Déclaration de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, sur le premier mouvement d'entreprises qui s'engagent à soutenir des programmes destinés à améliorer la santé, l'éducation et l'accès à la culture des enfants victimes de violence, à Paris le 20 novembre 2023.

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Intervenant(s) : 
  • Bruno Le Maire - Ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

Circonstance : Lancement de la coalition d'entreprises mobilisées pour l'Enfance

Texte intégral

Madame la ministre, chère Muriel Penicaud, 
Mesdames et Messieurs les directeurs généraux, 
Professeure, chère Céline Greco,


Les familles heureuses n'ont pas d'histoire. Les familles malheureuses en ont une.

C'est cette histoire que nous voulons raconter et mettre sur le devant de la scène ce matin, pour soigner toutes celles et tous ceux qui ont vécu cette histoire, tous les enfants qui ont été victimes de violences, d'abus ou de négligences graves.

Ce n'est pas banal de traiter ces sujets, ici, au ministère de l'Economie et des Finances. Vous le devez à une personne qui a un parcours de vie exceptionnel, singulier dans une nation française qui aime les parcours fléchés, normés.

Une personne qui a su déjouer le destin. Une personne qui, malgré une apparence frêle, cache une détermination en acier trempé.

Cette personne, c'est Céline Greco, cheffe du service de médecine de la douleur et médecine palliative à l'Hôpital Necker-Enfants malades, et présidente de l'association IM-PACTES.

Ce parcours vous a notamment menée à l'Aide Sociale à l'Enfance, sans laquelle vous ne seriez probablement pas là aujourd'hui.

Vous êtes l'exemple de ce que la solidarité peut produire de mieux pour celles et ceux qui n'ont pas bénéficié des mêmes chances durant l'enfance.

C'est pour cela que nous nous unissons ce matin avec un objectif: lancer le premier mouvement d'entreprises qui s'engagent à soutenir des programmes destinés à améliorer la santé, l'éducation et l'accès à la culture des enfants victimes de violence.


1. Nous devons d'abord mettre sur le devant de la scène la réalité de ces violences

Nous ne sommes pas au XIXe siècle, nous sommes au XXIe siècle.

Nous ne sommes pas dans un roman de Charles Dickens, nous sommes dans la réalité.

Cette réalité de la France de 2023 est difficile à voir.

La première responsabilité politique, c'est de la mettre sous les yeux de nos compatriotes.

Car le constat des violences physiques, sexuelles et psychologiques sur les enfants n'a pas été assez dressé et partagé.

Nous sommes face à un non-dit de la société française, un silence.

370 000 enfants sont pris en charge par l'Aide Sociale à l'Enfance. Cela représente 2% de la génération des 0-18 ans.

Personne ne peut détourner le regard.

Personne ne peut négliger les conséquences de cette situation.

Il y a une phrase de Marguerite Duras que j'aime beaucoup. Elle est tirée d'une courte pièce de théâtre intitulée " Des journées entières dans les arbres" , où l'une des personnages, Marcelle, est justement passée par l'assistance publique. Je la cite : " Il reste toujours quelque chose de l'enfance... toujours ".

Cela vaut pour le meilleur: les découvertes, l'éveil, l'amour... Mais cela vaut aussi pour le pire: les traumatismes, les douleurs qui ne s'effaceront pas, les blocages qui ne passeront pas...

Les chiffres sont, là aussi, édifiants :

• Un enfant victime de violences perd en moyenne 20 ans d'espérance de vie s'il n'est pas pris en charge et soigné rapidement ;
• Les enfants victimes de violences ont 32 fois plus de risques de présenter des troubles de l'apprentissage et 7 fois plus de risques d'être déscolarisés ;
• Seulement 13% des jeunes de l'Aide Sociale à l'Enfance se présentent à un baccalauréat général ;
• 70% des jeunes de l'Aide Sociale à l'Enfance n'ont aucun diplôme, avec les conséquences que vous pouvez imaginer sur leur taux de chômage et d'inactivité.

Face à ces chiffres, soyons lucides : notre réponse est insuffisante. Quels que soient les efforts qui ont été engagés par le Gouvernement et, avec beaucoup de force, par la ministre Charlotte Caubel, ils traduisent un échec collectif. Echec de l'intégration, échec de la solidarité, échec de la cohésion nationale.

C'est un gâchis humain et un gâchis financier, que le ministre des Finances ne peut pas ignorer. Le coût économique de la non prise en charge à long terme des violences subies dans l'enfance est de 38 milliards de dollars par an en France. C'est considérable.

Comme dans tous les domaines, il vaut donc mieux prévenir, anticiper, et ne pas hésiter à faire les investissements nécessaires à temps, là où ils sont les plus utiles.


2. Pour cela, nous avons besoin d'associations comme IM'PACTES

L'Etat ne pourra pas tout.

Se reposer exclusivement sur l'Etat est une erreur. Il faut mobiliser toutes les forces vives de la nation, dont les associations et les entreprises.

IM'PACTES joue déjà un rôle très concret.

Pour les écoliers, avec des aides aux devoirs, l'accès à des cours de chant ou de danse et l'organisation de sorties culturelles.

On n'est pas véritablement français quand on n'a pas accès à la culture. On n'est pas totalement citoyen quand on n'a pas accès à la langue, à la mémoire, à l'histoire d'une nation.

Je le dis brutalement car, généralement, tous ceux qui n'osent pas le dire ont cette langue, cette mémoire, cette histoire. Combien d'entretiens j'ai pu faire, y compris dans mes fonctions, où, immédiatement lorsque la personne rentre dans votre pièce, à la façon dont elle marche, dont elle se présente, dont elle dit bonjour, votre jugement est déjà fait.

