déficit en équipements. Le conseil départemental de l'Ordre des médecins de Martinique nous avait signalé des carences graves, telles que le manque de chambres stériles, l'absence de cyclotron pour le diagnostic et le suivi des cancers ou l'inexistence d'un service d'hémato-oncologie à l'hôpital. À Mayotte, le service ambulancier ne fonctionne ni la nuit ni le week-end. Notre présence sur le terrain nous avait permis de prendre la mesure de la complexité de la situation de l'hôpital, confronté par ailleurs à une affluence inédite.
Si la feuille de route de la Stratégie de santé outre-mer pour la période 2016-2023 définit déjà comme une priorité l'efficience du système de santé outre-mer, ainsi que la réduction des inégalités d'accès aux soins, l'actualité nous démontre que nous devons aller encore plus loin pour améliorer la prise en charge médicale et hospitalière de nos concitoyens ultramarins.
Monsieur le ministre, pouvez-vous rappeler ici comment l'action de l'État, au travers de ce budget mais aussi du plan de relance et du plan Ségur, soutient et accompagne le système hospitalier ultramarin ?

Mme la présidente.
La parole est à M. le ministre des outre-mer.

M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer.
Vous avez raison de le souligner, madame la députée, le Gouvernement a pris des engagements forts pour améliorer la prise en charge des patients, les conditions de travail et les carrières de nos professionnels de santé, dans nos outre-mer comme dans l'Hexagone. Ces engagements prennent vie avec le Ségur : 19 milliards d'euros d'investissements dans leur système de santé. Avec le plan de relance, nous parlons de plus de 1,1 milliard d'euros d'investissements pour les outre-mer.
S'agissant des infrastructures, les territoires ultramarins bénéficient à plein de ce plan Ségur. Ce nouvel effort fait suite aux 1,3 milliard d'euros qui avaient déjà été engagés depuis 2017 lors du programme précédent de modernisation de l'offre de soins en outre-mer. Ces moyens permettront de réhabiliter des hôpitaux comme celui de La Trinité en Martinique, un dossier qui est sur la table depuis une dizaine d'années et que ce gouvernement a pris à bras-le-corps, Olivier Véran en tête. Nous mettons également en place un plan de rattrapage sur le médico-social, notamment les EHPAD – cela vaut pour les outre-mer, mais aussi pour la Corse –, qui prévoit en 2021 des AE à hauteur de 17,72 millions d'euros pour les territoires ultramarins.
Le Ségur de la santé, c'est aussi une revalorisation pour les soignants. Dans les DROM, ce sont quelque 63 500 médecins des établissements publics de santé, mais également des EHPAD, des étudiants en médecine, des internes et des étudiants paramédicaux qui ont vu leur salaire revalorisé. Après la revalorisation des salaires des médecins hospitaliers obtenue en décembre 2020 à la suite des accords du Ségur de la santé signés le 13 juillet, c'est la rémunération des personnels soignants, médico-techniques et de la rééducation de la fonction publique hospitalière qui a été revalorisée depuis le 1er octobre.
Les exemples concrets ne manquent pas. Ainsi, 590 millions d'euros ont été fléchés pour la reconstruction du CHU de Pointe-à-Pitre dévasté par un incendie – une opération qui prend malheureusement du retard à cause du covid. À Mayotte, on a eu l'occasion d'acter le principe d'un deuxième hôpital : le dossier est connu des parlementaires. Un CHU en Guyane à l'horizon 2025, des réalisations à Wallis-et-Futuna que j'ai évoquées à la tribune, un appui financier de l'État en Polynésie française : ce sont des dossiers concrets qu'il faudra faire vivre.

Mme la présidente.
La parole est à Mme Karine Lebon.

