Texte intégral
AMANDINE BÉGOT
Amélie OUDÉA-CASTÉRA, dans 5 semaines coup d'envoi, je le disais, de la Coupe du monde de foot au Qatar, un Mondial qui suscite de très, très nombreuses critiques. Dernière en date, c'est ce numéro de Complément d'enquête diffusé hier soir sur France 2. On y découvre les conditions dans lesquelles travaillent et sont hébergés certains personnels de la Coupe du monde, et notamment les salariés de l'hôtel où vont séjourner les Bleus. Des vigiles qui vivent dans une zone industrielle à Doha qui croule sous les déchets, ils sont à quatre dans une toute petite chambre, les salles de bains son temps salubre, même chose pour les cuisines qui se limitent à de simples réchauds. Certains n'ont aucun jour de congé et se sont vu confisquer leur passeport par leur employeur. Réponse de Noël LE GRAËT à qui Complément d'enquête montre ces images, le patron de la Fédération française de foot : je ne vois pas ce qu'on peut raconter négatif ; le journaliste insiste et là il dit : ce n'est pas insoluble, un coup de peinture et ça ira. Ça vous choque Madame la Ministre ?
AMÉLIE OUDÉA-CASTÉRA
Oui, oui, ces images m'ont choquée et cette réaction m'a choquée. J'ai trouvé qu'elle était hors sol et j'ai trouvé qu'elle manquait à la fois d'humanité et même de lucidité.
AMANDINE BÉGOT
Noël LE GRAËT a indiqué quelques jours avant la diffusion qu'il avait ordonné une enquête, demandé la mise à l'écart de la société de sécurité en question. Vous aviez, vous, demandé début octobre à la Fédération française de foot de vous fournir des preuves de son action concernant les droits de l'homme lors de la Coupe du monde au Qatar. Vous les avez eues, ces preuves ?
AMÉLIE OUDÉA-CASTÉRA
J'ai eu un peu un premier retour qui, honnêtement, n'a pas levé mes doutes donc je ne vais pas les lâcher sur ce sujet. Il nous reste 5 semaines et je veux des garanties
AMANDINE BÉGOT
Mais ça veut dire quoi ? Vous voulez des garanties mais ils n'iront pas si vous n'avez pas ces garanties ?
AMÉLIE OUDÉA-CASTÉRA
Ils ont pris un nouvel engagement qui est de dépêcher sur place des personnes qui vont regarder les choses et je veux qu'on soit vigilant et irréprochable sur le temps qu'il nous reste pour prendre les décisions qui s'imposent. Vous l'avez dit, ils l'ont fait sur la sécurité, il faut continuer à avoir la plus grande vigilance, la plus grande fermeté sur le respect des conditions de travail dans le temps qui nous sépare de la compétition.
AMANDINE BÉGOT
Mais s'ils ne le font pas, si vous n'avez pas les preuves, ils ne partent pas ?
AMÉLIE OUDÉA-CASTÉRA
Ils le feront, ils le feront. Ils s'y sont engagés. Un audit est mené et sur place, ils envoient une équipe dans les tout prochains jours si ce n'est les prochaines heures.
AMANDINE BÉGOT
Donc ce matin, vous vous engagez : tout ce qui touchera aux Bleus au Qatar sera irréprochable.
AMÉLIE OUDÉA-CASTÉRA
Il le faut, il le faut. On a sur ce sujet du Qatar une action diplomatique qui est résolue : protéger les droits humains et les enjeux écologiques ; il faut que la Fédération française de foot elle prenne sa part de responsabilité, elle fasse tout ce qui est en sa capacité pour que, sur le sujet des conditions de travail du respect des droits humains sur son camp de base, la situation s'améliore. Par rapport aux images très choquantes qu'on a vues hier, des réactions s'imposent.
AMANDINE BÉGOT
Pour l'instant on est d'accord si je vous comprends bien, elle ne fait pas tout à fait le job la Fédération française de foot.
AMÉLIE OUDÉA-CASTÉRA
Elle a commencé. Elle a en effet limogé ce prestataire de sécurité. Ils se sont engagés à retourner sur place dans les tout prochains jours. Voilà, ils doivent faire le job.
AMANDINE BÉGOT
Les joueurs de l'équipe de France, vous souhaitez, eux, qu'ils affichent leur soutien aux droits de l'homme ? On a beaucoup parlé du maillot que les Danois vont porter avec des messages. Les Français sont favorables : 72 % des Français selon un sondage que RTL a publié il y a quelques jours souhaitent que les joueurs affichent leur soutien. Vous le souhaitez, vous aussi ?
AMÉLIE OUDÉA-CASTÉRA
Oui. Moi j'avais été touchée par cette initiative qui avait été prise par les Bleus. Le capitaine VARANE puis GRIEZMANN avaient porté ce brassard One Love pour signifier leur opposition à toutes les formes de discrimination. Je pense qu'il faut continuer ça et probablement organiser ça aussi à l'échelle européenne. Je pense que c'est bien que cette solidarité elle puisse exprimer ses valeurs européennes.
AMANDINE BÉGOT
Et vous ? Vous nous disiez : j'irai au Qatar s'ils vont loin dans la compétition. Loin c'est quoi ? Quarts de finale, demi-finales, finale ?
AMÉLIE OUDÉA-CASTÉRA
Oui, quarts de finale, demi-finales, oui c'est ça
AMANDINE BÉGOT
Quarts de finale, dès les quarts de finale vous irez ?
AMÉLIE OUDÉA-CASTÉRA
Écoutez, je ne sais pas si c'est encore quart de finale ou demi-finales ; je n'ai pas pris mon billet d'avion. Ce que je veux c'est que ça marche pour eux, qu'ils performent. Ils sont les tenants du titre, on veut qu'ils aillent chercher cette troisième étoile.
