Texte intégral
Mme Catherine Deroche, présidente. - Mes chers collègues, nous recevons M. Gabriel Attal, ministre délégué chargé des comptes publics.
Je vous précise que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.
Monsieur le ministre, le Sénat est saisi du premier projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale (Placss), portant sur l'exercice 2022.
Comme vous le savez, cette catégorie de loi a été créée par la loi organique du 14 mars 2022, qui reprenait sur ce point une disposition figurant dans la proposition de loi organique déposée par Jean-Marie Vanlerenberghe et cosignée par plusieurs de ses collègues, dont moi-même.
Comme pour les lois de règlement du budget de l'État, les Placss ont pour objet de distinguer le temps de la reddition des comptes et du contrôle de l'exécution et de la performance et le temps de la prospective et de la réforme, incarnée par les PLFSS de fin d'année.
Elles donnent donc au Parlement un espace - dont il devra s'emparer au fil des ans - afin de se pencher sur le passé, de voir si ce qu'il a voté a été correctement exécuté et d'en tirer les conséquences politiques.
Je relève, à cet égard, que l'Assemblée nationale a rejeté en première lecture ce projet de loi.
Outre les travaux de la rapporteure générale, la commission des affaires sociales et la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (MECSS) organiseront des auditions plénières dans ce cadre.
Monsieur le ministre, je vais vous laisser la parole pour un propos introductif. La rapporteure générale, Élisabeth Doineau, et les autres commissaires, notamment les rapporteurs de branche qui le souhaiteront, vous interrogeront par la suite.
Monsieur le Ministre, vous avez la parole.
M. Gabriel Attal, ministre délégué chargé des comptes publics. - Merci Madame la présidente.
Madame la rapporteure générale, Mesdames et Messieurs les rapporteurs, Mesdames et Messieurs les sénateurs, je tiens à souligner le caractère inédit de cette audition organisée dans le cadre de la nouvelle loi financière voulue par la révision organique de 2022.
Je forme avec vous le voeu que ces débats permettent d'enrichir le temps consacré à l'évaluation des comptes de l'exercice clos, tant sur le champ de l'État que de la sécurité sociale. Je répète ce que j'ai dit à l'Assemblée nationale sur ce texte comme sur le projet de loi de règlement de l'État. Il me semble que c'est un texte et un support très utiles pour une évaluation partagée, pour que nous puissions rendre des comptes sur l'exécution des budgets, mais il ne s'agit que d'une photographie des comptes exécutés l'année passée, comme un compte administratif.
Je fais partie des quelques membres du gouvernement qui sont également élus locaux. Je suis conseiller municipal d'opposition dans ma commune depuis dix ans mais cela finira peut-être par changer. J'assistais vendredi soir au conseil municipal au cours duquel le compte administratif de la commune nous a été présenté. Alors même que je n'avais pas voté le budget présenté par la majorité municipale, j'ai voté le compte administratif et je n'ai pas de souvenir d'une année où j'aie voté contre un compte administratif, puisqu'il ne s'agit que d'une photographie. Il en va de même pour ce texte. J'ai malheureusement constaté à l'Assemblée nationale que l'ensemble des oppositions ont voulu faire échec à ce texte, comme au projet de loi de règlement, au motif qu'elles sont en désaccord avec la politique gouvernementale. C'est évidemment très sain qu'il y ait des désaccords avec la politique gouvernementale, c'est la raison pour laquelle il y a des votes sur les textes budgétaires ou sur des motions de censure, mais il ne s'agit que d'une photographie de l'année précédente. On ne peut pas changer le passé, on peut s'en inspirer pour essayer de changer l'avenir, mais voter contre ce texte par principe ne me semble pas utile pour le pays.
Ce projet de loi donne une image sincère des comptes de la sécurité sociale. Trois branches sur cinq sont excédentaires : la branche autonomie affiche, pour sa deuxième année d'existence, un excédent de 200 millions d'euros ; la branche famille un excédent de 1,9 milliard d'euros ; la branche accidents du travail et maladies professionnelles un excédent 1,7 milliard d'euros. Cependant, les comptes de la sécurité sociale et du Fonds de solidarité vieillesse restent globalement déficitaires de 19,6 milliards d'euros car les deux principales branches sont en déficit, la maladie pour 21 milliards d'euros et les retraites pour 3,8 milliards d'euros.
Le déficit de la branche maladie tend à se résorber, même s'il reste élevé, notamment en raison des dépenses liées à la crise sanitaire qui ont atteint 11,7 milliards d'euros en 2022 et qui ont permis de financer la poursuite, en début d'année, des tests de dépistage et des campagnes de vaccination.
La situation de la branche vieillesse s'est dégradée par rapport à 2021 mais améliorée par rapport à 2020. C'est parce que la trajectoire de la branche n'était pas soutenable que nous avons porté une réforme des retraites qui permettra au système de revenir progressivement à l'équilibre.
Par rapport à 2021, le déficit de la sécurité sociale s'est réduit de 4,6 milliards d'euros. Outre les moindres dépenses de crise, cette amélioration est largement le fruit de nos politiques économiques, qui ont permis la création de 1,7 million d'emplois depuis 2017, dont 337 000 en 2022. Ces 337 000 emplois représentent 5 milliards d'euros de cotisations en plus par an pour la sécurité sociale, 5 milliards en plus pour nos hôpitaux, pour nos crèches, pour nos établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).
Combinées aux hausses de salaire, ces créations d'emplois ont permis une croissance de la masse salariale de 8,9% en 2022. Au total, les recettes de la sécurité sociale, y compris la fiscalité affectée, ont progressé de 5,4 %.