Mme Karine Lebon.
La réhabilitation est devenue l'un des enjeux prioritaires de la politique du logement. Elle figure parmi les objectifs du prochain plan logement outre-mer, dit PLOM, mais les difficultés rencontrées font craindre un échec alors que s'achève le deuxième PLOM.
Dans nos territoires, près de la moitié du parc locatif social a plus de vingt ans. Celui-ci se caractérise par un fort degré de vétusté qui rend nécessaires de lourdes opérations de remise aux normes.
Les besoins sont immenses et les obstacles nombreux. Je n'en mentionnerai que trois pour lesquels la solution relève directement de la volonté du Gouvernement.
Premièrement, les crédits budgétaires consacrés à la réhabilitation demeurent en deçà des besoins et leur faiblesse n'est pas compensée par les montants investis par les opérateurs.
Deuxièmement, le fait générateur de la réduction d'impôt, à savoir l'année de la fin des travaux, est financièrement contraignant et pénalise les opérations de réhabilitation. À cet égard, nous regrettons le rejet de l'amendement de notre collègue Max Mathiasin qui visait à apporter un correctif.
Troisièmement, le crédit d'impôt trouve ses limites. Si son extension aux opérations de réhabilitation a été saluée, son fléchage vers les seuls projets situés dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, les QPV, a réduit son impact. En réalité, il s'agit même d'une double restriction car les critères liés aux QPV font déjà eux-mêmes l'objet d'une adaptation à l'outre-mer, sans laquelle tous nos territoires ou presque seraient classés en QPV.
Les opérateurs demandent unanimement un élargissement du crédit d'impôt pour réhabilitation aux immeubles situés hors QPV. Ils réclament aussi le relèvement du plafond au-delà de 50 000 euros par logement.
Ajoutons à cela les surcoûts, le désamiantage, l'intervention toujours timide de l'ANAH dans le parc privé ou encore l'absence d'une filière de formation structurée.
Nous déplorons d'autant plus ces obstacles qu'en plus d'améliorer la qualité de vie de nos concitoyens, la réhabilitation limite l'étalement urbain et l'artificialisation des terres, constitue un facteur de mixité sociale et crée des emplois.
Question subsidiaire : le Gouvernement tiendra-t-il en 2022 l'engagement pris au moment de la vente des sociétés immobilières d'outre-mer (SIDOM) en abondant la ligne budgétaire unique avec la seconde moitié du produit de la vente ? Selon la Cour des comptes, il ne l'a pas fait en 2021 et il reste 18,7 millions d'euros à réaffecter.

Mme la présidente.
La parole est à M. le ministre.

M. Sébastien Lecornu, ministre.
Nous aurons l'occasion, madame la députée, de reparler de logement, qui est une question dont nous discutons régulièrement, que ce soit en commission ou en séance publique. Que les choses soient claires, de l'argent, il y en a : nous dégageons des moyens financiers pour le logement, dans le cadre de la LBU et en dehors.
Par ailleurs, je vous trouve pessimiste. La réhabilitation, moi, j'y crois beaucoup. Le vieillissement du parc de logements crée un mur d'investissement auquel il faudra bien s'attaquer. Nous allons y consacrer les moyens nécessaires. En Martinique et en Guadeloupe, des choix courageux ont été faits, notamment pour maintenir des personnes âgées dans des logements de centre-ville pour lesquels il va falloir intervenir.
Les activités de réhabilitation connaissent un pic. Depuis le début de l'année, l'augmentation de 146% du nombre de projets suscite des appels de fonds importants au titre de la LBU.
Rappelons que les dispositifs de défiscalisation dans les QPV ont seulement été adoptés l'année dernière. Il est peut-être encore trop tôt pour savoir s'ils fonctionneront, mais je pense que ce sera le cas.
Les enjeux auxquels nous sommes confrontés, nous le dirons jamais assez, sont multiples : l'accès au foncier, qui rend d'autant plus intéressantes les opérations de réhabilitation du parc ancien ; la gouvernance des bailleurs sociaux – je l'évoque prudemment, notamment s'agissant de La Réunion, mais les élections municipales, départementales et régionales étant derrière nous, les maîtres d'ouvrage disposent désormais d'une visibilité de nature à les inciter à s'engager ; les surcoûts de construction, liés à la résilience climatique et à la prévention des risques naturels ou aux prix plus élevés des matériaux de construction que les crédits de la LBU permettront de les absorber.
En deux minutes, il n'est pas facile de couvrir tout ce champ mais j'ai déjà répondu au sujet du logement en commission. Je reste très optimiste s'agissant de la réhabilitation, à laquelle je crois beaucoup. Nous serons présents pour soutenir ces opérations.

