Interview de M. Olivier Klein, ministre chargé de la ville et du logement, sur la politique du logement, à Paris le 5 février 2023.

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  • Olivier Klein - ministre délégué chargé de la ville et du logement

Circonstance : Crise du logement - Des pistes pour en sortir, Colloque organisé par l’EPF Île-de-France

Texte intégral

JACQUES PAQUIER – Bonjour, Olivier Klein. Vous avez été élu à Clichy-sous-Bois en 1995, Maire de 2011 à 2022, Président de l’ANRU (l’Agence nationale pour la rénovation urbaine) et Vice-Président du Conseil national des villes.
Vous connaissez donc parfaitement la question du logement.
En tant que ministre de la Ville et du Logement, vous venez de lancer un CNR (Conseil national de refondation) sur cette question. Ma question est peut-être un peu abrupte, mais comment allez-vous faire pour ne pas décevoir ?

OLIVIER KLEIN – Tout d’abord, bonjour à tous. Je salue ceux qui ont quitté la tribune avant que j’y monte et ceux qui sont dans cette salle. Et puis je salue évidemment Jean-Philippe Dugoin-Clément, qui est là, et Gilles Bouvelot, Président et directeur général de ce bel établissement qu’est l’EPFIF, dont j’ai eu le plaisir d’être membre du Conseil d’administration, et même du Bureau. Comment ne pas décevoir ? Je n’ai pas oublié votre question, Jacques. D’abord, vous avez parlé du CNR.

Je crois en ce CNR plein et entier sur le logement qu’ont souhaité le Président de la République et la Première ministre. Je crois dans notre capacité à, essayer en tout cas, de dépasser des diagnostics qui sont nombreux et qui sont éclairés sur la question du logement. Je sais ce qui est important : regarder ces nombreux diagnostics et voir comment on peut mettre en place un certain nombre d’outils et de volontés.

Quelles sont les difficultés ?

D’abord, comment faire pour construire plus pour loger plus ?

La réalité d’aujourd’hui c’est une crise avec quand même 2,2 millions de Français qui attendent un logement social.

C’est aussi comment faire pour construire plus de logements, de tous les types. Et c’est enfin comment faire pour réconcilier les élus et les Français avec l’acte de construire. Le foncier, on le sait, est essentiel pour ça. Mais il ne suffit pas d’avoir du foncier pour que d’un seul coup des élus, des Français se disent : « on a besoin de construire plus parce qu’il faut loger plus » ; il faut surtout savoir comment on peut mobiliser ce foncier de manière positive.

Et puis, dernier sujet qui est aussi celui du CNR : comment accompagner la transition démographique, le vieillissement et l’évolution de la population et la transition écologique. Le monde du logement est au coeur de ces deux transitions. Donc comment accompagne-t-on, avec l’Anah (Agence nationale de l’habitat), avec les différentes agences, comment les bailleurs sociaux doivent être présents de manière extrêmement volontariste sur la réhabilitation et la transformation thermique du logement. Donc, que le logement soit l’avant-garde éclairée de la transition écologique.

Et je crois, pour ne pas décevoir, que c’est essayer de faire avec ce CNR une véritable union sacrée sur la question du logement.

On voit bien où sont les freins, on voit quels sont les points de divergence. Mais on sait aussi que nous avons tous une volonté qui est de faire qu’un maximum de Français construisent leur parcours résidentiel, y compris les plus fragiles. Après, on sait qu’on sème, mais, quand on est ministre du Logement, beaucoup de choses que l’on fait sont des actes pour l’avenir. Mais il faut les faire.

JACQUES PAQUIER – Quel va être votre génie propre pour arriver – je répète un peu ma provocation – pour arriver à faire mieux ? Cela a été dit très brillamment par tous ce matin, les diagnostics, les constats, on les connaît. De même que les réticences communales à construire, les manques d’incitation fiscale connus, comme l’a souligné Jean-Philippe Dugoin-Clément, ou, comme l’a dit Thierry Lajoie, la hausse des coûts de la construction, mais surtout du foncier. Comment faire face à tout ça ? Est-ce que vous avez quelques pistes ?

OLIVIER KLEIN – Il est certain que les coûts de la construction et du foncier font que les prix de sortie sont inaccessibles, pour l’acquéreur comme pour les bailleurs sociaux. Il faut que l’on puisse modifier les choses, probablement sur la fiscalité du foncier. J’ai un gros doute sur le fait que garder du foncier permet de payer moins d’impôts plutôt que de le réaliser.