AMANDINE BÉGOT
Je reviens à Noël LE GRAËT et ces nouvelles accusations de harcèlement, des SMS notamment reçus par plusieurs collaboratrices. Il conteste les faits, je le rappelle. Je vais vous poser la question un peu cash Amélie OUDÉA-CASTÉRA, mais est-ce qu'il n'est tout simplement pas temps qu'il s'en aille ?
AMÉLIE OUDÉA-CASTÉRA
Écoutez, on a diligenté cet audit. Il a deux volets. Un premier volet sur le climat social et un deuxième volet sur le traitement des violences à caractère sexiste et sexuel. Je veux que cette fédération soit exemplaire dans la manière dont elle s'empare de cet enjeu majeur. On va mener ce travail de manière indépendante, dans le respect du contradictoire, avec méthode, étape après étape et le timing de ce travail ne sera rien d'autre que celui d'une investigation minutieuse.
AMANDINE BÉGOT
J'imagine que votre positionnement est compliqué. Vous êtes ministre et on est à 5 semaines de la Coupe du monde.
AMÉLIE OUDÉA-CASTÉRA
Non, je n'ai pas de gêne à vous dire que ma main ne tremblera pas au moment d'en tirer toutes les conclusions. Il faut là simplement que le travail soit mené. Lorsqu'on aura les conclusions, on prendra les décisions qui s'imposent ; j'ai un certain nombre de prérogatives, l'institution elle-même en a.
AMANDINE BÉGOT
Ça veut dire que vous ne dites pas à ces femmes qui s'exposent, qui ont témoigné : on attend le Mondial et on verra.
AMÉLIE OUDÉA-CASTÉRA
Non. Ce n'est pas dans ma nature d'étouffer les choses.
AMANDINE BÉGOT
Si ça doit être pris avant le Mondial, c'est possible ou pas que les résultats de l'audit soient…
AMÉLIE OUDÉA-CASTÉRA
Les timings ne sont pas liés, simplement il y a une méthode et il y a un peu de travail qui doit être mené dans la sérénité, en allant au fond des choses ; et encore une fois le timing de cette mission, ce n'est rien d'autre que celui d'un travail minutieux. C'est ça qui est important. Le traitement des violences sexistes par la Fédération de foot, il n'est pas conditionné par la victoire dans les phases de poule des Bleus.
AMANDINE BÉGOT
Mais on est d'accord que dans d'autres secteurs, certains seraient déjà peut-être partis.
AMÉLIE OUDÉA-CASTÉRA
Je pense qu'il faut être à la fois extraordinairement respectueux des témoignages des victimes – moi, c'est des propos qui m'ont touchée - et en même temps être conscient qu'il y a une plainte en diffamation qui a été faite par la Fédération française de foot, des dénégations. Il faut maintenant regarder les choses, regarder avec des entretiens approfondis, avec des documents, avec des preuves et ensuite en tirer toutes les conclusions. C'est ça qui est important.
AMANDINE BÉGOT
Et votre main ne tremblera pas, vous l'avez dit. Il pourrait ne pas aller au Qatar ou pas ?
AMÉLIE OUDÉA-CASTÉRA
Je pense qu'il sera de son rôle comme président de la Fédération française de foot probablement encore à ce moment-là, oui, d'aller au Qatar aux côtés de l'équipe. Je pense qu'il faut laisser un temps pour tout. Cette enquête, elle va se faire avec la meilleure diligence possible et, en même temps, il y a une équipe de foot qui a besoin d'être soutenue, et je voudrais quand même rappeler ça.
AMANDINE BÉGOT
Il nous reste peu temps, Madame la ministre. Les violences sexistes et sexuelles dans le sport, c'est un sujet - je le sais - qui vous tient à cœur. Il y a des chiffres qui m'ont choquée, surprise : avant ses 18 ans, un sportif sur sept serait victime de viols et d'agressions sexuelles. Un sur sept, c'est énorme. Ce sont des chiffres de Charlotte CAUBEL, la secrétaire d'État en charge de l'enfance. Vous avez été sportive de haut niveau. C'est des choses que vous avez vues ? Vous avez été victime de ça ou pas ?
AMÉLIE OUDÉA-CASTÉRA
Pas victime et pas vues directement mais c'est des choses qui, oui, ont marqué la vie d'une fédération que je connais bien qui est celle du tennis, qui aujourd'hui est de plus en plus irréprochable et exemplaire dans son traitement.
AMANDINE BÉGOT
Mais un sur sept avant ses 18 ans, c'est intolérable.
AMÉLIE OUDÉA-CASTÉRA
C'est considérable et c'est pour ça qu'il faut que ça cesse. Donc il faut plus de moyens pour que les enquêtes aillent plus vite, il faut rappeler à chacun ses obligations de signalement. Ce n'est pas une option, c'est une obligation et nous et s'y soustraire expose à des sanctions pénales. Et après, il faut définitivement que la peur et la honte changent de camp. C'est pourquoi avec ma collègue Charlotte CAUBEL, on veut organiser au mois de janvier 23 une convention sur l'enfant face aux violences sexuelles. Les violences sexuelles n'ont pas leur place dans le sport. Cette destruction, je ne laisserai pas se faire
AMANDINE BÉGOT
Déjà plus de 800 dossiers pour faits de violence étudiés par la cellule qui avait été créée il y a 3 ans par le ministère, Signal Sport. 90 % de ces dossiers sont à caractère sexuel. Merci beaucoup Madame la ministre.
AMÉLIE OUDÉA-CASTÉRA
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 17 octobre 2022