Déclaration de Mme Marie Lebec, ministre déléguée, chargée des relations avec le Parlement, sur les pratiques des centrales d'achat de la grande distribution implantées hors de France, au Sénat le 25 janvier 2024.

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Intervenant(s) : 
  • Marie Lebec - Ministre déléguée, chargée des relations avec le Parlement

Circonstance : Débat organisé, au Sénat

Texte intégral

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Union Centriste, sur les pratiques des centrales d'achat de la grande distribution implantées hors de France.

(…)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Madame la présidente, madame la sénatrice Loisier, mesdames, messieurs les sénateurs, depuis 2017, le Gouvernement est pleinement engagé pour la protection des revenus des agriculteurs. C'est un élément auquel le Sénat est particulièrement attentif, je le sais, et le débat que propose le groupe UC aujourd'hui l'illustre parfaitement.

Le revenu agricole, c'est aussi un sujet sur lequel nous avons constamment besoin de travailler. La rémunération des agriculteurs soulève nombre de difficultés qui se cristallisent dans les mobilisations que l'on observe aujourd'hui. La première des réponses que nous devons y apporter, c'est la stricte application des lois qui ont été votées par le Parlement, sans contournements.

Les agriculteurs assurent une mission absolument essentielle : ils nous nourrissent ! Cette mission est d'autant plus essentielle que notre capacité à produire pour nous nourrir redevient aujourd'hui un enjeu stratégique avec le retour de la guerre en Europe, l'alimentation étant de nouveau utilisée comme une arme par des puissances étrangères.

Pour autant, le partage de la valeur est insuffisant en la matière et les agriculteurs bénéficient encore trop peu de leurs gains de productivité. Pour une répartition plus juste, le Gouvernement agit donc sans relâche depuis 2017 et les États généraux de l'alimentation.

À ce titre, le Gouvernement a soutenu le vote et la mise en œuvre de la loi Égalim 2, qui a constitué une avancée majeure dans l'organisation des négociations commerciales entre l'ensemble des acteurs de la chaîne de valeur. L'objectif est de pouvoir conjuguer défense du pouvoir d'achat alimentaire des consommateurs et protection des revenus des agriculteurs. Il faut de surcroît que nous assumions collectivement, dans le débat public, qu'une agriculture qui produit dans des conditions respectueuses de l'environnement a un coût, donc un prix.

Pour atteindre cet objectif, la loi Égalim 2 organise la construction du prix "en marche avant" et la sanctuarisation de la matière première agricole tout au long de la chaîne, de la production à la distribution en passant par la transformation.

À cette fin, le texte repose sur deux piliers.

En amont, entre l'agriculteur et le premier acheteur, la loi impose la contractualisation écrite de la relation commerciale ; ainsi, celle-ci peut prendre en compte les coûts et leur évolution.

En aval, entre l'industriel et le distributeur, c'est-à-dire la chaîne de supermarchés, la loi prévoit le "soclage" des coûts de la matière première agricole. Ceux-ci ne peuvent pas être renégociés par le distributeur, et ce afin de préserver l'équilibre de la relation commerciale finale avec l'agriculteur en amont de la chaîne.

Pour veiller à l'application de cette loi, le Gouvernement mobilise massivement les agents de la DGCCRF. Ainsi, chaque année depuis trois ans, plus de 120 agents sont missionnés. Il faudra, dans les semaines qui viennent, faire encore davantage.

À titre d'exemple, sur la relation aval entre le fournisseur et le distributeur, des contrôles sont effectués chez chacun des principaux distributeurs. Plus de 500 relations contractuelles avec les principaux industriels sont ainsi vérifiées.

En cette période de fin de négociations commerciales, la mobilisation des agents de la DGCCRF est particulièrement forte et se poursuivra dans les prochains jours.

En cas de constatation d'un manquement à ces obligations, la DGCCRF peut recourir à des leviers juridiques puissants. Elle dispose en effet d'un pouvoir d'injonction sous astreinte financière pour contraindre un opérateur à mettre ses pratiques et ses contrats en conformité avec le droit applicable. Ce pouvoir a été mis en œuvre contre les trois grandes enseignes qui pratiquaient des pénalités logistiques.

La DGCCRF peut également prendre directement des sanctions administratives en cas de non-respect de la date butoir ou du formalisme contractuel, comme elle l'a fait en 2019 contre quatre enseignes de la grande distribution.

Enfin, elle peut assigner en justice un opérateur pour des pratiques abusives, telles que le déséquilibre significatif, et demander au juge civil de prononcer une amende. En 2019, la DGCCRF a ainsi demandé au juge de prononcer une amende civile de 117,3 millions d'euros à l'encontre d'Eurelec, une somme correspondant au triple des sommes indûment perçues par cette centrale internationale auprès de ses fournisseurs.

De la même manière, le Gouvernement accorde une attention toute particulière au respect de la véracité de l'origine France affichée. Protéger la crédibilité de l'indication d'origine française est aussi une manière de protéger les revenus de nos agriculteurs, tout en respectant les choix des consommateurs. Chaque année, plus de 600 sanctions sont ainsi imposées par la DGCCRF.

Dans ce contexte, le Gouvernement veille à éviter tout comportement de contournement via l'étranger.

Le développement récent des centrales d'achat européennes pose ainsi problème. L'articulation entre le droit du marché intérieur européen, d'une part, et le droit commercial français, d'autre part, peut interroger.

Toutefois, à ce jour, l'utilisation de centrales situées hors de France n'interdit nullement de faire appliquer la loi française.

Le Gouvernement mobilise ainsi pleinement la DGCCRF et n'hésite pas à sanctionner les pratiques qui seraient en infraction à la loi française. Ainsi, ces deux dernières années, plusieurs chaînes de distributeurs français ont fait l'objet de sanctions, atteignant parfois plusieurs dizaines de millions d'euros, pour non-respect des dispositions de la loi Égalim 2 par leurs centrales d'achat situées hors de France.

En parallèle, et de manière plus structurelle, le Gouvernement proposera à la prochaine Commission européenne un agenda visant à une clarification et une meilleure coordination du droit applicable. L'objectif doit être de mettre un terme à d'éventuelles pratiques de contournement qui ne pourraient aujourd'hui pas être facilement sanctionnées.

Permettez-moi de conclure en soulignant de nouveau l'importance majeure de l'agriculture, dans toute sa diversité, à la fois pour la souveraineté alimentaire de notre pays et pour notre activité économique. Elle est résolument engagée en faveur des transitions écologiques, avec un budget de 4 milliards d'euros sur trois ans qui lui permettra de sortir des injonctions et de lui donner, enfin, les moyens d'agir. Je salue enfin son apport essentiel pour la cohésion de nos territoires.

