Texte intégral
Mme la présidente.
L'ordre du jour appelle, en application de l'article 52 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, un débat sur la situation des finances publiques locales.
La parole est à M. le ministre délégué chargé des comptes publics.
M. Gabriel Attal, ministre délégué chargé des comptes publics.
Ce débat consacré aux finances locales est – avec le débat sur la dette que nous avons eu lundi – une nouvelle avancée permise par la modernisation de la Lolf – loi organique relative aux lois de finances. En effet, la loi organique du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques, qu'Éric Woerth et Laurent Saint-Martin ont défendue ensemble ici même, a consacré un véritable temps des finances locales pendant l'examen du projet de loi de finances (PLF).
Ce moment d'approfondissement doit permettre d'éclairer la représentation nationale et, ce faisant, de renforcer sa capacité de contrôle. Il ne s'agit pas seulement d'accompagner l'examen de l'article sur le prélèvement sur recettes, mais bien de faire un arrêt sur image afin de dresser un constat et d'identifier ensemble les enjeux auxquels sont confrontées nos collectivités territoriales. Avec Caroline Cayeux, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales, ici présente, nous sommes donc fiers d'étrenner cette innovation démocratique, dans un contexte que chacune et chacun connaît : une inflation historiquement élevée.
Je veux dire d'emblée qu'il existe un piège dans lequel je refuse de tomber, car je suis moi-même un élu local depuis plusieurs années. Il consiste à opposer l'État aux collectivités territoriales – je l'ai rappelé lors de l'examen des articles 16 et 23 du projet de loi de programmation des finances publiques. Je refuse d'être enfermé dans une telle logique binaire, parce qu'elle constitue une impasse absolue. Il peut y avoir des divergences de vues entre le Gouvernement et telle ou telle association d'élus – heureusement, car nous sommes en démocratie. Il peut aussi y avoir des inquiétudes sur la manière de faire face à la flambée des factures, sur la manière dont on compense la suppression de la CVAE – cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises –, sur la manière dont on définit la trajectoire de maîtrise de la dépense locale. Cependant, dire qu'il y a l'État d'un côté et les collectivités de l'autre, non pas côte à côte mais face à face, c'est tomber dans l'erreur et céder à la facilité.
L'erreur, c'est de faire croire que deux blocs pourraient s'entrechoquer ; qu'il y aurait, en haut, un État qui n'entend pas et, en bas, des élus qui parleraient dans le vide. Lorsqu'il s'agit de faire vivre ensemble ce qui structure la République, et d'agir au service des Français, il ne peut y avoir confrontation de blocs, d'autant moins que nous n'avons jamais cessé de dialoguer. Je constate d'ailleurs que les très nombreux élus que je rencontre, tous ceux qui m'interpellent, ne partagent pas cette façon erronée de présenter les choses. C'est que, chacun à notre place, c'est finalement le sens de l'intérêt général et la volonté de défendre aux mieux les intérêts des Français qui guident notre action.
La facilité de cette logique binaire que je récuse tient au fait que les situations sont extrêmement disparates. Certes, les collectivités territoriales vivent toutes le même choc, mais comme pour les ménages ou les entreprises, toutes n'ont pas la même capacité à y faire face. Dire cela n'est pas une manière de nier les difficultés ou les fragilités mais, au contraire, une manière de concentrer notre énergie, notre attention et nos moyens sur celles qui ont besoin que l'État leur vienne en aide.
Voici ma conviction : notre pays sera fort si et seulement si l'État et les collectivités travaillent main dans la main. Oui, les intérêts de nos compatriotes seront mieux défendus si nous sommes capables de faire front ensemble, comme nous l'avons fait durant la crise sanitaire. Il faut ainsi faire face ensemble à l'urgence de la fin du mois ressentie par des millions de nos compatriotes, et faire face aussi pour relever les grands défis des prochaines années : le réarmement de nos services publics, le plein emploi ou encore la lutte contre le réchauffement climatique. Voilà des défis impossibles à relever si l'on se contente de décréter d'en haut, sans s'attacher aux traductions concrètes et aux déclinaisons dans nos territoires.
