Interview de Mme Aurore Bergé, ministre déléguée, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, à LCI le 31 janvier 2024, sur la déclaration de politique générale, la crise agricole et le projet de loi constitutionnelle relatif à la liberté de recourir à l'interruption volontaire de grossesse.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Aurore Bergé - Ministre déléguée, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations ;
  • Jean-Baptiste Boursier - Journaliste

Média : LCI

Texte intégral

JEAN-BAPTISTE BOURSIER
Bonjour Aurore BERGE, bienvenue.

AURORE BERGE
Bonjour.

JEAN-BAPTISTE BOURSIER
Vous êtes ministre déléguée auprès de Gabriel ATTAL, chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations. Vous étiez au banc des ministres hier. Vous n'êtes pas encore très nombreux à avoir assisté à ce discours de politique générale. Vous l'avez trouvé comment ?

AURORE BERGE
Je l'ai trouvé engagé, je l'ai trouvé solide, et je crois que c'est ça qu'on attend. C'est-à-dire, on attend d'un Premier ministre qu'il déroule une feuille de route précise, à la fois qu'il s'inscrive dans les pas du cap qui nous a été fixé par le président de la République, mais qu'on ait une feuille de route qui soit, qui soit délivrée à l'ensemble des membres du Gouvernement, de la majorité, et puis qui invite aussi à un élargissement potentiel de cette majorité, parce qu'on le sait bien, dans le cadre d'une majorité, on aura aussi besoin évidemment d'opposition constructive, exigeante, mais constructive.

JEAN-BAPTISTE BOURSIER
Personnellement, pour ce qui est de votre portefeuille, vous avez entendu quoi comme cap alors ?

AURORE BERGE
Eh bien on a parlé, et évidemment il l'a redit, puisque c'était quelques minutes après la question de l'IVG dans la Constitution, je pense qu'on y reviendra. La question évidemment des droits des femmes, de la lutte contre les discriminations. Il a conclu d'ailleurs son discours là-dessus. C'était le programme originel qu'on a porté en 2016/2017, ce qu'on appelait la lutte contre les assignations à résidence. C'est-à-dire que quelle que soit son origine sociale, quelle que soit son adresse, est bien à un moment, ce qui compte, c'est tout simplement la République, et qu'on ait les mêmes droits et les mêmes capacités, la même égalité des chances. Et c'est là-dessus qu'il a conclu son discours, parce que ça doit irriguer toutes les politiques publiques.

JEAN-BAPTISTE BOURSIER
Mais, est ce que le rappeler, ce n'est pas reconnaître en creux que ça n'a pas été fait ? Que sept ans de macronisme n'ont pas suffi, qu'il faut donc un discours puissant pour rappeler quelle a été l'essence ? Je rappelle à nos téléspectateurs, que le livre programme du président de la République en 2016 s'appelait "Révolution". La Révolution, elle a vraiment eu lieu, Aurore BERGE ?

AURORE BERGE
Eh bien, elle a eu lieu parce que le simple fait d'avoir un Premier ministre qui appartient à cette génération là, vous l'avez dit vous-même, est la démonstration qu'encore une fois, la vie politique elle a vraiment muté...

JEAN-BAPTISTE BOURSIER
Mais sept ans plus tard, il aura fallu six ans pour avoir une femme à Matignon, puis sept ans pour avoir un jeune Premier ministre.

AURORE BERGE
Oui, sauf que le seul qui l'ai fait, c'est Emmanuel MACRON en l'espèce. Donc cela veut dire qu'il y a eu cet engagement-là extrêmement clair et fort, qui a été porté. Et surtout, il y a eu des réussites. Encore une fois, Gabriel ATTAL et moi, on appartient à une génération où on pensait que le chômage de masse était le seul horizon de notre génération. On a réussi à le mettre derrière nous. Donc du coup, c'est vrai que c'est plus une préoccupation et que les préoccupations elles se décalent sur d'autres enjeux, et c'est cela dont on a parlé, notamment la question du travail.

