Déclaration de Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée, chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles, sur les conséquences de la loi "immigration" sur les enfants étrangers placés à l'aide sociale à l'enfance, à l'Assemblée nationale le 28 février 2024.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Sarah El Haïry - Ministre déléguée, chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles

Texte intégral

Mme la présidente
L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Les conséquences de la loi pour contrôler l'immigration et améliorer l'intégration sur les enfants étrangers placés à l'aide sociale à l'enfance ».
Ce débat a été demandé par le groupe Socialistes et apparentés. Comme l'a souhaité ce dernier, il se tient en salle Lamartine, afin que des personnalités extérieures puissent être interrogées. La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Nous commencerons par une table ronde en présence de personnalités invitées, d'une durée d'une heure, puis nous procéderons, après avoir entendu une intervention liminaire du Gouvernement, à une nouvelle séquence de questions-réponses, d'une durée d'une heure également. La durée des questions et des réponses sera limitée à deux minutes, sans droit de réplique.

(…)

M. le président
La séance est reprise.
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles.

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles
Je remercie le groupe Socialistes et apparentés, en particulier Mme Isabelle Santiago, d'avoir inscrit le présent débat à l'ordre du jour. Il s'agit de ma première audition à l'Assemblée sur un sujet relevant de mon nouveau périmètre de compétences ; c'est donc un moment marquant.

La mission qui est la mienne consiste à accompagner les enfants, tous les enfants, en prenant en considération leur famille. On en vient très vite à aborder les questions qui nous réunissent cet après-midi, à savoir la protection et l'accompagnement d'enfants qui arrivent sur notre territoire dans des conditions parfois tragiques – je parle bien sûr des MNA.

Vous avez notamment débattu de ce sujet lors de l'examen de la loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration. Je ne reviendrai pas sur les circonstances de ces débats, qui n'ont pas pu se tenir dans des conditions idéales. Il semble toutefois nécessaire de rappeler que le Gouvernement a exprimé, sur la question particulière des MNA, des positions qui ne se retrouvent pas toujours dans ce texte. Toutefois, il lui appartient désormais d'appliquer la loi telle qu'elle a été promulguée, le 26 janvier dernier.

Cette loi a interdit le placement en rétention de tout étranger mineur de moins de 16 ans. Cette mesure ne concerne pas les MNA, pour la simple et bonne raison qu'un mineur seul ne pouvait déjà pas être placé en rétention administrative – il ne peut et ne doit pas l'être. Je souhaitais néanmoins revenir sur cette mesure, parce qu'elle est forte et humaniste, et que nous sommes nombreux ici à la soutenir : les familles n'ont pas leur place dans les centres de rétention administrative.

La loi comprend deux autres dispositions relatives aux MNA – mon propos liminaire, relatif à l'état du droit actuel, sera relativement technique ; nous entrerons dans les débats plus politiques à la faveur des questions.

D'une part, elle prévoit la création d'un fichier national des mineurs se déclarant MNA contre lesquels il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'ils aient pu participer, comme auteurs ou complices, à des infractions à la loi pénale ou l'établissement d'un lien entre plusieurs infractions commises par un seul de ces mineurs. La finalité de ce fichier, qui permettra le recueil d'empreintes digitales et de photographies, est de faciliter l'identification des personnes concernées. La possibilité que les empreintes digitales et les photographies des étrangers se déclarant MNA fassent l'objet d'un traitement automatisé était déjà consacrée à l'article L. 142-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda), à la suite de la refonte de ce code par l'ordonnance du 16 décembre 2020.

Les données relatives aux empreintes digitales et à la photographie des MNA concernés font déjà l'objet de fichiers existants, tels le fichier d'appui à l'évaluation de la minorité (AEM) ou encore le fichier prévu à l'article L. 142-1 du Ceseda. Le même encadrement et les mêmes garanties que ceux qui sont applicables au fichier AEM sont prévus pour le nouveau fichier.

