Texte intégral
M. le président
L'ordre du jour appelle la discussion, en application de l'article 34-1 de la Constitution, de la proposition de résolution relative à la définition d'un cap au bénéfice des écoles nationales supérieures d'architecture
(…)
M. le président
La discussion générale est close.
La parole est à Mme la ministre de la culture.
Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la culture
Comme je l'ai fait le 15 mai dernier dans le cadre du Printemps de l'évaluation, je tiens à souligner la qualité de ce travail parlementaire d'évaluation et surtout son utilité : c'est une véritable source de réflexion et d'inspiration pour nourrir mon engagement en faveur de l'enseignement d'architecture, alors que des inquiétudes légitimes se sont exprimées quant au devenir des Ensa.
Cher Alexandre Holroyd, je vous adresse un grand merci pour cet immense travail, qui s'est appuyé sur une contribution du HCERES. Ces travaux montrent que des chantiers ambitieux ont été engagés par le ministère de la culture depuis 2018, plus particulièrement – merci de l'avoir rappelé – depuis mon arrivée, il y a un an. Certes, nous héritons d'une histoire, c'est un fait, mais rappelons que, tous postes budgétaires confondus, en l'espace de quatre ans, la dépense annuelle consacrée par le ministère de la culture aux Ensa – dépenses de grands travaux incluses – est passée de 187 millions d'euros en 2019 à 233 millions en 2023. Cet effort d'investissement a été qualifié de "remarquable" par le HCERES, qui est une autorité indépendante.
Mme Sarah Legrain
C'est un niveau inférieur à celui de 2016 !
Mme Rima Abdul-Malak, ministre
Peut-être pourrions-nous nous écouter un peu plus attentivement, d'autant que mon propos ne sera pas très long. Pardon, mais cela me déconcentre. (Exclamations sur quelques bancs.)
M. Pierre Cordier
C'est comme à la cérémonie des Molières, ça va bien se passer !
M. Patrick Hetzel
Oui, comme dirait M. Darmanin, ça va bien se passer !
Mme Rima Abdul-Malak, ministre
Non, je suis à l'Assemblée, ce n'est pas la même chose. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE. – Exclamations sur quelques autres bancs.)
M. le président
S'il vous plaît, seule Mme la ministre a la parole.
Mme Rima Abdul-Malak, ministre
Tout n'est pas parfait, vous l'avez souligné. Le rapport pointe plusieurs faiblesses structurelles et la proposition de résolution formule des préconisations concernant des enjeux véritablement stratégiques : la remise à niveau des moyens alloués aux Ensa, leur degré d'autonomie, les conditions d'exercice de la tutelle, le modèle économique des écoles et la lisibilité de leur financement.
Avant de répondre sur ces points, je souhaite rappeler mon ambition pour l'architecture et pour son enseignement face aux grands enjeux de notre temps. Vous l'avez tous dit, l'architecture est porteuse de promesses de sens : solidité, utilité et beauté, pour reprendre les trois qualités – firmitas , utilitas et venustas – qui doivent être les siennes selon Vitruve. Elle nous permet de ne pas céder à une vision exclusivement fonctionnelle du bâti mais, au contraire, d'y insuffler de la beauté et de l'harmonie. L'architecture est aussi l'un des piliers de la transition écologique. Les 20 000 étudiants des Ensa sont, vous l'avez dit, les bâtisseurs de demain. Les Ensa sont donc de véritables pépinières de talents pour penser l'écologie et cette transition.
Le très bon taux d'insertion professionnelle, qui s'établit à 90 % environ, témoigne d'une formation d'excellence qui répond à de véritables besoins pour notre société. Bien loin des stéréotypes qui ont pu exister, l'architecte est désormais une figure de terrain : il est associé aux grands débats contemporains, prêt à travailler avec toutes les forces vives, en première ligne pour innover et apporter des solutions concrètes aux défis de notre temps.
Dans le cadre du programme Engagés pour la qualité du logement de demain, que nous avons lancé avec le ministère chargé de la ville et du logement, près d'une centaine de projets très concrets se fixent de telles ambitions. Je pense par exemple à l'aménagement de foyers de travailleurs migrants à Rosny-sous-Bois.
