Déclaration de M. Thomas Cazenave, ministre délégué, chargé des comptes publics, sur la situation des finances publiques locales, au Sénat le 21 novembre 2023.

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Circonstance : Débat au Sénat sur un rapport du Gouvernement

Texte intégral

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la commission des finances, sur le rapport sur la situation des finances publiques locales remis en application de l'article 52 de la loi organique relative aux lois de finances.

(…)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Madame la présidente, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, alors que le Congrès des maires bat son plein et que nous allons commencer l'examen du projet de loi de finances pour 2024, je suis heureux de pouvoir débattre avec vous des finances locales.

C'est d'abord pour moi l'occasion de saluer le travail des élus locaux, qui s'engagent au quotidien au service des Français. Le premier message que je veux leur communiquer, c'est qu'ils peuvent compter sur le Gouvernement pour que nous travaillions ensemble au service de l'intérêt général. J'aurai l'occasion de le leur redire dès demain, à l'occasion du Congrès des maires.

J'aimerais partager avec vous quelques faits sur la situation financière des collectivités locales, afin que nous puissions nous accorder sur un constat commun, monsieur le rapporteur général.

La Cour des comptes l'a écrit : à la fin de 2022, la situation financière des collectivités était globalement satisfaisante ; leur épargne brute s'élevait à 43 milliards d'euros, soit 9 milliards d'euros de plus qu'en 2017. Leur endettement est faible et leurs capacités de remboursement s'améliorent. Et le nombre de communes en difficulté a baissé de 23% entre 2019 et 2022.

M. Olivier Paccaud. Tout va très bien, madame la marquise !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Pourtant, je dois le dire, je suis souvent surpris de l'écart entre cette situation, objective, et les propos très alarmistes et sans nuance que j'entends parfois sur les finances locales.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Pas ici !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Je suis bien conscient de l'hétérogénéité des situations des collectivités, et je n'ignore pas que, pour certains élus, les budgets sont difficiles à boucler.

Nous devons mieux rendre compte de ces disparités. Je souhaite donc que le rapport sur les finances locales s'enrichisse d'une analyse de la diversité des situations. Cela nous aidera à construire des constats partagés et à sortir de l'idée que les chiffres sont en trompe-l'oeil et ne reflètent pas la réalité.

Au-delà de l'établissement de rapports, l'État et les collectivités doivent avoir des lieux pour échanger et bâtir des constats partagés. Ce sera tout le sens de l'action du Haut Conseil des finances publiques locales (HCFPL), que Bruno Le Maire, Dominique Faure et moi-même avons installé, avec l'ensemble des associations d'élus.

Nous ne pouvons pas laisser prospérer l'idée selon laquelle les communes seraient soumises à un " étranglement financier " de la part de l'État. La bonne santé financière en 2022 est d'abord le fruit de la gestion responsable des élus locaux ; vous l'avez dit, monsieur le rapporteur général. C'est aussi la conséquence d'une politique, constante depuis 2017, visant à soutenir les collectivités territoriales.

Nous avons ainsi compensé à l'euro près les réformes de la fiscalité locale, qui ont conduit à confier des ressources dynamiques aux collectivités. La Cour des comptes le dit, la compensation de la suppression de la taxe d'habitation et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) a permis aux collectivités de percevoir près de 6 milliards d'euros de recettes supplémentaires.

Le Parlement a également décidé en 2016 d'indexer automatiquement les bases locatives sur l'inflation, pour garantir aux élus une progression de leurs recettes. Cela contribue aujourd'hui au dynamisme des recettes des collectivités.

J'en viens à la DGF : après cinq années de baisse sous le quinquennat précédent, nous l'avons stabilisée dès 2017, puis augmentée en 2023.

M. Bruno Belin. C'est l'effet démographique mécanique !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Ce n'était pas arrivé depuis treize ans !

Nous n'avons jamais laissé les collectivités en difficulté seules face aux crises. Pendant la crise sanitaire, 10 milliards d'euros de soutien ont été accordés aux collectivités.

M. Olivier Paccaud. Et l'inflation ?

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Depuis 2022, l'État a protégé les collectivités de la hausse des prix de l'énergie, via la baisse de la fiscalité sur l'électricité, le bouclier tarifaire et l'amortisseur. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Nous avons aussi mis en place en 2022 et 2023 le filet de sécurité inflation, qui va in fine apporter une aide de 413 millions d'euros à 2 426 collectivités.

M. André Reichardt. On est loin des 25 000 !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. L'épargne brute du bloc communal à la fin du mois d'octobre continue de progresser par rapport à la même période en 2022. La situation est en revanche moins bonne pour les départements, qui sont significativement affectés par la baisse des droits de mutation à titre onéreux.

Heureusement, sur les dernières années, ces mêmes DMTO avaient très fortement augmenté : ils ont doublé en dix ans, et progressé de 25% entre 2019 et 2022. Grâce à cela, le fonds de roulement des départements était de 6,8 milliards d'euros en 2022 et leurs réserves de DMTO de près de 1 milliard d'euros.

La Première ministre a par ailleurs annoncé, à l'occasion des Assises nationales des départements de France, un soutien de 230 millions d'euros pour ceux qui sont en situation de plus grande fragilité. L'État est, et reste en soutien des collectivités locales.

Pour l'avenir, notre trajectoire de finances publiques trace un chemin qui est celui de la baisse progressive du déficit public. L'objectif est de retrouver collectivement un déficit inférieur à 3% du produit intérieur brut d'ici à 2027, comme nous avions réussi à le faire avant la crise du covid-19.

Je le dis simplement, les collectivités devront contribuer à cet effort collectif (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)…

Un sénateur du groupe Les Républicains. Et allez ! Ils vont être contents, les maires !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. … partagé avec l'État, ses opérateurs et la sécurité sociale. C'est légitime, dans la mesure où l'État a massivement protégé depuis 2020 et s'est endetté à cette fin, au bénéfice de tous : salariés, entreprises, associations, collectivités territoriales.

L'effort qui est demandé aux collectivités ne nécessite ni de couper dans les dépenses ni, comme je l'ai entendu dire par le précédent orateur, de les baisser, mais il suppose de modérer la progression des dépenses de fonctionnement.

C'est pourquoi nous devons inventer une méthode nouvelle ; j'y suis personnellement attaché. Nous pouvons identifier ensemble les économies à réaliser, qui bénéficieront à tous, État et collectivités.

Cette méthode doit évidemment associer les collectivités territoriales, ainsi que votre assemblée. Qui mieux que le Sénat pour identifier les leviers de simplification et d'économies ? Qui mieux que le Sénat pour reprendre la réflexion sur les dotations de l'État et, plus largement, sur le financement des collectivités, pour qu'elles disposent de ressources adaptées à leurs besoins tout en ayant une trajectoire de dépenses compatible avec, je le dis, l'indispensable redressement de nos finances publiques ?

Nous le savons tous, nous avons collectivement des marges de progression. Je pense au premier plan à la complexité de nos organisations, qui nous coûte cher et complique la vie des élus locaux. Je tiens ici à saluer le travail de la présidente de la délégation aux collectivités locales et à la décentralisation, Françoise Gatel.

Pour 2024, nous avons l'ambition de franchir une première étape de réduction du déficit et de maîtrise des dépenses.

Le projet de loi de finances reste, pour autant, très favorable aux collectivités. Tel qu'il a été enrichi par l'Assemblée nationale, il nous permettra de continuer à soutenir les collectivités et de les aider à réaliser les investissements nécessaires pour l'avenir. Ainsi, le fonds vert est pérennisé à hauteur de 2,5 milliards d'euros. Et le plan France Ruralités prévoit le recrutement de chefs de projets ingénierie dans les territoires ruraux.

Nous aurons aussi l'occasion de discuter dans les prochains jours de l'évolution des zones de revitalisation rurale (ZRR), à la lumière des travaux des sénateurs Bernard Delcros, Frédérique Espagnac et Rémy Pointereau.

Je suis pour ma part favorable à une extension du zonage pour couvrir davantage de communes que ce qui est aujourd'hui inscrit dans le texte initial et, par ailleurs, pour rendre les reprises d'entreprises éligibles aux exonérations.

Entre la DGF, la dotation biodiversité et le fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), les concours financiers aux collectivités augmenteront de plus d'un milliard d'euros.