Pour mémoire, le Gouvernement, à l'instar de plusieurs députés présents cet après-midi, était défavorable aux amendements visant à réintroduire ce fichier dans la loi, en raison de sa redondance avec le fichier AEM et de l'incohérence qui s'attachait à la création, au sein du Ceseda, d'un traitement de données à caractère personnel ayant exclusivement des finalités de police judiciaire. Cette disposition, ajoutée par le Sénat, avait d'ailleurs été supprimée par la commission des lois de l'Assemblée nationale. Il s'agit désormais de la loi de la République. C'est pourquoi il a été demandé aux différentes administrations concernées d'analyser les conditions de sa mise en oeuvre.
D'autre part, la loi a exclu les MNA faisant l'objet d'une OQTF du champ de l'accompagnement obligatoire des jeunes majeurs. Cette disposition ne doit pas être entendue comme une impossibilité pour le jeune faisant l'objet d'une OQTF de bénéficier d'un contrat jeune majeur. Elle offre une liberté aux départements en la matière : chaque département prend ses responsabilités. Malgré la délivrance d'une OQTF, le conseil départemental est toujours dans la possibilité, selon sa libre appréciation, de proposer un contrat jeune majeur à la personne concernée. À ce jour, la mission nationale mineurs non accompagnés (MMNA) n'a pas eu connaissance de sorties sèches, des dispositifs de prise en charge, de majeurs anciennement MNA faisant l'objet d'une OQTF.

D'autres dispositions de la loi relatives aux MNA ont été censurées par le Conseil constitutionnel, en raison de l'absence de lien avec le projet de loi initial. Je pense évidemment à l'article 7 ter – devenu article 33 dans le texte définitif du projet de loi – qui prévoyait que les MNA pris en charge avant 16 ans par l'ASE seraient admissibles au séjour en fonction non plus de la nature des liens familiaux, mais de l'absence de liens familiaux. Cette évolution aurait profondément transformé l'instruction du dossier, puisque l'on serait passé d'un régime d'appréciation circonstanciée de la nature des liens à un régime de constatation par les services de l'État de l'absence de liens. Les conséquences juridiques auraient été importantes.

En outre, la conventionnalité de cette disposition aurait pu être soulevée, au regard de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH), relatif au droit au respect de la vie privée et familiale. En effet, un MNA pris en charge par l'ASE et inséré depuis des années qui aurait été dans l'impossibilité d'apporter la preuve de l'absence avérée de liens avec sa famille restée dans son pays d'origine se serait vu opposer, à sa majorité, un refus de séjour, assorti d'une obligation de quitter le territoire dans le cas d'une arrivée en France après ses 13 ans.

L'article 12 ter – devenu article 45 – prévoyait l'élaboration d'un cahier des charges national pour l'évaluation des personnes se présentant comme MNA. Cependant, il convient de souligner que l'évaluation de la minorité et de l'isolement fait déjà l'objet d'un encadrement législatif et réglementaire par le code de l'action sociale et des familles. L'arrêté du 20 novembre 2019, en cours d'actualisation, définit précisément le cadre de cette évaluation : équipes pluridisciplinaires, formation, nombre d'entretiens, modalités de ces entretiens, points ayant vocation à être abordés au minimum au cours de ceux-ci.

De plus, un guide relatif aux bonnes pratiques en matière d'évaluation de la minorité et de l'isolement des personnes se déclarant comme mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille a été publié en 2019, afin d'améliorer et d'harmoniser les pratiques des services d'évaluation des conseils départementaux, et de garantir une meilleure prise en compte de la situation de ces mineurs. Ce guide fera prochainement l'objet d'une actualisation.

Je viens de consacrer quelques minutes à ce que la loi contient, mais il y a aussi ce qu'elle ne contient pas. Je suppose que cela fera l'objet du débat et des questions, auxquelles je m'efforcerai de répondre avec la plus grande sincérité et en toute transparence.

La crise sanitaire a eu pour effet de réduire fortement les arrivées de MNA en 2020. Cependant, depuis l'été 2022, nous assistons de nouveau à une augmentation du nombre de primo-arrivants et de MNA reconnus comme tels par l'autorité judiciaire et confiés aux conseils départementaux. Cela représente une charge supplémentaire, et de nombreux territoires ont des difficultés à accomplir leur mission de protection, certains dispositifs d'accueil étant saturés.

