Déclaration de Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, sur le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, à l'Assemblée nationale le 6 décembre 2021.

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  • Jacqueline Gourault - ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales

Circonstance : Discussion à l'Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée, d'un projet de loi adopté par le Sénat

Texte intégral

Mme la présidente.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (nos 4406, 4721).
La conférence des présidents a décidé d'appliquer à cette discussion la procédure du temps législatif programmé, sur la base d'un temps attribué aux groupes de quarante heures.

La parole est à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Il y a quarante ans, ici même, la France engageait un tournant décisif dans son histoire. Notre pays, façonné pendant des siècles par une tradition centralisatrice unique en Europe, prenait le chemin de la décentralisation et reconnaissait que le modèle républicain était parfaitement compatible avec l'exercice partagé de l'action publique et qu'il pouvait même en être ressourcé. Quarante ans, c'est à la fois peu et beaucoup dans l'histoire de la France ; c'est l'âge de la maturité, disent certains,…

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
C'est vrai !

Mme Jacqueline Gourault, ministre.
…" l'âge où nous devenons ce que nous sommes ", écrivait Charles Péguy.

Quarante ans après, que sommes-nous devenus ? Où en sommes-nous ? La décentralisation a renforcé le profond attachement des Français aux territoires, à leur diversité, à l'immense richesse des paysages, des climats et des patrimoines. Elle a fait émerger des générations d'élus locaux et d'agents territoriaux dévoués de toutes leurs forces au service de leur territoire et de l'intérêt général. La proximité est peu à peu devenue une valeur cardinale, pour l'action publique comme pour l'exercice de la démocratie.

Ce long mouvement, j'en ai moi-même été témoin et actrice tout au long de ma vie politique, à tous les échelons, si j'ose dire : en tant que maire, puis comme présidente d'intercommunalité, conseillère départementale, conseillère régionale, sénatrice et à présent en tant que ministre. J'ai vu la décentralisation devenir peu à peu notre bien commun, mais j'ai vu aussi ses difficultés. Oui, la décentralisation s'est parfois accompagnée de l'indifférence et de l'incompréhension de nos concitoyens face à la complexité d'un système qui enchevêtre les compétences, donc les responsabilités, face à des normes qui s'accumulent et qui entravent l'action ; face à des périmètres changeants ; face, parfois, à la concurrence entre territoires et à la tentation du pré carré ; face aussi, il faut le dire, à l'éloignement progressif de l'État qui a encore renforcé, dans certains territoires, le sentiment d'abandon.

En 2017, le Président de la République a fixé un nouveau cap pour redonner toute sa force à l'idéal décentralisateur, d'abord en faisant le choix de la stabilité institutionnelle, un choix assumé après des décennies d'une réforme continue et sans fin, qui n'avait pas permis d'offrir davantage d'efficacité aux territoires et qui avait beaucoup trop accaparé les élus et les organisations. Il était temps de laisser les élus travailler. Quand des évolutions ont été proposées, comme la création de la collectivité européenne d'Alsace, c'est parce qu'elles étaient défendues par les élus eux-mêmes.

Ce nouveau cap visait aussi à redonner aux élus les moyens d'agir : stabilisation de la dotation globale de fonctionnement (DGF), après des années de baisse ; dotation d'investissement historiquement élevée, encore renforcée par le plan de relance ; fin de la lente érosion des services départementaux de l'État. Cela s'incarne également dans le renouveau contractuel que nous avons engagé et dans les grands programmes nationaux – Action coeur de ville, Petites villes de demain ou encore France très haut débit – que nous avons lancés avec l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) pour accompagner tous les territoires à partir de leur projet.

Enfin, ce nouveau cap s'est traduit par une action législative que nous avons conduite ensemble dès 2018 avec, cher Bruno Questel, la loi relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique, dite " engagement et proximité ", qui a été un premier jalon important pour faciliter l'action des élus et leur offrir un meilleur statut ; puis avec la loi organique du 19 avril 2021 relative à la simplification des expérimentations mises en oeuvre sur le fondement du quatrième alinéa de l'article 72 de la Constitution, cher Stéphane Mazars ; avec la loi relative aux compétences de la collectivité européenne d'Alsace, cher Rémy Rebeyrotte ; et plus récemment avec la réforme de la formation des élus, cher Bruno Questel encore, adoptée à l'unanimité par les deux chambres.