Toutes les créations d'emplois depuis 2017 représentent 25 milliards d'euros de cotisations supplémentaires pour la sécurité sociale. Si nous n'avions pas favorisé la création de ce 1,7 million d'emplois, la sécurité sociale enregistrerait un déficit supplémentaire de 25 milliards d'euros.
J'ajoute que, pour la troisième année consécutive, l'État n'est plus débiteur mais créancier de la sécurité sociale, à hauteur de 100 millions d'euros, alors qu'il avait accumulé au cours de la décennie passée des dettes s'élevant jusqu'au milliard d'euros. C'est aussi un progrès pour la transparence de nos comptes dans les relations financières entre l'État et la sécurité sociale.
En 2022, la sécurité sociale a également continué à rembourser ses dettes à travers la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), qui a amorti 19 milliards d'euros et va continuer à les rembourser jusqu'en 2033, date de son extinction prévue par la loi organique du 7 août 2020.
Nous prenons par ailleurs acte du refus de la Cour des comptes de certifier les comptes 2022 de la branche famille. Ce n'est pas le premier refus de certification, il y en a eu huit depuis 2006, dont deux sur la branche famille, mais nous prenons les observations de la Cour très au sérieux et nous nous mobilisons sans attendre pour y répondre.
La majorité des erreurs de calcul soulignées par la Cour concernent le revenu de solidarité active (RSA) et la prime d'activité. Nous avons pour priorité d'en fiabiliser la liquidation avec l'usage du dispositif ressources mensuelles (DRM), qui sera généralisé d'ici début 2025. Les caisses d'allocations familiales (Caf) disposeront d'informations fiabilisées, ce qui réduira drastiquement les cas d'erreur de calcul. Je souligne également que, sans attendre 2025, dès juillet prochain, le montant net social que doivent déclarer les allocataires sera inscrit sur les bulletins de paie, ce qui permettra de réduire les erreurs de bonne foi.
Enfin, je ne pourrais conclure sans confirmer l'intention du Gouvernement de mener une lutte inlassable et implacable contre toutes les fraudes aux finances publiques. En matière de fraude sociale, je viens d'annoncer un plan complet, avec un arsenal de mesures pour lutter contre le travail non déclaré, la fraude aux prestations de santé et la fraude aux prestations sociales.
En 2022, nous avons obtenu des résultats historiques dans la lutte contre la fraude, avec 50% de redressement en plus en cinq ans dans les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf) au titre du travail dissimulé, 30% de préjudice détecté et évité par l'assurance maladie en plus, comme pour les caisses Caf et les caisses de retraite.
En matière fiscale, les mises en recouvrement par la direction générale des finances publiques ont atteint 14,6 milliards d'euros, un montant historique, mais nous pouvons et nous allons faire mieux, parce que notre modèle social est aussi porteur d'une exigence de justice, afin que le prélèvement dû soit bien acquitté et que les prestations dues soient versées aux bonnes personnes.
Mesdames et Messieurs les sénateurs, financer notre modèle social par le travail, c'est le choix que nous assumons depuis 2017. C'est la condition essentielle pour assurer sa pérennité. Je vous remercie.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Merci Monsieur le ministre pour ce propos liminaire, je ne doute pas que nous éclaircirons plus avant ces éléments.
Vous avez comparé ce nouvel exercice à une photographie, comme le compte administratif est la photographie d'un budget exécuté. En filant la métaphore, je dirais que tout dépend de la façon dont nous réglons l'appareil.
La photographie peut être appréciée de différentes façons. Vous avez quelques éléments de satisfaction, que nous pouvons partager. Certains considéreront que la photographie est un peu floue et qu'il est peut-être nécessaire de poursuivre les réglages. Nous inaugurons un nouvel exercice, plein de promesses, et nous attendons qu'elles soient à la hauteur de nos attentes.
La Cour des comptes a refusé de certifier les comptes de la branche famille, en pointant une augmentation substantielle de la proportion de paiements erronés. Quelle a été votre réaction quand vous avez eu connaissance de ce refus ? Votre plan de lutte contre la fraude vous permettra-t-il d'éviter un tel refus au cours des prochaines années ? Prévoyez-vous des actions spécifiques pour réduire les erreurs ?
Dans son dernier rapport, la Cour des comptes recommande d'avancer de quinze jours la production des comptes sociaux. Je suis favorable à cette proposition qui nous laisserait plus de temps pour apprécier les informations qui nous sont communiquées. Cette anticipation vous semble-t-elle possible ?
Par ailleurs, je trouve que la photographie est un peu floue et j'ai besoin de confirmations. La Cour des comptes estime que l'annexe 6 du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) 2023 relative aux établissements de santé n'est pas conforme aux exigences de la loi organique. En effet, elle n'indique pas les dotations dont ils bénéficient, leur répartition par région et l'évolution prévisionnelle de leur dette. Pouvez-vous me confirmer que dans le prochain PLFSS cette annexe sera mise en conformité avec les exigences de la loi organique ? Dans le cadre des rapports d'évaluation des politiques de sécurité sociale (Repss), la plupart des indicateurs s'arrêtent en 2020 ou en 2021, ce qui est paradoxal dans une loi d'approbation des comptes 2022. Je comprends que cette actualisation a pu être difficile mais pouvez-vous confirmer que ces rapports seront à jour dans les prochaines lois d'approbation ?