Je veux être clair : la maîtrise de nos finances publiques fait partie des enjeux que nous avons en partage. Dire que cette responsabilité est collective ne signifie pas que l'on remette en cause le principe d'autonomie inscrit dans notre Constitution. Personne ne cherche à le remettre en cause. Mais je le réaffirme parce que c'est mon rôle, nous sommes responsables collectivement de la tenue de nos comptes vis-à-vis des générations présentes, des générations futures et de nos partenaires européens. Je le dis ici, devant une assemblée qui a formé une majorité pour rejeter la trajectoire de maîtrise des dépenses locales que nous avions proposée. Je le dis ici alors que je n'ai pas besoin de le dire aux élus que je rencontre, car eux savent, parce qu'ils sont des gestionnaires, parce qu'ils sont des pragmatiques, que la maîtrise des comptes est une nécessité absolue.
Durant la crise sanitaire, les collectivités ont pu compter sur l'État et trouver en lui un partenaire solide, de la même manière que l'État a pu compter sur les collectivités locales et trouver en elles des partenaires solides. Lorsque d'autres pays vacillaient, nous avons répondu présent pour éviter, dans nos territoires, une saignée économique et sociale. Ensemble, nous avons, avec le "quoi qu'il en coûte", sauvé des centaines de milliers d'emplois, évitant ainsi des milliards d'euros de dépenses de chômage, de RSA, épargnant les départements, ou d'aides sociales qui auraient incombé aux collectivités locales par l'intermédiaire des CCAS – centres communaux d'action sociale. Nous avons conservé de précieuses rentrées fiscales, qui nous permettent aujourd'hui de continuer à protéger les Français de l'inflation. Et les collectivités locales ont pu également bénéficier des recettes fiscales acquises grâce au soutien de l'État à l'activité. Je rappelle aussi que durant la crise sanitaire, l'État a soutenu directement les collectivités locales à hauteur de 10 milliards d'euros.
Une crise a succédé à l'autre, mais notre approche n'a pas changé : nous voulons protéger et nous voulons dialoguer. Conformément au souhait du Président de la République et au mandat que nous a donné la Première ministre au mois de juillet, nous avons lancé dès l'été, Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, Caroline Cayeux et moi-même, un cycle de concertation avec l'ensemble des associations d'élus, en amont des textes budgétaires. Quatre points principaux ont été abordés : la maîtrise de la dépense, la disparition de la CVAE, l'évolution de la DGF – dotation globale de fonctionnement des communes – et la protection des collectivités fragiles face à la hausse des prix de l'énergie.
Tout d'abord, nous avons échangé sur la trajectoire des finances locales, et par conséquent sur la contribution des collectivités à notre trajectoire de finances publiques. Nous en avons longuement parlé mardi soir, mais il est important d'y revenir, car j'ai entendu beaucoup de choses qui ne me semblent pas exactes.
Contrairement aux idées reçues, ou à celles qui cherchent parfois à instrumentaliser ce sujet, nous n'avons jamais eu l'intention de demander aux collectivités locales de baisser leurs dépenses de 10 milliards d'euros.
M. Nicolas Sansu.
Si !
M. Gabriel Attal, ministre délégué.
Il y en a assez des discours sur la potion amère que nous voudrions administrer ! Notre objectif, c'est la moindre augmentation de la dépense, c'est la maîtrise de la progression des dépenses. Cela n'a rien à voir avec l'austérité !
M. Nicolas Sansu.
Si !
M. Gabriel Attal, ministre délégué.
Concrètement, notre trajectoire prévoit que les dépenses totales progresseront de 31 milliards d'euros durant le quinquennat – 21 milliards pour les seules dépenses de fonctionnement. Cela représente une progression moyenne de 2,1 % par an, sachant que les recettes des collectivités devraient pour leur part progresser à un rythme annuel de 3 %.
M. Nicolas Sansu.
Avec une inflation à 5 % !
M. Gabriel Attal, ministre délégué.
Les associations d'élus nous ont toutes fait savoir qu'elles ne souhaitaient pas la reconduction des fameux contrats de Cahors.
Mme Danielle Simonnet.
Et vous faites pire !
M. Gabriel Attal, ministre délégué.
Cette forme de contractualisation, qui avait succédé en 2017 aux baisses successives de la DGF enregistrées sous le quinquennat de François Hollande, était vécue par beaucoup comme une mise sous tutelle. Nous avons donc abandonné les contrats de Cahors et proposé le pacte de confiance. À ceux qui pensent qu'il ne s'agit que d'un glissement sémantique, je réponds : allez voir les associations d'élus et demandez-leur s'il s'agit toujours des contrats de Cahors ! Même celles qui avaient exprimé un désaccord avec le mécanisme du pacte de confiance reconnaissent qu'ils ne constituent pas une reconduction des contrats de Cahors.