Et je pense qu’il y a un sujet de réalisation de ce foncier pour lui donner une vertu à participer à l’acte de construire.

Alors, oui, il faut trouver des moyens pour accompagner les élus dans leur volonté de construire. Je crois aux capacités de persuasion. Quand vous êtes élu local, quand vous êtes Maire, il est quand même assez rare que l’essentiel de vos rendez-vous du samedi matin ou de vos permanences ne soit pas consacré à la question du logement. Moi j’ai vu un Maire qui faisait des panneaux de 4 mètres par 3 pour se réjouir qu’il n’avait signé que deux permis de construire depuis le début de son mandat en Alsace ! C’est insupportable, on a tous des enfants, on a tous besoin de faire vivre nos villes.

Ça, on le sait tous quand on est élu, il faut construire, sinon la ville vieillit et la population baisse.

Oui, il faut aider les Maires bâtisseurs. Mais, la réalité, c’est que les formules de calcul de la DGF (Dotation globale de fonctionnement) font que, si on ne construit pas et qu’on a une baisse de la population, la DGF va baisser.

Donc, soyons inventifs sur les manières de donner envie aux Maires de réaliser, de construire, d’utiliser le foncier, de faire avec le « déjà là ». Si je prends un exemple clichois, je suis en train de réfléchir à un projet dans lequel, au départ, j’avais deux écoles et à la fin sur le même foncier j’en aurai trois, avec un centre de loisirs, une crèche, etc.

Et, en même temps que je fais cela, je libère du foncier ailleurs. Gilles Bouvelot connaît le projet de Clichy par coeur.

Ce sont des choses que l’on peut faire. Comme lorsque le Maire de Montfermeil regarde un vieux centre commercial qui a un énorme parking et se dit « pendant un temps, on va peut-être réduire le parking, construire du commerce en rez-de-chaussée, du logement au-dessus et après, on va libérer du foncier ». Et ces exemples-là, ils existent partout.

Donc, moi, c’est ce que j’essaye de faire, et j’ai un peu confiance car je suis Maire de l’une des villes les plus pauvres de France et qui a les plus importantes copropriétés dégradées de France, et, en même temps, je suis fier de construire une pension de famille et une résidence sociale. Je pense qu’on peut construire, réaliser et donner envie d’apporter notre pierre au parcours résidentiel.

JEAN-LOUIS PICOT – C’est intéressant parce que la première table ronde posait la question « Faut-il territorialiser ou planifier dans le cadre de la construction ? » Vous avez le côté État et le côté élu local. Qu’en pensez-vous ? De ce que l’on a entendu ce matin, c’est que les solutions existent, les façons d’y arriver on les voit à peu près, mais, malgré tout, ça ne fonctionne pas. Donc comment faire pour qu’ensemble les choses tournent mieux ?

OLIVIER KLEIN – La politique du logement la politique de l’aménagement du territoire sont forcément des politiques qui partent des territoires. Il faut faire confiance à l’intelligence des élus, en particulier à leur capacité à regarder sur des échelles plus grandes. Je suis quelqu’un qui a toujours cru à l’intercommunalité. Ces questions-là doivent se regarder sur des échelles qui permettent de regarder l’aménagement d’un territoire sur des échelles plus importantes, donc celle de l’intercommunalité. Certes, le cas particulier de la métropole parisienne est un peu spécial, mais même celui-là doit permettre de développer une politique de l’hébergement, de l’habitat sur des échelles plus grandes.

Cela fera aussi partie des sujets du Conseil national de la refondation (CNR) du logement : quels sont les actes de décentralisation qui sont utiles à cette volonté de construire plus, mieux et plus vite ? J’ai le sentiment qu’en responsabilisant les territoires dans cette capacité à organiser l’habitat, à le planifier et à travailler avec les établissements publics fonciers on avancera. Il faut regarder la question du foncier.

Il faut regarder la question du « déjà-là ». Il faut évidemment inclure dans notre réflexion le Zéro artificialisation nette (ZAN) pour que cette politique foncière et cette volonté de moins artificialiser ne soient pas un frein à la construction, mais au contraire à une capacité à faire mieux, à faire plus durable, à faire avec de nouvelles techniques aussi, parce que le bas carbone doit se faire même là où on imperméabilise.