Enfin, la loi organique prévoit que l'annexe 2 du Placss relative aux niches sociales propose une évaluation de l'efficacité de ces niches, un tiers devant faire l'objet d'une évaluation tous les trois ans. Or, cette annexe ne comporte aucune évaluation. La loi organique n'est donc pas respectée. Comme nous sommes dans le cadre d'un premier exercice, il s'agit sans doute d'un incident isolé. Pouvez-vous confirmer que cette disposition organique sera respectée pour les prochains Placss et qu'un tiers des niches sera évalué ?
M. Olivier Henno, rapporteur pour la branche famille. - Votre comparaison avec les comptes administratifs des collectivités territoriales est très juste. C'est une photographie d'une bonne exécution. Pour autant, quand nous discutons de ces comptes financiers, il nous arrive régulièrement d'aborder le présent et le futur.
La non-certification des comptes de la branche famille n'est pas anodine. Envisagez-vous de prendre des mesures concrètes, notamment en matière de ressources humaines, pour que cette situation ne se reproduise plus ? Quelles actions envisagez-vous en termes d'organisation des Caf pour éviter les erreurs de distribution des prestations ?
La Première ministre a évoqué en séance la création de 200 000 places de crèche. Même si les comptes de la branche famille sont aujourd'hui excédentaires, comment envisagez-vous le financement du plan du service public de la petite enfance dans les années à venir ?
Enfin, nous sommes au milieu de l'année 2023. Si l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) devait être révisé, proposeriez-vous le même taux que celui que nous avons voté dans le PLFSS ?
M. Philippe Mouiller, rapporteur pour la branche autonomie. - Vous avez évoqué un excédent de 200 millions d'euros de la branche autonomie alors que les prévisions annonçaient un déficit de 500 millions. Ce résultat s'explique par des recettes supplémentaires mais aussi par une progression des dépenses moins forte qu'attendu, de l'ordre de 200 millions d'euros, dans un contexte d'insatisfaction du personnel du secteur médico-social en raison du manque de moyens alloués à cette branche. Si nous nous réjouissons des recettes supplémentaires, nous nous inquiétons de la non-consommation des moyens inscrits au budget, alors que les besoins sur le terrain sont criants. Quelle est votre position par rapport à cette situation ?
Par ailleurs, nous ne disposons pas de chiffres précis sur la revalorisation salariale dans le secteur médico-social. Enfin, le nouveau service à domicile a été mis en place, avec une compensation de l'État aux départements, avec l'instauration du tarif plancher national. Ce volet a-t-il généré des économies ?
Mme Corinne Imbert, rapporteure pour la branche assurance maladie. - La branche maladie a enregistré, vous l'avez rappelé, un déficit de 21 milliards d'euros, soit le montant du déficit total de la sécurité sociale.
L'Ondam 2022 affiche un dépassement de 10,4 milliards d'euros par rapport à la prévision initiale. Ce dépassement ne s'explique pas uniquement par la crise sanitaire.
Même si cette audition porte sur les comptes 2022, je souhaite parler de 2023 et de l'avenir.
Pour 2023, dans son avis du 7 juin, le comité d'alerte appelle à une " grande vigilance ", sans pour autant tirer la sonnette d'alarme. Comment anticipez-vous la trajectoire 2023 ? Préparez-vous des mesures d'économie pour tenir cette trajectoire ?
L'Ondam s'élève à environ 250 milliards d'euros et ne semble plus pilotable, même si le directeur de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam), que nous avons auditionné ce matin, considère qu'il l'est encore. Cependant, il n'est pas à même de rendre compte au législateur des actes effectifs de dépenses et des choix politiques du gouvernement, encore moins de les arbitrer. Quand disposerons-nous d'un Ondam utile, avec un découpage plus fin des dépenses ? Les missions du budget général sont votées une par une, alors que leur montant est bien souvent inférieur aux montants des sous-objectifs en dépenses de l'Ondam. Je pense qu'il n'est plus tenable de voter 250 milliards d'euros de dépenses en seule fois.
Le dynamisme des dépenses de médicaments est mis en avant dans une annexe du Placss. Sans régulation, ces dépenses ont augmenté de plus de 9,6% en 2022 et de 4,1% avec régulation. Le montant de la clause de sauvegarde augmente très fortement et dépasse 1 milliard d'euros, pour une prévision de 125 millions d'euros. Comment expliquez-vous cet écart entre l'étude d'impact et l'exécution ? Quelle doit être la place de cette clause de sauvegarde dans la régulation des dépenses de médicaments, clause que les laboratoires qualifient de fiscalité ? Elle tend à rattraper voire dépasser les mécanismes conventionnels puisque le PLFSS demande un effort de 1 milliard d'euros aux laboratoires avec des baisses de prix. Les industriels dénoncent cette évolution. Comment la jugez-vous ?
Par ailleurs, plusieurs facteurs tendent à faire croître structurellement les dépenses de produits de santé, comme des innovations, avec des prix très élevés exigés par certains laboratoires, le vieillissement de la population, le développement des maladies chroniques. De quelle manière le gouvernement envisage-t-il de maîtriser dans les prochaines années la croissance des dépenses de produits de santé ? Sur quels produits faut-il prioritairement faire porter l'effort ?
Enfin, on parle beaucoup des pénuries de médicaments et du prix très bas des médicaments anciens. Pour autant, le comité économique des produits de santé (CEPS), lors de son audition par la commission d'enquête sur la pénurie de médicaments, nous a dit qu'il allait continuer à proposer une baisse de prix, dans le cadre de l'élaboration du PLFSS, sur les médicaments anciens. Je crains que cette baisse de prix nourrisse les pénuries.