Mme la présidente.
La parole est à Mme Manuéla Kéclard-Mondésir.

Mme Manuéla Kéclard-Mondésir.
Monsieur le ministre, je souhaite vous alerter sur la vie chère et l'augmentation de la pauvreté outre-mer.
Plus de dix ans après les troubles sociaux en Guyane, en Guadeloupe et en Martinique, la vie chère est toujours une préoccupation majeure pour nos populations. Leurs revendications de justice sociale n'ont pas donné lieu à des changements concrets. Les écarts de prix avec la France hexagonale restent importants : s'agissant des biens et des services, ils sont de 12% pour les Antilles et la Guyane et de 7% pour La Réunion ; s'agissant des produits alimentaires, de 50% en Martinique et de 40% à La Réunion.
La régulation des prix engagée par les autorités publiques depuis 2009 peine à conduire à une baisse même si la loi du 20 novembre 2012 a donné la possibilité aux observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR) et aux collectivités territoriales de saisir l'Autorité de la concurrence.
La crise sanitaire aggrave la situation économique et sociale au point de placer plusieurs territoires d'outre-mer au bord du gouffre. Il appartient au Gouvernement de déployer un effort de solidarité à la hauteur des besoins pour lutter contre la pauvreté qui touche les populations d'outre-mer. Il y va de la solidarité nationale.
Ce mois-ci encore, le prix du carburant et celui du gaz, qui atteint plus de 30 euros la bouteille, mettent de nombreux ménages en difficulté. Ce phénomène a un impact très lourd sur les budgets des familles en outre-mer.
Comment le Gouvernement compte-t-il décliner le chèque énergie en outre-mer ? Quels gestes forts envisagez-vous pour lutter contre la vie chère, monsieur le ministre ?

Mme la présidente.
La parole est à M. le ministre.

M. Sébastien Lecornu, ministre.
Vaste question là encore, sur laquelle je me suis déjà longuement exprimé. Les causes structurelles concernent aussi les collectivités. Je comprends que l'on se tourne d'abord vers le Gouvernement et Dieu sait que je prends ma part de cette question, mais il est des réflexions que nous ne pouvons mener seuls, hors-sol, comme celle sur l'octroi de mer.
Rappelons aussi que la fiscalité sur les carburants est perçue par les collectivités. Je ne dis pas que c'est une mauvaise chose, mais cela implique que nous discutions avec elles. J'ai d'ailleurs cru comprendre que certains parlementaires comme le député Mathiasin, pour lequel nous avons une pensée, ont fait des propositions en ce sens. Il faut regarder tout cela avec beaucoup de tranquillité.
Le Gouvernement prend sa part, au-delà de la contractualisation autour du plan de pauvreté. Depuis 2017, il a mis en oeuvre de nombreuses mesures en faveur du pouvoir d'achat. Plus personne ne parle de la suppression de la taxe d'habitation, car gâteau avalé n'a plus de goût, mais sa suppression a bénéficié dans les DROM à plusieurs centaines de milliers de foyers appartenant bien souvent aux classes moyennes. N'oublions pas non plus l'augmentation de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) ou la revalorisation du minimum vieillesse. Il faut le redire car c'est de l'argent du contribuable, même s'il est parfaitement légitime qu'il aille aux DROM.
S'agissant du chèque énergie exceptionnel de 100 euros, il sera distribué outre-mer à 280 000 foyers sur un total de 5,8 millions de ménages concernés. Ils n'auront aucune démarche à faire pour le percevoir en décembre. Je précise qu'ils pourront l'utiliser pour acheter des bouteilles de gaz, ce qui répond à certaines demandes qui nous ont été adressées.
Quelles que soient nos convictions politiques, mesdames, messieurs les députés, je pense qu'il nous faut veiller à séparer les problèmes conjoncturels de vie chère des problèmes structurels qui durent depuis des années et auxquels il faudra bien s'attaquer.

Mme la présidente.
La parole est à M. Lénaïck Adam.