Il faut avoir une politique nationale d’ambition tout en regardant, territoire par territoire, avec les établissements publics fonciers, avec les aménageurs comment on peut inverser la tendance. Et les situations sont très différentes en zones tendues, bien évidemment, par rapport aux zones littorales touristiques et aux zones frontalières, on voit les diversités de cas possibles. Mais chacun doit pouvoir réfléchir à son échelle… si les autorités organisatrices de l’habitat d’un territoire peuvent se mettre en place avec une vraie réflexion suite aux PLH (Programme local de l’habitat) suite à un PLUi (Plan local d’urbanisme intercommunal).

Évidemment, on n’aura pas la même finalité qu’avec un PMHH (Plan métropolitain de l’habitat et de l’hébergement) à la charge de la Métropole du Grand Paris, mais ce n’est pas pour cela que chacune de ces entités n’aura pas la capacité et la volonté politique de faire.

JACQUES PAQUIER – Et est-ce qu’il n’y a pas un problème d’allocation des ressources ? L’autre jour, j’entendais Olivier Sichel, le Directeur général de la Caisse des Dépôts, dire que finalement, seuls 18 des 30 milliards d’euros collectés sur le Livret A seront utilisés pour financer le logement social, comme s’il restait des mannes inemployées. Et puis, à l’inverse, Mathieu Hanotin, le Maire de Saint-Denis dire : « Mais, moi, j’aimerais bien qu’on mette plus pour la politique foncière. » Faut-il mieux réallouer les ressources pour maximiser leur efficacité au service de la construction du logement en Île-de-France ?

OLIVIER KLEIN – Il faut effectivement utiliser toutes les ressources et tous les outils qui permettent de produire.

Aujourd’hui, il y a deux sujets de même urgence : la production/réhabilitation du logement et la rénovation thermique du logement, en particulier dans l’habitat collectif. Donc il faut mieux utiliser les ressources financières, on y travaille avec la Caisse des Dépôts et l’ensemble des bailleurs sociaux. Vous connaissez les débats sur l’aide à la pierre et tout cela fait partie des sujets en cours de réflexion, car la Première ministre nous a demandé de construire un pacte de confiance avec les bailleurs. Bien évidemment, ce pacte de confiance ne peut pas se construire si on ne se pose pas la question des ressources, des capacités des bailleurs à mobiliser des fonds propres, si l’on ne se pose pas toutes les questions liées au coût du foncier et comment on fait pour qu’il ne soit pas un des freins les plus importants au prix de sortie. Moi, je ne me mets aucune limite : comme on parle de limitation du coût du loyer, à un moment il faudra regarder ce qu’on peut faire sur le coût du foncier.

Je rencontre par exemple demain la direction de la SNCF pour travailler avec eux sur la question du foncier, car il y a la question du foncier de l’État. Si on veut loger un maximum de Français, en particulier les salariés et les fonctionnaires, il faut que chacun participe à cet effort, et à travers le foncier. Parce que ça permet de définir du parc réservataire. Parce que celui qui met à un moment la main à la poche, soit à travers la garantie d’emprunt, soit à travers une mise à disposition de foncier, doit avoir son retour sur investissement.

Et, le dernier sujet, c’est celui de l’aide aux Maires bâtisseurs.

Même si je ne suis pas un grand fan de l’expression, la manière dont les élus locaux ont besoin de créer des équipements publics, des écoles, des crèches, pour pouvoir accueillir de nouvelles populations ne peut pas être négligée. Et, au-delà de l’augmentation de la population et des calculs de DGF (Dotation globale de fonctionnement), on sait que, si on veut mobiliser les élus pour réaliser plus et réaliser plus vite, il faut qu’on invente des dispositifs qui leur donnent envie de faire.

JEAN-LOUIS PICOT – L’urbanisme, le logement sont des domaines complexes, et encore plus aujourd’hui. Même si la volonté est là, parfois c’est difficile de répondre et d’avoir tous les outils pour justement faire avancer les choses au niveau de sa commune ou de son territoire. Est-ce quelque chose que vous prenez en compte ? Ce déficit de connaissance, alors que les enjeux sont urgents.

OLIVIER KLEIN – Les lois de décentralisation prennent ça en compte. Les compétences transférées au sein des intercommunalités prennent en compte les questions de l’aménagement du PLH et des PLUi intercommunaux. Donc c’est l’intérêt d’avoir fait ces actes de décentralisation, cette capacité à regarder les choses sur des échelles plus grandes, bien évidemment. Enfin, si je prends un exemple que je connais bien, celui du renouvellement urbain, de la reconstitution de l’offre de logement social, bien évidemment, ce sont des sujets qui ne peuvent pas se regarder simplement à l’échelle monocommunale.