M. Gabriel Attal, ministre délégué. - Je vous remercie pour vos nombreuses questions, qui montrent l'utilité de cet exercice à ce moment de l'année.
Sur le refus de certification des comptes de la branche famille, je rappelle que la Cour des comptes ne remet pas en cause leur sincérité, la branche a bien dégagé un excédent de 1,9 milliard d'euros. Par ailleurs, ce n'est pas le premier refus de certification, les derniers quinquennats ont en connu. Enfin, ce n'est évidemment pas satisfaisant. Je n'ai pas été très content quand j'ai appris la nouvelle. Ce refus de certification est lié à plusieurs milliards d'euros d'erreurs. Des personnes reçoivent des prestations auxquelles elles n'ont pas le droit et d'autres, qui auraient droit à des prestations, ne les reçoivent pas. Comme nous sommes tous attachés à notre modèle social, nous ne pouvons pas nous satisfaire d'une telle situation.
Nous y répondons avec des mesures du plan fraude et facilitant l'accès aux droits. Le pré-remplissage des déclarations de ressources pour le RSA et la prime d'activité, avec le DRM (dispositif ressources mensuelles), constituera un vrai progrès. C'est la première brique du versement à la source voulu par le président de la République et annoncé dans la campagne présidentielle. Notre objectif est de verser directement aux Français les aides auxquelles ils ont droit. Dès lors que nous connaissons leurs ressources pour prélever les impôts, nous devons être capables de déterminer les aides auxquelles ils ont droit. Je souhaite que le DRM soit généralisé le 1er janvier 2025 et nous le testerons dès cette année dans plusieurs départements.
Nous créerons également dans les caisses de sécurité sociale 1 000 emplois dans les cinq prochaines années, notamment pour lutter contre la fraude, et nous investirons un milliard d'euros dans les systèmes d'information, certains étant vraiment très vétustes. Par exemple, les Caf ne peuvent pas recouvrer les indus frauduleux au-delà de deux ans. Je souhaite qu'elles puissent remonter cinq ans en arrière.
Vous m'avez interrogé sur le calendrier et notre capacité à l'avancer de 15 jours. Un groupe de travail coordonné par la direction de la sécurité sociale (DSS), associant la Cour des comptes et les organismes, s'est réuni fin 2022 pour étudier l'avancement du 15 avril au 31 mars de la production des comptes. Il a conclu qu'un tel mouvement faisait peser un risque sur la fiabilisation des données. Pour poursuivre sur l'image de la photographie, une photo retirée trop tôt du produit dans lequel elle baigne pour révéler l'image n'est pas claire. En revanche, je pense que nous pouvons améliorer la transmission des documents à la commission des comptes de la sécurité sociale, qui arrivent la veille de la réunion. Le délai est aussi lié à la date à laquelle ces comptes sont présentés en Conseil des ministres et il serait préférable de fixer une date de réunion de la commission éloignée de celle du Conseil des ministres.
Sur l'annexe 2 du Placss, comme nous nous y sommes engagés sur l'évaluation des niches sociales, nous publions le rapport de l'inspection générale des services (Igas) et de l'inspection générale des finances (IGF), qui formule des recommandations pour la méthodologie et la gouvernance de l'évaluation de ces niches. Nous allons par exemple associer France Stratégie au pilotage d'un comité d'évaluation sur les principales niches sociales, qui associera des experts indépendants et qui remettra des rapports publics, qui enrichiront les débats parlementaires. Ces évaluations suivront le rythme prévu par la loi organique, c'est-à-dire une évaluation des niches tous les trois ans.
Sur les indicateurs des Repss qui s'arrêtent en 2020 ou en 2021, les chiffres sont issus des comptes clos et beaucoup de sources statistiques ne sont disponibles qu'après le mois de mai, notamment les comptes de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Les comptes de la santé de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) ne sont disponibles qu'en septembre et le " Panorama des établissements de santé " et le document " Retraites et retraités " en fin d'année. C'est la raison pour laquelle il existe un décalage. Nous verrons dans quelle mesure nous serons capables, dans le cadre des Placss, de disposer de données de manière anticipées. J'ai dû présenter à l'Assemblée nationale un amendement au Placss en première lecture pour actualiser le taux de croissance constaté en 2022. Je pense que l'édition de mai 2024 présentera des améliorations.
Le projet de loi sur la programmation des finances publiques (LPFP) prévoit une provision de 900 millions d'euros à l'horizon 2027 pour financer le service public de la petite enfance. Ce financement a vocation à permettre la création d'un nombre très important de places de crèche supplémentaires et éviter la suppression de certaines places. En effet, nous n'atteignons pas nos objectifs en termes de nombre de places car elles sont insuffisamment financées et les professionnels sont insuffisamment rémunérés. Ces crédits doivent nous permettre de financer des revalorisations travaillées dans le cadre du comité de filière.
Sur le taux d'Ondam, je suis ministre des Comptes publics. Par définition j'aurais choisi un taux moins élevé que celui qui a été retenu par le gouvernement et par le Parlement. J'ai reçu le Comité d'alerte, qui constate des dépassements mais qui n'a pas signalé de " risque sérieux " au-delà de 0,5%, seuil qui est fixé par le décret du 20 juin 2014. En revanche, une grande vigilance est nécessaire pour respecter l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) en concrétisant les mesures d'économies prévues, en mobilisant toutes les marges d'exécution et en prenant, en tant que de besoin, certaines mesures de régulation.
