Texte intégral
JULIA VIGNALI
Tout de suite on change d’ambiance, " Les 4V ", Jean-Baptiste vous recevez ce matin Jean-Noël BARROT, ministre délégué à la Transition numérique.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Bonjour Jean-Noël BARROT.
JEAN-NOËL BARROT
Bonjour.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Justement, on va parler numérique avec vous. Est-ce que l’on sera bientôt remplacé ? Je serai peut-être remplacé dans quelques années par ChatGPT, ou comme ça une intelligence artificielle. Ce n’est pas de la science-fiction.
JEAN-NOËL BARROT
Vous ne serez pas remplacé, parce qu’il y a une différence majeure entre l’intelligence humaine et l’intelligence artificielle, c'est que l’intelligence humaine, elle est doublée d’une volonté. Il n’y a pas de volonté artificielle. Et donc, là où l’intelligence artificielle pourra nous aider, pourra compléter le travail que nous faisons, elle ne pourra pas nous remplacer. Mais dans le sujet que l’on vient de voir, il y a évidemment une question qui se pose, c'est la juste rétribution des auteurs, de créateurs de contenus originaux, qu’il va falloir régler, pour que l’intelligence artificielle soit soutenable, et pour pouvoir continuer à soutenir la création.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Alors, vous présentez tout à l’heure en Conseil des ministres, un projet de loi pour – je cite – sécuriser et protéger l’espace numérique. Vous souhaitez par exemple mettre en place un filtre anti-arnaques. Toutes les semaines, c'est vrai, comme des millions de Français, je reçois effectivement plusieurs sms, par exemple de l’Assurance maladie, soi-disant l’Assurance maladie, qui me demande effectivement de renouveler ma Carte vitale, avec à la fin effectivement la carte bleue qui est demandée. Est-ce que l’on peut vraiment mettre fin à ce fléau, avec un simple filtre ?
JEAN-NOËL BARROT
Oui, l’insécurité progresse de jour en jour, et elle sape la confiance de nos concitoyens dans le numérique. Tous les Français sont concernés, nous avons tous reçu les sms que vous évoquez, nous avons tous hésité à cliquer. 18 millions de Français ont été victimes de cyber-attaques l'année dernière, et la moitié ont perdu de l'argent au passage. Et souvent ce sont les Français les plus fragiles, les plus démunis, les plus éloignés du numérique, qui sont spoliés ou entraînés dans la spirale infernale de l'usurpation d'identité.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Donc, avec un filtre, vous allez réussir à régler ce problème ?
JEAN-NOËL BARROT
Avec un filtre, pour couper le mal à la racine, en dévitalisant le commerce de ces pirates, sans foi ni loi, qui ont fait de nos smartphones, nos téléphones portables qu'on a dans la poche, l'instrument de leur racket. Ça sera un dispositif simple et gratuit, qui prémunira les internautes lorsqu'ils s'apprêtent à se diriger sur un site malveillant, c'est-à-dire un site conçu pour piller nos données personnelles ou nos coordonnées bancaires.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Il n’y aura pas besoin d'être un expert numérique, de tout connaître, pour que ce filtre fonctionne ? ça se fera simplement, vraiment ?
JEAN-NOËL BARROT
Non, il sera généralisé, et il nous évitera de nous rendre sur ces sites malveillants pour y déposer des coordonnées bancaires ou des données personnelles.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Et vous savez que ce sont les organisations criminelles, parfois mafieuses, qui sont effectivement derrière ces trafics de données, ces arnaques. Est-ce qu'on peut vraiment avec un filtre, avec toute la bonne volonté du monde, on voit que vous êtes effectivement très déterminés, mettre fin, contourner, bloquer ces organisations criminelles ?
JEAN-NOËL BARROT
Que font ces organisations criminelles ? Elles lancent de grandes campagnes de faux sms, de faux mails, en espérant pouvoir collecter ainsi de très grands nombres de données personnelles, de données bancaires. Avec ce filtre, dès qu'une personne aura été touchée par le début de l'attaque, eh bien le filtre s'activera et prémunira tous nos concitoyens, les autres, contre cette attaque. Et ce faisant, le filtre découragera les criminels de s'attaquer à la France, puisqu'il sera beaucoup moins rentable pour eux de le faire désormais.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Le site de l'Assemblée nationale, attaqué il y a effectivement quelques mois par un piratage, le site du Sénat encore la semaine dernière également, et ça c'est peut-être que la face immergée de l'iceberg, maintenant plutôt ce sont des satellites qui pourront être détournés par des puissances étrangères, par ce genre de piratage très puissant, notamment la Russie bien sûr. Est-ce que nous sommes un petit peu naïfs face à ces sujets, face à ces menaces, comme le disait Raphaël GLUCKSMANN, qui était notre invité hier à votre place aux " 4 V " ?
JEAN-NOËL BARROT
Vous avez évoqué l'Assemblée nationale et le Sénat, vous auriez pu parler de l'hôpital de Corbeil-Essonnes…
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Tout à fait.