En cette période où le monde agricole se mobilise fortement, non seulement pour faire entendre ses revendications et ses difficultés, mais aussi pour exprimer sa fierté et son besoin de reconnaissance, cette contribution essentielle mérite d'être rappelée. Je tiens à assurer aux agriculteurs que nous ne lâchons rien dans le combat pour leur garantir une juste rémunération et les moyens d'exercer leur activité dans de bonnes conditions.


Débat interactif

Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum, y compris pour l'éventuelle réplique.

Le Gouvernement dispose pour répondre d'une durée équivalente. Il aura la faculté, s'il le juge nécessaire, de répondre à une réplique pendant une minute ; l'auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Serge Mérillou.

M. Serge Mérillou. Madame la ministre, le débat d'aujourd'hui tombe à point nommé. L'actualité brûlante, avec cette mobilisation massive des agriculteurs dans tout le pays, nous rappelle à quel point notre agriculture est en crise.

La situation nous oblige. Elle nous oblige à agir pour une meilleure reconnaissance du travail et pour une plus juste rémunération de celles et ceux qui contribuent à nourrir les Français. Elle nous oblige à respecter la lettre et l'esprit des lois Égalim : assurer une juste répartition de la valeur entre producteurs, transformateurs et distributeurs.

À cet égard, je ne peux que constater l'échec cuisant du Gouvernement, un échec qui condamne les agriculteurs.

Eurelec, Eureca, Everest : ces noms ne disent rien à la plupart des Français ; pourtant, ces centrales d'achat situées à l'étranger mènent une véritable guerre des prix qui pénalise fortement les petits fournisseurs et se répercute inévitablement sur les producteurs et les éleveurs. Ces géants de la distribution usent de stratagèmes parfois à la limite de la légalité pour garantir leurs marges.

Mais rien n'arrête les centrales d'achat ; aucune considération éthique ne leur importe ! Leurs profits sont sacrés et peu importe si les agriculteurs en meurent…

Face à cette situation, le Parlement a adopté en 2023 la loi Descrozaille, qui visait notamment à encadrer l'activité des centrales d'achat internationales en imposant que les contrats conclus sur des produits commercialisés en France respectent notre législation.

Cette disposition du texte avait été largement critiquée et dénoncée par les distributeurs, qui estimaient cette mesure contraire aux règlements européens.

Madame la ministre, quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre pour contrer ces pratiques déloyales ? Alors que l'inflation mine déjà le budget des Français, comment comptez-vous réguler cette guerre des prix pour assurer une meilleure rémunération des agriculteurs ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, nous avons parfaitement conscience qu'il est essentiel de reconnaître le travail des agriculteurs, qui se mobilisent aujourd'hui dans tout le pays.

Cette reconnaissance s'est traduite notamment par la mise en place du "paquet" Égalim, qui doit permettre de mieux sécuriser le revenu des agriculteurs. Ces lois entrent progressivement en application, la loi Égalim 2, qui porte plus particulièrement sur ce dernier point, étant en vigueur depuis 2023.

La première loi Égalim avait quant à elle pour objet d'encourager la structuration des filières, notamment laitière, bovine et porcine. Ce chantier est bien avancé et nous constatons une amélioration du revenu des agriculteurs, particulièrement dans la filière laitière. Certes, nous devons encore y travailler, comme nous y invite la mobilisation de ces derniers jours, notamment en continuant à accompagner ce mouvement de structuration.

Le cadre législatif que nous avons mis en place est donc solide, même s'il peut toujours être amélioré. C'est le sens de la loi Descrozaille, sur laquelle le Sénat a beaucoup travaillé.

Enfin, une mission gouvernementale va être lancée par Bruno Le Maire pour continuer à réfléchir à la sécurisation du revenu des agriculteurs.

Mme la présidente. La parole est à M. Serge Mérillou, pour la réplique.

M. Serge Mérillou. Votre Gouvernement prône la baisse des prix des produits alimentaires dans les supermarchés pour lutter contre l'inflation. Il alimente de ce fait les difficultés des agriculteurs.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Primas.

Mme Sophie Primas. Madame la ministre, les négociations commerciales sont en cours et nous attendrons le début du mois de février pour faire un bilan global. Ce que nous savons déjà, c'est que, au lieu d'avoir des révisions de prix en mars, les Français supporteront les hausses dès février.

À rebours du discours porté depuis des années en faveur de la sécurisation du revenu des agriculteurs, nous avons eu droit à un discours très agressif visant à faire baisser les prix, discours puissamment relayé par Bruno Le Maire et les distributeurs, balayant d'un revers de main l'inflation des coûts de production. Bizarrement, d'ailleurs, cette petite musique s'est tue depuis le début des manifestations de nos agriculteurs voilà quelques jours…

Les centrales d'achat européennes constituent l'un des points sensibles de ces négociations très difficiles. De plus en plus d'entreprises sont concernées, en premier lieu les multinationales souvent stigmatisées. L'argument des distributeurs est toujours celui des volumes. Certaines centrales d'achat européennes demandent même, en préambule de toute négociation cette année et indépendamment des plans d'affaires nationaux, d'avoir un prix unique pour tous les pays européens, évidemment le prix le plus bas.

Personne ne s'en est vraiment ému, comme si ces multinationales n'avaient pas d'usines en France, dans nos territoires, ni de salariés français répondant à notre modèle social, ou comme si ces entreprises ne s'approvisionnaient pas auprès de nos agriculteurs français.

Aujourd'hui, l'émotion commence à poindre, puisque toutes les entreprises françaises sont maintenant concernées par ce détournement de la loi. Le Sénat avait alerté le Gouvernement sur ce risque dès la première loi Égalim en pointant le probable déplacement des négociations en dehors de la France.

Madame la ministre, je souhaiterais que vous nous disiez très clairement comment Bercy compte faire appliquer la loi française. Comment les industriels, quelle que soit leur taille, peuvent-ils être assurés que les procédures des lois Égalim seront respectées pour sécuriser juridiquement les contrats qui seront conclus – du moins l'espérons-nous – d'ici quelques heures ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice Primas, la lutte engagée par Bruno Le Maire contre l'inflation et la recherche d'une juste rémunération des agriculteurs ne sont pas forcément antagoniques.

Vous m'interrogez sur les négociations menées par les centrales d'achat européennes. Soyons clairs : en aucun cas la localisation des négociations hors de France ne doit servir à contourner la législation française.

Si la signature des conventions a lieu hors de France, les échanges de produits et les commandes ont bien lieu sur notre sol. L'exécution du contrat a donc intégralement notre territoire pour cadre. Dès lors, quand les prix d'achat sont négociés pour les distributeurs français hors de France, les centrales d'achat européennes doivent se conformer au droit français. (Mme Sophie Primas se montre dubitative.)

Elles sont notamment soumises à la loi Égalim, qui impose le "soclage" du prix des matières premières agricoles dans les relations commerciales entre les industriels et les distributeurs, ainsi qu'aux dispositions relatives aux pratiques restrictives de concurrence, notamment l'interdiction de soumission à un déséquilibre significatif et l'interdiction d'obtention d'avantages sans contrepartie tirées des articles L. 442-1 et suivants du code de commerce.

