Texte intégral
NICOLAS DEMORAND
Et avec Léa SALAME nous recevons ce matin le ministre de l’Education nationale et de la Jeunesse, questions-réactions amis auditeurs au 01 45 24 7000 et sur l’application de France Inter. Pap NDIAYE bonjour.
PAP NDIAYE
Bonjour.
LEA SALAME
Bonjour.
NICOLAS DEMORAND
Et bienvenue à ce micro. Ça fait huit mois maintenant que vous êtes au ministère de l’Education, on a évidemment beaucoup de questions à vous poser sur vos différents dossiers, mais vous êtes aussi membre d’un Gouvernement dont la réforme des retraites est massivement rejetée par les Français, mobilisation record avant-hier dans toute la France avec 1,3 million de personnes dans les rues, au coeur de la contestation, vous le savez, l’âge de départ à 64 ans jugé injuste par une majorité de Français. Elisabeth BORNE doit-elle selon vous tenir sur les 64 ans ou faut-il négocier ?
PAP NDIAYE
C’est compatible, bien entendu il y a des marges de manoeuvres dans les discussions parlementaires, mais il faut tenir parce qu’il faut sauvegarder le système de retraite par répartition. Au lendemain de la Libération, puisque ce système a été créé fin 1945 avec la Sécurité sociale, il y avait cinq à six actifs pour un retraité, aujourd’hui on est à 1,7 actif pour un retraité, il y a donc une question démographique qui se pose, elle va d’ailleurs s’aggraver, si je puis dire, dans les années à venir, il faut donc sauvegarder notre système…
LEA SALAME
Vous pensez que les 64 ans c’est juste ?
PAP NDIAYE
Et pour cela, les 64 ans, en effet, c’est juste, l’espérance de vie a augmenté, il faut reconnaître l’effort, il faut bien entendu reconnaître que ça représente un effort important pour sauvegarder un système pour nos enfants et pour nos petits-enfants, donc la question de l’effort je pense qu’il faut la reconnaître, il faut dire que travailler plus longtemps c’est effectivement consentir un effort y compris lorsque l’on est fatigué et que l’on aspire à la retraite.
LEA SALAME
Alors, les efforts dans l’enseignement, de nombreux professeurs, vous le savez, ont commencé à travailler tard en raison de la longueur de leurs études, les concours se passent désormais au niveau master, ils devront donc pour la plupart travailler au-delà de 64 ans. Est-ce que les enseignants doivent être toujours devant des élèves à 64, 65, 66 ans, un instituteur, une institutrice, a-t-il encore la force, l’énergie de faire son métier à cet âge, à votre avis ?
PAP NDIAYE
Il y a bien entendu de la fatigue qui est liée aux métiers de l’enseignement, une fatigue générale, c’est vrai peut-être encore plus du côté des professeurs des écoles avec les troubles musculo-squelettiques par exemple, et donc il faut tenir compte de cela, et on en tient compte avec, en particulier, à partir du mois de septembre, la généralisation dans la fonction publique de la retraite progressive. Qu’est-ce que c’est que la retraite progressive ? C’est la possibilité de diminuer son temps de travail et donc salaire, et de le compenser par une partie anticipée, un versement anticipé de sa pension de retraite, on peut faire ça deux ans avant de faire valoir ses droits à la retraite, donc par exemple on est à 70 % de temps de travail et de rémunération et à 30 % de pension, voilà une manière qui permet d’alléger en quelque sorte le passage et…l’extension du temps de travail, il faut reconnaître l’effort, ce n’est pas moi qui vais dire le contraire, nous faisons de telle sorte que ces fins de carrière soient des fins de carrière compatibles avec l’état de santé et avec la fatigue.
NICOLAS DEMORAND
Mais peut-on imaginer employer les professeurs en fin de carrière à d’autres tâches, et si oui lesquelles ?
PAP NDIAYE
C’est possible en partie, par exemple des tâches de tutorat, des tâches d’accompagnement, c’est quelque chose que nous…
NICOLAS DEMORAND
Sortir de la classe au fond.
