Déclaration de Mme Caroline Cayeux, ministre chargée des collectivités territoriales, sur les finances locales et les ressources des collectivités locales, au Sénat le 18 octobre 2022.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Caroline Cayeux - Ministre déléguée chargée des collectivités territoriales

Circonstance : Débat organisé au Sénat à la demande de la commission des finances

Texte intégral

M. le président. L'ordre du jour appelle le débat sur les finances locales, organisé à la demande de la commission des finances.

(…)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales. Monsieur le président, monsieur le vice-président de la commission des finances, madame la vice-présidente de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est un plaisir et un honneur de prendre part avec vous à ce premier débat consacré aux finances locales.

Ce nouvel outil démocratique a été rendu possible par la loi organique du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques. Il constitue, selon moi, une avancée pour notre pays et pour nos collectivités, en introduisant de manière inédite un temps consacré aux finances locales dans le cours de l'examen des projets de loi de finances.

J'ai déjà pu me livrer à cet exercice vendredi dernier à l'Assemblée nationale, avec mon collègue Gabriel Attal. Comme le veut le fonctionnement de nos institutions, c'est aujourd'hui au Sénat, chambre des territoires, que j'ai l'occasion de m'y livrer de nouveau, selon des modalités légèrement différentes.

Gabriel Attal, Christophe Béchu et moi-même avons en effet suivi une méthode renouvelée dans l'élaboration du volet territorial du projet de loi de finances pour 2023, conformément à la volonté du Président de la République et de la Première ministre. Notre démarche a consisté à échanger en continu, en amont, avec les associations d'élus, afin de coconstruire des mesures qui répondent aux besoins des territoires et aux attentes de nos concitoyens.

Nous les avons toutes reçues, à plusieurs reprises, jusqu'à la présentation du projet de loi de finances (PLF) au Comité des finances locales le 26 septembre, quelques heures après sa présentation en conseil des ministres.

Après le temps de la concertation, nous sommes désormais entrés dans celui de la construction d'un budget protecteur, bien sûr, mais aussi d'un budget sincère, qui prend en compte l'impératif de maîtrise de nos finances publiques et la participation indispensable de chacun à cet effort.

Cet esprit de responsabilité et cet impératif d'action ont été nos deux guides dans la conception du PLF pour 2023. Ce sont aussi, je n'en doute pas, les deux principes qui guideront son examen par le Sénat.

Face à la progression inédite de l'inflation et à l'envolée des coûts de l'énergie, les défis auxquels les collectivités territoriales doivent faire face imposent un soutien accru de l'État.

Dès cet été, le Gouvernement a proposé des mesures fortes dans la loi de finances rectificative, que vous avez enrichie et votée, mesdames, messieurs les sénateurs.

Je pense en particulier au filet de sécurité de 430 millions d'euros pour aider les communes et les intercommunalités les plus fragiles à faire face à la hausse du point d'indice et des prix de l'alimentation et de l'énergie.

Nous savons que certaines collectivités ont besoin de cette aide au plus vite. C'est pourquoi, comme l'a annoncé Gabriel Attal, dès la parution du décret le 13 octobre et jusqu'au 15 novembre, elles pourront déposer une demande qui leur permettra d'obtenir un acompte de 50%, lequel sera versé avant le 15 décembre.

Nous avons par ailleurs alloué 120 millions d'euros aux départements, qui versent le revenu de solidarité active (RSA), afin de compenser intégralement la hausse de 4% de cette prestation prévue par l'État. Nous avons également instauré le recouvrement total par l'État auprès des régions de la hausse de 4 % des rémunérations des stagiaires de la formation professionnelle.

Nous accentuons encore cet accompagnement de l'État dans le cadre du PLF pour 2023.

Un amendement du rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale vise à prolonger le filet de sécurité pour les dépenses énergétiques en 2023. Le bouclier tarifaire sera prolongé, ce qui permettra de limiter à 15 % la hausse des prix de l'électricité pour 80% des communes. Nous prévoyons aussi de quintupler l'enveloppe à destination des communes en grande difficulté, à hauteur de 10 millions d'euros, et surtout de ne pas plafonner les bases fiscales, afin de laisser toute autonomie aux collectivités sur leur dynamique fiscale.

Ces mesures permettront aux collectivités de faire face dans l'immédiat à leurs surcoûts financiers, mais il nous faudra aussi agir à d'autres échelles.

Au niveau du marché européen de l'énergie, tout d'abord, nous devrons chercher à réguler les prix et à capter les superprofits réalisés par les grands groupes énergétiques du fait de cette situation de tension.

Nous devons aussi, chacun à notre échelle, suivre les recommandations formulées par la Première ministre dans le plan de sobriété.