Enfin, madame Primas, sachez qu'en 2023 la DGCCRF a mené quelque cinquante contrôles au sein des centrales d'achat européennes.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Jean Rochette.

M. Pierre Jean Rochette. Madame la ministre, le débat qui nous réunit aujourd'hui est tristement d'actualité. Le monde agricole est en feu et réclame de vivre dignement de son travail : quoi de plus logique ? quoi de plus évident ? quoi de plus noble ?

Les agriculteurs, ces travailleurs stakhanovistes, ont été dépouillés de leurs marges, au bénéfice notamment de certaines centrales d'achat, et ce depuis plusieurs dizaines d'années.

Où sont passées ces marges ? C'est l'objet de notre débat ce matin.

Les centrales d'achat situées hors de France sont incontrôlables, à l'abri du droit français, au contraire de celles qui se trouvent sur notre territoire et des coopératives, bien que l'on y recense encore parfois des pratiques régulièrement dénoncées.

Ces agissements mettent le monde agricole à l'agonie. Ces centrales d'achat n'ont d'autre ambition – passez-moi l'expression – que de serrer le kiki des agriculteurs pour les plonger dans leurs retranchements, dans la spirale infernale de la réduction des marges et du travail à perte !

Pris dans une concurrence mondialisée avec des pays imposant des contraintes d'exploitation bien plus légères, le monde agricole français souffre et les centrales d'achat enfoncent le clou, bien décidées à faire supporter aux agriculteurs la pression sur les marges.

Le ministre de l'économie demande des sanctions ; les parlementaires, eux, demandent l'application stricte des lois Égalim.

Les tensions sont importantes. Elles résultent de la politique désastreuse du "toujours moins cher" au détriment du "toujours mieux produit". Les conséquences se font sentir directement, en nous détournant d'une consommation locale au préjudice de nos agriculteurs.

Madame la ministre, allons-nous réviser les règles et les sanctions en vigueur à l'échelle de notre pays ? Allons-nous activer les leviers européens à Bruxelles ? L'agenda que vous avez évoqué est trop lointain.

Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Pierre Jean Rochette. Le monde agricole attend des mesures rapides et, surtout, de la bienveillance.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, je reconnais qu'il peut y avoir des tensions violentes dans les relations entre les agriculteurs, les industriels et les distributeurs, mais ne caricaturons pas : il est aussi des cas où les choses se passent bien. Je prendrai l'exemple de Lidl, qui a su trouver un modèle avec ses éleveurs.

S'agissant du durcissement des sanctions, le Gouvernement est bien sûr tout à fait ouvert à une réflexion sur ce sujet. Des contentieux sont en cours, illustrant à la fois notre mobilisation pour faire respecter le droit applicable et notre volonté de ne pas laisser impunis des comportements visant à contourner la loi ou à affaiblir la rémunération des agriculteurs.

Toutefois, nous faisons face à des difficultés, notamment d'ordre juridique. La réflexion doit être menée sur la façon dont on impose une sanction dans un cadre transfrontalier, et non pas sur le montant des sanctions. En effet, c'est bien la localisation de ces centrales d'achat qui pose problème. Ce point sera vraisemblablement tranché à la faveur du contentieux en cours entre l'État et Eurelec, centrale d'achat du groupement Leclerc.

Le Gouvernement travaille prioritairement à une meilleure harmonisation du droit européen et portera ce combat auprès de la prochaine Commission européenne.

Mme la présidente. La parole est à M. Guislain Cambier. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Guislain Cambier. Madame la ministre, Eurelec pour Leclerc, installée à Bruxelles, Eureca pour Carrefour, immatriculée à Madrid, ou encore Everest pour Système U, située aux Pays-Bas : de nombreux acteurs français de la grande distribution ont eu recours, ces dernières années, aux services d'une centrale d'achat européenne basée à l'étranger.

Ces géants de la grande distribution achètent en commun et imposent un rapport de force déséquilibré dans les négociations avec les grandes multinationales de l'agroalimentaire, mais également avec nos ETI (entreprises de taille intermédiaire) et nos PME. C'est une arme de plus dans l'arsenal des distributeurs lors des négociations commerciales. Elle s'ajoute au recours de plus en plus fréquent aux marques de distributeurs, les fameuses MDD.

En plus de fragiliser notre écosystème agroalimentaire, ces pratiques offrent aux distributeurs la possibilité de s'adonner à une forme d'évasion juridique, qui consiste à délocaliser les négociations avec leurs fournisseurs loin de la France et de son cadre juridique construit autour des lois Égalim.

Madame la ministre, comment justifiez-vous l'existence de telles pratiques, le choix d'un cadre juridique moins protecteur des intérêts des agriculteurs français et du fabriqué en France ? En effet, si le recours aux centrales d'achat européennes peut se concevoir pour faire face aux producteurs internationaux de l'agroalimentaire, pourquoi des distributeurs français les utiliseraient-ils pour négocier avec des producteurs français le tarif de produits vendus in fine sur le territoire français, si ce n'est pour contourner la loi française et ses dispositions protectrices des producteurs nationaux ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. C'est vrai, monsieur le sénateur, on ne dit pas assez qui se cache derrière ces centrales d'achat.

On dénombre trois principales centrales d'achat européennes : Eurelec, installée en Belgique, qui représente notamment Leclerc et à laquelle quarante-trois fournisseurs français sont associés ; Eureca, domiciliée en Espagne, qui représente notamment Carrefour et à laquelle quinze fournisseurs français sont associés ; enfin, Everest, située aux Pays-Bas, qui représente notamment Système U et à laquelle quarante-quatre fournisseurs français sont associés.

C'est tout l'enjeu du débat qui nous occupe aujourd'hui : ces centrales d'achat représentent une part croissante des achats des enseignes françaises. Certes, elles référencent relativement peu de fournisseurs, mais ce sont les plus gros industriels ; par ailleurs, elles représentent les plus gros volumes de transactions.

Comme je l'ai indiqué dans mes réponses à M. Rochette et à Mme Primas, des contentieux sont en cours entre l'État français et ces centrales d'achat, visant à empêcher des contournements et à faire respecter notre droit. C'est bien la volonté de sanctionner de telles pratiques qui est à l'origine du déclenchement de ces procédures.

Par ailleurs – et cela me permet de préciser ce que j'ai déjà indiqué –, des transformateurs et des industriels travaillent en France avec nos éleveurs. C'est notamment le cas de Mondelez International. Il s'agit là d'un exemple de pratiques qui pourraient être étendues aux autres industriels.

Mme la présidente. La parole est à M. Guislain Cambier, pour la réplique.