La recherche de nouveaux lieux d'accueil et le recrutement de professionnels constituent des difficultés pour le déploiement rapide, par les départements, de nouveaux dispositifs de protection. Dans ce contexte, plusieurs conseils départementaux ont, malheureusement, cessé de mettre à l'abri un certain nombre de MNA ou ont refusé d'accueillir des MNA orientés dans le cadre de la péréquation nationale et confiés par décision de justice.

J'ai décrit les choses de manière très factuelle. Indépendamment de nos opinions politiques, nous sommes face à une situation grave et urgente : la nécessité d'accueillir ces enfants dans de bonnes conditions. Nous avons à ce sujet des discussions très régulières avec Départements de France (ADF) – son président, François Sauvadet, est l'une des premières personnes que j'ai rencontrées – et avec les présidents de conseil départemental, qui recherchent des solutions.

Autre élément factuel : l'État intervient et continuera à intervenir aux côtés des départements dans l'évaluation, la mise à l'abri et la prise en charge des MNA. Il le fait notamment de manière opérationnelle, en mettant en place un traitement automatisé des données à caractère personnel, qui permet de mieux identifier les jeunes qui se déclarent MNA, lors de l'évaluation de leur situation. Ce dispositif a aussi vocation à accueillir provisoirement les données personnelles des jeunes qui se déclarent mineurs, jusqu'à leur placement définitif à l'ASE. Il permet parfois de réduire l'engorgement des services de l'ASE. Les équipes peuvent alors se concentrer – tel est, en tout cas, notre souhait – sur leur action d'accompagnement des personnes éligibles qui ont besoin de cette protection.

J'entends quelles peuvent être les difficultés des départements. Néanmoins, ceux-ci bénéficient d'un appui financier réel de la part de l'État, pour la réalisation de leur mission de mise à l'abri. Il s'agit, d'une part, d'une prise en charge de 500 euros pour l'évaluation sociale et une première évaluation des besoins en santé et, d'autre part, pour la mise à l'abri, de 90 euros par personne et par jour dans la limite de quatorze jours, puis de 20 euros par personne et par jour dans la limite de neuf jours complémentaires.

En outre, dès 2018, le Gouvernement s'était engagé auprès des départements à apporter une aide exceptionnelle à la prise en charge des MNA confiés à l'ASE par l'autorité judiciaire. Ce financement exceptionnel a été reconduit en 2019 et les années suivantes, à hauteur de 6 000 euros par jeune, pour 75 % des MNA supplémentaires pris en charge par l'ASE entre deux années de référence – car le nombre d'arrivées a varié. Cette aide s'est élevée à 34 millions d'euros en 2019 et à 18 millions en 2023.

La protection de l'enfance est d'abord une politique décentralisée, en l'occurrence auprès des départements, mais c'est bien sûr l'État qui en fixe le cadre. Je créerai très prochainement des groupes de travail entre l'État et les départements, qui avaient été annoncés en septembre 2023. Ils ont vocation à envisager, sans tabou, tous les sujets, afin d'améliorer la conduite de cette politique. La prise en charge des MNA figure bien sûr parmi les thèmes prioritaires retenus d'un commun accord. J'ai pris cet engagement auprès du président de l'ADF ; je le prends devant vous cet après-midi.

Il importe de rappeler que parler de la situation des MNA, c'est d'abord parler d'enfants dont le parcours de vie a d'ores et déjà été marqué par des épreuves indicibles, souvent violentes. J'ai désormais la responsabilité et la charge de cette politique. Dans les actions que nous conduirons, accueillir avec humanité sera notre maître mot. Je suis bien évidemment à votre disposition pour répondre à vos questions.

M. le président
Nous en venons aux questions. Je rappelle que leur durée, comme celle des réponses, est limitée à deux minutes.
La parole est à Mme Isabelle Santiago.