AURORE BERGE
Mais la préoccupation des Français, c'est l'inflation, c'est le pouvoir d'achat.

AURORE BERGE
Oui, mais le pouvoir d'achat, vous l'obtenez par quoi d'abord ? Vous l'obtenez d'abord par la capacité à avoir un emploi et un travail qui rémunère. La meilleure protection du pouvoir d'achat des Français, c'est d'abord le travail et sa rémunération. Mais donc, avant, il fallait pouvoir accéder à un emploi. Encore une fois, on appartenait à une génération, où notre seul horizon, c'était le chômage de masse. C'était l'angoisse de nos générations, de nos parents, de nos grands-parents pour nous. On en est sorti. Notre enjeu aujourd'hui, c'est la question du tassement des rémunérations du tassement des salaires, ce qu'il a appelé la "desmicardisation" de notre pays, qui est absolument déterminante.

JEAN-BAPTISTE BOURSIER
D'un mot, parce que ce n'est pas votre spécialité ni votre portefeuille, mais les agriculteurs continuent d'être en colère. On suit ça évidemment avec beaucoup d'intérêt. Est-ce que Gabriel ATTAL a dit suffisamment ? Ça n'a pas convenu pour l'instant à la FNSEA.

AURORE BERGE
Alors, déjà, il a dit qu'il y aurait d'autres annonces qui seraient, qui seraient portées, qui seraient faites dans les heures et dans les jours qui viennent. Moi, je pense surtout que les agriculteurs, aujourd'hui, ils le disent eux-mêmes, ils sont un peu perdus et un peu paumés par rapport à 1 000 injonctions contradictoires qu'on leur fait, y compris nous-mêmes, en tant que citoyens, en tant que consommateurs. On ne peut pas le matin dire qu'il faut promouvoir les enjeux environnementaux et le bien-être animal, et l'après-midi, refuser d'acheter français, de payer quelques centimes de plus pour acheter des produits qui sont des produits de qualité. Notre agriculture, elle a une valeur, tout le monde le dit, mais cela veut aussi dire qu'elle a un coût. C'est ce qu'on a fait dans la loi. On a protégé justement le coût de la matière première agricole…

JEAN-BAPTISTE BOURSIER
Oui, mais la loi n'a pas été appliquée.

AURORE BERGE
La loi, elle est appliquée dans toutes les filières où cette loi existe, la EGalim 2. S'il faut des contrôles supplémentaires, eh bien ces contrôles seront faits. Cela a été annoncé d'ailleurs, pour qu'il y ait des sanctions qui peuvent aller jusqu'à 2 % du chiffre d'affaires. Quand vous êtes une entreprise qui fait des milliards d'euros de chiffre d'affaires…

JEAN-BAPTISTE BOURSIER
Oui, ça fait des millions.

AURORE BERGE
2 %, c'est colossal. Donc, cela veut dire que ce sont des sanctions suffisantes pour faire en sorte de vérifier, évidemment, que la loi soit appliquée. Mais c'est aussi à nous, consommateurs et citoyens, d'avoir un discours parfois cohérent pour soutenir nos agriculteurs.

JEAN-BAPTISTE BOURSIER
Madame BERGER, vous êtes ministre déléguée à l'Égalité entre les femmes et les hommes et la Lutte contre les discriminations. Est-ce que vous pouvez commencer par votre propre Gouvernement ? Quatorze ministres, sept femmes, sept hommes, mais tous les postes régaliens les plus importants, hors les ministères de madame VAUTRIN, sont occupés par des hommes, à nouveau par des hommes.

AURORE BERGE
Attendez, ça dépend comment vous hiérarchisez les priorités. Quelles sont les priorités…

JEAN-BAPTISTE BOURSIER
Eh bien la Justice, l'Intérieur, Matignon. Tout ça, ce sont des postes occupés par des hommes. Bercy.