J'en viens aux différents points que vous avez abordés dans la proposition de résolution et dans vos interventions.
Commençons par les moyens. À l'été 2022, lors de ma première négociation budgétaire, j'ai obtenu une hausse inédite, de 20 %, des moyens alloués à l'enseignement de l'architecture, effort qui s'est ajouté aux 57 millions d'euros du plan de relance investis dans la rénovation des écoles. Ma collègue Sylvie Retailleau, ministre de l'enseignement supérieure et de la recherche, et moi-même avons en outre consenti un effort sur l'année universitaire 2022-2023 : il s'agit au total de vingt-cinq postes supplémentaires, soit, en moyenne, plus d'un poste par école. Vous l'avez rappelé également, j'ai débloqué une aide exceptionnelle de 3 millions d'euros consacrée à l'amélioration immédiate de la vie étudiante.
Vous avez mentionné, madame Legrain, la question de la précarité. Rappelons que les mesures historiques prises en faveur des boursiers concerneront bien évidemment les écoles d'architecture : les 5 000 boursiers qui y étudient percevront 37 euros de plus par mois, et 700 d'entre eux passeront à l'échelon de bourse supérieur.
Il subsiste effectivement des différences assez injustifiées dans les moyens alloués à chaque école. C'est le produit de l'histoire : chaque école a son passé, son identité, sa spécificité. Je souhaite vraiment m'engager à ce qu'il y ait un effort de convergence entre les vingt écoles, pour en finir avec ces écarts de dotations qui ne sont pas toujours clairs, de sorte que chaque étudiant ou étudiante, quelle que soit son école, bénéficie de moyens publics équivalents.
Plus globalement, nous devons travailler, en lien avec les autres ministères concernés, à une trajectoire pluriannuelle des ressources et des moyens. Bien évidemment, le ministère de la culture ne traite pas seul ce sujet ; vous m'y aiderez lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2024.
M. le président
Chers collègues, s'il vous plaît…
Mme Rima Abdul-Malak, ministre
Madame Arrighi et monsieur Peu, les enseignants contractuels sont au nombre de 690. J'ai défendu et obtenu une augmentation de leur rémunération, de 113 euros net par mois, qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2023. Cette hausse avait été actée dans le budget.
Le budget des écoles est en effet présenté de façon consolidée, de même que pour les écoles d'art et les universités. Je comprends votre souhait d'une lisibilité accrue. Bien sûr, les données budgétaires détaillées par école peuvent être fournies à tout moment au Parlement, à sa demande. En tout cas, je veux m'engager à améliorer la traçabilité des actions immobilières, des postes et des dotations ; c'est aussi le sens de la convergence que j'ai évoquée à l'instant. Je m'assurerai que le Parlement dispose, dans la rubrique "justification au premier euro" du PAP pour 2024, de la ventilation budgétaire prévisionnelle détaillée pour chaque école. Nous vous devons plus de lisibilité.
S'agissant du modèle financier, je tiens à rappeler devant vous mon attachement profond au financement public des Ensa. C'est une garantie du statut des personnels et de leur indépendance pédagogique et scientifique. Cela ne doit pas empêcher ces établissements de dégager d'autres moyens financiers, qui peuvent d'ailleurs provenir d'autres budgets publics. Ainsi, les vingt écoles se regroupent pour présenter une candidature commune dans le cadre du plan d'investissement France 2030. Le projet est excellent, et j'ai bon espoir qu'il aboutisse. Les écoles peuvent aussi dégager des ressources propres par d'autres moyens.
Il est proposé d'augmenter les droits d'inscription pour les étudiants étrangers. Précisons que ceux-ci sont assez peu nombreux : 2 ou 3 % des effectifs. Il est un peu tôt pour me prononcer ; je souhaite au préalable analyser le retour d'expérience des mesures appliquées à l'université. Il convient à la fois de ne pas pénaliser des étudiants précaires et d'inciter les Ensa à accueillir de futurs architectes étrangers. Il y a là un enjeu d'attractivité pour notre pays.
Le développement des ressources peut aussi passer par une mutualisation des moyens entre certaines écoles. Je veux également développer l'apprentissage. Le ministère travaille d'ores et déjà à la création d'un régime d'heures complémentaires pour les enseignants afin de les inciter à développer la formation continue.