Mme Isabelle Santiago (SOC)
Puisque vous intervenez pour la première fois dans le cadre de vos nouvelles fonctions, madame la ministre, je vous souhaite de réussir votre mission, non pas pour vous, personnellement, ni même pour nous, collectivement, mais pour les milliers d'enfants qui relèvent de la protection de l'enfance. Vous le savez, celle-ci est à bout de souffle : les enfants sont en danger ; le secteur médico-social et son personnel sont en très grande difficulté. Nous n'avons plus le droit à l'erreur.

Nous aurons l'occasion d'évoquer la protection de l'enfance lorsque nous nous rencontrerons. Aujourd'hui, nous abordons les conséquences de la loi « immigration ». Bien évidemment, le groupe Socialistes et apparentés y était farouchement opposé. L'article 44, qui n'a pas fait partie des dispositions censurées par le Conseil constitutionnel, a supprimé l'obligation pour les départements de prendre en charge les contrats jeune majeur lorsque les jeunes en question, âgés par hypothèse de 18 à 21 ans, font l'objet d'une OQTF. Il contrevient à l'essence même de ce que nous souhaitions faire grâce à la loi de 2022, défendue par Adrien Taquet, c'est-à-dire accompagner les jeunes le plus loin vers l'autonomie. L'objectif des mesures de l'ASE est précisément de mener les jeunes vers l'autonomie, laquelle ne peut être acquise à 16 ou 17 ans.

Par ailleurs, je rappelle que les départements dépensent 10 milliards d'euros par an pour la protection de l'enfance dans sa globalité, dont 1,5 milliard pour les MNA. Dans mon département, le Val-de-Marne, le budget était de 300 millions d'euros pour la protection de l'enfance, dont 12 millions pour les MNA. Il s'agit d'un investissement pour l'avenir, et le parcours de ces jeunes n'a évidemment pas vocation à être interrompu par une OQTF. Lorsqu'il y a eu des recours, les juridictions administratives ont souvent donné raison aux jeunes, comme l'ont rappelé les associations qui sont intervenues dans la première partie du débat.

Notre pays compte 68 millions d'habitants ; quelque 270 000 jeunes relèvent de la protection de l'enfance ; parmi eux, nous parlons ici de 23 000 jeunes. Selon moi, nous sommes à même de trouver des solutions pour les accompagner comme il convient. Ce n'est pas ce que l'on fait avec l'article 44 de la loi immigration.

M. le président
La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
L'esprit de la loi Taquet est d'accompagner les jeunes, pour lesquels la sortie sèche est un drame, puisqu'elle signifie que le système ne leur garantit pas les moyens d'obtenir leur autonomie. Les chiffres révèlent une surreprésentation des anciens enfants placés sous la protection de l'aide sociale à l'enfance parmi les jeunes les plus précaires et ceux qui sont à la rue.

Je le répète, les départements ne sont pas dans l'obligation de cesser leur accompagnement. Rien ne leur interdit de proposer des contrats jeune majeur. La loi qui a été adoptée, résultat de la volonté de la représentation nationale, ne les oblige plus à proposer des contrats, mais elle leur en laisse la possibilité. Ce choix est laissé à la libre appréciation des départements. Mon souhait est qu'ils continuent de le faire. Les hommes et les femmes qui accompagnent au quotidien ces jeunes dans lesquels notre société a beaucoup investi voient l'importance de les accompagner jusqu'au bout pour qu'ils parviennent à l'autonomie.

M. le président
La parole est à Mme Elsa Faucillon.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES)
En plein examen du projet de loi sur l'immigration, en décembre dernier, plusieurs départements ont annoncé se mettre dans l'illégalité en limitant ou en refusant la prise en charge de mineurs non accompagnés. En même temps que la préférence nationale était érigée au rang de principe dans les murs de notre hémicycle, elle trouvait une application concrète dans certains départements. Il faut les citer : le Territoire de Belfort, l'Ain, la Vienne, le Vaucluse, le Jura, les Bouches-du-Rhône… Ces départements, et d'autres à leur suite, ont annoncé qu'ils allaient arrêter ou limiter la prise en charge des mineurs au nom de ce qu'ils appellent une « embolie des services ». Douze départements ne mettent plus à l'abri les personnes se déclarant mineures et six départements ne veulent plus prendre en charge les mineurs non accompagnés réorientés. Dans le département de Saône-et-Loire, qui applique cette doctrine, les jeunes arrivant d'autres départements se retrouvent seuls à la gare face à une personne de l'ASE qui leur dit : « On va vous laisser là. On ne vous prendra plus en charge. »

Il faut affirmer que ces départements sont responsables de ce qui arrivera aux jeunes qu'ils ne prendront pas en charge. C'est une mesure immorale, mais également illégale puisqu'elle s'oppose au code de l'action sociale et des familles et à la Convention internationale des droits de l'enfant.