M. Guislain Cambier. Madame la ministre, vous l'avez reconnu vous-même, pour faire respecter notre droit et garantir un juste prix à nos agriculteurs, il ne faut pas nécessairement viser à tout prix – c'est le cas de le dire ! – le prix le plus bas possible, car cela pénalisera l'ensemble de la chaîne.

Un peu de colbertisme serait sans doute plus efficace que du libéralisme à tous crins !

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard.

M. Guillaume Gontard. Madame la ministre, vous les avez cités : Hurley, Everest, Eureca, AgeCore… Ces noms sont inconnus du grand public ; pourtant, ces centrales d'achat font la pluie et le beau temps dans le secteur agroalimentaire. Elles fixent en effet les prix d'achat de tous les produits vendus dans nos supermarchés. Leur objectif est simple : acheter le moins cher possible, pour maximiser ensuite leurs marges lors de la revente au consommateur.

Avec des chiffres d'affaires de centaines de milliards d'euros, ces centrales d'achat ont un pouvoir absolu. Refuser leurs prix, c'est ne plus toucher des millions de consommateurs. Les industriels jouent donc le jeu, tout en pratiquant les mêmes méthodes auprès des agriculteurs. En tirant toujours plus leurs prix d'achat vers le bas, leurs marges brutes ont atteint 48 % l'an dernier ! Le groupe Avril, présidé par M. Rousseau de la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles), a ainsi vu son résultat net augmenter de 45 % en 2022 !

C'est ce système, qui tue l'agriculture en la forçant à vendre à perte, que dénoncent les agriculteurs dans toute la France. Ils ont raison : ce racket ne peut plus durer !

Les lois Égalim devaient corriger ce système et rendre les rémunérations un peu plus justes. Elles ont échoué, parce qu'elles ont renoncé aux prix planchers et aux quotas de production, mais aussi parce qu'elles ont été contournées. Leclerc, Carrefour, Intermarché et Système U ont ainsi délocalisé leurs centrales d'achat respectivement en Belgique, en Espagne, en Suisse et aux Pays-Bas. Cela leur a permis de passer outre les règles françaises, notamment celles qui concernent les dates des négociations annuelles.

La centrale d'achat AgeCore, qui travaille pour Intermarché, a été condamnée à 151 millions d'euros d'amende pour ces pratiques, mais la Cour de justice de l'Union européenne l'en a exemptée en raison de son implantation étrangère. Heureusement, la loi Descrozaille devrait y remédier.

C'est une bonne nouvelle, mais, face à la puissance de ces groupes, la bonne volonté ne suffit pas. Il faut des mesures fortes pour rééquilibrer ces négociations commerciales.

Madame la ministre, j'ai trois questions à vous poser.

Allez-vous obliger la grande distribution et l'industrie agroalimentaire à publier leurs marges ?

Allez-vous appliquer des sanctions en cas d'achat de produits agricoles en dessous de leur prix de revient ?

Allez-vous défendre, à l'échelle européenne, des accords tripartites de répartition de la valeur entre agriculteurs, industriels et distributeurs ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, dans le cadre des débats qui ont eu lieu sur la loi Descrozaille, une série de solutions ont été imaginées pour remédier au comportement des enseignes de distribution.

Ainsi, l'article 1er de ce texte a créé l'article L. 444-1 A du code de commerce, aux termes duquel le droit français doit s'appliquer à tout contrat ayant pour finalité la distribution de produits en France.

Si, auparavant, le Gouvernement, par l'intermédiaire de la DGCCRF, veillait déjà avec la plus grande vigilance à l'application du cadre juridique français – cinquante contrôles ont été réalisés en 2023, ainsi que je l'ai rappelé à Mme Primas –, cet article produit d'ores et déjà des effets, puisque l'on constate qu'EuroCommerce, qui est le représentant des intérêts des distributeurs, a entamé un contentieux visant à remettre en question l'applicabilité de l'article 1er de la loi Descrozaille, ce qui prouve bien son effectivité ou à tout le moins son utilité.

Pour le Gouvernement, cet article est conforme au droit européen, puisqu'il permet d'éviter les contournements du droit français sans pour autant imposer les conditions de la loi Égalim aux autres États membres ni empêcher les fournisseurs d'autres États de commercialiser leurs produits en France.

Monsieur le sénateur, vous m'interrogez également sur la publication des marges. À cette heure, une telle publication n'est pas prévue.

Mme la présidente. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Madame la ministre, depuis de nombreuses années, les parlementaires du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky dénoncent les pratiques des centrales d'achat, qui cassent les prix et grèvent le revenu des agriculteurs, tout en s'assurant des marges indécentes qui alimentent la vie chère. Ce débat est salutaire, alors que les agriculteurs sont dans la rue et qu'une grande partie de la population ne mange pas à sa faim.

Nous l'avons dit, les dispositions des trois lois Égalim sur les négociations commerciales ne fonctionnent pas, car les grands groupes distributeurs ont tous développé des stratégies de contournement de la loi française.

Leclerc, Carrefour, Système U ou encore Auchan se sont regroupés au sein de puissantes centrales d'achat à Bruxelles, à Madrid et dans d'autres capitales européennes. Ce faisant, ils favorisent l'internationalisation contractuelle, alors que ces négociations ont des incidences sur les prix applicables sur le marché national.

Ces centrales d'achat étrangères servent à contourner les faibles mesures de protection des maillons d'amont de la chaîne d'approvisionnement. Comme cela a été révélé par la commission d'enquête sur le sujet, "la 'guerre des prix' imprègne ainsi toute la stratégie de la grande distribution française qui en impose les conséquences à ses fournisseurs, souvent en dehors des considérations de coûts de production".

Il faut que le droit national s'applique à tous les produits vendus en France, y compris ceux qui sont négociés via les centrales d'achat européennes. Comme le rappelle Frédéric Descrozaille dans l'exposé des motifs de son texte, "il s'agit ici de contrer le phénomène d'évasion juridique qui consiste à délocaliser la négociation contractuelle afin de la soumettre à des dispositions juridiques plus favorables et moins protectrices des intérêts des agriculteurs français et du fabriqué en France".

Madame la ministre, je vous poserai deux questions : quand le Gouvernement va-t-il enfin plaider pour une exception agricole à l'échelon européen ? quelles mesures va-t-il prendre pour que cesse ce phénomène ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice, nous voulons une Europe ouverte et forte, mais aussi une Europe qui, dans le même temps, protège son agriculture.

Il est important qu'elle soit ouverte et forte, car, pour nos filières, pour nos producteurs, pour le rayonnement du savoir-faire agricole français, il y va de notre capacité à exporter nos productions. L'accord de libre-échange avec le Canada en est un bon exemple, lui qui nous permet d'exporter très largement nos produits agricoles et de montrer la très grande qualité de nos productions. Ces accords commerciaux garantissent la défense de nos IGP (indications géographiques protégées), qui ont vocation à protéger l'exception agricole française et européenne.