PAP NDIAYE
Et on sait bien entendu, et c’est quelque chose sur lequel nous échangeons actuellement avec les organisations syndicales, que les professeurs ont bien d’autres tâches que des tâches d’enseignement stricto sensu et donc c’est une possibilité, mais j’insiste sur la retraite progressive comme un moyen de passer en douceur ses dernières années.
LEA SALAME
Alors on a beaucoup de questions à vous poser Pap NDIAYE, notamment sur le niveau des élèves, mais puisqu’on est sur les enseignants, on y reste, avec la question des salaires rapidement. C’est un point de crispation, encore plus avec l’inflation, on rappelle la promesse d’Emmanuel MACRON, une revalorisation inconditionnelle de 10 % et un salaire minimum de 2000 euros net pour tous les profs à partir de la rentrée prochaine de 2023. Vous êtes en pleine négociation avec les syndicats, ils ne sont pas contents, ils estiment que vous privilégiez les débuts et les milieux de carrière aux dépens de ceux qui travaillent depuis longtemps, est-ce que c’est un choix assumé, que vous assumez ce matin en disant « oui, on donne plus à ceux qui commencent » ?
PAP NDIAYE
Alors c’est vrai que nous avons privilégié les débuts et les milieux de carrière parce que dans les comparaisons internationales c’est là où le retard, où le décalage entre les enseignants français et les autres est le plus accentué, mais je suis tout à fait ouvert à ce que ces hausses de rémunération concernant aussi les milieux et les fins de carrière, nous avons des propositions et nous faisons des propositions pour l’accélération de la promotion pour les fins de carrière, c’est important d’ailleurs dans la perspective de la retraite puisque la retraite est calculée sur les six derniers mois de carrière, donc je suis tout à fait ouvert sur cette perspective.
NICOLAS DEMORAND
Par ailleurs il y a la question du fameux pacte que veut Emmanuel MACRON, pacte qui doit permettre aux enseignants volontaires d’obtenir une rémunération supplémentaire en contrepartie de nouvelles missions. Alors, dites-nous très simplement, Monsieur le ministre, de quelles missions s’agit-il ? je suis disons prof de maths au collège, je veux gagner plus d’argent, je dois faire quoi de plus pour gagner combien de plus ?
PAP NDIAYE
Pour gagner 10 % de plus par rapport au salaire moyen, donc ça représente une somme de 3650 euros annuelle, ça c’est les 10 % correspondant à ces nouvelles missions. Ensuite, du côté du contenu de ces nouvelles missions, il y a deux catégories, il y a les nouvelles missions qui sont des nouvelles missions qui seront obligatoires pour les professeurs qui adhéreront au pacte que nous allons proposer, c’est une forme…
LEA SALAME
Mais quelles missions, parce que ça fait des…
PAP NDIAYE
J’y viens.
LEA SALAME
Des mois que les professeurs ne comprennent pas. D’abord vous savez que tous les syndicats sont contre cette rémunération au mérite, ça vous le savez, puisque vous discutez avec eux…
PAP NDIAYE
Ce n’est pas une rémunération au mérite.
LEA SALAME
Oui, vous appelez ça un pacte, mais concrètement ils sont contre, et surtout ils vous disent c’est flou.
PAP NDIAYE
Nous sommes en négociation actuellement pour aboutir début mars à des propositions qui seront mises en oeuvre à partir de la rentrée 2023. Alors, de quoi s’agit-il ? il s’agit de deux volets en quelque sorte, dans ce pacte, un volet obligatoire, avec en particulier des missions liées aux remplacements de courte durée, vous savez qu’on perd 15 millions d’heures annuelles non remplacées, donc des remplacements de courte durée…
LEA SALAME
Donc des remplacements, combien par semaine ?
PAP NDIAYE
Pour un volume annuel, alors on va…
LEA SALAME
Annuel, combien ?
PAP NDIAYE
Pour l’ensemble de ces nouvelles missions nous calculons un volume annuel d’environ 72 heures, pour l’ensemble des missions.