Vous l'avez dit, un enfant est avant tout un enfant, peu importe sa nationalité. La crise de la protection de l'enfance n'est pas le fait des mineurs non accompagnés ; c'est un secteur structurellement en crise, faute de moyens. Alors que l'on constate une augmentation du nombre de nourrissons et d'adolescents en crise psychologique à prendre en charge, certains prétendent que tout est la faute des mineurs non accompagnés. Les échanges qui ont eu lieu lors de la loi « immigration » ont alimenté ce récit.

Ma question est simple : qu'allez-vous faire concrètement vis-à-vis des départements qui refusent la prise en charge des mineurs non accompagnés ? Je ne parle pas de ce qu'il faut faire pour les y aider, mais bien de la réponse à apporter en cas de refus.

M. le président
La parole est à Mme la ministre déléguée

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
La République n'est pas à la carte, et la responsabilité de ces départements est lourde, car des enfants qui ont besoin de protection se retrouvent soudain sans accompagnement. Dans les cas que vous évoquez, les jeunes peuvent déposer un recours auprès du juge pour réclamer un placement. Malheureusement, nous connaissons la réalité de leurs conditions. Les travaux que j'ai engagés avec le président de Départements de France, François Sauvadet, visent à proposer une issue afin d'éviter l'instrumentalisation de situations parfois dramatiques en permettant une harmonisation de l'accueil, tout en respectant le caractère décentralisé de cette politique. J'espère trouver rapidement les moyens de garantir que l'intérêt supérieur des enfants présidera aux décisions des départements.

M. Olivier Faure
Et donc ?

Mme Anna Pic
Est-ce que le préfet sera saisi ?

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
Je vérifie auprès de mes services s'il est possible de prendre des mesures supplémentaires.

Mme Elsa Faucillon
Il faudrait déjà rappeler la loi !

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
Il y a bien la question des clés de répartition, mais elle n'apportera pas de réponse aux jeunes qui se trouvent dans cette situation.

Mme Elsa Faucillon
Bien sûr que non !

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
L'urgence, c'est le recours auprès du juge.

Mme Danielle Simonnet
Comment l'État compte-t-il faire appliquer la loi ?

M. Olivier Faure
Y a-t-il un État dans ce pays ? Des lois qui s'appliquent ?

M. le président
Chers collègues, nous n'avons pas vocation à échanger comme au bistrot. Vous pourrez reprendre la parole lors du second tour de table.
La parole est à M. Yoann Gillet.

M. Yoann Gillet (RN)
La France subit un niveau d'immigration record. L'immigration de masse qui touche notre pays a des conséquences considérables sur les comptes sociaux, sur l'hôpital, sur le logement, sur la sécurité, mais aussi sur notre identité. Le simple fait de venir s'installer en France donne accès à de nombreux avantages sociaux.

Nous débattons aujourd'hui des conséquences de la fameuse loi « immigration » pour les prétendus mineurs étrangers. Il est important de préciser que ces mineurs, placés à l'aide sociale à l'enfance, coûtent énormément d'argent à notre pays. La législation actuelle favorise le mensonge d'un grand nombre de ces migrants, qui se prétendent mineurs sans l'être réellement.

Il faut rappeler qu'après avoir mis en échec la version initiale, très laxiste, du projet de loi, le Rassemblement national a réussi à imposer un durcissement du texte – mais c'était avant que le Conseil constitutionnel procède à une honteuse censure. Nous regrettons d'ailleurs que nos collègues, par sectarisme, n'aient pas voté nos amendements de bon sens, visant à renforcer le contrôle des déclarations de minorité et à mettre fin à l'exploitation de notre système de protection sociale, dans lequel les moyens alloués aux vrais mineurs, qui devraient être protégés par l'État français, sont dévoyés pour protéger des gens qui ne le sont pas.