J'ai entendu que les associations d'élus ne voulaient pas s'associer à la maîtrise de nos dépenses publiques. C'est faux ! Au cours de tous nos échanges, même les associations qui s'opposaient à la trajectoire ou au mécanisme que nous avions retenus nous ont dit être conscientes de la nécessité de maîtriser la progression des dépenses de fonctionnement. C'est tout simplement ce qui permet de garantir ce que nous cherchons tous : le maintien d'une capacité à investir. Nous faisons tous partie de la même équipe, l'équipe France.
J'ai entendu aussi que les associations d'élus unanimes rejetaient en bloc les pactes de confiance. C'est faux ! J'en veux pour preuve la position des représentants des intercommunalités de France et de l'Assemblée des départements de France (ADF). Écoutons François Sauvadet, président de l'ADF : "Nous sommes prêts à une participation de tous les départements à la trajectoire en volume, et non en valeur, avec une réduction de nos dépenses de 0,5 % par rapport au niveau d'inflation" "Je pense que la solution à laquelle nous sommes parvenus est un effort supportable et tenable dès lors que le Gouvernement ne nous met pas de dépenses supplémentaires sur le dos." Je le cite in extenso pour éviter tout reproche.
De son côté, le président d'Intercommunalités de France, Sébastien Martin, s'est félicité de notre démarche en affirmant que l'idée d'un contrat de confiance avec les collectivités, et de faire le pari de la responsabilité, semblait plus raisonnable, et étayée par les faits.
J'ai également entendu que ces pactes ne tenaient pas compte de la hausse des prix. C'est faux ! Le mécanisme que nous proposons s'ajustera en fonction de l'inflation. J'ai entendu que les conditions avaient été griffonnées sur un coin de table. C'est faux ! Comme je m'y suis engagé, nous avons décidé de retraiter les dépenses contraintes – je pense notamment aux allocations individuelles de solidarité à la charge des départements, les AIS. Cela résulte de nos échanges avec les associations d'élus – il s'agissait en l'espèce d'une demande forte de François Sauvadet. Sur ce sujet, la concertation se poursuit. La semaine dernière encore, mes équipes et celles de Caroline Cayeux ont rencontré l'ensemble des associations d'élus pour examiner les retraitements supplémentaires auxquels nous pourrions procéder dans le cadre du pacte de confiance. Cette concertation n'est pas encore aboutie et, pour plus de souplesse, nous avons fait le choix de renvoyer à un décret.
Certains dans cet hémicycle pensent qu'il faut abandonner tout mécanisme de sanction. Je vais vous dire notre conviction : ce mécanisme ne servira probablement pas, et c'est tant mieux. Nous aurons l'occasion d'échanger encore à son sujet, mais croyez-le, sa vocation est seulement de nous donner un cadre et un objectif de maîtrise des dépenses de fonctionnement pour dégager de la capacité d'autofinancement. Je crois profondément à la sincérité des collectivités locales quand elles affirment leur responsabilité pour maîtriser la progression de leurs dépenses.
M. Nicolas Sansu.
Elles l'ont montré !
M. Gabriel Attal, ministre délégué.
Lors des discussions que j'évoquais, nous avons ensuite abordé la manière dont sera compensée la suppression de la CVAE, sujet dont nous débattrons d'ici à quelques heures. La concertation nous a amenés à retenir le système de l'affectation d'une fraction de TVA. Avec cette compensation, qui s'ajoute aux fractions de TVA déjà attribuées, les collectivités bénéficieront de 25 % de la TVA collectée dans notre pays. Ainsi, l'État ne sera plus majoritaire au capital, si j'ose dire, de la TVA. Les collectivités locales et les organismes de sécurité sociale récupéreront plus de 50 % de la TVA – l'État n'aura plus qu'une majorité relative (Sourires) dans le partage de la TVA.
Surtout, les collectivités auront désormais une prévisibilité et une visibilité en matière de recettes, alors que la CVAE était très volatile. Je peux donner un exemple, certes extrême, mais qui illustre bien le fonctionnement de la CVAE : celui des communes sur le territoire desquelles se trouve un réacteur nucléaire mis à l'arrêt pour maintenance. La commune de Civaux, dans la Vienne, perçoit par exemple cette année un montant de CVAE de 3,8 millions d'euros ; l'an prochain, elle percevra 53 000 euros.