Toutefois, résoudre durablement la crise que nous connaissons impose aussi d'effectuer des changements profonds de notre modèle, en favorisant la transition écologique et la transition énergétique dans tous les territoires.

C'est pourquoi il est prévu dans le projet de loi de finances pour 2023 d'augmenter d'un tiers les moyens consacrés à la dotation de biodiversité pour 2023, qui avaient déjà été doublés en 2022, pour atteindre un montant de 30 millions d'euros.

Il est également prévu de mettre en œuvre un fonds vert d'un montant inédit de près de 2 milliards d'euros. Ses crédits seront attribués selon des règles simples, décentralisées et sans appel à projets. Tout partira des initiatives des élus, selon une méthode lisible et reconnue, celle du dialogue entre les élus et leur préfet de département ou de région.

La Première ministre a par ailleurs annoncé vendredi dernier que 200 millions d'euros seront spécifiquement alloués aux départements.

Accompagner les collectivités territoriales, c'est avant tout leur donner les moyens d'agir, en sécurisant leur financement et en leur assurant une visibilité à long terme.

Ainsi, avec la Première ministre, nous avons souhaité porter une hausse de 320 millions d'euros de la dotation globale de financement (DGF), les augmentations de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU) et de la dotation de solidarité rurale (DSR) étant financées par l'État et non par écrêtement des crédits des autres communes. Cette augmentation, inédite depuis treize ans, est un acte fort du Gouvernement.

La suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, quant à elle, permettra à notre pays de gagner en compétitivité sans amoindrir les ressources des collectivités. Elle sera en effet intégralement compensée et territorialisée par l'attribution d'une part supplémentaire de TVA, mais aussi par sa dynamique, dès 2023.

La compensation, l'année prochaine, correspondra aux sommes que l'État aurait dû reverser aux collectivités en 2023 au titre de la CVAE. Il n'y aura pas d'année blanche, rien ne sera conservé par l'État.

Elle sera également territorialisée : ceux qui accueillent davantage d'activités seront davantage compensés, sur le fondement de critères précisés dans un décret en Conseil d'État. Un travail est d'ailleurs en cours avec les associations d'élus. Sur ce sujet comme sur les autres, l'écoute et la concertation devront primer.

Notre souci de préserver les marges de manœuvre des collectivités transparaît enfin dans le maintien de leurs dotations d'investissement, pour un montant de près de 2 milliards d'euros, comme l'année précédente.

Mesdames, messieurs les sénateurs, voici les principaux éléments des concours de l'État aux collectivités pour 2023.

Notre pays et nos collectivités ne manquent pas d'atouts pour relever les défis qui sont les nôtres. Nous avons toujours su construire, au cours de notre histoire, dans ces situations de crise, des consensus responsables, au service de l'intérêt général. Je sais que ce sera une nouvelle fois le cas, car, au-delà du débat démocratique indispensable, les postures et les effets de manche ne font plus illusion aux Français. Nos concitoyens ne se satisferont pas d'une nouvelle représentation du spectacle sempiternellement rejoué du combat entre les Montagnards et les Girondins.

C'est collectivement que les Français nous jugeront : sur notre bilan, nos réussites et notre capacité à améliorer concrètement leur qualité de vie. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

(…)

M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée. Mesdames, messieurs les sénateurs, je m'efforcerai, dans le temps qui m'est imparti, de répondre à la majorité de vos interventions.

Je commencerai par certains points précis qui ont été abordés sur les mesures du PLF pour 2023, avant de répondre plus globalement sur les enjeux qui ont été évoqués, à savoir la nécessité d'une réforme de la fiscalité locale et d'un nouvel élan de décentralisation dans notre pays.

Sur les questions les plus techniques, je reviendrai vers chacun d'entre vous pour vous apporter une réponse circonstanciée.

Monsieur le sénateur Capus, comme je l'ai dit dans mon intervention liminaire, la suppression de la CVAE n'entraînera pas, je le répète, une baisse des ressources des collectivités territoriales, bien au contraire. Sa compensation intégrale par l'attribution d'une nouvelle fraction de TVA et sa dynamique garantiront aux collectivités une meilleure prévisibilité et une meilleure visibilité sur leurs recettes, alors que la CVAE était très volatile.

Ensuite, sur la compensation, à l'écoute des élus, nous avons justement souhaité introduire un mécanisme de moyenne pour lisser la volatilité de la CVAE d'une année sur l'autre, en intégrant l'année 2023 dans le calcul.

La compensation l'année prochaine correspondra aux sommes que l'État aurait dû verser aux collectivités en 2023 au titre de la CVAE. Rien ne sera conservé. La dynamique de cette compensation sera territorialisée. Je le redis, un territoire accueillant plus d'activités recevra plus de TVA.