AURORE BERGE
Non. Les priorités qui sont édictées par les Français eux-mêmes, c'est quoi ? Le travail, la santé, l'éducation. Ce sont des femmes qui occupent ces postes-là. Donc on ne peut pas dire que ce soit des postes mineurs et de relégation. Ce n'est pas vrai. Ce n'est pas vrai.

JEAN-BAPTISTE BOURSIER
Ce n'est pas ce que j'ai dit. J'ai dit que la Justice, l'Intérieur, Matignon, à nouveau, les Armées, tous ces postes sont à nouveau occupés par des hommes.

AURORE BERGE
Non, mais j'entends…

JEAN-BAPTISTE BOURSIER
Les Affaires étrangères.

AURORE BERGE
Les postes qui sont recyclés dans la vie des Français, dans le quotidien des Français, sont aussi portés par des femmes. Et que, encore une fois, le sujet il n'est pas là. On a un Gouvernement qui est paritaire, qui sera complété, vous le savez, le président de la République l'a annoncé et qui va donc rester paritaire depuis le premier jour, depuis 2017, à chaque remaniement, les gouvernements sont restés paritaires, ce qui n'avait pas toujours été le cas, voire rarement été le cas. Emmanuel MACRON avait promis, vous le savez, une femme Premier ministre au début de ce quinquennat, avant de promouvoir Gabriel ATTAL. Et puis surtout, ce qui compte pour les Français, à mon avis, ce n'est pas quelle femme ou quel homme à quel poste, c'est la politique qu'on mène…

JEAN-BAPTISTE BOURSIER
Ça compte quand même, madame BERGE.

AURORE BERGE
Non mais c'est d'abord la politique qu'on mène sur les enjeux de l'égalité.

JEAN-BAPTISTE BOURSIER
Mais vous le savez vous-même, puisque vous êtes à la tête... Vous êtes vous-même à la tête d'un ministère dans lequel les symboles sont extrêmement importants.

AURORE BERGE
Ok. Mais les symboles, au-delà des symboles, au-delà du nombre, au-delà des femmes, et nous sommes quelques femmes dans ce Gouvernement, et je crois que nous comptons et que nous savons faire de la politique, c'est aussi concrètement comment on fait avancer la question de l'égalité entre les femmes et les hommes.

JEAN-BAPTISTE BOURSIER
Alors…

AURORE BERGE
Et il y a, je suis désolée, quand on parle des métiers de première ligne, qui sont d'abord exercés par des femmes, et quand on parle de "desmicardiser la France", les premières qui vont pouvoir en bénéficier, ce sont les femmes, parce que ce sont elles qui occupent ces postes.

JEAN-BAPTISTE BOURSIER
L'Assemblée nationale s'est prononcée en faveur de la liberté garantie pour une femme d'avoir recours à l'IVG, dans la Constitution. Le texte va au Sénat. On sait ce qui va se passer au Sénat, le président LARCHER l'a expliqué, il ne veut pas que la loi fondamentale devienne un catalogue, je le cite, de mesures sociétales.

AURORE BERGE
Mais, je respecte le président LARCHER, mais il ne sera pas seul à décider. Il y aura un vote du Sénat, un vote souverain du Sénat. Et vous le savez, le Sénat…

JEAN-BAPTISTE BOURSIER
Est-ce que ça, ce n'est pas un point de vue de vieil homme blanc, ça pour le coup ?

AURORE BERGE
Non, je pense que ce serait caricatural de dire ça. Il a déjà dit, il a dit son attachement à l'IVG, donc il ne faut pas non plus lui faire de faux procès. En revanche, le Sénat s'est déjà prononcé et a déjà donné une majorité au fait d'inscrire l'IVG dans la Constitution. Moi, ce que je dis, c'est, hier c'était un moment historique qu'on l'a vécu à l'Assemblée nationale, un projet de loi constitutionnelle, de consensus politique. Moi, quand j'avais porté au tout début cette proposition de loi, on m'avait dit, ça n'aboutira jamais. Ce ne sera pas soutenu. Et j'avais dit clairement : vous verrez, avant la fin du quinquennat, nous aurons réussi à modifier notre Constitution, pour garantir cette liberté fondamentale des femmes et pour dire, jamais de retour en arrière.