Je suis convaincu que les communes nouvelles doivent être encouragées. Il nous faut aller plus loin que le texte de l'Assemblée nationale. Je souhaite qu'aucune des communes engagées dans ces projets ne perde de DGF.

J'aimerais m'arrêter un instant sur la décorrélation de la taxe d'habitation sur les résidences secondaires et de la taxe foncière. Cette mesure issue de l'Assemblée nationale va dans le sens des nouvelles relations que nous souhaitons bâtir ensemble. Elle était attendue par de nombreux élus.

Nous avons de nombreux chantiers à ouvrir pour l'avenir : sur la dotation globale de fonctionnement ; sur la visibilité que nous devons aux collectivités ; sur leurs modalités de financement. Autant de sujets que je sais chers au président Raynal !

En conclusion, je voudrais insister sur un point. Nous ne gagnons jamais à opposer l'État et les collectivités territoriales. Que ce soit pour redresser les finances publiques ou réussir la transition écologique, une seule méthode fonctionne : le dialogue !

Vous pouvez compter sur ma volonté de faire progresser le débat et de trouver des solutions, au service de nos collectivités et des Français.


- Débat interactif -

Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.

Le Gouvernement dispose pour répondre d'une durée équivalente, et aura la faculté de répondre à la réplique pendant une minute ; l'auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.

Dans le débat interactif, la parole est à Mme Marie-Claude Lermytte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme Marie-Claude Lermytte. Monsieur le ministre, voilà plusieurs années que les finances des collectivités sont sous pression. Il y a quelques années, la DGF avait baissé durant cinq exercices consécutifs ; elle a ensuite été stabilisée, voire très légèrement augmentée, mais insuffisamment dans le contexte inflationniste.

Ce contexte est particulièrement violent pour les collectivités. En effet, elles ne disposent plus de marge de manoeuvre pour absorber la hausse des coûts, notamment ceux de l'énergie.

Le " filet de sécurité " voté par le Sénat dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2022 a permis de pallier l'urgence, ce qui était indispensable. Toutefois, les critères d'éligibilité retenus étaient trop complexes pour que le dispositif soit véritablement efficace. Beaucoup d'élus, faisant face au choc inflationniste, ont cru pouvoir en bénéficier, grâce au versement d'acomptes. Ils s'aperçoivent aujourd'hui que ce n'était pas le cas.

Il faut comprendre ces élus locaux. Comment pouvaient-ils s'imaginer que l'État leur verserait un acompte sur une somme à laquelle ils n'avaient pas droit ?

Pour certaines collectivités – j'en citerai quelques-unes, nordistes, chères à mon coeur : Crochte, Ghyvelde, Cappelle-Brouck, Wemaers-Cappel, Saint-Pierre-Brouck, Zuydcoote, Watten… –, la situation demeure alarmante. Les élus que nous rencontrons nous parlent de perte de confiance.

Monsieur le ministre, qu'entend faire le Gouvernement pour rétablir cette précieuse relation avec les élus locaux ? (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Madame la sénatrice, je vous remercie d'avoir souligné que nous avions augmenté à deux reprises la dotation globale de fonctionnement, alors que nous sortions d'une période de treize années durant laquelle nos collectivités territoriales n'avaient pas bénéficié d'un quelconque effort. Cela va dans le sens de ce que vous souhaitez : construire une relation de confiance entre l'État et les collectivités.

Je le sais, certains élus voudraient obtenir beaucoup plus. Mais nous devons aussi veiller à l'état de nos finances publiques. C'est un équilibre permanent qu'il convient d'établir.

Le filet de sécurité 2022 reposait sur des critères ayant fait l'objet d'une large discussion transpartisane, des critères connus des élus et de l'administration fiscale dans les territoires. Nous avions envisagé un nombre plus élevé de communes bénéficiaires. Cela explique le nombre important de celles ayant reçu des acomptes.

Nous récupérons aujourd'hui ces acomptes tout simplement parce que la situation financière des collectivités qui ont les reçus est meilleure que celle qui avait été anticipée. Les prix de l'énergie, notamment, ont baissé…

J'ai donné aux directions départementales des finances publiques (DDFiP) la consigne, très claire, d'accompagner localement et de façon individualisée chacune des collectivités, en vue de lisser la reprise de l'acompte. Je rappelle à cet égard que 60% des acomptes sont d'un montant inférieur à 5 000 euros.

Je m'étais opposé à l'annulation de la reprise des acomptes, dans la mesure où celle-ci aurait entraîné une rupture d'égalité entre les communes ayant demandé un acompte et celles qui ne l'ont pas fait. Pour autant, le sens de la consigne que nous avons transmise au réseau départemental des finances publiques est de se tenir au plus près des élus, pour les accompagner.

Mme Céline Brulin. Ce n'est pas ce qui se passe sur le terrain !

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Claude Lermytte, pour la réplique.

Mme Marie-Claude Lermytte. Monsieur le ministre, une de nos collègues vient de dire que cela ne se passait pas sur le terrain comme vous le décrivez. C'est en effet le retour que nous avons : certaines communes nous confirment que les choses ne sont pas aussi simples que ce que vous dites ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Maurey. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Hervé Maurey. Monsieur le ministre, contrairement à ce que vous avez indiqué, le mandat municipal en cours est particulièrement rude pour les élus du point de vue financier. Depuis le début de ce mandat, ces derniers ont dû faire face aux conséquences de la crise sanitaire, à une inflation galopante et aux revalorisations à deux reprises du point d'indice. Face à cette situation préoccupante, la réponse de l'État n'a pas été à la hauteur.

Les conséquences de la crise du covid-19 ont été très insuffisamment compensées, et l'inflation comme les augmentations du point d'indice ne l'ont été que très marginalement. En effet, le filet de sécurité a été, comme nous l'avions prévu, insuffisant, donc décevant, puisqu'il concernera au final moins de 2 500 communes. Pire encore, 80% des communes qui ont touché un acompte doivent désormais le rembourser.

L'augmentation à hauteur de 2% des dotations de l'État en 2023 et celle de 1,6% en 2024 sont loin de couvrir l'évolution des charges des communes. En effet, les dépenses de fonctionnement de celles-ci ont augmenté de 5,6% en 2022, et tout autant, vraisemblablement, en 2023.

Monsieur le ministre, ne pensez-vous pas qu'il faudrait enfin, dans ce contexte, prendre des mesures pour aider réellement les communes à faire face aux défis auxquels elles sont confrontées ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Olivier Paccaud. Voilà une analyse lucide !

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, pour ma part, je lis les rapports de la Cour des comptes. (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Burgoa. On vous parle de la réalité !

M. Olivier Paccaud. Allez sur le terrain !

Mme la présidente. S'il vous plaît, mes chers collègues.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Je vous le dis avec gravité : on ne peut pas dire qu'il y a, d'un côté, la réalité, et, de l'autre, les rapports de la Cour des comptes… Ce n'est pas possible !

M. Olivier Paccaud. Si !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Je vous invite à consulter les publications mensuelles de la direction générale des finances publiques relatives à la situation financière du bloc local. Qu'observe-t-on ? La situation financière de novembre 2023 est meilleure que celle de novembre 2022.

Par ailleurs, le bloc local, que l'on a aidé, est celui qui résiste le mieux (M. Jean-Raymond Hugonet s'exclame.), même s'il convient de se pencher sur les difficultés des départements.

J'y insiste, 10 milliards d'euros ont été accordés au bloc local durant la crise du covid-19 ! Vous jugez que le filet de sécurité a été insuffisant. Or on a dépensé quasiment le même montant, mais au bénéfice d'un plus grand nombre de communes.

Si des communes n'ont pas droit à ces aides, c'est tout simplement parce que leur situation financière a été moins impactée que prévu !

Nous sommes prêts à travailler sur l'idée, lancée sur l'initiative du rapporteur général de la commission des finances, d'une refonte de la DGF, qui est devenue illisible – sur ce point, je suis d'accord avec vous –, et sur les mécanismes de financement.

De grâce, mettons-nous d'accord sur un diagnostic conjoint ! Le constat dont je vous fais part est dressé non par le Gouvernement, mais par la Cour des comptes. Je vous renvoie donc aux publications de cette dernière.

Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Maurey, pour la réplique.

M. Hervé Maurey. Monsieur le ministre, j'avais été stupéfait par votre propos liminaire tant il était déconnecté de la réalité. Je ne suis pas déçu non plus par votre réponse à ma question !