Il est important de s'inscrire dans cette démarche, dans la mesure où la France est un acteur agricole et agroalimentaire mondial. La plupart de nos groupes, notamment Carrefour, sont également représentés dans d'autres pays.

Pour autant, dans un contexte d'accumulation d'accords avec des exportateurs agricoles importants, il convient de demeurer vigilant pour ne pas affaiblir notre capacité de production européenne. On l'a vu ces dernières années, particulièrement au moment de la crise du covid-19, la maîtrise des filières est garante de la maîtrise de notre souveraineté ; c'est pourquoi elle est au cœur de nos préoccupations.

Le Gouvernement rappelle donc régulièrement à la Commission européenne qu'il faut davantage tenir compte du cumul de l'ensemble des concessions octroyées par l'Union européenne sur les produits agricoles sensibles. C'est d'ailleurs une des raisons qui a conduit la France à vouloir introduire des clauses miroirs, comme cela a été fait dans le cadre des négociations de l'accord entre l'Union européenne et la Nouvelle-Zélande.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Masset.

M. Michel Masset. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je salue l'initiative de ce débat sur un sujet d'une actualité particulièrement brûlante : il n'est qu'à voir les manifestations de nos agriculteurs, qui veulent bien légitimement pouvoir vivre décemment de leur travail.

Cette crise, nous l'avons vue arriver en Lot-et-Garonne, pays agricole régulièrement marqué par des mouvements de protestation contre les prix imposés par la grande distribution.

Si le Parlement français a tenté de fixer des règles pour encadrer les négociations commerciales entre distributeurs et producteurs, le recours aux centrales d'achat européennes constitue un moyen de contourner notre réglementation.

Au mois de décembre 2022, la Cour de justice de l'Union européenne a donné raison, contre Bercy, aux distributeurs et à différentes centrales d'achat, par exemple Eurelec. Les centrales d'achat établies hors de France ont donc bel et bien gagné : foin du respect de la loi française et notamment de la loi Égalim 3…

Les distributeurs espèrent maintenant un moratoire. Madame la ministre, il me semble qu'une loi votée à l'unanimité ici même, au Sénat, doit être appliquée.

Que devrons-nous accepter demain ? Des centrales d'achat hors d'Europe, à l'abri de toute réglementation ?

Nous sommes en présence de cartels européens de la distribution qui contestent leurs obligations légales. Qu'entendez-vous entreprendre pour lutter contre ce qu'il faut bien appeler la délocalisation des négociations commerciales et, ainsi, pour concourir à la fixation d'un juste prix qui n'est pas forcément le plus bas pour l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement du producteur au consommateur ?

Enfin, quel mécanisme de surveillance des oligopoles de la distribution comptez-vous appuyer à l'échelon européen pour protéger nos agriculteurs et l'industrie agroalimentaire ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, vous avez évoqué la mise en application des lois Égalim 1, 2 et 3.

Les dispositions de ces textes traduisent, dans leur ensemble, plusieurs objectifs. Elles concourent à mieux structurer les filières, à améliorer le revenu de nos agriculteurs, à protéger nos industriels et à contrôler ce qui pourrait apparaître comme une tentative de contournement des normes françaises.

Il faut veiller à ce que ces lois entrent en application et soient pleinement effectives, ainsi que je l'ai souligné dans mon propos introductif. Il convient notamment d'accompagner la structuration de certaines filières, notamment bovine et porcine.

Plus spécifiquement, nous devons veiller à ce que la loi Égalim 2, qui vise à protéger la rémunération de nos agriculteurs, soit pleinement déployée, notamment en imposant la contractualisation écrite des industriels avec les agriculteurs et le "soclage" des coûts de la matière première agricole dans la relation commerciale entre les industriels et les distributeurs.

Enfin, nous nous engageons aussi à ce que la loi Descrozaille, qui est parfois contestée par des acteurs privés ou par les institutions européennes, soit pleinement mise en application. En effet, elle permet de lutter contre les tentatives de contournement auxquelles donnent lieu les centrales d'achat européennes. Qui plus est, je le répète, elle présente l'avantage de s'appliquer uniquement aux transactions qui concernent la France, même si celles-ci ont lieu hors des frontières, sans avoir d'impact sur les autres États membres. Elle permet en outre à des fournisseurs d'autres pays européens de commercialiser leurs produits en France.

Nous devons continuer à renforcer les contrôles. Une cinquantaine ont été réalisés en 2023 ; il faut aller plus loin au cours de l'année 2024.

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Rambaud.

M. Didier Rambaud. Madame la ministre, quelle coïncidence : nous voici réunis pour débattre d'un sujet crucial qui nous concerne tous, notre agriculture, secteur qui crie en ce moment même sa colère dans tous les territoires de notre pays.

La question qui nous occupe plus particulièrement ce matin porte sur les relations entre producteurs et distributeurs au sein de notre système économique, ainsi que sur les pratiques de la grande distribution.

Oui, la loi tendant à renforcer l'équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, ou loi Descrozaille, a marqué une étape importante dans le rééquilibrage de ce rapport de force, d'abord, en accélérant le cycle des discussions, ensuite, en renforçant les sanctions contre les enseignes ne respectant pas les dates butoirs, ce qui démontre une volonté ferme de protéger les acteurs vulnérables de la production alimentaire.

Cependant, un défi considérable reste à relever.

Force est de constater que les centrales d'achat implantées hors de nos frontières échappent aux contraintes de nos lois, créant par conséquent un terrain propice à des pratiques commerciales inéquitables.

Comme l'a souligné, en 2019, le rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de ses groupements dans leurs relations commerciales avec leurs fournisseurs, le système des centrales d'achat est en réalité "opaque".

En fait, ce système permet de contourner la réglementation française issue des lois Égalim, une réglementation essentielle qui impose une rémunération minimale pour les agriculteurs.

Aujourd'hui, on le voit bien, la protection de nos agricultrices et de nos agriculteurs est plus que jamais cruciale. Ces derniers veulent, à juste titre, vivre de leur métier !

Il est donc essentiel d'examiner de près les moyens d'agir et les solutions qui s'offrent à nous, à l'échelle nationale et européenne, afin d'établir un juste équilibre dans les rapports de force.

Madame la ministre, l'adoption des lois Égalim et Descrozaille n'étant pas suffisante pour protéger les revenus du monde agricole, quelles initiatives concrètes peut-on envisager pour contrer ces pratiques déloyales et équilibrer les relations entre les fournisseurs, la grande distribution et les centrales d'achat opérant hors de nos frontières ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, comme je l'ai rappelé à M. Gontard, l'article 1er de la loi Descrozaille, devenu l'article L. 444-1 A du code de commerce, dispose que le droit français s'applique à tout contrat ayant pour finalité une distribution de produits en France. En d'autres termes, les fournisseurs de produits destinés à être commercialisés par nos enseignes, même si ces derniers se négocient dans une centrale d'achat internationale, sont protégés par les dispositions du chapitre IV du titre IV du code de commerce.