Pourquoi ne pas le reconnaître et donner la chance, à tous ceux qui sont passés par l'Aide Sociale à l'Enfance, que le jugement soit bon, parce que les codes et culture sont maîtrisés?

Pour les adolescents, avec du soutien scolaire, des séjours linguistiques et des stages de 3ème. Pourquoi est-ce que les stages de 3ème seraient réservés à ceux qui ont les relations?

Pour les jeunes adultes, avec des bourses d'études, des job dating ou encore l'aide au passage du permis de conduire.

J'ai l'impression, quand je vois ce qu'IMPACTES fait, de relire le parcours de mes propres enfants. Eux, à chaque étape, ont eu la chance de pouvoir surmonter les obstacles, d'être accompagnés. Pourquoi est-ce que ces chances ne seraient pas données à toutes celles et tous ceux qui ont été victimes d'abus et de violences ?

Mais votre ambition ne s'arrête pas là et vous portez de beaux projets pour l'avenir.

Il y en a un qui a retenu particulièrement mon attention. C'est la création, en Île de France, du premier centre dédié à la prise en charge de la santé somatique et psychique des enfants et des adolescents victimes de violence.

Ce centre est véritablement d'utilité publique. Vous avez tout mon soutien et j'espère que beaucoup suivront.


3. Vous avez aussi le soutien des entreprises.

Je m'adresse ici aux nombreux représentants des entreprises réunis ce matin dans cette salle : j'attends que vous vous engagiez. Je suis convaincu que vous avez une responsabilité sociétale.

Vous devez vous investir de trois façons.

D'abord, vous devez communiquer pour relayer les campagnes de prévention et sensibiliser nos compatriotes à la situation des enfants victimes de violence.

Ensuite, vous devez vous investir humainement, car c'est l'humain qui fait la différence.

Concrètement, cela passe par quatre initiatives.

Première initiative : lancer chaque année le« village des métiers », à destination des enfants protégés qui sont en fin de CM2 et au collège. Nous voulons que les entreprises puissent leur présenter les différents métiers d'avenir pour ouvrir le champ des possibles et ne pas enfermer des enfants. Le champ des possibles est infini en France et doit être ouvert à tous. C'est une chance immense d'être français.

Deuxième initiative : s'engager pour l'ouverture prioritaire des stages de 3eme aux enfants de l'Aide Sociale à l'Enfance, qui sont dépourvus de réseaux et de contacts.

Troisième initiative : accompagner, au travers d'un programme de sensibilisation, vos salariés qui souhaitent devenir mentor d'un Jeune. Cela fonctionne sur la base du volontariat, du bénévolat et d'échanges réguliers. Une rencontre peut transformer votre vie.

Quatrième initiative : se saisir de la plateforme numérique et du webinaire mis en place par IM'PACTES pour permettre à ces jeunes de trouver des stages, des alternances et des CDD. Vous devez faire vivre cette plateforme. S'y connecter doit devenir un réflexe pour tous : jeunes comme entreprises.

Ces initiatives sont dans votre intérêt car ces jeunes pourront devenir vos futurs salariés et vos futurs talents. Ils ont simplement besoin de votre confiance.

Enfin, après l'engagement dans la communication et l'engagement humain, il y a l'engagement financier. IM'PACTES et toutes les autres associations de protection de l'enfance ont besoin de dons et de mécénat pour mener à bien leur projet.

Tout cela doit nous amener à créer une véritable coalition d'entreprises engagées pour l'enfance.

Je salue les Premiers Soutiens et mécènes (Fondation Bettencourt-Schueller, lncub'asso Bouygues, Le Siècle des Femmes), les Membres Fondateurs (Accor, AXA France, BNP Paribas, Fondation Covéa, Deloitte, Kering, Engie, OKOLA, Galilée global education, Aéroport de Paris) et toutes les autres entreprises qui rejoignent et rejoindront cette coalition.

Enfin, il va de soi que la puissance publique s'engagera également. j'en suis le garant.

Le Groupe Caisse des dépôts et sa Banque des Territoires sont mobilisés. Ils déploieront prochainement une offre de financements au service des opérateurs de la protection de l'enfance, pour accompagner la réhabilitation et la construction des foyers de l'ASE. Cette offre contribuera pour partie à des besoins qui sont considérables : 1 Md€ au total.

Un mot plus personnel pour terminer, pour vous dire combien cet engagement me tient à cœur.

Cela me tient à cœur car les enfants sont l'avenir d'une nation. La nation française, qui vit en ce moment beaucoup d'épreuves, qui est travaillée par beaucoup de déchirements, beaucoup de tensions, doit avoir le courage de regarder en face où elle en est.

Elle doit se dire qu'avoir 370 000 jeunes victimes de violence, d'abus et de souffrances psychologiques est quelque chose de révoltant.

Dans le fond, on fait de la politique pour se révolter. On fait de la politique pour s'insurger.

On s'engage, en tant que membre associatif ou entrepreneur, pour ne pas laisser les choses en l'état, pour se dire que le monde tel qu'il est n'est pas acceptable.

Cela n'est pas acceptable qu'autant d'enfants continuent à souffrir dans l'une des nations les plus développées, les plus avancées, les plus cultivées au monde.

Je vous propose que nous prenions tous le problème à bras le corps.

Avec cette matinée, nous lançons une mobilisation générale pour l'Aide Sociale à l'Enfance, pour tendre la main à ceux qui, au début de leur vie, ont connu la violence et la souffrance.


Merci à toutes et à tous.


Source https://www.economie.gouv.fr, le 22 novembre 2023