Vous nous dites : " Lisez les rapports de la Cour des comptes ! " Je vous réponds : " Venez avec nous sur le terrain ! " (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) Participez à des assemblées générales de maires ! Accompagnez-moi un vendredi dans les mairies du département de l'Eure, là où, chaque semaine, je rencontre les maires ! " Je crois qu'alors votre vision des choses changera. (M. le ministre délégué manifeste son agacement.)

Puisque vous aimez vous référer à des organismes, je vous préciserai que, selon le Comité des finances locales (CFL), il manquerait un milliard d'euros aux communes en 2024. Voilà la réalité ! Il faut en être conscient !

Il convient aussi d'appliquer un principe auquel le Sénat est très attaché : qui décide paie ! Cessez de prendre des mesures que les communes doivent financer ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Jean-Noël Guérini applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Grégory Blanc. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Grégory Blanc. Monsieur le ministre, dans votre réponse au rapporteur général Husson, vous avez souligné à la fois le bon état des finances de 2022, ce qui est juste, et le fait que de nombreuses collectivités sont en difficulté en 2023, ce qui l'est également.

En revanche, vous n'avez pas souligné un point qui pose problème : les collectivités sont confrontées à des hausses, de l'inflation, des taux d'intérêt, du point d'indice, à des maintiens relatifs de dotations, même si nous avons entendu qu'il fallait sans doute craindre l'avenir, mais aussi – c'est le plus inquiétant – à un retournement, sans doute durable, du cycle.

Vous avez évoqué les DMTO, qui sont en chute libre. Je pense aussi à la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), qui amorce une baisse. Il s'agit là pour les collectivités non pas du " double effet Kiss Cool ", mais d'un " triple effet ", auquel il va nous falloir réagir et réfléchir lors de l'examen du projet de loi de finances !

Vous n'avez pas fait état non plus des moyens permettant de financer la transition écologique.

Dans le rapport qu'ils ont remis la semaine dernière, l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE) et la Banque postale signalent un encours d'endettement qui aura augmenté de 77 milliards d'euros en 2030, c'est-à-dire d'ici à six ans, pour simplement tenir la stratégie nationale bas-carbone (SNBC), et ce avec, d'un côté, le maintien du fonds vert, et, de l'autre, l'indexation de la DGF, qui n'est pas assurée ; vous venez de le dire.

Vous n'avez pas souligné la nécessité de repenser la fiscalité locale, en instaurant un lien entre l'impôt et le citoyen, mais aussi en modulant l'impôt au regard de l'enjeu environnemental.

Sur le problème de la fiscalité locale, vous n'avez pas répondu au rapporteur général. Comment comptez-vous faire évoluer cette fiscalité pour répondre aux enjeux de la transition écologique ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, je partage ce que vous dites sur la nécessité de garantir le financement de la transition écologique. On le sait, les collectivités territoriales ont un rôle décisif dans ce domaine, puisqu'elles financent 70% des investissements civils et qu'elles ont des compétences qui sont au cœur de cette transition. Il faut donc bâtir un plan de financement qui leur permette d'accompagner cette planification écologique.

Vous l'avez dit, les 2,5 milliards d'euros au titre du fonds vert représentent un effort inédit en faveur des collectivités territoriales. Nous avons renforcé ce dispositif, qui n'existait pas encore l'année dernière, dans le projet de loi de finances, en le faisant passer de 2 milliards d'euros à 2,5 milliards d'euros.

Il nous revient collectivement de rassembler l'ensemble des financements. Ainsi, j'ai pris l'engagement que soit présentée chaque année, devant le Parlement, notre stratégie pluriannuelle de financement de la transition écologique, ce qui était largement attendu par tous les groupes. Le point doit ainsi être fait sur les financements de l'État, ceux des collectivités, ceux de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), les certificats d'économies d'énergie, la responsabilité élargie du producteur (REP), afin de savoir comment garantir le financement de la planification écologique.

Nous tiendrons cet engagement en amont de chaque projet de loi de finances. La première stratégie pluriannuelle de financement de la transition écologique sera donc présentée au printemps prochain.

Mme la présidente. La parole est à M. Grégory Blanc, pour la réplique.

M. Grégory Blanc. Alors même que l'enjeu prioritaire est de clarifier les finances locales, je m'étonne que l'on prévoie de faire un rapport portant sur l'ensemble des compétences des collectivités territoriales. C'est prendre le problème à l'envers, au lieu de se concentrer sur les priorités qui s'imposent à nos collectivités !

Mme la présidente. La parole est à M. Ian Brossat.

M. Ian Brossat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Gouvernement – on en a eu l'illustration au cours de ce débat – nous répète sur tous les tons que nos finances locales se montrent sous leur meilleur jour.

D'ailleurs, monsieur le ministre, je note que vous disiez exactement la même chose en 2017 à propos des bailleurs sociaux, ce qui vous a permis de les ponctionner. On en voit le résultat aujourd'hui : on n'a jamais produit aussi peu de logements sociaux en France, et ce gouvernement porte une responsabilité majeure en la matière.

M. Bruno Belin. Exact !

M. Ian Brossat. Il manque pourtant de l'argent à nos communes, à nos collectivités, à nos services publics. Tout le monde le dit, tous les maires le disent, ça craque de partout et le service public local est en souffrance.

Personne ne pourra nier la responsabilité du Gouvernement dans ce domaine. Je pense à la baisse constante des dotations de l'État, qui ont perdu 15 milliards d'euros depuis 2012, au fait que les charges réelles de fonctionnement de nos collectivités ont augmenté en 2022 de 5,9%, quand les produits réels de fonctionnement ont augmenté de 5,2%. Tout cela fragilise nos communes, qui sont pourtant des sentinelles de la démocratie.

Et à chaque fois que notre pays est en difficulté, à chaque fois que le Président de la République et la majorité se retrouvent confrontés à des problèmes, c'est vers les maires que vous vous tournez. Il y a un certain paradoxe à traiter aussi mal les communes et à s'adresser si souvent aux collectivités quand vous avez besoin de sortir de vos difficultés !

C'est la raison pour laquelle beaucoup de questions sont posées aujourd'hui par les maires, alors même que l'État continue de transférer des compétences aux collectivités sans leur allouer les moyens correspondants.

Nous souhaitons donc vous interpeller en ce jour de Congrès des maires de France. Comptez-vous donner enfin au service public local les moyens de fonctionner correctement et indexer la DGF sur l'inflation, comme le proposent les parlementaires communistes et les sénateurs de notre groupe ?

M. André Reichardt. Bonne question !

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, vous évoquez en effet une terrible difficulté : la baisse de la DGF, observée depuis 2012, pour un montant de l'ordre de 15 milliards d'euros. Sachez que vous ne pouvez pas l'imputer à notre majorité ! En effet, depuis 2017, nous avons d'abord stabilisé cette dotation, puis mis un coup d'arrêt à sa diminution, qui avait commencé lors du mandat précédent ; puis, nous l'avons augmentée à deux reprises.

Cette baisse de plus de 10 milliards d'euros de la DGF que vous pointez et qui, à l'époque, avait mis un certain nombre de collectivités en grande difficulté n'est donc pas de notre responsabilité. Au contraire, nous avons tout fait pour reprendre le chemin d'une relation de confiance avec les collectivités.

Je le disais précédemment, en citant des chiffres, on évoque souvent le dynamisme des dépenses des collectivités, et notamment le prix de l'électricité, de l'alimentation dans les cantines, etc. Or, quand on examine leurs recettes, on constate que celles-ci sont aussi extrêmement dynamiques.

Pour le seul bloc communal, par exemple, on observe depuis le début de l'année 2023 une croissance des recettes de fonctionnement de près de 9%. Il n'y a donc pas – je vous le redis – d'effondrement ou d'étranglement financier du bloc communal.

Je suis tout à fait prêt à débattre avec vous de la situation financière d'autres strates, comme les départements ; la baisse des DMTO est en effet une réalité. Mais, encore une fois, il faut avoir l'honnêteté de dire que la situation des communes est très différente de ce que vous décrivez parfois.

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Bilhac.

M. Christian Bilhac. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je rencontre, comme vous, régulièrement les maires de mon département, l'Hérault. Lors de ces réunions, le problème de la sécurité est toujours posé. Peu à peu, on a instauré dans l'esprit de nos concitoyens l'idée que la sécurité, c'est l'affaire des maires.