L'implication des collectivités territoriales est déjà une réalité, et nous pouvons nous en réjouir. Le président de la région ou de la métropole où est implantée une Ensa est déjà membre de droit de son conseil d'administration. Les collectivités sont en général engagées dans les opérations de travaux et les opérations immobilières. C'est le cas, par exemple, à Toulouse, à Marseille et à La Réunion. Nous allons répliquer ce modèle pour l'Ensa Paris-La Villette. Bien sûr, le ministère est prêt, au cas par cas, à discuter avec les collectivités intéressées pour revoir avec elles leur niveau d'engagement, si elles le peuvent, notamment dans les opérations immobilières, dans la création de formations adaptées, dans le développement de la formation continue et de l'apprentissage.
Je comprends parfaitement que vous ayez pointé l'enjeu de l'autonomie. Néanmoins, soyons lucides : nous ne ferons pas en quelques mois pour les Ensa ce que nous avons mis des années à faire pour les universités. Cela dit, je suis favorable à une plus grande autonomie de ces écoles ; c'est le sens de l'histoire. La première étape consistera à expertiser le transfert aux Ensa de la gestion de certains personnels.
Je suis également favorable au rapprochement des Ensa avec les universités, chaque fois que c'est possible. La moitié des Ensa font partie d'un regroupement universitaire, et le quart d'entre elles, d'un EPE. Lorsque je me suis rendue à Champs-sur-Marne, à l'École d'architecture de la ville et des territoires Paris-Est, établissement-composante de l'EPE université Gustave-Eiffel, j'ai pu constater les effets décisifs d'un tel regroupement dans plusieurs domaines : le contenu des enseignements, les opportunités offertes aux étudiants, le développement des activités de recherche, la pluridisciplinarité, la mutualisation de certains moyens, l'amélioration de la vie étudiante. Je trouve donc que ces pistes sont particulièrement stimulantes.
Concernant les conditions d'exercice de la cotutelle de mon ministère et de celui de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, ma collègue, Sylvie Retailleau, et moi-même sommes très attachées à l'enseignement de l'architecture. C'est grâce au travail commun de nos deux ministères que nous avons pu augmenter les moyens humains dès cette année universitaire. Je souhaite continuer de transformer la tutelle du ministère de la culture pour la rendre plus stratégique, plus agile et, surtout, plus proche des écoles, avec un suivi plus fin des situations locales.
Plus largement, je me suis engagée à réactualiser la stratégie nationale pour l'architecture, qui date de 2015, dans laquelle tous ces travaux trouveront une traduction concrète. C'est la priorité que j'ai donnée à la nouvelle directrice de l'architecture, Hélène Fernandez, qui vient de prendre ses fonctions. Elle a entamé des consultations avec l'ensemble des acteurs – étudiants, enseignants, professionnels, directions – et, bien sûr, avec les autres ministères concernés. Elle a aussi entamé un tour de France de toutes les écoles.
La nouvelle stratégie nationale de l'architecture devra prendre en compte les enjeux du développement durable et la réhabilitation des bâtiments existants, puisque les architectes, demain, n'auront pas à construire du neuf, mais à réhabiliter l'existant. Elle devra aussi faire évoluer la formation dispensée dans les écoles, à l'heure de la diversification des métiers de l'architecture et du développement du numérique. Il s'agit, au fond, de faire de l'architecture une priorité de l'action publique, une réponse aux défis de notre temps.
Mme Christine Arrighi
Donnez-leur des moyens, c'est tout ce dont elles ont besoin !
Mme Rima Abdul-Malak, ministre
"L'architecture est l'installation de la vie par une matière disposée avec bienveillance", écrivait l'architecte Philippe Madec, l'un des architectes pionniers en matière de transition écologique, qu'il a appelée "la frugalité heureuse et créative". Votre mobilisation, tous groupes confondus, nous promet toute l'attention et toute la bienveillance nécessaires pour projeter un avenir meilleur pour les écoles d'architecture et, à travers elles, pour la qualité de nos espaces de vie, de nos villes et de nos paysages. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR.)
source https://www.assemblee-nationale.fr, le