M. Jocelyn Dessigny.
Il ne faut pas prendre un cas particulier pour une généralité !
M. Gabriel Attal, ministre délégué.
Ce ne sont pas du tout les mêmes recettes ! Pourtant, la commune de Civaux n'y est pour rien : elle n'a décidé de rien, mais les conséquences de la maintenance des réacteurs sont considérables.
Avec la compensation de la suppression de la CVAE par une fraction de TVA, nous offrons aux collectivités locales une garantie extrêmement forte : les recettes de CVAE ne pourront plus baisser, elles ne pourront que progresser selon la dynamique du territoire.
Dans un souci de sécurisation des ressources, nous avons choisi d'introduire un mécanisme de moyenne pour lisser la volatilité de la CVAE d'une année à l'autre. Sans cela, nous aurions eu un système de compensation avec des gagnants et des perdants, et il était hors de question que certaines collectivités fassent les frais d'un système mal calibré. Nous avons également intégré l'année 2023 dans le calcul de la compensation, afin de tenir compte des demandes formulées par les associations d'élus. Il s'agit d'une annonce importante de Mme la Première ministre devant Intercommunalités de France.
Certains avaient peur d'une année blanche, mais il n'y aura pas d'année blanche. Les collectivités locales pourront au contraire s'appuyer sur une dynamique de TVA favorable. Les prévisions pour l'année prochaine la fixent à 5,1 %, dans le prolongement de l'excellente évolution constatée cette année avec 9,6 %. À cet égard, je rappelle que les régions, départements et intercommunalités, qui sont financés en grande partie par une fraction de TVA, vont bénéficier d'un important rattrapage dans quelques jours. Nous leur avions annoncé au mois de mars que leurs recettes de TVA progresseraient de 2,89 % cette année ; or cette hausse s'établira à 9,6 %. Le 20 octobre, régions, départements et intercommunalités vont se partager 2,1 milliards de plus que ce qui était prévu. Cela me semble important de le souligner. Avec l'amendement déposé par le Gouvernement, le montant de compensation versé en 2023 aux départements, établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et communes bénéficiaires de la CVAE sera de 11,7 % supérieur au montant de cotisation versé en 2022, alors que la dynamique moyenne de CVAE ces dernières années était de l'ordre de 2,5 %, si je ne me trompe pas.
M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire.
Eh oui !
M. Gabriel Attal, ministre délégué.
Je sais que des inquiétudes demeurent sur une possible rupture du lien entre les entreprises et les collectivités du bloc communal. Certains redoutent que cette réforme ait pour effet de ne plus inciter les élus à favoriser l'implantation d'activités économiques. Jusqu'à présent, la CVAE était répartie en fonction des valeurs locatives, de la nature des établissements – avec un bonus pour les établissements industriels ou certaines activités comme les centrales nucléaires – et des effectifs. Ce mécanisme était-il idéal ? Je ne le crois pas, car les déclarations d'effectifs n'étaient pas toujours parfaitement renseignées. En outre, ce mode de répartition fonctionnait mal pour certaines activités comme les sociétés de bâtiments et travaux publics (BTP) ou de nettoyage. C'est pourquoi nous avons choisi de renvoyer à une concertation, qui se poursuivra jusqu'à ce que nous trouvions ensemble le bon mécanisme pour attirer et retenir les entreprises, en prenant en compte les enjeux d'artificialisation des sols, de mobilités entre le domicile et le travail ou encore les services aux entreprises. D'ores et déjà, nous inscrivons dans le texte que la territorialisation de la compensation de CVAE se fondera non seulement sur les bases de cotisation foncière des entreprises (CFE), mais aussi sur la masse salariale et le caractère industriel des établissements. Nous retrouvons donc les grands critères d'attribution du produit de la CVAE.
Le troisième sujet dont nous avons discuté est l'évolution de la DGF. Après une baisse très forte entre 2012 et 2017, nous l'avons stabilisée lors du précédent quinquennat. Celui qui débute est marqué par une hausse significative de cette dotation.
M. Nicolas Sansu.
Significative ?
M. Gabriel Attal, ministre délégué.
C'est la preuve que nous avons bien pris la mesure de l'inquiétude, parfois du sentiment d'urgence, ressenti par les élus de terrain.