Ma question porte donc sur les missions de sécurité. Les communes sont conduites à y consacrer toujours davantage de moyens, alors que cela ne relève pas de leur compétence.

Compte tenu du désengagement progressif de l'État, une part croissante des budgets municipaux est désormais affectée à l'installation de caméras de vidéosurveillance ou au recrutement de policiers municipaux, au nombre de 24 000 aujourd'hui, 11 000 postes supplémentaires étant envisagés d'ici à la fin du mandat, en 2026.

Les missions des polices municipales, autrefois limitées au stationnement et à la circulation, ont été considérablement élargies pour faire face au défi de l'insécurité. Les policiers municipaux pallient les carences de l'État.

Cependant, les ressources fiscales sont inégales, et les formes de délinquance tout aussi disparates.

Monsieur le ministre, allez-vous accorder les moyens nécessaires pour assurer la sécurité de tous les Français, sur tout le territoire ? Cette mission régalienne de l'État doit être prise en charge par l'État.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, la tranquillité et la sécurité publiques, c'est une affaire commune entre l'État et le maire.

M. Christian Bilhac. Non !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Je crois au continuum de sécurité. Je crois à la bonne coopération entre la police nationale et la police municipale. Je crois à la proposition actuellement faite à la plupart des élus de signer des contrats de sécurité intégrée.

C'est par la bonne coopération entre la police municipale et la police nationale, aux responsabilités différentes, mais complémentaires, que l'on améliore l'efficacité de ce service public.

Je ne crois pas qu'un maire puisse complètement se désintéresser de la question de la tranquillité publique et renoncer à cette compétence, d'ailleurs ancienne.

Je crois à la coopération, traduite par les contrats de sécurité intégrée. Dans quelques jours, nous débattrons du projet de loi de finances, qui prévoit un effort supplémentaire destiné au recrutement et au renforcement des moyens de la police nationale dans tous nos territoires.

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Bilhac, pour la réplique.

M. Christian Bilhac. La sécurité, c'est l'affaire de l'État ; la tranquillité publique, c'est l'affaire des maires. Il ne faut pas tout mélanger ! La délinquance ou le trafic de drogues ne relèvent pas des compétences des maires !

Les maires pallient les carences de l'État, défaillant. Il y a quelques années, c'était l'État qui finançait largement l'installation de caméras de vidéosurveillance. Mais, aujourd'hui, ces financements sont terminés, ou remplacés par une déduction de la DETR. Il y a donc bien un désengagement de l'État. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et Les Républicains.)

M. Victorin Lurel. Absolument !

Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet.

Mme Nadège Havet. Monsieur le ministre, l'article 52 de la loi organique du 1er août 2001 prévoit qu'un rapport portant sur la situation d'ensemble des finances publiques locales soit annexé au projet de loi de finances de l'année.

Nous débattons cet après-midi du rapport sur la situation des finances publiques locales en 2023, remis le 3 octobre dernier. Après un état des lieux, ce rapport aborde les évolutions des transferts financiers de l'État et des dispositifs de péréquation, et présente les mesures inscrites dans le budget pour 2024 concernant les collectivités.

Il y est précisé qu'à périmètre constant et courant, après avoir été stabilisés entre 2014 et 2017, les transferts financiers aux collectivités progressent depuis 2018. Ils progresseront encore en 2024, de plus de 1,15 milliard d'euros.

Le sujet n'est pas sans lien avec le débat précédent, car cet engagement s'inscrit désormais dans une logique de planification écologique territoriale. Le budget de l'État pour l'année prochaine prévoit une hausse des dépenses favorables à l'environnement de plus de 7 milliards d'euros.

Au mois de juillet dernier, le Gouvernement présentait les cinquante-deux leviers qu'il entend actionner en faveur de la transition écologique. Les collectivités le savent et le veulent ; elles prendront une large part pour relever le défi du siècle.

Cependant, les questions de la capacité financière des collectivités et de la stabilité de leurs ressources se posent. Il faut inscrire dans le temps long ces investissements, en prenant des engagements pluriannuels ou en leur affectant des ressources propres. En effet, une collectivité ne pourra pas se lancer dans de tels chantiers sans la certitude de pouvoir les conduire jusqu'au bout.

Dans le même temps, la démarche de budgétisation appelée « budget vert local » doit être précisée. Monsieur le ministre, quel cadre d'équilibre financier prévoyez-vous pour réussir la planification écologique territoriale ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Madame la sénatrice, vous avez raison : le chantier du siècle, celui de réussir la transition écologique, est devant nous.

Nous en franchirons une première étape à l'aide du budget pour l'année 2024, qui prévoit une augmentation de 10 milliards d'euros des dépenses consacrées à la transition écologique. Cette hausse doit naturellement s'accompagner d'investissements conduits par les collectivités territoriales. Compte tenu de leurs prérogatives et de leur part dans l'investissement public, il n'y aura pas de transition écologique sans ces dernières.

Pour cette raison, dans le budget 2024, nous prévoyons d'augmenter encore la dotation du fonds vert, qui doit accompagner les stratégies des collectivités concernant la renaturation, le changement de l'éclairage public ou la rénovation des réseaux d'eau : autant de sujets sur lesquels les collectivités doivent agir, et vite.

La stratégie de financement par les collectivités repose sur plusieurs leviers. Je vous renvoie au rapport de l'I4CE : cette stratégie repose à la fois sur la réorientation des dotations de l'État grâce au fonds vert et sur la capacité des collectivités à dégager des ressources propres, ainsi qu'à réorienter leurs dépenses. Nous souhaitons d'ailleurs nous doter à l'aide des budgets verts d'une boussole commune à l'État et aux collectivités. Lorsque c'est nécessaire, cette stratégie fait également appel aux capacités d'endettement de ces dernières, par exemple dans le cas d'un plan de rénovation d'école, dont les générations futures bénéficieront.

Au mois de juin prochain, nous présenterons un rapport sur le financement pluriannuel de la transition écologique, qui est une attente de très nombreux groupes politiques, au Parlement.

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Briquet.

Mme Isabelle Briquet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les relations entre l'État et les collectivités sont au cœur de notre débat.

Si l'État compte de nouveau sur les collectivités pour relever le défi de la transition écologique, il doit tenir ses engagements et accompagner les communes dans la mise en œuvre les politiques qu'il a lui-même initiées.

Dans le projet de loi de finances pour 2024, le Gouvernement propose de supprimer le fonds de soutien au développement des activités périscolaires.

Ce fonds aide les communes ayant adopté la semaine de quatre jours et demi, à la suite de la réforme de 2013. Sa suppression enverrait un signal négatif et menacerait les programmes périscolaires.

Certes, le nombre de communes bénéficiant du fonds a diminué. Mais cela ne justifie pas de compromettre les politiques locales.

De plus, son maintien ne menace en rien nos finances publiques. Au contraire, ce fonds assure la continuité d'activités enrichissantes dont le rôle pédagogique n'est plus à démontrer pour nos élèves.

Une telle décision, prise, comme souvent, sans consultation des élus locaux, suscite à raison le ressentiment des maires. Elle oublie totalement de prendre en compte les besoins spécifiques des territoires.

Monsieur le ministre, supprimer ce fonds serait une erreur. L'État doit continuer à accompagner les communes et garantir la qualité de l'offre périscolaire sans contraindre le budget des collectivités.

Je vous remercie par avance de vos éclaircissements sur cette question importante pour nombre de communes. (M. Christian Bilhac applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Madame la sénatrice, je vous remercie de votre question. Elle permet de préciser l'intention du Gouvernement s'agissant du fonds de soutien au développement des activités périscolaires (FSDAP), qui accompagne les communes dans le financement des activités périscolaires.

Ce fonds s'adapte au nombre de communes qui suivent encore la semaine de quatre jours et demi, à l'opposé de celles qui, par libre choix, ont décidé de revenir à la semaine de quatre jours.

Il avait été un temps envisagé de faire disparaître ce fonds ; vous avez raison. Depuis, des échanges et des concertations ont eu lieu avec les associations d'élus. La Première ministre l'a précisé, il n'est plus question de le supprimer. Le fonds est prolongé, laissant le temps à une concertation plus approfondie avec les associations d'élus.

Je vous rassure, madame la sénatrice : le Gouvernement maintiendra bien un dispositif pour l'année à venir, afin d'accompagner les communes suivant toujours des rythmes scolaires de quatre jours et demi, qui ont besoin de financer des activités périscolaires adaptées.