La branche autonomie dégage effectivement un excédent, les dépenses progressant, comme les recettes, de 2,6 milliards d'euros. C'est pourquoi l'excédent reste stable à 200 millions d'euros, pour des dépenses de 35 milliards d'euros, en hausse de 10 milliards par rapport au précédent quinquennat.
Pour répondre à Madame Imbert sur les dépassements, je précise que l'essentiel de ces dépassements est lié aux indemnités journalières et à l'explosion des arrêts maladie de 7,9%. J'avais introduit dans le PLFSS une disposition, malheureusement censurée par le Conseil constitutionnel, sur la prescription d'arrêts maladie par téléconsultation. Il suffit aujourd'hui d'ouvrir un réseau social ou un article de presse pour constater combien il est facile de se procurer un arrêt maladie. Un article récent du Parisien expliquait comment l'obtenir en 10 minutes pour 10 euros sur Snapchat. Certains groupes privés développent des offres par abonnement à 11 euros par mois, avec des téléconsultations illimitées permettant d'obtenir un arrêt maladie. Ces pratiques explosent et nous devons y être très attentifs car les indemnités journalières représentent 15 milliards d'euros par an. Si la tendance actuelle se poursuit, elles atteindront 23 milliards d'euros en 2027. J'espère que nous trouverons une solution sur les téléconsultations, sans attendre la nouvelle campagne de contrôle que j'ai annoncée dans le plan fraude sur la prescription des arrêts maladie. Nous regarderons les professionnels qui prescrivent le plus d'arrêts, nous serons attentifs aux faux arrêts du lundi ou du vendredi et nous examinerons les arrêts sans prescription de soins ou de médicaments.
La clause de sauvegarde est un mécanisme ancien, qui date de 1999. Je pense que plus nous mettrons en place des mesures d'économies intelligentes (baisse des prix des médicaments anciens pour financer l'innovation, réduction des surdosages, favoriser les biosimilaires et les génériques, responsabilisation des prescripteurs et des assurés), moins nous aurons besoin de ce dispositif. Certaines franchises n'ont par exemple pas évolué depuis 2004. Nous débattrons prochainement de toutes ces questions.
En 2022, nous avons procédé à environ 1 milliard d'euros de régulation sur les médicaments et les dispositifs médicaux. À l'échelle des dépenses, cette régulation correspond à la maîtrise du tendanciel et non à une amputation massive de nos dépenses. Si nous n'avions pas réalisé ces économies, nous aurions dû prélever davantage au titre de la clause de sauvegarde. Je rappelle que cette clause est plafonnée entre 50 et 70% des dépassements. Par ailleurs, les entreprises qui contractent une convention avec le CEPS sur des remises sont exonérées de clause de sauvegarde et il n'est pas question de modifier ce dispositif.
Enfin, les questions sur le pilotage de l'Ondam et sur un vote par sous-objectifs peuvent se poser. Néanmoins, les débats sont nourris au moment de l'examen du PLFSS et le Placss nous permet également de creuser certains sujets.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Merci Monsieur le ministre. Je donne la parole à nos collègues pour une deuxième série de questions.
M. Bernard Jomier. - C'est la première fois que nous débattons de la Lacss. Votre exposé liminaire était très politique. La loi organique a modifié le processus d'adoption des comptes sociaux pour permettre à la représentation nationale de mieux les apprécier. Si vous considérez que le Placss se limite à un compte administratif, nous pouvons mettre en avant la non-certification des comptes de la branche famille pour refuser de l'approuver. C'est pour moi un temps d'échange sur l'évolution des comptes sociaux. Je considère que la réforme n'a pas répondu à la question fondamentale du pilotage. Par exemple, nous ne fixons pas d'objectifs de santé en amont des débats sur l'Ondam. 25% des Français sont fumeurs. Nous pourrions par exemple fixer un objectif de réduction du nombre de fumeurs à cinq ou dix ans. Retenons-nous l'objectif de la Suède dont le taux de fumeurs est de 10% ? Quels programmes mettons-nous en place et finançons-nous pour atteindre notre objectif ? Je peux aussi prendre l'exemple du surpoids, en augmentation constante et qui entraîne de nombreuses conséquences de santé. Quels programmes retenons-nous pour lutter contre ce surpoids ?
L'Ondam me semble déconnecté des objectifs de notre politique sociale, chaque secteur faisant pression pour préserver ses intérêts. Je n'ai pas une vision pessimiste mais l'absence de pilotage et la tendance structurelle à l'augmentation de la dépense du fait de l'évolution de la population et de ses caractéristiques donnent le sentiment que nous sommes encore dans des processus très balbutiants de production, de validation et d'évaluation de nos comptes sociaux.
M. Daniel Chasseing. - Nous sommes tous attachés à la sécurité sociale, qui est la colonne vertébrale de notre République. L'objectif de la réforme des retraites est de parvenir à un équilibre du régime en 2030.
Sur la branche maladie, il reste, malgré la prévention, beaucoup à faire. Vous avez dépensé depuis 2017 57 milliards d'euros pour le covid-19 et les salaires mais il reste le financement de l'hôpital, les investissements, l'augmentation du personnel à traiter. J'espère que le plan grand âge promis par le président de la République arrivera car les Ehpad ont besoin de plus d'infirmières et d'aides-soignantes. Je pense que l'Ondam devra augmenter de 3%
Pour équilibrer la sécurité sociale et le budget de l'État, je pense que vous disposez que de la croissance et de la création d'emplois et de la lutte accrue contre la fraude.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Vous l'avez dit monsieur le ministre, ce projet de loi est la photographie des comptes 2022 de la sécurité sociale. Nous constatons une logique d'austérité et de réduction des dépenses imposée par Bruxelles. Je rappelle que la Commission européenne ne vise que la réduction de la dépense publique de la France.