Ces réformes législatives, nous les avons conduites ensemble avec pragmatisme, étape par étape, brique par brique et toujours dans un état d'esprit apaisé. Car si chacun ici a ses convictions, je crois que nous partageons une même exigence : simplifier l'action publique, lever les freins inutiles et faciliter le quotidien des maires et des élus. Le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et la simplification de l'action publique locale, dit 3DS, s'inscrit dans la filiation du travail que nous avons réalisé main dans la main depuis 2017 au service des territoires. Je tiens à saluer la grande qualité du travail des rapporteurs…

M. Sébastien Jumel.
Ils sont nombreux !

Mme Jacqueline Gourault, ministre.
…et des commissions, saisies sur le fond ou pour avis. Le projet de loi arrive en séance particulièrement enrichi par ce travail, je tiens à le souligner. Les commissions se sont pleinement saisies d'un texte que le Sénat avait travaillé dans un esprit de rigueur et de responsabilité, dans un dialogue constructif avec le Gouvernement. Il y a bien sûr des points de divergence entre les deux chambres, c'est bien normal ; mais il y aura aussi, au terme des débats, un vaste socle commun qui pourra réunir ceux qui souhaitent avec pragmatisme faciliter le quotidien des élus locaux.

Ce texte a connu une longue maturation. Pendant deux ans, j'ai parcouru les territoires – vos territoires – à la rencontre des élus, pour les écouter et recueillir leurs attentes. Tous les préfets ont été mobilisés ; nous avons travaillé avec les associations d'élus et vingt ministères pour aboutir au projet de loi, que nous avons voulu concret, utile et de terrain. Il est structuré autour de quatre axes.

Premier axe : la différenciation. Fil rouge de notre action, elle vise à donner plus de souplesse aux élus pour qu'ils puissent adapter leur action aux singularités de leur territoire, dans le respect, bien sûr, du principe d'égalité. Deuxième axe : la décentralisation, qui doit donner davantage de possibilités aux collectivités de décider des compétences nouvelles qu'elles souhaitent exercer. Troisième axe : la déconcentration, pour renforcer l'État territorial auprès des préfets. Quatrième axe : la simplification, pour réduire les normes qui pèsent sur le quotidien de nos concitoyens et qui entravent l'action des élus.

Autour de ces quatre axes, nous avons construit des réponses pragmatiques à des besoins concrets formulés par les élus locaux. Ils nous disent manquer d'outils pour revitaliser leur centralité : nous proposons de faciliter la récupération des biens sans maître et de généraliser les opérations de revitalisation du territoire. Ils voudraient adapter plus finement la norme aux réalités de leurs territoires : nous proposons de faciliter les expérimentations, les dérogations et les possibilités d'extension du pouvoir réglementaire local. Ils souhaitent intervenir aux côtés de l'État pour lutter contre la désertification médicale : nous proposons de les associer à la gouvernance des agences régionales de santé (ARS) et de leur donner la possibilité de financer du personnel et des établissements médicaux. Ils expriment le besoin d'être mieux accompagnés dans leurs enjeux d'ingénierie : nous proposons d'unifier davantage la parole de l'État autour des préfets et de faciliter le recours aux expertises de l'Agence de la transition écologique (ADEME) et du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA). Ils souhaitent être mieux protégés dans l'exercice de leur mandat : nous proposons de sécuriser les modalités des éventuels conflits d'intérêts auxquels ils peuvent être confrontés.

Ce même esprit de pragmatisme, nous l'avons aussi cultivé pour trouver des solutions à des questions plus difficiles qui se posaient parfois depuis de nombreuses années. En matière de logement social, par exemple, il nous fallait pérenniser la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite SRU, qui allait prendre fin en 2025. Avec ce texte, nous proposons de conserver les mêmes objectifs de construction, en donnant plus de souplesse pour les adapter aux contraintes locales à travers la contractualisation avec le préfet, à laquelle je crois beaucoup. Au sujet des routes, après de nombreux échanges avec les associations d'élus, nous proposons de poursuivre le mouvement de décentralisation, avec 10 000 kilomètres supplémentaires de routes nationales…

M. Jean-Paul Lecoq.
Quel cadeau !

Mme Jacqueline Gourault, ministre.
…sur une base volontaire. Cela, nous le proposons naturellement aux départements – qui ont une compétence de droit commun en la matière –, aux métropoles, comme nous l'avons fait en Alsace, ainsi qu'aux régions, à titre expérimental. Nous donnerons ainsi de la cohérence aux itinéraires tout en permettant un meilleur aménagement du territoire, par les territoires.

Enfin, au sujet de la métropole d'Aix-Marseille-Provence, nous avons travaillé de manière très étroite avec l'ensemble des acteurs du territoire, la présidente de la métropole, le maire de Marseille, les maires des communes membres, les parlementaires du territoire et les rapporteurs, afin d'aboutir à des propositions équilibrées, qui permettront de donner à la métropole les moyens d'agir tout en préservant les compétences de proximité des maires.