Le temps du logement et le temps de l’aménagement doivent se regarder sur des échelles plus larges.

Celui du ZAN aussi doit se regarder sur des échelles adaptées pour que ça soit une opportunité et pas un frein.

Donc, oui, il faut doter notamment les intercommunalités petites ou moyennes, et les métropoles, mais en général, elles en ont les moyens. Et c’est aussi le rôle des aménageurs.

C’est aussi le rôle des établissements publics fonciers d’accompagner et de mettre à disposition leurs compétences, leur ingénierie pour avoir cette vision de territoire suffisamment large pour construire. La planification et la politique d’aménagement doivent se regarder sur des échelles plus grandes que celle de la commune.

Moi, je ne sais plus trop ce que veut dire un centre-ville.

S’il y a des centralités intercommunales, il y a des dynamiques, ce qui se passe autour d’une gare du Grand Paris ou d’une gare TGV lorsqu’elle se réalise se conçoit sur des échelles qui dépassent largement l’échelle communale.

JACQUES PAQUIER – Il a beaucoup été question de transformations ce matin. Transformation de bureaux en logements, mais aussi densification des zones pavillonnaires en insistant, les intervenants les uns après les autres, sur la nécessité de faire bouger les lignes, de créer par exemple un statut de micropromoteur pour des propriétaires qui voudraient densifier leur pavillon et faire sauter quelques verrous qui freinent à la fois la transition et la construction. C’est une des missions que vous avez assignées au CNR. Va-t-elle déboucher sur une loi ?

OLIVIER KLEIN – J’évite d’écrire la fin de l’histoire avant de l’avoir regardée, même s’il m’arrive de « binger » le week-end, comme d’autres le font avec des séries, quand j’ai envie. Mais c’est rare, j’ai de moins en moins le temps de « binger ». Je crois qu’il faut tout s’autoriser. Les zones pavillonnaires, je ne suis pas de ceux qui les pointent du doigt en disant « c’est fini, ça ne peut plus exister », etc. Parce que c’est aussi un rêve que beaucoup de Français ont. Néanmoins, ces zones doivent évoluer parce que ce sont aussi des lieux de paupérisation, des lieux de vieillissement. Des zones aussi avec de grands pavillons construits dans les années 1960 qui d’un seul coup tombent dans les mains d’un propriétaire plus ou moins délicat qui le scinde en quatre ou cinq appartements. On n’y prend pas garde et on s’en rend compte seulement quand les boîtes aux lettres et les voitures se multiplient dans le quartier. Ces zones pavillonnaires sont un enjeu majeur. Il faut tout regarder, et peut-être même les statuts de micropromoteurs.

Aujourd’hui, il faut à la fois protéger le propriétaire et le locataire. Et on a besoin de proposer au-delà du logement social classique, du logement en location à des prix abordables.

Et puis, il y a la fin du Pinel, il y a la fin d’un certain nombre d’outils de défiscalisation. Ce sont tous ces outils-là que le CNR va essayer d’aborder dans ses trois groupes de travail.

Si, in fine, il y a des éléments législatifs nécessaires, oui, on prendra les textes nécessaires, mais, là encore, sans a priori.

Si c’est possible et s’il y a une majorité pour le faire, on le fera.

Pour finir, je voudrais dire que je crois à la force de nos partenariats avec les aménageurs. Je crois vraiment au rôle des établissements publics fonciers. La manière dont l’EPFIF est présent à côté des élus locaux pour réfléchir à la ville de demain. C’est rassurant quand on est Maire de savoir qu’on peut avoir ce type de partenariat, parce que, sinon, c’est la loi du marché. Je pense aussi que chacun doit évoluer dans ses métiers, et l’EPFIF le fait. Je parlais tout à l’heure de l’habitat pavillonnaire et l’EPFIF s’est doté d’une capacité à être le partenaire d’un certain nombre de villes, avec la SIFAE, pour être présent dans cette question-là.

Le monde du logement et celui de l’aménagement sont des mondes extrêmement partagés dans lesquels on a besoin de tous les acteurs. On a besoin de se réinventer, on a besoin de créer de nouveaux outils, parce que ce besoin de construire plus pour loger plus est essentiel si on veut éviter que le logement devienne une bombe sociale.


source https://www.epfif.fr, le 13 février 2023