M. Lénaïck Adam.
Monsieur le ministre, la population guyanaise, de plus de 284 000 habitants, a connu une augmentation de 30% en dix ans. Si cette dernière est un signe de vitalité pour notre territoire, elle demande aux acteurs chargés d'y mener des politiques publiques un réajustement perpétuel de leurs dispositifs.
Prenons d'abord l'habitat. Il ne se passe pas un jour sans que je sois interpellé par des personnes mal logées dans ma circonscription. Selon la Fondation Abbé-Pierre, 47% des ménages guyanais sont confrontés à un défaut grave dans leur logement. Absence d'eau ou d'électricité, surpopulation, insécurité, marginalisation sociale sont leur lot quotidien.
Force est de constater que les bailleurs sociaux sont dans l'incapacité de répondre à une demande de logements en constant accroissement. Notre territoire recense un grand nombre de sans-abri et ne dispose que de 137 places d'hébergement d'urgence, ce qui est très insuffisant.
Autre enjeu lié à la croissance démographique : le financement des structures scolaires. À Saint-Laurent-du-Maroni, dont je suis originaire, les 3 000 naissances annuelles contraignent la municipalité à construire une école par an. Précisons que le cas de cette commune n'est pas isolé. Ce rythme effréné pèse considérablement sur les finances des collectivités locales.
Monsieur le ministre, quels moyens financiers le Gouvernement déploie-t-il, tant pour remédier au mal-logement que pour soulager les collectivités locales confrontées à des dépenses accrues en matière de parc scolaire ? Qu'est-il prévu pour lutter contre l'insécurité grandissante qui règne sur ce territoire ? Rappelons que le week-end dernier, il y a eu un mort et cinq blessés par balles.

Mme la présidente.
La parole est à M. le ministre.

M. Sébastien Lecornu, ministre.
Vous avez raison d'évoquer l'insécurité qui appelle un combat de chaque instant. La Guyane bénéficie de renforts importants de policiers et de gendarmes depuis plusieurs années, notamment depuis 2017, mais aussi de renforts en matière judiciaire. Comment ne pas parler aussi de l'immigration et de la pêche illégales ou de l'orpaillage clandestin ? En deux minutes, cela semble cependant impossible.
Vous m'interrogez sur deux problèmes particulièrement marqués en Guyane.
Vous avez raison, il faut produire plus de logements. C'est la raison pour laquelle nous avons donné plus de moyens l'année dernière aux établissements publics fonciers, singulièrement en Guyane et à Mayotte. Cela a déjà conduit à quelques résultats. Cette augmentation de 18 millions d'euros est suivie cette année d'une augmentation de 10 millions d'euros ; j'ajoute que 4 millions d'euros viendront renforcer la dynamique des établissements publics fonciers et d'aménagement (EPFA) de votre territoire, mesure que je sais attendue.
En outre, il nous faut adapter les normes en prenant pleinement en compte les spécificités de la Guyane. C'est dans cet esprit que mon ministère, avec le ministère du logement, a mis en place un outil sur mesure pour offrir des solutions de logement adaptées à nos concitoyens et les sortir de ce que nous pourrions appeler trivialement des " bidonvilles ". Vous en retrouverez les détails dans la mission Outre-mer . Cela permettra aux préfets de prendre des mesures pour déroger à certaines normes quand cela se révèle nécessaire. Il s'agit aussi d'un dispositif dérogatoire aux règles qui régissent la LBU, je le précise à l'intention des députés de Mayotte. Je vous en dirai plus tout à l'heure.
Concernant vos interrogations sur le financement des écoles en Guyane en lien avec la forte croissance démographique, nous mettons les moyens nécessaires grâce à la dotation spéciale d'équipement scolaire en Guyane, fixée à 15 millions d'euros dans ce projet de loi de finances. Il reviendra aux collectivités locales, y compris la collectivité territoriale de Guyane, d'en faire bon usage.
À ce financement s'ajoute la dotation spéciale de construction et d'équipement des lycées et collèges en Guyane. Elle atteint un montant de 50 millions d'euros dans le présent PLF, soit 10 millions de plus que dans le précédent. Il faut maintenant que les élus locaux s'en emparent.

Mme la présidente.
La parole est à Mme Manuéla Kéclard-Mondésir, pour une deuxième question.