LEA SALAME
Donc pour gagner 10 % de plus il faut faire 72 heures de travail en plus, c’est ça le…
PAP NDIAYE
De nouvelles missions, avec donc des remplacements de courte durée, des missions d’orientation et d’accompagnement des élèves, on a, notamment du côté des lycées, des progrès à faire, et puis du côté du premier degré cette possibilité d’enseigner au collège, vous savez cette heure de renforcement, de soutien en français…
LEA SALAME
On va y venir, c’est une de vos annonces.
PAP NDIAYE
Et en mathématiques, qui sera en partie assurée par des professeurs des écoles, donc ça aussi ça va être pacté. Et puis ensuite il y a tout un volet de missions qui peuvent varier selon les établissements et qui sont liées, vous savez, au CNR Education, à toutes ces initiatives qui sont prises et qui peuvent être assorties à la fois d’un financement, mais aussi de…
LEA SALAME
Nicolas, vous avez compris, si vous êtes professeur de maths, 72 heures travaillées en plus pour 10 %.
NICOLAS DEMORAND
Voilà. Pap NDIAYE, question sur le recrutement des profs maintenant, où en est-on, vous espériez un choc d’attractivité, alors pour l’instant il semble qu’on n’y est pas, il y a de moins en moins de candidats aux concours de recrutement, est-ce que cette tendance vous la confirmez, est-ce que vous la contestez, et par ailleurs qu’en est-il du problème spécifique avec les profs de maths, est-ce qu’aujourd’hui 2 février tous les élèves de France ont un prof de maths devant eux ?
PAP NDIAYE
Alors, d’une part en effet nous avons un problème de recrutement, il y a un peu plus de candidats que l’année dernière, mais pas dans des proportions suffisantes, donc la question de l’attractivité du métier c’est une question structurelle, qui se pose en France, et à peu près partout dans le monde d’ailleurs, et qui va se poser dans les années à venir, et donc on y répond par des hausses de rémunération, je viens d’en parler, mais aussi par une réflexion et par un travail sur les carrières, parce que les jeunes enseignants ne veulent plus s’engager dans la carrière comme avant, ils veulent être professeur pendant 10 ans et puis ensuite faire autre chose, donc il y a aussi à repenser les carrières des enseignants pour que le métier soit plus attractif. Et puis effectivement, du côté des professeurs de maths, eh bien on a des difficultés de recrutement, mais les mathématiques ne sont pas [les] seuls, il y a aussi les langues vivantes, les lettres, la technologie, un ensemble de métiers et un ensemble de spécialités qu’il faut revaloriser et c’est évidemment ce à quoi je suis attaché.
LEA SALAME
Pap NDIAYE, vous avez surpris tout le monde en décembre dernier en publiant une tribune dans « Le Monde » où vous décriviez l’école de la République dans un état dramatique, je vous cite, les constats sont durs, la crise du recrutement plus aiguë lors de chaque rentrée, le niveau des élèves dont les comparaisons internationales révèlent les lacunes préoccupantes, la défiance générale marquée par la montée en puissance du secteur privé et par la scepticisme exprimé par une partie des parents, vous décriviez un champ de ruines en fait à vous lire. Est-ce le rôle d’un ministre d’analyser une situation aussi catastrophique, faut-il agir ?
PAP NDIAYE
C’est le rôle d’un ministre de regarder la situation en face et de dire les choses, de dire la vérité. Est-ce que le niveau des élèves est un niveau qui est satisfaisant au regard des besoins qui nous avons et au regard de la place centrale de l’école dans notre pays ? la réponse est non, quand on a un tiers des élèves qui entrent en 6e et qui n’a pas un niveau satisfaisant en mathématiques ou un quart en français, je ne peux pas applaudir, je dois bien me saisir de cette situation…
LEA SALAME
Ça n’a pas changé, parce que ça fait cinq ans qu’Emmanuel MACRON est au pouvoir, il a fait le dédoublement des classes, Jean-Michel BLANQUER disait, votre prédécesseur, « on va voir les résultats », cinq ans après, six ans après, on ne les voit pas les résultats.