Nous sommes évidemment contre toutes les fraudes. Vous avez décidé de faire de la fraude sociale votre principal cheval de bataille. Vous avez annoncé la création d'emplois supplémentaires alors que vous en aviez supprimé quelques milliers auparavant.
La fraude sociale est estimée à 6 ou 7 milliards d'euros et je rappelle que 70% de cette fraude correspond à la fraude aux cotisations et non à celle des plus pauvres. Une partie de la population rencontre de grandes difficultés pour accéder aux services publics. Nous rencontrons chaque jour des citoyens qui ne savent pas se servir d'internet et qui vivent la fracture numérique. Remplir une déclaration pour la Caf nécessite d'avoir un bac+20 ! Il y a aussi des citoyens de bonne foi. Je ne veux pas que vous pensiez que les plus pauvres fraudent délibérément. De nombreuses personnes sont confrontées à des difficultés parce qu'elles n'ont plus d'agents face à elles pour les aider dans leurs démarches.
Vous mettez beaucoup de coeur à lutter contre la fraude sociale. J'aimerais que vous mettiez autant d'énergie à vous battre contre la fraude fiscale, qui représente 80 milliards d'euros.
Enfin, vous avez fait des choix contre-productifs avec la réforme des retraites imposée, qui va conduire la population à travailler jusqu'à 64 ans, dans des conditions très pénibles et qui va multiplier les arrêts maladie et les accidents de travail, coûteux pour la sécurité sociale.
Vous avez abordé la téléconsultation. Elle est indispensable aux patients qui vivent dans des déserts médicaux et qui sont contraints de recourir à ce dispositif pour obtenir un arrêt de travail. Je vous assure que ces patients préféreraient consulter un médecin en face-à-face.
Votre réforme des retraites va engendrer un surcoût jusqu'en 2024 et elle ne dégagera qu'un milliard d'euros d'économies en 2025 et 1 ou 2 milliards en 2026.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Je me réjouis de la mise en oeuvre de la loi organique, pour laquelle nous avons beaucoup oeuvré au Sénat, et des échanges anticipant les débats que nous aurons dans le cadre de l'examen du PLFSS 2024.
Nous sommes dans un exercice d'approbation des comptes et nous souhaitons disposer d'une finesse de ces comptes. Le gouvernement n'a pas répondu à notre demande, indiquant qu'elle était difficile à mettre en oeuvre. Cependant, si nous disposions de comptes plus détaillés, nous pourrions les rapprocher des objectifs de santé publique fixés par le gouvernement.
Sur la fraude sociale, nous sommes réjouis que votre prédécesseur, Olivier Dussopt, ait envoyé une feuille de route à tous les organismes de sécurité sociale. Certains y ont répondu rapidement, la caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) ou la caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav), d'autres moins rapidement, comme l'Assurance maladie. Je pense qu'il y a beaucoup à gagner dans la mise en oeuvre de méthodes de ciblage sur les différents opérateurs de l'Assurance maladie. Je me souviens qu'un rapport de la Cour des comptes dénonçait 6 à 8 milliards d'euros de fraude aux cotisations sociales et que son dernier rapport fait état de 5 à 6 milliards de fraudes aux prestations. Pouvez-vous confirmer ces chiffres, qui sont très éloignés de ceux mentionnés au cours de l'élection présidentielle de 2022 ?
Enfin, vous avez, conformément à vos engagements, je vous en félicite, lancé un plan de lutte contre la fraude sociale, après celui contre la fraude fiscale. Vous suggérez de fusionner la carte nationale d'identité et la carte Vitale. Cependant, dans un rapport publié en avril 2023, l'Igas et l'IGF indiquent que le directeur général de la Cnam a fait part de très fortes réserves à ce sujet. Ce matin, il nous a dit que des investigations supplémentaires étaient nécessaires pour évaluer l'intérêt d'une telle fusion et éviter la fraude à l'identité.
J'ajoute que notre rapport sur la fraude à l'inscription des étrangers évalue son montant à 140 millions d'euros et non à 14 milliards comme certains le laissaient entendre.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Je ne partage pas, Monsieur le ministre, votre appréciation selon laquelle nous n'avons d'autre choix que d'approuver ce compte administratif. Nous ne sommes pas commissaires aux comptes. L'évaluation est l'une des trois grandes fonctions des parlementaires. Si vous acceptez que la Cour des comptes ait refusé de certifier les comptes de la branche famille, vous devrez peut-être accepter que le Sénat n'approuve pas votre projet de loi.
Vous avez filé la métaphore de la photographie. Je regarde plutôt ce qui n'est pas sur la photo !
Comme l'a déjà dit la rapporteure générale, le projet de loi de comporte pas l'évaluation d'un tiers des niches sociales.
Vous avez beaucoup insisté sur le caractère technique de ce Placss mais votre discours était très politique. Nous aurons nous aussi une approche politique au moment de discuter ce projet de loi. Vous avez affirmé que vous aviez créé de nombreux emplois. Je note que le projet de loi sur le pouvoir d'achat a désocialisé de nombreuses primes et les heures supplémentaires et que, contrairement à ce qu'impose la loi Veil, vous ne le compensez pas. Vous avez répondu qu'il n'était pas pertinent de socialiser des cadeaux. Or, les analyses de l'Insee montrent que ces mesures se sont substituées à des hausses générales de salaire. Si nous neutralisons les effets de loi sur le pouvoir d'achat, les recettes tirées des cotisations sociales n'ont pas augmenté autant que vous l'affirmez.