Comme l'a annoncé récemment la Première ministre lors de la convention des intercommunalités de France, l'année prochaine, la DGF augmentera de 320 millions d'euros au lieu des 210 millions prévus.
M. Nicolas Sansu.
Ça ne fait que 1,5 % d'augmentation !
M. Gabriel Attal, ministre délégué.
C'est la première fois depuis treize ans que la DGF augmente dans de telles proportions. Même si, depuis cinq ans, nous l'avons sanctuarisée au niveau national après des années de coupes brutales, certains élus se plaignaient de voir leur dotation baisser. L'abondement de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU) et de la dotation de solidarité rurale (DSR) se faisant au sein d'une enveloppe normée, la péréquation s'opérait parfois sur le dos d'autres collectivités qui voyaient leur part forfaitaire diminuer. Avec ces 320 millions d'euros, nous abondons la DSU et la DSR de manière qu'il n'y ait pas d'écrêtement des autres communes. C'est ainsi que l'année prochaine, plus de 90 % des communes verront leur DGF augmenter à titre individuel, ce qui est historique !
Mme Danielle Simonnet.
Historique comme l'inflation !
M. Gabriel Attal, ministre délégué.
Ce sera le cas, en particulier, des communes situées dans les quartiers de la politique de la ville, des communes rurales et des centres-bourgs.
Enfin, nous avons discuté avec les associations d'élus de la manière d'accompagner les collectivités face à la flambée des factures. Je ne doute pas que nous allons à nouveau en débattre dans les toutes prochaines heures.
M. Nicolas Sansu.
Toute la nuit !
M. Gabriel Attal, ministre délégué.
D'abord, compte tenu de la grande hétérogénéité des situations, la hausse des prix de l'énergie affecte les collectivités de manière différente selon leur nature, car la part du budget de l'énergie dans leurs dépenses varie. En 2021, celle-ci était de 4 % pour les communes, 2,2 % pour les intercommunalités et 0,5 % pour les départements et régions. Notons que pour les petites communes et pour les villes jusqu'à 10 000 habitants qui ont des charges de centralité, les dépenses d'énergie peuvent atteindre entre 5 % et 6 % des dépenses de fonctionnement.
Ensuite, c'est une réalité que les prix de l'électricité et du gaz, qui avaient commencé d'augmenter dès la fin de l'année 2021, ont atteint dans les dernières semaines des niveaux très élevés. Comme vous, quotidiennement, je suis interpellé par des maires qui voient leurs tarifs réindexés ou qui, à l'expiration de leur marché, se voient proposer des offres deux ou trois fois plus chères, parfois jusqu'à six ou huit fois plus élevées. Même si les contrats précédents étaient dans certains cas inférieurs au tarif réglementé, car ils avaient été bien négociés, les hausses sont considérables.
J'appelle toutefois à la modération, car beaucoup des hausses vont s'appliquer l'année prochaine : à date, la situation financière de la grande majorité des collectivités reste bonne, avec une épargne brute à fin septembre qui est en léger retrait, de 2,3 % par rapport à l'année dernière à la même époque, mais supérieure de 2,5 milliards d'euros à l'épargne brute accumulée en 2019 à la même époque. Pour dire les choses de manière claire, si globalement la situation financière des collectivités s'est dégradée par rapport à l'année dernière, elle reste meilleure que celle constatée à la fin de l'année 2019, considérée comme une très bonne année.
Quelle est la réponse à apporter à l'impact de la hausse des prix de l'énergie pour les collectivités locales ?
Elle est tout d'abord structurelle. Nous agissons au niveau européen pour décorréler le prix de l'électricité de celui du gaz en promouvant un mécanisme similaire au mécanisme ibérique et nous cherchons à massifier nos achats groupés de gaz auprès de partenaires fiables. Nous enregistrons des avancées en la matière grâce au dialogue.
Nous agissons au niveau national, puisque nous maintenons la fiscalité sur l'électricité à son plancher. Nous nous appuyons sur le mécanisme de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), qui permet de pondérer le tarif des contrats avec une proportion plus ou moins importante d'électricité produite au coût historique. Nous agissons également vis-à-vis des fournisseurs, avec, vous l'avez vu, une charte de bonnes pratiques destinée à éviter que nos collectivités comme nos entreprises, nos universités, voire nos hôpitaux, ne se retrouvent exposés à la prédation des fournisseurs.