M. Arthur Delaporte
Il y a donc des vrais et des faux mineurs ? Les vrais mineurs, ce sont les Français ?

M. Yoann Gillet
Les moyens consacrés par les départements à cette mission ont plus que doublé en vingt ans, pour atteindre près de 10 milliards d'euros. Un mineur non accompagné coûte environ 50 000 euros par an au contribuable français. Il représente un coût colossal pour l'ASE et les départements.

M. Arthur Delaporte
C'est faux !

M. Yoann Gillet
Pire encore : depuis des années, les infractions commises par ces prétendus mineurs augmentent et sont de plus en plus graves et violentes.

Mme Isabelle Santiago et Mme Anna Pic
C'est faux !

M. Yoann Gillet
Nous le savons bien, et nos compatriotes aussi : ce bilan catastrophique est celui de Gérald Darmanin, du Gouvernement, auquel vous appartenez, madame la ministre déléguée, et d'Emmanuel Macron. Avec Marine Le Pen au pouvoir, nous souhaitons proposer aux Français un référendum qui permettra de reprendre notre politique migratoire en main. Les Français, à juste titre, ne supportent plus cette situation.

Ma question est simple : la France, sous Emmanuel Macron, est-elle condamnée à s'enfoncer dans le chaos migratoire et dans le dévoiement de l'aide sociale à l'enfance ?

M. le président
La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
Les mineurs non accompagnés sont des enfants pour lesquels des procédures d'évaluation sont réalisées par des équipes pluridisciplinaires. Nous leur devons la protection : c'est la responsabilité de notre pays, c'est aussi ce qui figure dans notre droit. Je ne peux laisser perdurer l'idée selon laquelle les mineurs étrangers seraient synonyme de délinquance. Ce n'est pas vrai : ce sont des enfants, que nous traitons comme des enfants, sans regarder s'ils ont des parents ou s'ils n'en ont pas, s'ils sont étrangers ou s'ils ne le sont pas.

Oui, la protection de l'enfance est dans une situation difficile sur l'ensemble du territoire. C'est pourquoi je ferai progresser ces travaux de manière urgente et sincère. Je serai aux côtés des départements et des associations pour trouver un maximum de solutions. Nous devons relancer l'attractivité des métiers car nous manquons cruellement de professionnels, dont les conditions de travail sont de plus en plus dures,…

Mme Danielle Simonnet
Revalorisez-les !

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
…et d'un manque de lieux d'accueil adaptés.

Mme Danielle Simonnet
Construisez-les !

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
Je continuerai de faire appliquer la loi Taquet, pour laquelle nous avons sorti de nouveaux décrets d'application la semaine dernière, et l'intérêt supérieur de l'enfant guidera mes travaux à chaque étape.

M. le président
La parole est à Mme Nadège Abomangoli.

Mme Nadège Abomangoli (LFI-NUPES)
Depuis l'adoption de la loi sur l'immigration par Renaissance, avec le soutien du Rassemblement national, les professionnels et les associations engagés dans l'ASE n'ont plus de mots pour décrire leur malaise et leur dégoût face à ce texte. Depuis cette loi, un enfant placé de nationalité étrangère n'a plus les mêmes droits qu'un enfant placé français. C'est ignoble. Vous privez de jeunes étrangers majeurs, les plus éloignés des démarches administratives, d'une prise en charge par l'aide sociale à l'enfance. Vous créez des spirales de précarité et de mal-être.

Ces jeunes vont devoir, dans l'urgence et avec un accompagnement dégradé, comme partout en France pour l'ASE, demander un titre séjour temporaire qu'ils ne pourront pas renouveler plus de trois fois. Vous créez ainsi les conditions de l'irrégularité des jeunes pour pouvoir les priver d'accompagnement. C'est un cercle vicieux.