M. Olivier Paccaud. Sage décision !

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Briquet, pour la réplique.

Mme Isabelle Briquet. Monsieur le ministre, ce fonds correspond à la mise en oeuvre d'une réforme voulue par l'État. J'ai bien entendu votre réponse, mais vous ne prévoyez qu'une prorogation du dispositif. L'année prochaine, nous nous retrouverons vraisemblablement face au même dilemme.

Vous nous indiquez que la décision est différée. La commission des finances envisageait de retirer cette mesure du projet de loi de finances (PLF). S'il devait de nouveau être question de la suppression de cette aide, nous ferions le même choix, car ce fonds correspond à une réforme voulue par l'État.

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Sautarel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Sautarel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux d'abord remercier M. le rapporteur général d'avoir pris l'initiative de ce débat alors que les maires, que je salue, sont réunis en congrès.

La situation financière des collectivités territoriales, singulièrement des communes, évolue rapidement malgré leurs efforts de gestion.

La photographie de cette situation de reprise économique consécutive à une pandémie doit être mise en perspective au moins à trois niveaux.

Premièrement, elle masque des résultats contrastés dans les collectivités. Il est nécessaire de sacraliser et de renforcer nos mécanismes de péréquation.

M. André Reichardt. Absolument !

M. Stéphane Sautarel. Deuxièmement, cette situation se dégrade très vite, notamment du fait d'une conjoncture économique moins favorable, d'une inflation durable, de l'augmentation du point d'indice des fonctionnaires, de la hausse des taux d'emprunt et d'une dynamique fiscale à la baisse. Cela vaut pour les DMTO, la TVA ou la TICPE. L'année 2024 sera compliquée : anticipons, car la suite sera impossible sans réforme de fond.

Troisièmement, les départements sont en train de retrouver un effet ciseaux mortifère, du fait de la décorrélation de leurs ressources et de l'exercice de leurs compétences, par ailleurs non pilotables.

Le vrai sujet des finances publiques locales, ce ne sont pas les subventions d'investissement. C'est l'autofinancement des collectivités, et des communes en particulier, qui se retrouve en grand danger. Cette tendance doit tous nous inquiéter : les collectivités risquent non seulement de réduire leur niveau de service public, mais aussi, par voie de conséquence, leurs investissements.

Monsieur le ministre, alors que les collectivités jouent un rôle contracyclique essentiel dans notre pays et qu'elles sont essentielles à la transition écologique, ne prenez pas le risque de casser le moteur territorial de proximité, le seul à encore fonctionner dans notre pays. Ce serait une faute.

Faire confiance aux collectivités, c'est évidemment leur accorder les moyens nécessaires à l'action, ne pas faire payer l'ardoise de la dette à ceux qui n'ont pas creusé les déficits, et aussi leur donner une réelle liberté et lisibilité d'action.

Monsieur le ministre, quelle lisibilité et quelle liberté d'action comptez-vous donner aux collectivités dans la perspective de la réforme de la DGF que vous envisagez ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Christian Bilhac applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, nous suivons avec attention la situation financière du bloc communal, notamment des communes.

Le nombre des communes dites " en difficulté ", suivies individuellement par la direction générale des finances publiques, a baissé de 23% entre 2019 et 2022. Nous devrions nous réjouir de cette bonne nouvelle. Comme vous l'avez indiqué, cette baisse s'explique grâce à la bonne gestion des élus locaux.

Je sais qu'il y a une difficulté s'agissant des départements. Mais, aujourd'hui, on ne peut pas dire que le bloc communal soit en difficulté, pour la simple et bonne raison que les communes bénéficient de recettes dynamiques.

Je suis très favorable à une action en faveur de la liberté d'action des communes. Le Président de la République a pris l'initiative, lors des rencontres de Saint-Denis, de demander aux différents responsables politiques comment engager un nouvel acte de décentralisation, où les responsabilités seraient enfin clarifiées.

Depuis les lois Defferre, qui allaient dans le bon sens, les compétences partagées n'ont eu de cesse de se mêler et de s'entremêler. Je suis pour que l'on aille très loin dans une décentralisation de clarté. (M. Jean-Raymond Hugonet marque son approbation.) Il faut mettre un terme au partage des compétences, nuisible à la lisibilité de l'action des élus et à leur responsabilité, alors que ces derniers doivent conduire en première ligne les politiques publiques qui leur sont confiées.

M. André Reichardt. Il faut le faire !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-Marie Mizzon. Monsieur le ministre, vous avez raison d'insister : la DGF a baissé pendant dix ans.

Vous avez aussi raison d'avancer qu'elle a augmenté en 2022 et 2023. Mais elle a augmenté moitié moins que l'inflation. En termes de pouvoir d'achat, le compte n'y est pas.

Dans ce contexte, les collectivités doivent faire face à de multiples augmentations des coûts et, surtout, à un mur d'investissements.

En guise d'exemple, en plus du rapport d'information d'Hervé Maurey et Stéphane Sautarel sur les modes de financement des autorités organisatrices de la mobilité, cité par le rapporteur général, nous pourrions mentionner les travaux de la mission d'information sur le bâti scolaire à l'épreuve de la transition écologique. Lors de son audition, Mme Faure indiquait que, si l'on appliquait les obligations du décret tertiaire, les sommes à investir d'ici à 2030 seraient de l'ordre de 55 milliards d'euros pour n'atteindre que le premier palier défini, à savoir une baisse de la consommation d'énergie de 40% en 2030 par rapport à 2010. C'est colossal !

À la question de savoir si des aides seront distribuées pour aider les collectivités pour faire face à cette nouvelle obligation, on répond : " le fonds vert ". Mais ce dernier n'est pas inextensible.

De plus, les communes se heurtent à un maquis d'aides, le système étant très complexe. Mais là où il n'y a pas de maquis, parce qu'il n'y a presque plus d'aides, c'est pour l'exercice la compétence de la voirie routière. Le domaine de la sécurité routière et de la voirie est totalement délaissé, alors que les communes ne peuvent pas assurer seules ces compétences.

Le Gouvernement pense-t-il un jour proposer une aide – en l'occurrence, cela ne figure pas dans le projet de loi de finances – digne de ce nom pour la voirie, qui n'est pas un investissement dépassé ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, la DGF représente en moyenne 20 % des recettes des communes. Comment expliquer qu'en novembre 2023, les recettes de fonctionnement du bloc communal aient augmenté de 9% par rapport à l'année précédente ?

M. Jean-Marie Mizzon. Par les économies !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Peut-être, monsieur le sénateur. Mais il faut aussi tenir compte d'une recette extrêmement dynamique : la taxe foncière.

Les bases fiscales de la taxe foncière ont été revalorisées de 7% en 2023 ; ses recettes à l'échelon national ont augmenté de 10 %. La taxe foncière représente davantage que la DGF dans les ressources des communes.

Si le bloc communal résiste, c'est parce que nous avons résisté à la volonté de certains groupes politiques à l'Assemblée nationale de plafonner à 3,5% l'évolution des bases fiscales de la taxe foncière. Nous avons laissé aux communes cette liberté de revaloriser le calcul de la taxe, car il s'agit d'un impôt local. Le Gouvernement n'est pas revenu sur l'indexation choisie par le Parlement. Il s'agit d'une protection majeure des ressources des collectivités territoriales, bien plus importante que la dotation globale de fonctionnement.

Je vous rejoins sur le bâti scolaire : le chantier est considérable, en termes d'économies pour les mairies comme de confort de nos enfants, de nos enseignants et du personnel qui les accompagnent. Il s'agit d'un enjeu d'investissement pour les collectivités, d'accès aux prêts de la Caisse des dépôts et consignations, qui a lancé programme dédié, Édurénov. C'est également le fonds vert, le tiers financement voté en janvier dernier, qui permet de nouvelles modalités de financement pour la rénovation des bâtiments publics. Vous le constatez, nous avons enrichi l'arsenal au service des collectivités.

Enfin, la voirie relève de la responsabilité des départements. Certains départements sont en difficulté. Comment, dans les dispositifs de secours que nous bâtissons, pouvons-nous également traiter la question de la voirie ?

Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Espagnac.