Mesdames et messieurs les députés, depuis 2017, vous et moi rencontrons beaucoup d'élus dans les territoires, dans vos circonscriptions respectives. Leurs attentes sont claires : ils nous demandent de la stabilité et des moyens ; ils nous demandent de faciliter leur travail ; ils veulent un État qui accompagne plutôt qu'un État qui prescrit, qui adapte plutôt qu'il proscrit. C'est tout l'esprit que je défends dans ce projet de loi : le texte s'adresse à eux, aux 520 000 élus locaux dont l'engagement est une immense richesse. Ils sont aux avant-postes de la République, nous nous devons d'être à leurs côtés.

Mais ce texte s'adresse aussi aux 67 millions de Français. Depuis quarante ans, c'est pour eux que nous approfondissons la décentralisation, pour répondre à leurs attentes légitimes d'une action publique plus proche, plus efficace et plus simple. Ce texte est un jalon supplémentaire dans cette direction. Oui, nous avons ensemble l'occasion de continuer à tracer ce chemin bien français ; ce chemin qui garantit l'unité de la République tout en reconnaissant que la diversité des territoires est une richesse inestimable ; ce chemin d'une décentralisation qui assemble les capacités d'action pour garantir à chaque Français l'égalité des possibles et la cohésion des territoires. La discussion qui va souffrir… pardon, s'ouvrir – j'espère qu'elle ne sera pas une occasion de souffrance – nous permettra, j'en suis certaine, d'avancer ensemble vers cette impérieuse nécessité. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Dem et Agir ens.)

(…)

Mme la présidente.
La discussion générale est close.
La parole est à Mme la ministre.

Mme Jacqueline Gourault, ministre.
Je remercie tous les orateurs – Christophe Euzet, Pascal Brindeau, Sophie Métadier, Patrick Loiseau, Rémy Rebeyrotte, Hervé Saulignac… – qui ont tenu des discours mesurés et positifs, même si nous ne sommes pas d'accord sur tout ; nous savons néanmoins que nous parviendrons à dégager des conclusions communes et à trouver des terrains d'entente.

Je n'ai pas été déçue par l'intervention de M. Nicolas Dupont-Aignan, qui vient de partir : tout y était, si je puis dire ; je le remercie néanmoins d'avoir relevé quelques mesures " de bon aloi ".

Je m'arrêterai un instant sur la situation dans les territoires d'outre-mer, dont il a été beaucoup question. Je me tourne vers vous, mesdames Sage, Manin et Vainqueur-Christophe, qui représentez à cet instant ces territoires dans cet hémicycle : nous savons les difficultés qu'ils traversent. J'ai récemment eu l'occasion d'en discuter avec le président Letchimy s'agissant de la Martinique, et je suis très sensible à sa réflexion sur le devenir de ce territoire, que je connais bien, par ailleurs.

De nombreux défis restent à relever. Néanmoins, je veux dire et redire devant vous que le présent projet de loi ne prévoit pas de réforme institutionnelle.

Madame Manin, plusieurs de vos amendements ont été déclarés irrecevables au titre de l'article 45, mais il faut savoir que de nombreux autres amendements ne concernant pas l'outre-mer l'ont été également, y compris ceux du Gouvernement ! Je ne sais pas si c'est de nature à vous rassurer mais c'est la réalité : ceci est dû à la bonne application du droit.

Un titre entier du projet de loi est consacré à l'outre-mer et la plupart des mesures inscrites dans ce texte s'appliquent à ces territoires, il ne faut pas l'oublier – vous l'avez d'ailleurs rappelé tout à l'heure, Mme la rapporteure Maina Sage.

Enfin, je voulais vous dire combien j'ai été choquée par le discours de M. Ratenon. Il s'est montré très virulent et de tels propos ne sont pas à la hauteur, me semble-t-il, des problèmes que connaissent les territoires d'outre-mer. Rien ne se réglera par l'outrance ou l'animosité.

Il a parlé d'apartheid, ce qui est très grave. Dans un régime d'apartheid, les Blancs et les Noirs ne se parlent pas, ne peuvent ni se rencontrer ni s'aimer ; les opposants politiques y sont arrêtés, voire supprimés. J'ai trop de respect envers les territoires ultramarins pour ne pas relever le caractère tout à fait inadmissible d'un tel discours, dans un hémicycle de la République française. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et Dem. – Mme Maina Sage, rapporteure, applaudit également.)


source https://www.assemblee-nationale.fr, le 9 décembre 2021