Partout, les professionnels de l'aide sociale à l'enfance tirent la sonnette d'alarme sur le manque criant de moyens et sur leur frustration de ne pouvoir accompagner dignement ces jeunes. Il faut créer un fonds d'urgence pour l'ASE et demander des comptes aux départements les plus riches qui ne remplissent pas leur mission – je salue, au contraire, les départements qui assument leurs obligations – plutôt que trier les jeunes.

Votre réponse, c'est la gestion raciste d'une pénurie organisée ; c'est plus de mal-être pour les jeunes et pour les acteurs de l'ASE, comme les salariés de la Sauvegarde 93, en Seine-Saint-Denis, qui font plus avec moins. Je parle à dessein de la Seine-Saint-Denis, non seulement parce que j'en suis une élue, mais aussi parce que la question des mineurs non accompagnés et des jeunes majeurs étrangers y est un problème immense. La loi ne sera pas respectée parce qu'elle est impossible à appliquer.

À l'instar de ma collègue Elsa Faucillon, je vous pose la question : Qu'allez-vous faire face à ces départements qui désobéissent à une loi qui ne correspond pas à la réalité du pays ?

M. le président
La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
Vos propos sont particulièrement stigmatisants.

Mme Nadège Abomangoli
C'est votre loi qui l'est !

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
La loi appliquée est la loi qui a été souhaitée par la représentation nationale. Elle dispose que le choix de continuer à accompagner les jeunes après leur majorité, notamment par le biais de contrats jeune majeur, est laissé à la libre appréciation des départements. Je vous ai dit quel était mon souhait.

Je connais les professionnels de la protection de l'enfance. Oui, la crise est profonde et grave, mais je les accompagnerai tous, sans exception. Non, nous ne faisons pas le tri entre les enfants. Le choix d'accompagner ou non par des contrats jeune majeur les anciens mineurs non accompagnés est désormais entre les mains des départements, et chacun devra prendre ses responsabilités. La mienne est d'accompagner, dans le dialogue, les départements qui souhaiteront trouver des solutions. Je serai à leurs côtés pour que la protection de l'enfance puisse se faire dans les meilleures conditions. Je suis au courant de la surpopulation dans les pouponnières ; j'ai vu des lieux d'accueil ou les enfants sont en surnombre ; j'ai vu des assistants familiaux en difficulté et en sous-nombre dans de nombreux territoires.

Mme Danielle Simonnet
Alors, agissez ! Vous avez déjà un quinquennat derrière vous.

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
Sur tout cela, nous avons commencé à agir, d'abord avec Adrien Taquet, puis avec Charlotte Caubel, dont j'ai pris la suite. Je continuerai de travailler dans le dialogue, avec les associations et les présidents de département, pour élaborer nos réponses. J'ai la conviction qu'il faut respecter l'intérêt supérieur des enfants quand ils ont besoin de protection.

Quant aux départements qui ne souhaitent pas faire le choix d'accompagner les jeunes majeurs, c'est leur responsabilité. (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LFI-NUPES, SOC et GDR-NUPES.)

M. Olivier Faure
C'est vous qui avez ouvert cette possibilité !

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
C'était la volonté de la représentation nationale. (Mme Danielle Simonnet s'exclame.)

M. Olivier Faure
Mais c'était votre projet de loi !

M. le président
La parole est à M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud (SOC)
L'article 44, qui ne figurait pas dans le projet initial du Gouvernement, retire aux jeunes majeurs faisant l'objet d'une OQTF le bénéfice des contrats jeune majeur. Qu'en pense le Gouvernement ? Nous aimerions le savoir car il a émis un avis de sagesse sur l'amendement visant à supprimer cet article. Par ailleurs, il a adressé au Conseil constitutionnel une saisine blanche, sans mention d'articles particuliers, comptant, j'imagine, sur lui pour faire un ménage qu'il n'avait pas eu le courage d'effectuer lui-même.

Cette disposition place dans une situation inextricable des jeunes qui sont arrivés dans notre pays à l'issue d'un parcours migratoire épouvantable, ponctué d'épreuves qui laissent aux corps et aux âmes des cicatrices. Après avoir payé des passeurs, traversé des déserts puis la Méditerranée, après avoir connu la traite, les violences, les viols, les tortures même, une fois en France, ils apprennent notre langue, un métier, bien souvent avec succès – nous pouvons en témoigner dans nos circonscriptions –, puisque certains ont même passé le concours des meilleurs apprentis de France. Et puis, il leur arrive de ne pas pouvoir être embauchés par leurs maîtres d'apprentissage pourtant désireux de les recruter, eux qui connaissent la valeur du travail et le prix de l'effort.