Mme Frédérique Espagnac. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le filet de sécurité devait aider les communes les plus en difficulté à faire face à l'explosion des prix de l'énergie et à l'augmentation de leurs dépenses contraintes, notamment du fait de la non-compensation de la hausse du point d'indice.

Pour mémoire, les communes de moins de 500 habitants ont touché un versement médian de 6 840 euros, et les communes de moins de 300 habitants un acompte médian de 29 860 euros. L'Association des petites villes de France pointe à juste titre le fait que 3 400 communes, parmi les plus importantes bénéficiaires du dispositif, vont devoir rembourser les acomptes versés par l'État.

Cela pourrait s'entendre si cela n'avait pas été les services déconcentrés de l'État qui avaient informé les communes qu'elles pouvaient bénéficier du dispositif. Cette défaillance de l'État fragilise les budgets locaux. Les maires, de bonne foi et encouragés par les services préfectoraux, ont sollicité ces acomptes.

Pour autant, aujourd'hui, les communes sont loin d'être sorties de l'ornière, et il est compliqué pour elles de rembourser.

Les communes demandent d'étaler l'échéance des remboursements le plus possible, afin que cela ne pèse pas davantage sur les finances locales et que la qualité des services publics dans les communes soit garantie. Celles qui ont souscrit des contrats d'énergie au plus fort du pic des prix de l'énergie sollicitent une prolongation de l'amortisseur électrique. Que leur répondez-vous ? Enfin, envisagez-vous de prolonger de façon ciblée un dispositif similaire au filet de sécurité destiné aux collectivités connaissant les plus grandes difficultés à faire face à l'augmentation de leurs charges ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Madame la sénatrice, je sais que les élus vous interpellent au sujet du filet de sécurité. Les services de l'État réclament leurs acomptes à un peu plus de 3 000 communes.

Je le dis avec la même fermeté qu'au rapporteur général voilà quelques jours : il n'y a pas eu de défaillance des services de l'État. Le Parlement avait voté des critères pour le versement des acomptes, en fonction des prévisions dont nous disposions sur, d'une part, la situation financière des collectivités et l'évolution de leur épargne brute et, d'autre part, les prix de l'énergie.

En réalité, nous sommes en face d'une bonne nouvelle : la situation financière des communes est meilleure que ce que nous avions envisagé, et les prix de l'énergie sont plus faibles.

Nous demandons donc en effet la reprise de cet acompte aux communes. L'acompte n'existe pas que pour les collectivités. Comment gérer correctement les finances publiques si nous devions annuler les acomptes versés ? Il ne s'agirait plus d'acomptes ! Et que dirions-nous aux collectivités n'en ayant pas demandé ? Il y aurait une rupture d'égalité devant l'impôt. Ni vous ni moi ne souhaitons nous engager dans cette voie.

Près de 520 communes ont demandé l'étalement du remboursement de leur acompte. J'ai adressé aux services déconcentrés un message de la plus grande souplesse. Le président Raynal a proposé que l'on aille plus loin et que le remboursement puisse courir sur plusieurs mois. J'y suis tout à fait ouvert, afin que l'on fasse du cousu main à destination de chacune des communes concernées.

M. Christian Bilhac. Très bien !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. L'immense majorité des communes nous ont dit qu'elles rembourseraient tout de suite. Mais si des communes connaissent des difficultés, elles doivent solliciter localement les services des DDFiP, auprès desquels un message de grande souplesse a été passé.

Enfin, il y aura bien une prolongation de l'amortisseur électricité l'année prochaine, notamment pour les collectivités prisonnières de contrats signés au plus haut de la crise.

Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Espagnac, pour la réplique.

Mme Frédérique Espagnac. Monsieur le ministre, les collectivités territoriales sont volontaires pour relever bien des défis, mais elles attendent un dialogue équilibré et fiable avec l'État.

Un certain nombre de collectivités sont en difficulté. Les précisions que vous venez d'apporter sont importantes.

Le Congrès des maires s'ouvre alors que l'inquiétude des maires grandit. Un autre signal alerte la sénatrice que je suis : l'augmentation du nombre des démissions d'élus ces derniers mois. Beaucoup de maires partagent le sentiment qu'ils n'ont plus les moyens de remplir le mandat pour lequel ils ont été élus.

En plus de la réforme primordiale des finances locales que nous attendons tous, il faut évoquer le malaise qui s'étend chez nos maires, afin d'éviter une crise des vocations en vue des élections de 2026. La création d'un fonds financier par l'État permettrait d'aider les communes à financer les dépenses relatives aux conditions d'exercice des mandats. Il faut aussi réfléchir à une réforme du statut des élus, et à une augmentation de leurs indemnités. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le ministre, de mon point de vue, ce volumineux rapport (L'orateur brandit un document.) illustre à merveille le mal profond de notre pays.

Au sortir d'une campagne sénatoriale qui nous a vus sillonner nos départements respectifs et rencontrer de très nombreux élus, au moment où s'ouvre le Congrès des maires, on mesure dans ce volumineux rapport de façon palpable le profond décalage existant entre la théorie et la pratique, entre le verbe et la réalité.

Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, semble-t-il. Les dynamiques sont historiques, les péréquations veillent sur nous, la redistribution est à son comble. Encore un effort, et la félicité nous gagnera…

La réalité est tout autre, monsieur le ministre.

La triste réalité, que vous le vouliez ou non, c'est que d'une liberté constitutionnelle, pensée et conçue pour garantir la libre administration des communes, l'autonomie financière est devenue une coquille vide dépourvue de tout effet utile pour nos collectivités.

La triste réalité, monsieur le ministre, c'est qu'en vingt ans, le modèle de décentralisation à la française a perdu de sa pertinence face à un double mouvement opéré par l'État, qui a consisté à recentraliser le fonctionnement des collectivités locales tout en accroissant en même temps les charges pesant sur elles.

Aujourd'hui, réconcilier le pouvoir central et le pouvoir local apparaîtrait comme une œuvre historique pour notre pays ; je pèse mes mots.

C'est même devenu, je le crois sincèrement, un véritable enjeu de démocratie. Y êtes-vous prêt, monsieur le ministre ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Voilà une bonne question.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, vous avez raison : il n'y a pas de libre administration des collectivités territoriales sans autonomie financière.

C'est la raison pour laquelle le Gouvernement suit de très près l'évolution de l'autonomie financière des collectivités territoriales, niveau par niveau. Dans le volumineux rapport que vous exhibiez – je rends hommage à toutes celles et à tous ceux qui ont œuvré pour bien informer la représentation nationale – figurent à ce titre quelques chiffres intéressants.

Le taux d'autonomie financière du bloc communal s'élevait à près de 61% en 2003 ; il est de 71% aujourd'hui. À l'échelon départemental, ce taux était de 58% en 2003, il est aujourd'hui quasiment de 75%. Pour les régions, il est passé de 41% à 75%. (M. Jean-Raymond Hugonet proteste.)

Qu'est-ce que ces chiffres décrivent ? Une situation dans laquelle l'autonomie financière des collectivités a fortement progressé. (M. Jean-Gérard Paumier manifeste son désaccord.)

Ce qui n'a pas fortement progressé, voire qui a diminué, c'est l'autonomie fiscale. Mais la Constitution garantit non pas tant la capacité de lever un impôt, dont la collectivité ne choisit parfois pas le taux, que la liberté d'emploi de ces ressources et le libre choix des politiques publiques par les élus. Cette autonomie financière n'a eu de cesse de progresser ces dernières années.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour la réplique.

M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le ministre, j'ai énormément de respect pour votre formation politique et pour le travail de tous ceux qui ont concouru à ce document, mais nos points de vue ne se rejoignent pas. C'est grave. La réalité des chiffres que vous évoquez ne correspond pas à celle que nous vivons. Nous sommes sous perfusion, et la perfusion se tarit. Entendez le cri des collectivités, au moment du Congrès des maires ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Victorin Lurel.

M. Victorin Lurel. Monsieur le ministre, je vais vous faire faire un transport transocéanique. Depuis quelques longs mois, une obsession hante les outre-mer : la réforme de l'octroi de mer.

Depuis que la Première ministre a annoncé engager une réforme en profondeur du régime et de l'économie de cette taxe, les élus ne sont pas tranquilles et craignent quelques surprises.

Je vous rappelle que, pour les cinq collectivités d'outre-mer, les recettes de l'octroi de mer représentent 1,6 milliard d'euros, et que cette taxe pèse entre 35% et 45% de leurs ressources, tant pour les régions que pour les communes.