Vous vous êtes félicité des excédents dégagés par les branches autonomie, famille et AT/MP. Cependant, que faites-vous pour les enfants pauvres ? Quant à l'AT/MP, doit-on vous rappeler le nombre de morts au travail et l'explosion des maladies professionnelles ?
Il serait pertinent, comme l'a dit Bernard Jomier, de réfléchir à des objectifs de santé publique et à des plans de prévention. Il n'y aura pas de maîtrise des dépenses sans politique partant des besoins et sans prévention.
Par ailleurs, je ne suis pas étonnée par le dépassement de l'Ondam, qui est sous-dimensionné, en deçà de l'inflation et de la croissance mécanique liée à transition démographique, à l'innovation médicale ou aux maladies chroniques. L'Ondam n'est donc pas fixé de manière sincère.
Enfin, vous attendez beaucoup de la solidarité à la source et je me réjouis que vous envisagiez également le versement à la source.
Mme Laurence Cohen. - Nous sommes membres de la commission des affaires sociales. Vous nous demandez d'examiner les comptes de la sécurité sociale, ce qui est normal, mais nous sommes chaque jour confrontés à des hôpitaux à bout de souffle, qui manquent de moyens. Les besoins sont pourtant connus. Nos hôpitaux subissent trois chocs. Le premier est lié à l'inflation. L'Observatoire français des conjonctures économiques anticipe une inflation de plus de 6% mais l'Ondam n'est pas aligné sur ce niveau. Le deuxième est dû à des fermetures de lits, faute de personnel, ce qui se traduit par une baisse des recettes. Enfin, les hôpitaux sont confrontés à l'explosion du prix de l'énergie.
Pourtant, vous prévoyez une évolution des dépenses beaucoup plus lente que celle des besoins. Soit vous continuez à restreindre au maximum les dépenses de santé, sans prendre en compte la réalité du terrain, soit vous changer de politique. Ce n'est malheureusement pas ce que j'ai entendu dans vos propos.
Néanmoins, je suis ravie que vous vous rendiez compte que la création d'emplois permet de faire rentrer des cotisations sociales. En effet, ma famille politique se bat depuis des années pour résorber le chômage ! Si vous arrivez sur nos propositions, c'est une bonne chose.
Je vous invite également à cesser d'exonérer de cotisations sociales les entreprises. Ces exonérations représentent 75 milliards d'euros. Vous allez répondre que vous compensez ces exonérations mais vous ne les compensez que partiellement et cet argent sort toujours des caisses de l'État. Ce n'est donc pas une bonne opération.
M. Gabriel Attal, ministre délégué - Je vous confirme que la croissance est le coeur de notre stratégie pour le financement de notre modèle social. C'est bien le travail qui crée de la richesse et pas les impôts supplémentaires. Il est même parfois nécessaire de les baisser pour qu'il y ait davantage de travail et d'activité économique dans notre pays.
Les allégements de cotisations sont quasiment intégralement compensés. Par ailleurs, sans ces allégements, les entreprises n'auraient pas créé 1,7 million d'emplois depuis 2017 et la sécurité sociale n'aurait pas perçu 25 milliards d'euros de cotisations supplémentaires. Si nous avions un taux d'emploi identique à celui de l'Allemagne, je n'aurais aucune difficulté à équilibrer les comptes publics. Or, notre taux d'emploi est inférieur de 10 points à celui de notre voisin.
Pour l'améliorer, nous disposons de deux leviers, les jeunes et les seniors. Pour les jeunes, nous travaillons sur l'apprentissage, sur la réforme de la voie professionnelle. Pour les seniors, nous avons mené la réforme des retraites, qui a surtout pour objectif, indépendamment de l'économie budgétaire, d'améliorer leur taux d'emploi. En 2010, après la réforme Fillon, nous avons constaté une amélioration de 15 points de ce taux d'emploi.
Les " primes Macron " ont représenté 4,4 milliards d'euros, qui ont été distribués à 5,5 millions de salariés. Je ne pense pas qu'on puisse les balayer d'un revers de la main. Vous avez aussi noté que l'accord national interprofessionnel signé par les partenaires sociaux il y a quelques semaines prévoit la pérennisation de la " prime Macron " désocialisée dans les entreprises de moins de 50 salariés. Ce que vous critiquez est soutenu par la CFDT, la CFE-CGC et Force Ouvrière. Nous sommes évidemment à leurs côtés.
Je tiens également à vous rappeler que je lutte contre toutes les fraudes, fiscales, sociales ou douanières. Il y a, dans le plan de lutte contre les fraudes que j'ai présenté, des mesures assez fortes sur la fraude fiscale, dont certaines sont inspirées des propositions de votre camarade Éric Bocquet, qui a participé au groupe de travail contre la fraude que j'ai piloté.
L'évaluation de la fraude sociale est compliquée. Une des mesures de mon plan est la mise en place d'un vrai Conseil d'évaluation de la fraude. C'est un enjeu démocratique car nous avons vu, à l'occasion de l'élection présidentielle, une candidate, Mme Le Pen, qui gageait l'intégralité de son programme sur la lutte contre la fraude, en annonçant des dépenses absolument somptuaires. Plus nous parviendrons à évaluer ce que recouvre la fraude dans notre pays plus les débats démocratiques à venir seront sincères et plus nous empêcherons des candidats de raconter n'importe quoi à propos de la fraude.