Une partie de la réponse réside dans la sobriété, avec la mise en place de plans d'économies d'énergie. Je sais que quasiment toutes les collectivités sont engagées dans de telles démarches et, avec le fonds vert comme avec les autres dotations de soutien à l'investissement, avec le fonds de compensation pour la TVA (FCTVA), qui progressera continûment sur le quinquennat, nous aiderons les collectivités à accélérer leur transition écologique et énergétique.
Enfin, et je veux le dire avec force : nous n'avons jamais laissé les collectivités tomber et nous ne laisserons aucune collectivité tomber. Les mesures de protection que nous avons mises en place en 2022 ont bénéficié aux collectivités : le bouclier tarifaire, auquel 80 % des communes sont éligibles,…
M. Nicolas Sansu.
Les petites !
M. Gabriel Attal, ministre délégué.
…avec une hausse du tarif réglementé limitée à 4 % cette année et 15 % l'année prochaine, comme pour tous les contribuables ; la baisse de la fiscalité sur l'électricité, qui représente pour les collectivités un gain de plus de 1 milliard d'euros ; l'augmentation de l'Arenh, qui fait baisser les prix pour celles qui sont sous contrat ; et pour tous leurs véhicules, les collectivités ont pu bénéficier, comme tous les particuliers, de la ristourne à la pompe.
Vous le savez, à l'issue d'un travail qui a réuni l'ensemble des groupes, la loi de finances rectificative (PLFR) pour 2022 a mis en place un filet de sécurité contre les effets de l'inflation en s'appuyant sur un amendement de Christine Pires Beaune. Le dispositif prévoit 430 millions d'euros pour les communes et leurs groupements les plus fragilisés financièrement en 2022 par la hausse des prix de l'énergie et de l'alimentation et par la revalorisation du point d'indice à mi-année. Le décret d'application de ce filet de sécurité est paru ce jour au Journal officiel ("Ah !" sur quelques bancs) et le réseau de la direction générale des finances publiques (DGFIP) est d'ores et déjà opérationnel pour répondre aux questions, aux inquiétudes, et pour instruire les demandes d'acompte – qui pourront aller jusqu'à 50 % de la dotation estimée pour les collectivités éligibles, au lieu de 30 % dans l'ancien dispositif. Les délégations de service public comme les services publics locaux en régie seront pris en compte dans le calcul de l'aide, ce qui correspond aussi à une demande forte des collectivités. Nous avons demandé à chaque direction départementale de faciliter au maximum les demandes des collectivités et, autant que possible, d'aller vers les communes et groupements en difficulté.
Ce sur quoi nous travaillons dans le cadre du projet de loi de finances, sous l'impulsion notamment du rapporteur général et de différents groupes – comme le groupe Horizons et apparentés, avec Lise Magnier, ou le groupe Démocrate (MODEM et indépendants) – s'étant consacrés aux dispositifs de filet de sécurité, sujet auquel ont réfléchi, je pense, l'ensemble des groupes, c'est la reconduction d'un mécanisme d'accompagnement en 2023. Je ne veux pas déflorer ce débat important – je sais que plusieurs amendements ont été déposés. Je rappellerai simplement qu'une fois de plus, l'État est au rendez-vous et ne sous-estime pas les difficultés rencontrées sur le terrain.
Ce qui doit nous guider dans notre réflexion pour trouver le meilleur mécanisme de protection pour 2023, c'est la capacité à préserver l'investissement local au service de la transition écologique et énergétique, bien sûr, mais également de toutes les transitions que notre pays doit affronter.
Avec ce projet de loi de finances et les mesures relatives aux finances locales, nous allons répondre présent pour soutenir les collectivités face à l'imprévu et à l'exceptionnel, comme nous l'avons fait pendant la crise sanitaire et comme nous continuerons de le faire. Et bien sûr, dans cette période, nous savons aussi pouvoir compter sur l'engagement de nos élus et de tous les agents publics locaux au service de nos concitoyens. Je tiens à les remercier et à leur dire que nous sommes à leurs côtés. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR.)
M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général.
Excellent !
Mme la présidente.
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales.
Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales.
Mesdames, messieurs les députés, je suis très heureuse de participer avec vous à ce premier débat sur les finances locales, tel qu'il a été prévu par l'article 7 de la loi organique du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques, selon lequel le rapport sur la situation des finances publiques locales, publié le 5 octobre dernier, "peut faire l'objet d'un débat à l'Assemblée nationale et au Sénat". Le législateur a souhaité que l'examen de la loi de finances prévoie un vrai "temps des finances locales", et je ne peux que m'en réjouir.