PAP NDIAYE
Si on les voit en partie…
LEA SALAME
Où ?
PAP NDIAYE
Dans les évaluations de 6e puisqu’on est à la première cohorte qui a bénéficié du dédoublement de CP-CE1, on le voit du côté REP+, on voit une amélioration, une amélioration qui a quand même été impactée par la crise sanitaire, on sait l’effet du confinement sur les élèves et en particulier les élèves les plus défavorisés, mais il faut continuer, c’est pour cela que nous transformons la sixième, et c’est pour ça, comme vous le savez, que j’insiste sur le cours moyens, sur l’importance des mathématiques, du calcul mental, sur l’importance…
NICOLAS DEMORAND
Oui, mais Léa a employé l’expression « champ de ruines », c’est un constat dramatique…
PAP NDIAYE
Ce n’est pas un mot que je retiens.
NICOLAS DEMORAND
Oui, mais j’ai cité Léa à l’instant, vous dites aussi que le collège est l’enfant malade du système, les mots sont quand même lourds là aussi, et quand on lit l’ensemble de ces déclarations on s’attend à un big-bang dans l’Education, or ce que vous avez annoncé depuis c’est 1 heure supplémentaire de soutien scolaire en français et en maths pour les classes de 6e uniquement, admettez que ça semble léger tout de même face au tableau apocalyptique que vous-même dressez de la situation.
PAP NDIAYE
Ce n’est pas un tableau apocalyptique, c’est simplement une situation qui est une situation…
NICOLAS DEMORAND
Alors disons réaliste.
PAP NDIAYE
Un tableau réaliste, c’est exactement…
NICOLAS DEMORAND
Et grave.
PAP NDIAYE
Et, en effet, il faut se saisir notamment de la question du collège, que vous venez d’évoquer…
LEA SALAME
Alors, 1 heure de maths ou de français en plus, c’est ça qui va changer la donne ?
PAP NDIAYE
Ce n’est pas que ça qui va changer la donne, il y a également, pour la classe de 6e, le dispositif « Devoirs faits » qui ait rendu obligatoire le fait que les élèves fassent leurs devoirs au collège sous la supervision d’un professeur, c’est mieux qu’à la maison quand les parents n’ont pas le temps ou n’ont pas les moyens de soutenir les enfants, et puis c’est, d’une manière générale, la question du français, de l’écriture, j’insiste beaucoup sur l’écriture, pas que sur la dictée d’ailleurs, au cours moyen, et puis nous allons avancer, d’année scolaire en année scolaire, vers la 5e, la 4e et la 3e. l’objectif, pour la 6e, c’est de travailler les fragilités, vous avez des difficultés sur les quatre opérations, eh bien vous allez travailler toute l’année sur les quatre opérations pour que la…
LEA SALAME
Et la dictée…
PAP NDIAYE
La dictée c’est très important.
LEA SALAME
Il faut revenir… ?
PAP NDIAYE
Il faut insister sur la dictée. On a un rapport de l’Inspection générale qui indique que les élèves de cours moyen passent 7 % de leur temps hebdomadaire à écrire, et donc il y a la question de la dictée, c’est une modalité de l’écriture, mais il y a bien d’autres choses, il y a les cahiers d’écrivains, il y a les rédactions. Ecoutez, il faut faire autre chose, quand on fait du français, que de remplir des phrases à trous, et de répondre à des questionnaires, il faut écrire, et donc j’ai pu le dire, et je veux bien le redire encore une fois, je suis le ministre de l’écriture, j’insiste beaucoup sur cette modalité…
LEA SALAME
Et de la dictée, le ministre de la dictée.
PAP NDIAYE
La dictée est une modalité de l’écriture, j’ai quelques liens personnels avec la question de l’écriture, ça ne vous aura pas échappé, et donc pour moi la question de la rédaction, par exemple, faire des textes, avec son imagination, c’est absolument essentiel, il faut que nos enfants écrivent, il faut également qu’ils calculent.
Source : service d’information du Gouvernement, le 7 février 2023