La fraude fiscale serait de 30 milliards d'euros selon certaines estimations, 100 milliards d'euros selon d'autres. Je souhaite que tous ceux qui travaillent sur ce sujet puissent se retrouver au sein d'une même instance pour piloter des évaluations. 30 milliards, c'est déjà beaucoup et nous en recouvrons aujourd'hui la moitié.
Sur la fraude sociale, je confirme l'ordre de grandeur évoqué sur les cotisations. La Cnaf évalue la fraude aux allocations à 2,8 milliards d'euros par an.
Sur l'assurance maladie, nous ne disposons pas encore d'évaluation fiable, mais nous y travaillons.
J'ajoute que les bénéficiaires peuvent aussi être victimes de la fraude aux prestations sociales quand leur relevé d'identité bancaire (Rib) est remplacé par un Rib frauduleux et qu'ils ne reçoivent plus leur minimum vieillesse. J'ai rendu visite à la Cnaf il y a quelques jours et on m'a présenté un nouveau dossier de fraude dans lequel 437 familles roumaines, qui ne résident pas en France, se sont inscrites à la Caf avec des fausses attestations de salariat et de fausses domiciliations, via une association. C'est un préjudice de 8 millions d'euros sur le seul département du Val de Marne !
Lutter contre la fraude ce n'est pas " faire la chasse aux pauvres ". C'est s'assurer que la solidarité nationale aille vers ceux qui en ont besoin ! C'est aussi un enjeu d'accès aux droits et je renvoie au versement à la source qui reste notre objectif.
Sur la fraude aux arrêts maladie, je précise que 80% des arrêts prescrits en téléconsultation concernent des patients en milieu urbain. Ce ne sont donc pas ceux qui sont le plus éloignés de l'accès aux soins, même si je n'ignore pas qu'il y a des déserts médicaux en ville.
Je pense que la logique consistant à fixer des objectifs de santé publique et les décliner sur le plan budgétaire est la bonne. Je ne suis pas certains qu'il nous manque des données. Les annexes du Placss comportent mille pages, nous disposons également du Ralfss (rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale), du rapport de certification de la Cour des comptes, etc. Nous avons un enjeu de sélection des bons indicateurs pour prendre les bonnes décisions.
Toujours sur la fraude, vous m'avez interrogé sur la fusion entre la carte d'identité et la carte Vitale. Ce serait un moyen de lutter contre la fraude à l'identité sur les prestations de santé. Contrairement à ce qu'a affirmé Mme Le Pen, il n'y a pas plusieurs millions de cartes Vitale surnuméraires en circulation. Le rapport Igas / IGF confirme qu'elles ont été désactivées.
Certains affirment, en utilisant le répertoire national interrégimes des bénéficiaires de l'assurance maladie (RNIAM), qu'il y aurait 73 millions d'assurés sociaux alors que nous ne sommes que 68 millions d'après le recensement. Comparer des fichiers qui n'ont rien à voir n'a pas de sens. Le recensement décompte les personnes résidant en France, alors que le fichier RNIAM comporte 1,2 million de retraités qui ont cotisé toute leur vie mais qui ne résident plus en France mais ont droit à l'assurance maladie. De même, certains expatriés n'ont plus droit à l'assurance maladie mais ils ne sont pas radiés des fichiers, pour que leurs droits soient rapidement réactivés à leur retour, comme le demandent d'ailleurs les sénateurs des Français de l'étranger.
Il y a néanmoins des personnes qui viennent sur le territoire national, se font prêter ou louent une carte Vitale, pour recevoir des soins auxquels elles n'ont pas droit. Pour résoudre ce sujet, plusieurs pistes ont été avancées, notamment au Sénat, dont celle de la carte Vitale biométrique. La mission Igas / IGF écarte cette piste. La commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) considère qu'elle ne respecterait pas les libertés individuelles, les syndicats médecins sont contre, ils militent pour la réduction des tâches administratives. Enfin, ce dispositif coûterait 250 millions d'euros par an et un certain nombre d'obstacles sont difficilement surmontables, comme l'achat de médicament pour un membre de votre famille.
La mission Igas / IGF recommande de privilégier la fusion de la carte Vitale avec la carte d'identité, en intégrant les observations de l'assurance maladie, qui doivent pouvoir être surmontées. Pour les étrangers en situation régulière, il suffira de mettre une puce sur les cartes de séjour. Pour garantir l'intégrité des données personnelles, la Cnil exige qu'il y ait deux compartiments dans la puce.
Je regrette qu'au moment où nous réfléchissons à cette évolution, de nombreuses personnes, y compris dans les administrations, expliquent que ce projet est trop ambitieux et donc impossible à mettre en oeuvre. Pourtant, plusieurs pays européens comme la Belgique, le Portugal ou la Suède fonctionnent de cette manière. Les Estoniens disposent quant à eux d'une seule carte qui intègre la carte d'identité, la carte Vitale, le permis de conduire, la carte bancaire et la carte d'électeur. Je ne m'arrêterai pas à ce type de remarques, je suis très motivé pour avancer sur ce dossier et je sais que je pourrai compter sur votre soutien.
Enfin, j'observe que la première fois dans l'histoire de notre pays, le budget de l'hôpital public dépasse 100 milliards d'euros. Ce sont des budgets dont nous aurions rêvé il y a quelques années, notamment quand je travaillais au ministère de la santé au cours d'un précédent quinquennat. Il y a bien sûr un enjeu de réforme du système, mais c'est le travail de mon collègue François Braun.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Merci Monsieur le ministre.
Source https://www.senat.fr, le 26 juin 2023