Avec Gabriel Attal et Christophe Béchu, nous n'avons cessé de suivre une méthode renouvelée, voulue par le Président de la République et la Première ministre, fondée sur l'échange en amont avec les associations d'élus. Les rencontres ont été continues, notamment pour préparer le projet de loi de finances pour 2023, depuis les 1er et 2 septembre, dates auxquelles nous avons reçu l'ensemble des associations d'élus, jusqu'à la présentation du projet de loi de finances au Comité des finances locales (CFL), le 26 septembre, quelques heures après sa présentation en Conseil des ministres.
Ces échanges ont évidemment lieu avec les députés et les sénateurs. Je sais que vous êtes, comme Gabriel Attal et moi-même, attachés à construire et voter des dispositifs au plus près des réalités de nos territoires.
J'ai rencontré plusieurs d'entre vous à mon ministère lors d'échanges informels, sur le terrain lors de déplacements ou bien à l'Assemblée nationale, à l'occasion des premières auditions de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation ainsi que devant les commissions saisies pour avis sur le projet de loi de finances. Je suis donc bien consciente de votre détermination et de votre investissement au quotidien pour répondre aux nombreuses demandes qui vous sont faites en circonscription, par vos concitoyens et par les élus locaux, afin de rendre vos territoires plus dynamiques.
Vous mesurez bien l'ampleur des défis auxquels notre pays doit faire face en ce moment, avec la progression inédite de l'inflation et la crise énergétique que nous connaissons. Face à cela, les collectivités locales ne sont pas sans atouts. La situation financière globale du secteur public local était plutôt favorable au 13 janvier 2022. Comme le montre bien le rapport sur la situation des finances publiques locales, cela n'était pas dû au hasard ! Il faut y voir l'esprit de bonne gestion budgétaire qui anime les décideurs locaux – beaucoup d'entre vous ayant exercé comme moi des fonctions locales en sont convaincus.
Il faut y voir aussi le résultat du soutien de l'État à l'occasion de la crise sanitaire. L'Assemblée a déjà adopté des dispositifs de filet de sécurité garantissant le maintien des ressources fiscales. Elle a également permis le financement du plan de relance qui a soutenu l'investissement local, lequel représente, comme vous le savez, 70 % de l'investissement public civil en France.
Mais face à l'évolution critique de la situation en 2022, le Gouvernement a proposé, dès cet été, des mesures fortes et protectrices dans la loi de finances rectificative que vous avez enrichie et votée. Ainsi, nous avons mis en place un filet de sécurité de 430 millions d'euros afin d'aider les communes et les intercommunalités les plus fragiles à faire face à la hausse du point d'indice ainsi qu'à l'augmentation du coût de l'alimentation et de l'énergie. Le décret d'application, paru aujourd'hui même, permettra aux communes qui le souhaitent de demander avant le 15 novembre un acompte.
Nous avons également alloué en 2022 120 millions d'euros aux départements qui versent le revenu de solidarité active, afin de compenser intégralement la hausse de 4 % de cette prestation prévue par l'État. Nous avons aussi instauré le recouvrement total par l'État auprès des régions de la hausse de 4 % des rémunérations des stagiaires de la formation professionnelle.
Ces mesures ont permis aux collectivités territoriales de faire face aux premières tensions liées à l'inflation et à la hausse des prix de l'énergie. Ce soutien de l'État est encore accentué dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023, avec la prolongation du bouclier tarifaire, mesure qui permettra de limiter à 15 % la hausse des prix de l'électricité pour les plus petites communes, soit environ 80 % d'entre elles ; la prolongation d'un filet de sécurité sur l'énergie ; le quintuplement de l'enveloppe à destination des communes en grande difficulté, qui atteint un montant de 10 millions d'euros, et surtout le non-plafonnement des bases fiscales, afin de laisser toute l'autonomie aux collectivités sur leur dynamique fiscale.