Par ailleurs, les actions de contrôle de la DGCCRF et les différentes actions en justice sont des outils précieux permettant de s'assurer du respect du cadre législatif.

Enfin, je vous rappelle que la date butoir pour les négociations commerciales a été fixée au 15 janvier dernier pour les PME et ETI et au 31 janvier prochain pour les grands groupes. Quand ces dates auront passé, des contrôles démarreront pour vérifier l'effectivité des négociations et, surtout, si elles ont été conduites dans le respect du cadre légal.

Comme je l'ai déjà indiqué en réponse à M. Mérillou, une mission va être engagée par Bruno Le Maire sur la question du cadre des négociations commerciales. Ce sera peut-être l'occasion d'approfondir la réflexion sur la façon de mieux lutter à la fois contre le recours aux centrales d'achat européennes et contre les distorsions de concurrence entre les différents acteurs de la négociation.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Tissot.

M. Jean-Claude Tissot. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, à mon tour, je tiens à remercier mes collègues du groupe Union Centriste d'avoir organisé ce débat sur un sujet particulièrement opaque, qui est certainement l'un des facteurs d'échec des différentes lois Égalim.

En effet, cela a été souligné à plusieurs reprises, ce système, construit par de très grands groupes de distribution, qui jouent des différences de TVA ou de quelques centimes d'euro à la marge, conduit à fortement renforcer la pression sur les agriculteurs et les producteurs.

Inéluctablement, cette tension permanente entraîne une course aux coûts pour les agriculteurs, qui n'ont d'autre choix que de privilégier l'efficacité, au détriment de leur santé, de celle des consommateurs et de la préservation de notre environnement.

La récente crise du monde agricole trouve certainement une partie de ses origines dans les agissements de cette oligarchie des industriels et de la grande distribution agroalimentaire.

Il est indispensable que les pouvoirs publics reprennent le contrôle sur la régulation du prix.

Mes chers collègues, nous le voyons avec ce débat, la solution est européenne. Ces enjeux, qu'il s'agisse de l'alimentation, de l'agriculture ou de la distribution, doivent donc être au cœur de la campagne des prochaines élections européennes, et ce non pas de manière dogmatique ou catastrophiste, mais de manière raisonnée et concrète.

Le Gouvernement français doit défendre ce sujet à l'échelon européen en 2024, que ce soit sous la présidence belge ou hongroise, pour réellement encadrer les pratiques de ces centrales d'achat.

Pour ma part, je considère qu'un des enjeux de ce sujet est le phénomène de concentration des très grands groupes de distribution au sein de centrales d'achat européennes, qui possèdent, par ce biais, une influence disproportionnée. Nous ne devons pas ignorer les terribles conséquences de ce système pour les plus petits acteurs de la distribution et les producteurs locaux.

Il est donc indispensable de légiférer sur la concentration de ces acteurs, ce qui doit se faire à l'échelon tant national qu'européen, avec des autorités de contrôle dotées de moyens de surveillance et de sanction.

Madame la ministre, de manière très concrète, comptez-vous agir sur ce phénomène de concentration au sein des centrales d'achat européennes, qui pèse sur toute la filière et sur nos agriculteurs ? Comment comptez-vous le faire ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, la recherche de la compétitivité ne doit pas être considérée comme un gros mot pour nos agriculteurs : au fond, ce sont des chefs d'entreprise, qui plus est des chefs d'entreprise particulièrement complets, dans la mesure où ils occupent souvent une grande diversité de fonctions au sein de cette entreprise.

L'utilité de la loi Égalim 2 a été démontrée : elle était nécessaire pour protéger le revenu des agriculteurs. Aujourd'hui, elle doit s'appliquer sans aucune condition. Votée en 2021, elle est désormais connue de tous ; il est donc temps de lancer des contrôles pour s'assurer qu'elle est correctement mise en œuvre. Si tel n'est pas le cas, des sanctions fermes devront être prises. C'est d'autant plus important en cette période où le monde agricole exprime son très fort mécontentement.

Nous constatons également que cette loi a commencé à porter ses fruits : un an après son entrée en vigueur, on note une amélioration du revenu des agriculteurs. Certes, cette amélioration n'est pas suffisante, elle ne touche pas toutes les filières de manière uniforme. Reste que ces premiers résultats nous invitent à penser que cette loi permet d'aller dans le bon sens.

Je le répète, cette loi protège le revenu des agriculteurs et permet de corriger un certain nombre d'inégalités. Toutefois, il ne faut pas oublier les facteurs conjoncturels et structurels pointés du doigt par les agriculteurs à l'occasion de cette crise agricole, facteurs qui affectent les productions et la situation de nos agriculteurs.

La contractualisation constitue la clé de voûte de la loi Égalim 2 ; à l'exception de certaines filières, les dispositions en question sont entrées en vigueur. Nous devons rester très vigilants et nous assurer que ces dispositions sont pleinement appliquées et que les sanctions les plus fermes sont prises pour dissuader ceux qui ne voudraient pas que cette loi puisse entrer pleinement en vigueur.

Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Burgoa.

M. Laurent Burgoa. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie tout d'abord le groupe Union Centriste d'avoir pris l'initiative de ce débat, alors que notre pays se trouve en pleine crise agricole.

Permettez-moi de faire part, à distance, de tout mon soutien aux agriculteurs gardois qui manifestent ce matin.

Madame la ministre, nos agriculteurs attendent un plan Marshall de la ruralité. Ils en ont assez que certains les pointent du doigt et les considèrent comme des pollueurs, alors qu'ils sont des aménageurs du territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Le 30 mars 2023 a été promulguée la loi tendant à renforcer l'équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, dite loi Descrozaille. Le Sénat s'est fortement impliqué lors de l'examen de ce texte et a notamment défendu le principe de son article 1er, qui vise à faire appliquer le droit français à toute transaction portant sur des produits ou services commercialisés en France. Force est de constater qu'un certain nombre de grandes enseignes n'ont pas mis fin à leurs pratiques en la matière et continuent de contourner le droit français.

Face à cette situation, le Gouvernement français est tenu de faire appliquer la loi votée au Parlement. C'est une question de principe, mais également de justice, à l'heure où nos agriculteurs expriment leur colère face à des lois qui les pénalisent trop souvent et les protègent trop peu.

L'action de l'État doit être intraitable ; à défaut, ce sera une nouvelle démonstration d'incohérence entre les discours et les actes.

Madame la ministre, je souhaite donc que vous nous indiquiez de façon précise le nombre de contrôles réalisés par la DGCCRF depuis la promulgation de la loi Descrozaille, ainsi que le nombre des sanctions prononcées et leur montant.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur Burgoa, comme le montrent les échanges entre la France et l'Union européenne, il existe encore des difficultés juridiques quant au droit applicable et à la détermination des tribunaux territorialement compétents. Le Gouvernement s'est attelé à cette tâche.