JEAN-NOËL BARROT
… de l’hôpital de Versailles, de la région Guadeloupe, la région Normandie…
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Qui ont été complètement paralysés.
JEAN-NOËL BARROT
… de la ville de Caen, de Chaville ou de Lille, qui ont toutes été victimes d'une cyberattaque depuis l'été dernier. Avec ce filtre de cybersécurité anti arnaques, nous allons dévitaliser les stratégies conduites par ces cybercriminels, pour attaquer nos organisations, puisqu'ils s'appuient sur les données personnelles des collaborateurs, des agents, pour s'infiltrer dans ces organisations. Mais par ailleurs, en 2021, dans le cadre du plan de relance, nous avons lancé un programme de cybersécurité des grandes collectivités, des établissements hospitaliers, des établissements publics. Ce plan est en train de se mettre en oeuvre, nous l'avons renforcé cet été, suite à l'attaque commise sur l'hôpital de Corbeil-Essonnes, et c'est ainsi que nous protégerons mieux nos hôpitaux, nos mairies, nos départements, nos régions.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Parce qu’aujourd’hui elles sont démunies, forcément les mairies, parfois il n’y a qu’un seul employé, ce n'est pas avec une secrétaire de mairie que vous allez faire face à une menace russe, par exemple.
JEAN-NOËL BARROT
Vous avez raison, et pour les plus petites collectivités, ce à quoi nous travaillons avec l’ANSSI, notre Agence Nationale de Sécurité des Systèmes d'Information, c'est une solution sur abonnement, sécurisée, vers lesquelles les petites communes pourront se tourner, pour disposer d'un nom de domaine et d'une messagerie qui sera parfaitement sécurisée.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Sécurisée. D’accord. De plus en plus de jeunes, Jean-Noël BARROT, pas seulement, également des moins jeunes, des personnalités également, sont harcelés quotidiennement sur les réseaux sociaux, parfois avec des phénomènes de meute, c'est illégal on le sait, et pourtant beaucoup le font avec un sentiment d'impunité totale. Il y a quelques rares condamnations, on a vu l'affaire Mila, Eddy de PRETTO, par exemple, qu'il y a eu des condamnations, c'est quand même une goutte d'eau face à la meute de harcèlements aujourd'hui sur Internet.
JEAN-NOËL BARROT
Vous l’avez dit, on ne compte plus les victimes du cyber-harcèlement, principalement des femmes d'ailleurs. Ce sont des violences qui se déplacent d'un réseau social à l'autre, et qui vont même jusqu'à se déplacer dans l'espace physique avec des agressions tragiques. Les responsables, ce sont des internautes, une minorité d'entre eux, qui se comportent comme des chefs de meute, qui embrasent leur communauté, qui déclenchent des raids ciblés sur des personnalités, comme je le disais, bien souvent des femmes.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Qu’est-ce qu'on fait ?
JEAN-NOËL BARROT
Eh bien ce qu'on fait, c'est dans le projet de loi que je présenterai ce matin, une peine complémentaire de bannissement des réseaux sociaux à l'encontre de ces chefs de meute, qui pourrait être prononcée par le juge, lorsqu'une personne est condamnée pour cyberharcèlement, comme ça a été le cas dans l'affaire Mila ou dans l'affaire Eddy de PRETTO.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Donc, en théorie, ils ne peuvent plus revenir sur les réseaux sociaux.
JEAN-NOËL BARROT
Pendant 6 mois et pendant un an en cas de récidive. C'est une mesure qui les frappera ces chefs de meute, là où ça fait mal, en les privant de leur caisse de résonance, et en confisquant leur notoriété.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Ils ne pourront pas recréer un autre compte, en 5 minutes, en chargeant d’identifiants ?
JEAN-NOËL BARROT
Non, ce sera interdit, et les plateformes devront mettre en oeuvre les moyens pour éviter la réinscription de ces comptes.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Les influenceurs, c'est vrai que c'est des actions qui paraissent un peu louables, mais ces influenceurs, parfois ils font effectivement des choses répréhensibles, des arnaques, peut-être plus grave on l'a vu effectivement avec une affaire dont on a parlé beaucoup la semaine dernière, et face à ça il y en a certains qui se font un peu justice eux-mêmes. Je vais vous parler d'un rappeur que vous connaissez peut-être, Booba, il s'est fixé comme mission de dénoncer les agissements de ces influenceurs qu'il appelle des influx-voleurs. Dénoncer, ce n'est pas harceler, dit Booba, et pourtant là aussi on lâche les meutes, on lâche la meute forcément quand on, comme ça, pointe du doigt les agissements de quelqu'un.
JEAN-NOËL BARROT
Puisque vous parlez des influenceurs, plutôt que de vous répondre sur Booba directement, simplement dire que le Sénat a adopté…
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
On va en parler après, effectivement, une mesure…
JEAN-NOËL BARROT
… une proposition de loi qui vient traiter les problèmes qui sont liés à 1% des influenceurs. Dans 99% des cas il n'y a pas de problème, et…
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Ceux qui vantent en gros des arnaques, des produits malveillants, etc.