Ces dispositifs permettent, vous le savez, de parer au plus pressé et ont vocation à être approfondis ou élargis si besoin. Ils permettront aux collectivités de faire face aux surcoûts financiers dans l'immédiat, mais il nous faudra aussi agir à d'autres échelles : à l'échelle européenne, d'abord, en cherchant, au niveau du marché européen de l'énergie, à réguler les prix et à capter les surprofits engendrés chez les grands groupes énergétiques par cette situation de tension ; à notre échelle, ensuite, en suivant les recommandations formulées par la Première ministre dans le plan de sobriété, qui comporte un volet consacré aux collectivités territoriales, établi en lien étroit avec l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) et le milieu associatif. Ce sont des gestes simples et efficaces, que vous mettez sans doute en œuvre dans vos communes, et qui nous permettront de traverser l'hiver sans trop d'encombre.
Mais sortir durablement de toute forme de dépendance énergétique implique avant tout d'accélérer les transitions énergétique et écologique dans les territoires. C'est pourquoi le projet de loi de finances prévoit d'abord d'augmenter d'un tiers les moyens consacrés à la dotation biodiversité, qui avaient déjà été doublés en 2022, pour atteindre 30 millions d'euros en 2023.
Il prévoit ensuite d'instaurer un fonds vert, d'un montant inédit de 2 milliards d'euros. L'ensemble des projets éligibles et leurs caractéristiques doivent encore être précisés, mais la méthode d'attribution de ce fonds, elle, est bien arrêtée. L'obtention de financement se fera selon des règles simples, décentralisées et sans appel à projets. Tout partira des initiatives du terrain, des projets des élus, selon une méthode lisible et reconnue : celle du dialogue entre les élus et leur préfet de département ou de région.
Ce projet de loi de finances est également celui de la sécurisation des ressources locales, malgré les contraintes qui pèsent aussi sur les finances de l'État. Je suis convaincue que pour investir pour l'avenir, les élus locaux ont besoin de lisibilité à moyen et long terme sur leurs disponibilités financières.
Avec Gabriel Attal, nous avons donc proposé à la Première ministre une hausse de 320 millions d'euros de la DSU et de la DSR, financée, comme elle l'a annoncé, par l'État et non par écrêtement des autres communes. Un amendement du rapporteur général avait ouvert la voie, avec une augmentation de 210 millions, mais l'ampleur des hausses de coût de l'énergie a nécessité d'aller plus loin.
Cette augmentation de la dotation globale de fonctionnement est inédite depuis treize ans. Elle permettra à 95 % des communes de voir leur dotation maintenue ou augmentée. Il s'agit d'une véritable marque de confiance de l'État à l'égard des collectivités et des élus locaux. Une confiance et un souci de protéger les marges de manœuvre financières qui transparaissent également dans le maintien des dotations d'investissement – dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), dotation de soutien à l'investissement des départements (DSID), dotation politique de la ville (DPV) et dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) – à un montant de près de 2 milliards d'euros, comme d'ailleurs l'année précédente.
Enfin, la volonté de sécuriser les finances locales a également guidé l'action du Gouvernement dans le choix des modalités de compensation aux collectivités locales de la suppression de la CVAE. Elle sera en effet intégralement compensée par l'attribution d'une part supplémentaire de TVA, mais aussi de sa dynamique qui, dès 2023, sera destinée aux territoires qui accueillent de nouvelles activités économiques, selon des critères que nous établirons de façon concertée à partir des prochains jours.
L'année prochaine, la compensation correspondra aux sommes que l'État aurait dû verser aux collectivités en 2023 au titre de la CVAE. Rien ne sera conservé par celui-ci et il n'y aura pas d'année blanche. Là encore, c'est une exigence que vous étiez nombreux à défendre, parlementaires comme associations d'élus, et nous avons été à l'écoute des remontées du terrain.
Il ne s'agit là que des éléments saillants des concours de l'État aux collectivités en 2023. Gabriel Attal et moi-même aurons l'occasion de vous les présenter en détail lors de l'examen du projet de loi de finances.
Vous le voyez, face à l'évolution de la situation des finances locales, l'action du Gouvernement a été guidée par un seul but et une seule méthode. Un seul but : protéger les collectivités afin de préserver leurs marges de manœuvre financières. Elles portent l'investissement public et sont, à cet égard, le fer de lance de la transition écologique. Une seule méthode : l'écoute et la concertation.
Nous restons attentifs aux préoccupations des élus. Les orientations que nous avons exposées répondent, je le pense, à leurs inquiétudes et illustrent la confiance renouvelée du Gouvernement à l'égard des élus locaux. Oui, les élus locaux sont les fantassins de la République ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR.)
source https://www.assemblee-nationale.fr, le 20 octobre 2022