Parallèlement, le Gouvernement engage une action résolue contre les tentatives de contournement du droit français, pour lutter contre les pratiques abusives des centrales d'achat européennes que vous avez tous mentionnées, mesdames, messieurs les sénateurs.

Monsieur Burgoa, pour répondre à votre question le plus concrètement possible, notamment au regard des précisions que j'ai d'ores et déjà apportées dans mes précédentes interventions, je mentionnerai certaines sanctions infligées par la DGCCRF et qui me paraissent emblématiques dans le cadre de la lutte contre ces abus.

Je pense d'abord à l'amende administrative de 6,34 millions d'euros qui a été infligée à Eurelec, à laquelle est rattaché Leclerc, pour absence de signature des conventions avec ses fournisseurs au 1er mars.

Cette centrale d'achat a également été assignée par le ministre de l'économie devant le tribunal de commerce de Paris en juillet 2019 pour soumission de ses fournisseurs à un déséquilibre significatif. En effet, Eurelec a tenté d'imposer la loi belge à ses fournisseurs sans négociation, les privant de la sorte des mécanismes protecteurs du droit français.

Au mois de janvier 2022, c'est l'enseigne Intermarché qui a fait l'objet d'une amende administrative d'un montant de 19,2 millions d'euros pour les pratiques de la centrale AgeCore. Il était reproché à Intermarché de ne pas avoir fait figurer les services internationaux fournis par AgeCore dans des conventions signées.

Enfin, deux entités françaises et une entité belge d'Intermarché ont été assignées en 2021 pour les pratiques d'AgeCore sur le fondement des dispositions relatives à l'avantage sans contrepartie, en raison de l'inconsistance des services de coopération commerciale fournis par la centrale d'achat.

Vous le voyez, monsieur le sénateur, des sanctions ont été prises. Celles que j'ai mentionnées datent toutes d'avant 2023. Comme je l'ai indiqué à Mme Primas, cinquante contrôles sur les pratiques des centrales d'achat européennes ont été réalisés par la DGCCRF en 2023. (Mme Anne-Catherine Loisier s'exclame.)

Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Burgoa, pour la réplique.

M. Laurent Burgoa. Madame la ministre, je vous remercie des éléments que vous venez de nous fournir. Continuez : les agriculteurs ont besoin d'un véritable contrôle de ces centrales d'achat. Ce ne sont pas des voyous : ils ne comprennent pas que les personnels des agences de l'eau viennent les contrôler armés, alors qu'eux respectent les règles de la République.

M. Guislain Cambier. Bravo !

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Bleunven. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Yves Bleunven. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l'un des marqueurs de la colère des agriculteurs est la situation économique dans laquelle ils se trouvent et qui touche l'ensemble de nos filières agricoles. L'efficacité toute relative des lois qui se succèdent depuis trente ans n'a pas permis une révolution en matière de construction des prix ; force est de constater que le compte n'y est pas.

La France est dotée d'un arsenal législatif important pour une meilleure rémunération des agriculteurs. Pour autant, qu'en est-il du contrôle du respect de ces règles ? La pratique des centrales d'achat à l'étranger, qui sévit maintenant depuis plus d'une dizaine d'années et qui a été mise en lumière par le rapport de la commission d'enquête sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de ses groupements dans leurs relations commerciales avec leurs fournisseurs, ne cesse de se développer.

Je n'énumérerai pas ces grandes entités – mes collègues l'ont très bien fait précédemment – dont la discrétion délibérée les rend parfaitement inconnues du grand public. Ces groupements internationaux permettent aux distributeurs de s'affranchir du droit français, donc des garde-fous que nous avons mis en place avec les lois Égalim, notamment en matière de respect du calendrier des négociations, cher aux interprofessions.

Nous savons que les négociations commerciales ont été particulièrement difficiles cette année. Samedi dernier, le Premier ministre a promis davantage de contrôles pour s'assurer que les négociations commerciales entre les enseignes des supermarchés et leurs fournisseurs de l'agroalimentaire ne se fassent pas au détriment du prix payé aux agriculteurs.

Quid des contrôles auxquels sont soumises ces grandes centrales d'achat ? La loi Descrozaille a pourtant soumis au droit et aux tribunaux français les contrats négociés avec les grandes et moyennes surfaces via ces centrales d'achat dès lors que les produits sont vendus en France. Combien de contentieux aujourd'hui ?

Si la coercition mise en place est insuffisante, peut-on imaginer, comme le préconisait déjà le rapport de la commission d'enquête de 2019, un encadrement de la création et de l'activité de ces centrales d'achat via une directive européenne ? Où en sont les discussions à ce sujet ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, j'espère avoir déjà apporté des éléments de réponse à vos questions en répondant à M. Burgoa.

Pour renforcer le cadre des négociations, le ministre de l'économie, Bruno Le Maire, s'apprête à lancer une mission gouvernementale sur le cadre appliqué aux négociations commerciales annuelles. Celle-ci sera chargée d'explorer les conditions permettant à la fois de négocier dans un cadre de confiance et de s'adapter aux crises, comme celles qu'on a pu connaître ces dernières années.

L'objectif est d'aboutir à une relation de confiance, une relation plus apaisée entre la distribution, les industriels et les agriculteurs, qui constituent tous trois des maillons indispensables de la chaîne de production.

Une bonne négociation devra s'inscrire dans une logique de valorisation du travail de nos agriculteurs et de nos industriels. Elle devra également permettre, au travers des enseignes de distribution, de montrer ce que la France sait faire de meilleur.

Vous avez évoqué les contrôles. Sachez que le contrôle des négociations qui se sont achevées démarrera prochainement et que le Gouvernement s'est engagé à ouvrir des discussions avec la prochaine Commission européenne pour harmoniser le cadre de ces négociations.

Enfin, madame Loisier – je vous ai vue réagir à ma réponse au sénateur Burgoa –, je voudrais vous préciser que, dans les cas que j'ai cités, les amendes administratives ont bien été payées.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Do Aeschlimann.

Mme Marie-Do Aeschlimann. Madame la ministre, comme cela a été souligné, la loi du 30 mars 2023 tendant à renforcer l'équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, dite loi Égalim 3, avait un objectif simple dans un contexte d'inflation : faire appliquer le droit français aux produits commercialisés en France, afin de protéger les producteurs.

C'est un sujet d'actualité, alors que les négociations commerciales entrent dans leur dernière phase et que de très nombreux agriculteurs manifestent, en ce moment même, inquiétude et désarroi.

Nous le savons, le Sénat a agi pour sanctuariser, si je puis dire, la matière première agricole dans les négociations commerciales et permettre à nos agriculteurs, qui nourrissent la France, d'obtenir une juste rémunération de leur travail. Je tiens à leur exprimer ici mon soutien plein et entier.