Mme Manuéla Kéclard-Mondésir.
Le 9 et le 10 novembre 2020, la Martinique faisait face à des pluies exceptionnelles qui se sont surtout déversées sur sa partie Nord-Atlantique. Près de 440 sinistrés ont été recensés, principalement dans six communes. À Sainte-Marie, La Trinité, Le Robert, Gros-Morne, Le Marigot, Le Lorrain et Basse-Pointe, le patrimoine public a subi de nombreux dégâts et plusieurs axes de circulation ont été coupés.
Deux arrêtés portant reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle ont été pris les 23 novembre et 14 décembre 2020 afin de faciliter l'indemnisation par les assurances. Les efforts consentis ont permis de reloger certaines familles et de les prendre en charge mais certaines situations demeurent difficiles.
Au-delà de la nécessité d'envisager ce phénomène récurrent de manière plus globale, quelles dispositions le Gouvernement entend-il prendre pour que soit conduite une véritable campagne géotechnique qui permettra de faire face aux événements futurs en Martinique ? Cette demande locale appelle un accompagnement déterminé de la part du Gouvernement.

Mme la présidente.
La parole est à M. le ministre.

M. Sébastien Lecornu, ministre.
À question précise, réponse précise : je me suis rendu dans votre circonscription il y a un an jour pour jour, après les violentes intempéries qui ont touché la Martinique ainsi que la Guadeloupe. Où en sommes-nous ? La gouvernance, tout d'abord : un comité de suivi a été créé pour gérer les suites de ces intempéries, notamment à la demande du maire de Sainte-Marie et de la communauté d'agglomération Cap Nord. Il rassemble les maires des communes concernées, les associations de sinistrés, la collectivité territoriale de Martinique (CTM) ainsi que les assurances – qui étaient attendues – et les services de l'État.
La priorité est d'accompagner les habitants sinistrés, et tout d'abord leur relogement ; soixante-treize familles sont concernées. Sur les soixante-quatre familles qui ont déposé une demande auprès du service logement de la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL), soixante ont déjà été relogées : cinquante dans le parc social et dix dans le domaine privé ; quatre dossiers sont encore en cours d'instruction. Ensuite, dix demandes de remboursement de loyer provenant de personnes qui se sont relogées dans une location ont été déposées et une aide de 48 000 euros a été versée. D'autre part, neuf ménages bénéficient d'un accompagnement social renforcé dans le cadre de leur relogement.
S'agissant de l'indemnisation des sinistrés par les assureurs, j'ai écrit en début d'année à la présidente de la Fédération française de l'assurance pour demander que les dossiers fassent l'objet d'un traitement beaucoup plus rapide et simple. Dans les six communes touchées, 440 sinistrés se sont déclarés, dont 230 assurés – ce qui nous rappelle combien il faut développer la culture assurantielle dans les Antilles. Les assureurs déclarent que tous les assurés ont reçu une réponse : 170 dossiers ont été réglés ou sont en cours d'indemnisation, cinquante-trois sont clos sans indemnités et sept sont encore en cours d'instruction.
En ce qui concerne les dégâts ayant touché le patrimoine des collectivités locales, je vous confirme que le Fonds de secours pour l'outre-mer, qui dépend de mon ministère, prendra en charge près de 6 millions d'euros d'aides.
Vous m'interrogez enfin sur les campagnes géotechniques et, plus généralement, sur la prévention des risques en Martinique : il ne me reste que quelques secondes pour vous annoncer que neuf maisons ont déjà fait l'objet d'une première campagne et qu'une seconde campagne portant sur quarante et une parcelles démarrera en décembre. Je compléterai ma réponse plus tard dans le débat.

Mme la présidente.
La parole est à M. Philippe Gomès.