Le Gouvernement a décidé d'engager une réforme. Depuis quelque temps, de fortes rumeurs, des craintes et des inquiétudes circulent. Quelles sont précisément vos intentions, vos réflexions, les pistes et les orientations retenues ?

M. Le Maire a déclaré un certain nombre de choses. Cette taxe sera-t-elle désormais appliquée à toutes les importations, et non uniquement aux importations de produits ayant des concurrents locaux ? Avez-vous l'intention de remplacer cette taxe gérée par les régions et les communes par une TVA recentralisée ? Comptez-vous lever le secret fiscal datant des années 1950, qui engage la responsabilité pénale des présidents de région ? J'en avais caressé l'idée lorsque j'étais ministre des outre-mer, mais les présidents de région y avaient renoncé…

Avez-vous l'intention, pour compenser l'éventuelle perte de recette des collectivités, de taxer les services, ce qui serait contraire à la philosophie et à la nature même de l'octroi de mer, puisque ces services ne sont pas délocalisables ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, comme vous le savez, le comité interministériel des outre-mer (Ciom) du mois de juillet dernier a notamment décidé d'ouvrir le chantier de la réforme de l'octroi de mer, avec une garantie exprimée de manière très claire : les ressources des collectivités territoriales ne seront pas affectées. Votre question me permet donc – du moins, je le souhaite – de tordre le cou aux rumeurs.

Vous me demandez si l'État compensera les pertes de recettes. Je le redis, et c'est l'engagement qui a été pris lors de ce comité interministériel, il n'y aura pas de pertes de recettes.

Philippe Vigier, ministre délégué chargé des outre-mer, ouvrira ce jeudi la concertation. Chacun pourra naturellement exprimer sa position. Nous n'en sommes qu'au début de ce processus et nous n'avons pas défini à l'avance le point d'atterrissage de cette refonte. Mais, je le redis, nous avons apporté une garantie en amont de la réflexion : il n'y aura pas de perte de recettes pour les collectivités territoriales.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Anglars. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Claude Anglars. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la Cour des comptes a montré le 24 octobre dernier, dans son deuxième fascicule sur les finances publiques locales, que la situation financière des collectivités est moins favorable en 2023 que l'année précédente.

Pourquoi cela ? En raison du contexte économique inflationniste, mais aussi des choix récents du Gouvernement, particulièrement la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales et de la CVAE, qui n'a pas été suffisamment compensée et dont il résulte la perte de plus de 1 milliard d'euros pour les collectivités.

Ma question porte donc sur l'autonomie financière des collectivités, un sujet cher aux élus, en particulier aux maires, dont le congrès se déroule cette semaine.

Par exemple, pour les communes, le coefficient correcteur, censé compenser le transfert de la taxe foncière des départements aux communes, sanctionne les communes rurales, qui en moyenne reversent plus d'argent que les communes les plus urbaines. Cette compensation est difficilement acceptable par les maires.

Il est nécessaire de renforcer l'autonomie financière des collectivités, qui a un statut constitutionnel depuis 2003 ; Jean-Raymond Hugonet l'a rappelé.

En effet, la suppression des impôts territorialisés a accru les mécanismes de transferts financiers de l'État pour les compenser. Ils atteignent désormais la somme colossale de près de 36 milliards d'euros, ce qui interpelle sur la gouvernance des finances publiques locales opérée par l'État.

Au total, l'autonomie fiscale des collectivités a été réduite au fur et à mesure des réformes menées par les différents gouvernements depuis 2018, qui ont également causé une perte de lien entre la fiscalité locale et le territoire.

Et si le Gouvernement continue sur le chemin de ses dernières réformes, la crainte d'une diminution trop importante de l'autonomie financière des collectivités pourrait aller jusqu'à entraver le principe de leur libre administration.

Aussi, monsieur le ministre, qu'envisage le Gouvernement pour permettre une réelle autonomie financière des collectivités ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, je veux d'abord redire que la suppression de la taxe d'habitation n'a pas affecté la situation financière des collectivités, puisque – vous le savez – nous l'avons compensée.

Ensuite, j'ai plaisir à voir que vous citez les travaux de la Cour des comptes. Celle-ci dit une chose intéressante : les compensations mises en place à la suite de la suppression de la taxe d'habitation et de la CVAE ont davantage bénéficié aux collectivités que ce qui était prévu. Ainsi, les collectivités ont perçu 6 milliards d'euros de plus que si elles avaient continué à percevoir ces impôts. Ces suppressions ont donc amélioré leur situation financière de 6 milliards d'euros. La Cour des comptes insiste notamment sur la situation des départements.

Je le redis, ne confondons pas autonomie fiscale et autonomie financière. Je vous suis sur la baisse de l'autonomie fiscale : quand vous enlevez un impôt local sur lequel les élus ont le pouvoir de taux, vous réduisez en effet l'autonomie fiscale. Pour autant, est-ce que l'on a amputé l'autonomie financière des collectivités ? C'est un débat entre nous, mais la réponse est non. Encore une fois, je renvoie à l'évaluation de l'autonomie financière : c'est un ratio très clair.

Enfin, on peut avoir un autre débat : peut-on réussir à avoir une libre administration sans autonomie fiscale ? Je renvoie, par exemple, au modèle allemand : les Länder, des collectivités très fortes, n'ont pas ou peu d'autonomie fiscale, mais elles ont une autonomie financière très importante.

Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Genet.

M. Fabien Genet. Monsieur le ministre, je voudrais vous interroger sur la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales. En guise de compensation, les collectivités territoriales ont vu transférer à leur profit la part départementale de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) prélevée sur leur territoire.

Pour assurer l'équilibre à l'euro près, l'État corrige l'écart provoqué par cette compensation en reversant aux communes sous-compensées un montant calculé sur la base d'un coefficient correcteur et prélevé aux communes surcompensées.

Dans mon département, la Saône-et-Loire, 316 communes sur 564 reversent ainsi 33 millions d'euros de fiscalité locale à l'État, quand 148 communes reçoivent 5,7 millions d'euros. Une belle évaporation !

Ce montant est souvent très important pour de nombreuses communes rurales, comme pour la commune d'Étrigny, 465 habitants : en application du coefficient correcteur, l'État lui ponctionne 72 124 euros sur les 154 806 euros de TFPB versés par les contribuables ; près de la moitié de la recette !

Cette situation est vécue par nombre d'élus locaux comme une perte de lien entre la fiscalité locale et le territoire, mais également comme une forme d'injustice, car ce sont des communes rurales, qui ont le sentiment de payer en faveur des communes urbaines.

Bien entendu, il n'est pas question ici de remettre en cause la nécessité impérieuse de compenser les suppressions de recettes locales décidées par le Président de la République ni d'ailleurs de contester la légitimité de la solidarité, voire de la péréquation entre les territoires.

Mais vous conviendrez, monsieur le ministre, que nous touchons là à la limite de l'exercice. L'empilement de toutes les réformes de fiscalité locale depuis plus de vingt ans et leurs conséquences, de suppressions en compensations, de transferts en garanties, font que plus personne n'y comprend rien !

Comment comptez-vous améliorer les choses ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, je partage avec vous l'idée que le système de financement des collectivités territoriales est devenu extrêmement complexe.

M. André Reichardt. C'est le moins qu'on puisse dire !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. C'est le moins qu'on puisse dire, en effet. Il suffit de regarder le fonctionnement de la DGF ou des mécanismes de compensation.

J'ai d'ailleurs dit tout à l'heure que nous étions prêts à ouvrir le chantier de la refonte de la DGF. C'est un chantier extrêmement lourd, technique et difficile, mais je crois qu'il est nécessaire.

Le coefficient correcteur permet de s'assurer de la neutralité de la réforme : les communes qui ont reçu plus avec le transfert de la part départementale reversent le surplus et celles qui ont reçu moins récupèrent la différence. Ce coefficient correcteur permet de neutraliser l'effet de la réforme.

De plus, vous le savez, l'État a ajouté 600 millions d'euros pour assurer l'équilibre global de la réforme, le coefficient correcteur ayant lui-même embarqué la dynamique. Cela nous permet de dire et de réaffirmer régulièrement que la suppression de la taxe d'habitation s'est faite à l'euro près et qu'elle n'a pas privé les collectivités d'une ressource, y compris quand on réfléchit de manière dynamique.

Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Genet, pour la réplique.

M. Fabien Genet. Le coefficient correcteur a peut-être embarqué la dynamique, mais ce que nous craignons, c'est qu'on laisse sur le côté du chemin beaucoup de contribuables ne comprenant plus pourquoi ils versent à leurs communes de la fiscalité ensuite reversée à d'autres communes.

Plus globalement, monsieur le ministre, il faut se méfier des effets euphorisants de la lecture du rapport de la Cour des comptes : sur le terrain, beaucoup de communes ne vivent pas la même réalité !

Mme la présidente. La parole est à M. André Reichardt. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. André Reichardt. Forcées à faire toujours plus avec des moyens de plus en plus contraints, les communes ont de plus en plus de mal à se projeter financièrement avec sérénité.

Entre les avances à rembourser du filet de sécurité, la complexité des dispositifs d'aides, les transferts de compétences non compensés financièrement ou encore les décisions qui s'imposent du jour au lendemain, par exemple la récente augmentation de la valeur du point d'indice de la fonction publique, les sujets créant de l'invisibilité budgétaire pour les communes ne manquent pas.

Monsieur le ministre, je voudrais mettre l'accent sur les pertes de recettes fiscales liées à la non-compensation par l'État de l'exonération des parts communale et intercommunale de la taxe foncière sur les propriétés non bâties, lorsque les propriétaires se sont engagés dans une démarche Natura 2000.

En effet, au fil des ans et des lois de finances successives, cette compensation de l'État, qui était initialement de 100 %, s'est réduite comme une peau de chagrin : on est passé de 100% à 84 % en 2009, puis à 23% en 2016. Heureusement, ce taux a ensuite été figé.

Or le Gouvernement et les médias ne cessent de nous sensibiliser sur la nécessité et l'urgence de préserver la biodiversité. Les communes engagées dans cette démarche à plus-value environnementale incontestable sont de facto pénalisées par la réduction de la compensation dont je viens de parler. Il y a là une logique qui échappe aux communes concernées.

Certes, des dispositifs de soutien aux communes, fléchés sur la biodiversité, ont été créés par l'État. Mais ils ne compensent assurément pas de telles pertes fiscales.

Monsieur le ministre, en l'espèce, pourquoi toujours complexifier les dispositifs d'aides ? En l'espèce, pourquoi ne pas simplement veiller aux engagements initiaux de l'État, en revenant à la compensation intégrale des exonérations de taxes foncières sur les propriétés non bâties ? Ce serait beaucoup plus simple.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, je veux d'abord redire que les communes bénéficient de ressources extrêmement dynamiques : +8,9% de janvier à novembre 2023, et nous n'avons pas terminé l'année.

Pourquoi ? En raison du dynamisme de la taxe foncière. Quand on revalorise les bases de 7 %, on connaît une dynamique qui est plus forte que l'inflation, ce qui permet aux communes d'absorber l'augmentation des charges, qui elles-mêmes sont tirées par l'inflation.

Certes, la revalorisation du point d'indice est une charge. Mais elle vient aussi, d'une certaine manière, compenser l'inflation pour les agents publics territoriaux eux-mêmes…

On ne doit donc pas lire l'évolution de la situation financière des collectivités comme parfois on le fait, c'est-à-dire en regardant uniquement le volet charges. Tout cela est un équilibre entre des recettes et des charges. Et, je le redis, les recettes sont très dynamiques. (M. Fabien Genet s'exclame.)

La question est alors de savoir si les recettes sont suffisamment dynamiques pour compenser des charges qui le sont effectivement, par exemple sur l'énergie ou en raison de l'évolution du point d'indice. Et qu'observe-t-on de ce point de vue ? Que, pour le moment, le bloc local tient bien.

Vous évoquez l'exonération de la taxe foncière sur les propriétés non bâties pour les communes en Natura 2000. Or ces dernières sont éligibles à la dotation biodiversité.

Vous pourriez alors vous interroger : est-ce que le montant de la dotation biodiversité couvre le manque à gagner pour les communes concernées ? Ce n'était peut-être pas le cas en 2020, puisque le montant de la dotation était alors de 4 millions d'euros. Mais nous l'avons porté à 100 millions d'euros aujourd'hui. J'insiste sur cette évolution, parce que j'ai l'impression que ces dernières années, on a un peu perdu les ordres de grandeur. Ce n'est pas rien, une dotation de 100 millions d'euros ! Et cette dotation est vraiment au service de la biodiversité, notamment dans les communes en Natura 2000.

Pour autant, monsieur le sénateur, je suis preneur d'exemples de collectivités qui constateraient un manque à gagner, un déséquilibre, entre la compensation dont vous avez parlé et la dotation biodiversité qu'elles perçoivent.

Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Reynaud. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Hervé Reynaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons depuis plus d'une heure de la situation des finances publiques locales. C'est heureux, mais il y a bien une situation qui n'est pas florissante : celle des départements.

La preuve par l'exemple : dans mon département, la Loire, en 2004, au moment du transfert de compétences du revenu minimum d'insertion (RMI), le reste à charge pour la collectivité était de 3,2 millions d'euros ; en 2023, il sera de 58 millions.

En 2013, le montant des dotations de l'État était de 182 millions d'euros ; il est aujourd'hui de 129 millions d'euros. Toujours en 2013, les recettes de fiscalité directe étaient de 225 millions d'euros ; elles sont de 48 millions aujourd'hui. Le compte n'y est pas, et un grand nombre de départements est dans la même situation.

Les dépenses de fonctionnement ne cessent d'augmenter ; le produit de certains impôts baisse en valeur absolue, particulièrement les DMTO, en raison du retournement du marché de l'immobilier. Dans le même temps, les dépenses liées aux achats de biens et services, la rémunération des agents – sans parler des annonces intempestives –, l'ensemble des prestations sociales et les frais financiers sont poussés à la hausse par des tensions inflationnistes.

L'effet de ciseaux – beaucoup en ont parlé – est particulièrement tranchant… Ces dépenses sont structurelles, alors que les recettes sont très volatiles, exogènes et conjoncturelles et qu'elles ne connaissent pas les mêmes dynamiques.

Mécaniquement, parce qu'ils ont l'obligation de présenter des budgets en équilibre, la capacité d'investissement des départements se réduit dangereusement, alors que les besoins ne cessent de croître et qu'ils sont des donneurs d'ordre de premier plan.

Monsieur le ministre, ce désengagement de l'État et ces transferts de compétences décidés depuis une dizaine d'années et non compensés en totalité rendent la situation intenable. Il est essentiel de prendre conscience de cette situation. Sur quels leviers envisagez-vous d'agir ? Une réforme de la fiscalité des départements ou une recentralisation de certaines compétences sont-elles sur la table ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, je voudrais faire deux remarques, qui dépassent d'ailleurs le cadre de cette seule question.

Quand j'annonce un constat global et qu'on me dit que cela ne correspond pas du tout à la réalité, on ne peut pas en rester là ! Soit les rapports de la Cour des comptes sont faux, soit il y a un décalage entre les années, soit la réalité que vous observez n'est pas la bonne : il va de toute façon falloir réconcilier ces visions. On ne peut pas rester ainsi. C'est une situation extrêmement frustrante.

C'est pourquoi je propose que le rapport annexé sur la situation des finances locales contienne également des indicateurs de dispersion. Nous ne pouvons pas avoir un débat où l'on continuerait de contester les rapports et les chiffres publiés par la Cour des comptes. Ce n'est pas comme cela que nous avancerons. Je vous le dis, je le dis aussi aux associations d'élus. De tels indicateurs nous permettraient de connaître l'hétérogénéité des situations.

En ce qui concerne les départements, nous avons bien en tête les difficultés qu'ils traversent : l'effet de ciseaux que vous avez évoqué, les DMTO qui baissent. Rappelons quand même que les DMTO étaient montés à des niveaux historiques : certains départements ont mis des réserves de côté ; d'autres sont en difficulté, et on doit les accompagner.

La Première ministre a d'ailleurs annoncé un effort supplémentaire de plus de 250 millions d'euros pour venir au secours des départements.

Par ailleurs, nous aurons un débat avec les départements pour trouver un modèle plus satisfaisant dans leurs relations avec l'État ; c'est l'un des axes de la mission confiée à Éric Woerth.


Source https://www.senat.fr, le 28 novembre 2023