Dans un maquis de règles tatillonnes et infantilisantes, l'interdiction de faire porter la négociation sur le prix d'achat des matières premières agricoles a suscité un grand espoir au sein de la profession.

Mais, comme cela a été souligné, le développement des centrales d'achat à l'étranger, qui échappent de facto au droit français, affaiblit significativement la portée et l'effectivité de cette clause de bon sens.

Pour que notre droit ne soit pas réduit à un catalogue de bonnes intentions, il faut veiller à ce que les tentatives de contournement de la loi française soient mises en échec.

Il apparaît dès lors indispensable de parvenir à une harmonisation des normes à l'échelle européenne pour mettre un terme à cette pratique regrettable.

Ma question est donc simple : quelle voix la France porte-t-elle, au niveau de l'Union européenne, pour faire respecter ses propres règles ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice Aeschlimann, vous avez raison : aujourd'hui, en matière de négociations commerciales, les législations européennes sont trop peu harmonisées.

En fait, le seul cadre qui existe actuellement est celui de la directive européenne du 17 avril 2019 sur les pratiques commerciales déloyales dans les relations interentreprises au sein de la chaîne d'approvisionnement agricole et alimentaire. Comme vous le savez certainement, cette directive liste un ensemble de pratiques déloyales qui sont interdites : retards de paiement de plus de trente jours pour les produits alimentaires périssables et de plus de soixante jours pour les autres ; annulations de commandes de produits périssables à brève échéance ; modifications unilatérales des contrats par les acheteurs ; menaces ou exécutions de représailles commerciales par l'acheteur contre le fournisseur.

Or l'on constate que tout cela est bien moins protecteur que la réglementation française, que le paquet Égalim et la loi Descrozaille, notamment, ont permis de consolider au fil des années.

C'est pourquoi la France prépare une stratégie de défense d'une plus grande harmonisation de la réglementation européenne, afin d'éviter tout déséquilibre dans les relations commerciales. Elle mènera ce combat auprès de la Commission européenne qui entrera en fonctions l'été prochain.

Nous l'avons fait, me semble-t-il, pour d'autres filières ; je pense notamment à l'industrie. Tout le monde a pris conscience des enjeux de la maîtrise des filières. Et, comme vous l'avez rappelé à juste titre, nous le devons tout particulièrement aujourd'hui à nos agriculteurs, qui se mobilisent pour rappeler les conditions dans lesquelles ils doivent exercer leur métier. Il me paraît d'autant plus important de travailler à une telle harmonisation pour renforcer notre agriculture française et européenne.


Conclusion du débat

Mme la présidente. En conclusion du débat, la parole est à M. Franck Menonville, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Laurent Burgoa applaudit également.)

M. Franck Menonville, pour le groupe Union Centriste. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, à l'heure où la voix des agriculteurs français et européens résonne avec force partout sur notre continent, en particulier dans notre pays, il est de notre responsabilité d'apporter des réponses concrètes aux problèmes rencontrés par ceux qui nous nourrissent.

Je tiens à saluer la démarche de notre collègue Anne-Catherine Loisier et de notre groupe de l'Union Centriste, qui a permis d'inscrire à notre agenda politique le recours aux centrales d'achat par la grande distribution. Cette question fait évidemment pleinement écho à l'actualité immédiate de notre agriculture.

Notre groupe a souhaité se saisir d'un tel sujet, qui est important et particulièrement d'actualité pour l'équilibre des négociations commerciales et la juste rémunération des agriculteurs.

Eureca, Eurelec, Everest… ces centrales d'achat aux noms inconnus du grand public sont pourtant aujourd'hui des acteurs majeurs de l'agroalimentaire.

Les vagues d'alliances de distributeurs observées en 2014, puis en 2018, ont conduit au renforcement du pouvoir de marché des distributeurs. Je pense notamment aux alliances entre Carrefour et Système U et entre Carrefour et Tesco, ainsi qu'à Horizon, qui regroupe Casino, Auchan, Dia, Metro et Schiever.

Le cas d'Eurelec est symptomatique. En effet, avec cette centrale d'achat installée à Bruxelles, il devient possible pour certains distributeurs de s'affranchir de certaines règles françaises, en matière de droit de la concurrence et de délais de paiement notamment, en organisant une véritable extraterritorialité juridique et réglementaire.

De telles alliances soulèvent deux problèmes majeurs.

Le premier est le fait que ces centrales d'achat échappent trop souvent au droit français et à ses exigences.

Les pratiques d'optimisation juridique, voire d'évasion, des acteurs de la grande distribution doivent aujourd'hui cesser ; le droit français doit s'appliquer partout. Il n'est plus possible que des acteurs français travaillent avec des centrales d'achat installées ailleurs en Europe au mépris des règles, votées par la représentation nationale, protégeant les acteurs économiques de la filière agroalimentaire.

Les lois Égalim doivent s'appliquer à l'ensemble des acteurs. Personne ne peut s'affranchir du respect de l'ensemble des normes, à l'instar du principe de non-négociabilité des matières premières agricoles. C'est une question de justice sociale et d'équité économique. Nous devons être fermes avec les acteurs qui ne jouent pas le jeu.

Le second problème est double : il concerne la transparence et l'asymétrie des informations. Les systèmes d'achats en ligne des détaillants obligent les fournisseurs à fournir des informations sur leurs capacités, leurs usines, leurs profits nets et leurs volumes. Ces informations privilégiées sont ensuite communiquées aux différents distributeurs. Les fournisseurs ont alors des marges de manœuvre très réduites dans les négociations.

Nous devons donc, au plus vite, rééquilibrer et réguler ces relations, dont l'asymétrie grandit avec la puissance des centrales d'achat. Cette réflexion doit s'inscrire dans une volonté globale de bâtir un meilleur équilibre des relations commerciales.

La question d'une réforme de la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, dite LME, doit, à mon avis, se poser également et, avec elle, celle de la lutte contre la surconcentration des acteurs et leurs positions dominantes.

Un débat sur les marques de distributeurs doit aussi se tenir. C'est un défi global que nous devons relever.

Le Gouvernement doit être à l'unisson sur ce dossier. Aujourd'hui, les injonctions contradictoires sont trop nombreuses et le manque de volontarisme en matière de contrôle de l'application de la loi Égalim est criant.

Le ministre de l'agriculture ne peut pas être le seul à gérer ce dossier. L'Europe doit aussi s'imposer et imposer ce débat pour harmoniser les procédures de négociation.

Madame la ministre, le moment est venu de passer des mots aux actes en encadrant, voire en sanctionnant davantage de telles pratiques et en protégeant nos agriculteurs, nos producteurs et notre industrie, afin de sortir de cette guerre des prix destructrice de valeur pour notre économie. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur les pratiques des centrales d'achat de la grande distribution implantées hors de France.


Source https://www.senat.fr, le 5 février 2024