M. Philippe Gomès.
Ma question, un véritable serpent de mer – j'essaie en vain de faire évoluer la situation depuis ma première élection en 2012 – concerne l'aide à la continuité territoriale en faveur de l'ensemble des collectivités françaises du Pacifique, non pas seulement la Nouvelle-Calédonie. Le dispositif adopté dans les années 2000 sous la présidence de Jacques Chirac a mis du temps à se construire. À l'origine, la Nouvelle-Calédonie comptait 11 000 bénéficiaires de l'aide à la continuité territoriale, mais la réforme de 2011, qui s'est soldée par la révision des plafonds d'admission au bénéfice de cette aide, a eu des effets particulièrement drastiques pour la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française puisque le nombre de bénéficiaires est passé de 11 000 à 1 100. Qu'il faille redresser une situation et actualiser les niveaux, soit ; mais une telle division par dix, ce n'est plus une actualisation, c'est une dégringolade très douloureuse.
Nous estimons que le plafond d'admissibilité, uniformisé sous votre égide, monsieur le ministre, à la mi-2021, doit être relevé pour les collectivités françaises du Pacifique, pour deux raisons. La première tient au coût de la vie dans ces territoires : il est supérieur de 33 % en Nouvelle-Calédonie et de 39% en Polynésie par rapport à ce qu'il est en France métropolitaine, alors que la différence n'est que de 7 à 12% dans les autres territoires d'outre-mer. La cherté de la vie n'y est donc pas comparable, et il en résulte un reste à vivre moindre pour les ménages de ces deux territoires.
Deuxième raison : il faut avancer une partie du prix du billet d'avion, à savoir 60% de 1 600, voire 1 800 euros, puisque le billet, par définition compte tenu de l'éloignement, est plus coûteux que pour d'autres collectivités ultramarines.
Voilà pourquoi il nous semble plus juste de réviser le plafond d'admissibilité à l'aide à la continuité territoriale pour les collectivités françaises du Pacifique. (MM. Philippe Dunoyer et David Lorion applaudissent.)

Mme la présidente.
La parole est à M. le ministre.

M. Sébastien Lecornu, ministre.
J'ai découvert ce dossier grâce à vous, à l'Université de Nouméa, et j'ai entendu les fortes attentes exprimées sur le terrain. Surtout, je suis frappé par le nombre de lycéens qui s'interdisent de faire des études supérieures de peur de ne pas pouvoir en assumer la charge financière en l'absence de bourse. Hélas, certains ont du mal à comprendre cette difficulté depuis Paris, même si vous réitérez cette demande depuis le début de votre mandat, et moi depuis mon retour de Nouvelle-Calédonie. Il faut parfois faire preuve de patience pour se faire comprendre.
Je forme néanmoins le voeu que nous avancions – car cela ne dépend pas que de mon ministère. Je crois comprendre que l'amendement que vous présenterez sur le sujet est un amendement d'appel, car nul ne songe que vous souhaitiez vraiment augmenter les bourses en Nouvelle-Calédonie au prix d'une baisse de la ligne budgétaire unique…

M. Philippe Gomès.
Non, je ne me le permettrais pas… (Sourires.)

M. Sébastien Lecornu, ministre.
Quoi qu'il en soit, nous devons trouver une solution. La première difficulté est d'ordre constitutionnel : ne modifier les critères d'éligibilité des bourses que pour deux collectivités du Pacifique entraînerait une rupture d'égalité avec tous les autres territoires. Cet écueil est avéré – je vois Mme Sage dire non de la tête, mais mes services disent le contraire ; peut-être souhaite-t-elle me présenter un constitutionnaliste qui partage son point de vue ?
D'autres solutions ne sont pas pour autant inenvisageables. Les provinces agissent déjà de leur côté, je n'y reviens pas. Je dispose quant à moi d'un budget d'aide aux associations. Je vous propose, en guise de première étape plutôt que de réponse définitive, de lancer un appel à projet – à condition que vous adoptiez les crédits du ministère ce soir – pour favoriser " l'aller vers " de sorte qu'une association puisse, avec le concours financier de l'État, entamer dès le lycée le début du commencement d'un accompagnement dit de pouvoir d'achat en faveur d'étudiants, qu'ils viennent des Îles Loyauté, du nord ou du sud de la Nouvelle-Calédonie, voire de Nouméa, car ils ont besoin de cette solution. Ce n'est qu'une première réponse ; sans doute n'est-elle pas parfaite, mais elle a au moins le mérite de faire avancer les choses.


source https://www.assemblee-nationale.fr, le 18 novembre 2021