JEAN-BAPTISTE BOURSIER
Il y aura les deux tiers du Parlement réuni en congrès. Il y aura les voix ?

AURORE BERGE
Eh bien regardez le nombre de voix hier à l'Assemblée nationale : 493. Ça veut dire qu'il en manque combien ? Il en manque 62. Il manque 62 voix de sénateurs pour garantir qu'au Congrès nous puissions adopter ce projet de loi constitutionnel et modifier notre Constitution. Donc, moi, je le dis aux sénateurs, il y a eu un moment historique hier, qui s'est produit à l'Assemblée nationale. On a été au rendez-vous, au rendez-vous pour les droits des femmes, pour la liberté des femmes. Encore une fois, ce qui se passe ailleurs de notre pays pourrait demain se passer en France. Il faut arrêter de penser que la France, par principe, serait protégée de toute régression, y compris sur des enjeux aussi fondamentaux que le droit à disposer de nos corps. Donc il faut que le Sénat, et je l'espère, soit au rendez-vous.

JEAN-BAPTISTE BOURSIER
Madame BERGE, encore un point. Il y aura là, tout début du mois de février, un hommage aux familles, enfin, aux victimes du Hamas au cours de l'attaque terroriste du 7 octobre. Plusieurs familles ont dit leur opposition à la présence de représentants de la France insoumise, réponse à leurs propres déclarations, puisque certains, madame PANOT par exemple, a affirmé vouloir se rendre à cet hommage.

AURORE BERGE
Moi, je pense qu'il faut que les députés de la France insoumise interrogent leur propre conscience. Quand les familles elles-mêmes, des 41 Français qui ont été assassinés par des terroristes islamistes, ce que LFI refuse de considérer comme du terrorisme islamiste, je crois que la décence voudrait qu'ils ne soient pas là. Légalement, on ne pas les empêcher d'être là, mais leur conscience pourrait peut-être leur dicter de ne pas être là, et tout simplement de respecter les volontés des familles qui ont été endeuillées, qui souffrent, des familles d'otages qui attendent encore le retour tout simplement de leurs enfants, de leur frère, de leur sœur. J'ai rencontré hier des femmes qui ont été témoins, qui ont vu ce qui s'était passé, qui ont vu les corps mutilés. Et je peux vous dire que vous êtes durablement marqué quand vous entendez ces témoignages. Et je…

JEAN-BAPTISTE BOURSIER
On n'a pas trop tardé à rendre hommage à ces victimes, madame BERGE ?

AURORE BERGE
Ce qui compte, c'est…

JEAN-BAPTISTE BOURSIER
Il y a eu des appels récurrents pour dire "on a l'impression que ces gens n'ont pas existé".

AURORE BERGE
Mais ils ont existé. 41 Français ont été assassinés par des terroristes islamistes en Israël. Et donc évidemment que la France doit leur rendre un hommage national et l'hommage qu'ils méritent. Et je le dis aussi sur la question des droits des femmes, et je le dis aussi à certaines associations, parce que, enfin, au regard des violences qui ont été perpétrées à l'encontre des femmes, des exactions, des mutilations, des viols que ces femmes ont subis. Le viol utilisé comme arme de guerre, clairement, par le Hamas, aucune féministe ne doit manquer pour condamner très clairement ce qui s'est passé. Il y a eu trop peu de voix pour s'élever et pour dire clairement ce qui s'était passé, et ce que ces femmes avaient vécu.

JEAN-BAPTISTE BOURSIER
Merci Madame la Ministre d'avoir été avec nous ce matin en direct sur LCI.

AURORE BERGE
Merci à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 5 février 2024