Monsieur le sénateur Cozic, je tiens à souligner, tout d'abord, que le choix de non-indexation la DGF sur l'inflation date non pas d'aujourd'hui, mais de 2010.

Pour autant, le Gouvernement a pris la décision, inédite depuis treize ans, d'augmenter la DGF de 320 millions d'euros. Je rappellerai que, entre 2008 et 2014, les dotations des collectivités ont subi une baisse de plus de 11 milliards d'euros.

Par ailleurs, nous avons fait le choix d'une action ciblée, en mettant un œuvre le filet de sécurité et un bouclier tarifaire, ou encore le fonds d'urgence pour les communes en difficulté financière. Cela nous permet de soutenir en priorité celles qui en ont le plus besoin, car, comme vous le savez, les situations de chaque collectivité sont extrêmement diverses.

De manière plus générale, je pense que les interventions de MM. les sénateurs Guené et Rambaud, sans être exhaustives, ont permis de faire ressortir l'ensemble de vos doutes, de vos interrogations, qui reposent sur un constat que nous partageons tous, en réalité.

Notre modèle des finances locales est aujourd'hui complexe et marqué par une longue sédimentation, qu'ont accentuée les réorganisations successives du partage des compétences entre les différentes strates des collectivités territoriales. Cette situation peut parfois donner l'impression d'affecter les principes cardinaux qui président aux finances locales, notamment l'autonomie des collectivités territoriales.

Comme le souligne la Cour des comptes dans son rapport, dont votre chambre a eu l'heureuse initiative, il faut d'abord rappeler qu'il s'agit là davantage d'une impression que d'une réalité : l'autonomie financière, telle qu'elle est mesurée par les ratios définis en 2004, progresse.

C'est la part croissante de la fiscalité nationale au sein des ressources propres des collectivités qui nourrit chez les élus le sentiment d'une perte de maîtrise et d'une déconnexion de leurs ressources avec les réalités de leur territoire.

À mon sens, le Président de la République a été très clair, dans son discours prononcé en Mayenne le 10 octobre, sur sa volonté de lancer le nouveau chapitre de décentralisation dont notre pays a besoin. Je pense en effet que notre modèle est à repenser : il faut le remettre à plat, le simplifier, pour qu'il fasse à nouveau sens pour chacun, pour les élus locaux comme pour nos concitoyens. Il faut repenser notre système d'administration décentralisée pour que les responsabilités accompagnent à chaque niveau le pouvoir normatif et les financements.

Cela implique nécessairement des choix politiques forts, comme le souligne la Cour des comptes. Le Gouvernement est prêt à faire de tels choix. Cependant, la Cour souligne également que cette refonte de notre système de décentralisation ne peut être conduite qu'en étroite concertation avec l'ensemble des parties concernées, c'est-à-dire les collectivités territoriales, les élus et, bien sûr, le Parlement, avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, afin de parvenir à un consensus dans l'intérêt général de notre pays.

Aussi, je ne me prononcerai pas aujourd'hui sur le détail du scénario envisagé par la Cour des comptes. Il s'agit d'un travail prospectif particulièrement précieux, qui alimentera sans aucun doute le grand chantier que nous souhaitons mener.

À cet égard, je vous remercie de vos interventions, qui nourrissent ma réflexion personnelle sur ce sujet, mais notre démarche de coconstruction ne serait pas véritablement sincère, vous en conviendrez, si nous cherchions, en amont, à figer le débat par des positions arrêtées. Nous avons bien sûr un objectif, une boussole et des convictions, qui nous guideront dans nos échanges à venir, mais il ne s'agit en aucun cas d'un schéma préconçu, puisque c'est ensemble que nous construirons le nouveau modèle décentralisé de notre pays.

Monsieur le sénateur Requier, dans votre intervention, vous mettez en garde contre les promesses illusoires, et je suis d'accord avec vous. Comme le disait Jean-Pierre Raffarin, qui siégeait encore sur ces travées il n'y a pas si longtemps : "La politique ne peut plus promettre des lendemains qui chantent et repousser toujours la résolution des problèmes du quotidien." Le nouveau chapitre de décentralisation que nous souhaitons ouvrir n'est pas le retour d'une vieille antienne ; c'est la réponse nécessaire aux limites de notre système.

Cette refonte, que nous souhaitons construire avec vous, impose à tous, à l'État, mais aussi à toutes les collectivités, de jouer le jeu de cette remise à plat, qui remettra nécessairement en cause de nombreuses situations établies. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)


source http://www.senat.fr, le 26 octobre 2022