JEAN-NOËL BARROT
Exactement. Ceux qui vantent, d'ailleurs volontairement ou involontairement, ceux qui sont les instruments les arnaques. Mais dans 99% des cas, les influenceurs, c'est une activité nouvelle, qui apporte un certain nombre de bénéfices aux Français, parce que…
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Donc il faut encadrer tout ça.
JEAN-NOËL BARROT
Il faut encadrer, il faut donner un statut, il faut protéger les influenceurs qui sont sur le droit chemin, sanctionner ceux qui s'en écartent, et puis faire en sorte que les Français puissent avoir confiance dans les influenceurs.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Est-ce qu’on peut se faire justice soi-même ? Je veux dire, quand effectivement on voit des agissements qui ne sont pas conformes, comme le fait Booba, mais comme d'autres, est-ce qu'on peut comme ça se dire : non, ce comportement il n’est pas normal, parce que forcément la justice va trop lentement à côté ?
JEAN-NOËL BARROT
Alors, il ne faut jamais se faire justice soi-même, c'est la raison pour laquelle on pose des cadres, de façon à ce que chacun puisse se comporter en responsabilité.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Il y a les influenceurs effectivement qui sont très suivis, qui vantent des produits. Il y a aussi d'autres comportements et d'autres sites qui ont des comportements, là, qui sont en dehors du cadre, je veux parler des sites pornographiques, accessibles aux mineurs en quelques clics, tout le monde le sait, tout le monde le constate. Il y a déjà une loi qui est en vigueur, n'importe qui malheureusement peut aujourd'hui avoir accès à des contenus interdits aux moins de 18 ans, parfois violents, en quelques clics. Les sites ne vérifient pas l'âge des utilisateurs. On continue comme ça ?
JEAN-NOËL BARROT
Vous avez raison et les enfants sont les grandes victimes de ces désordres qu'on rencontre dans la société numérique. C'est 2 millions d'enfants qui sont exposés chaque mois à des contenus pornographiques, parce que vous l'avez dit, les sites ne vérifient pas l'âge de leurs utilisateurs, alors qu'ils y sont tenus par la loi. Il y a une procédure judiciaire en cours, qui implique 5 des principaux sites. Le verdict sera rendu en juillet, et j'espère qu'il sera exemplaire. Mais pour l'avenir, je propose que nous puissions taper plus fort, plus vite, en donnant à l'ARCOM, l'Autorité de régulation de l'audiovisuel et de l'internet, le pouvoir de bloquer et de déréférencer sur les moteurs de recherche les sites pornographiques qui ne vérifieront pas l'âge de leurs utilisateurs…
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Avant une condamnation de justice, c’est l’ARCOM qui pourra bloquer ces sites ?
JEAN-NOËL BARROT
Sans passer par une condamnation de justice, de manière à ce que le blocage puisse intervenir en quelques semaines seulement.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Donc, s’il y a un signalement d’un site qui ne vérifie pas l'âge des utilisateurs, l’ARCOM peut le bloquer, pourra bloquer ?
JEAN-NOËL BARROT
L’ARCOM mettra en demeure pendant 15 jours, le site concerné, et s'il ne s'est pas mis en conformité avec la loi, alors il sera bloqué.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Et le juge interviendra a posteriori.
JEAN-NOËL BARROT
Le juge interviendra si le site fait appel pour obtenir réparation. Il y a des voies de recours qui sont prévues, mais c'est bien l'ARCOM qui, en quelques semaines, pourra ordonner le blocage du site.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Une question pour finir, Jean-Noël BARROT. Il paraît que le job de ministre ne fait plus rêver. Vous aurez 40 ans dans quelques jours, bon anniversaire d'avance, est-ce que vous vous voyez à votre poste encore comme ça, jusqu'à votre retraite et peut-être jusqu'à la fin de votre carrière, comme c'était le cas par exemple pour votre père ou encore votre grand-père ?
JEAN-NOËL BARROT
Ecoutez, je présente ce matin un projet de loi…
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Vous êtes dans l'action, là, oui.
JEAN-NOËL BARROT
… que nous allons enrichir et renforcer au Parlement…
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Mais vous vous voyez en politique tout votre vie ?
JEAN-NOËL BARROT
Vous savez…
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
C’est une vraie question l'engagement aujourd’hui.
JEAN-NOËL BARROT
J’ai eu une vie avant la politique, j'ai été enseignant et chercheur, j’y ai tiré beaucoup de plaisir, et ce que j'y ai appris, je l’ai emmené avec moi dans mon engagement politique. Ensuite mon engagement politique ne va jamais me quitter, on ne se défait pas de ses valeurs, de ses idéaux, ceci étant dit il y a beaucoup de choses, il y a beaucoup de manière de servir son pays, la politique en est une et il y en a d'autres.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Merci Jean-Noël BARROT, ministre délégué chargé du Numérique, l'invité des " 4V " ce matin. Bonne journée.
Source : Service d’information du Gouvernement, le 24 mai 2023