Que pense donc le Gouvernement d'une disposition qui met à mal l'investissement que la nation a placé dans ces jeunes lorsqu'ils étaient mineurs ? Pourquoi les priver d'une possibilité d'intégration, notamment par le travail ? Cette disposition, en contradiction absolue avec ce que vous aviez défendu naguère avec la loi Taquet qui n'établissait aucune distinction, va faire des dégâts considérables. Quelle est la cohérence ou plutôt l'incohérence du Gouvernement ?

M. le président
La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
Je veux parler de la cohérence qui est la nôtre. C'est notre majorité qui a soutenu la loi d'Adrien Taquet en 2022 en choisissant la voie de l'accompagnement des jeunes pour éviter toute sortie sèche.

M. Boris Vallaud
Et alors ?

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
C'est Adrien Taquet, alors secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles, qui a permis ce progrès avec le soutien des associations. Toutefois la mise en place du contrat jeune majeur à laquelle les départements étaient astreints les plaçait dans une situation complexe quand les jeunes étaient l'objet d'une OQTF.

Si le Gouvernement s'en est remis à la sagesse de votre assemblée, c'est parce qu'il voulait redonner aux présidents de conseil départemental la liberté…

Mme Danielle Simonnet
…de piétiner la protection de l'enfance ?

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
…de poursuivre ou non l'accompagnement du jeune de 18 à 21 ans. Ce sera une possibilité qui leur sera offerte, compte tenu de l'investissement qu'ils auront fait.

M. Boris Vallaud
Y compris pour les jeunes faisant l'objet d'une OQTF ? Relisez l'article 44 !

M. Olivier Falorni
Ce n'est pas ce que dit la loi !

M. le président
La parole est à Mme Danielle Simonnet.

Mme Danielle Simonnet (LFI-NUPES)
Madame la ministre, ce matin même, l'État remettait à la rue – en d'autres termes, expulsait – vingt-trois jeunes mineurs non accompagnés du centre d'hébergement de La Villette où ils étaient accueillis depuis un mois. Demain, la météo annonce de la pluie et une température avoisinant les six degrés. Où vont-ils donc aller ? Ils sont en danger !

Par ailleurs, 300 à 400 jeunes sont mis à l'abri dans des gymnases par la Ville de Paris. D'autres – combien ? je ne sais pas – errent de campement en campement. Certains, installés sur les quais de Seine, ont perdu leurs affaires avec la montée des eaux. D'autres encore ont été chassés de leur campement à Bercy, par la police.

Ce sont des mineurs. Leur minorité est certes contestée, mais plus de 70 % des recours aboutissent à une reconnaissance de leur minorité. Ce sont donc pour la plupart des enfants, maltraités par l'État et nos collectivités. L'État devrait exiger l'application de la présomption de minorité, comme le réclame la Défenseure des droits, et accompagner les départements financièrement afin qu'aucun enfant ne soit à la rue et que les prises en charges soient conformes aux obligations en matière de protection de l'enfance. Cela suppose que ces mineurs fassent l'objet d'une prise en charge globale, garante d'un accès à l'ensemble de leurs droits, et qu'ils ne soient pas logés dans des centres d'hébergement avec des adultes et encore moins laissés dans la rue.

Au lieu de s'atteler à cette priorité, la loi « immigration » discrimine, stigmatise, précarise. En mesurez-vous les conséquences ? Je me le demande car je suis atterrée par les réponses que vous fournissez aux questions de mes collègues. S'agissant de l'amendement de suppression de l'article 44, assumez l'avis de sagesse du Gouvernement ? Votre choix a été clair : vous avez cautionné l'exclusion des jeunes étrangers faisant l'objet d'OQTF de l'accès au contrat jeune majeur.

Mme Anna Pic et M. Boris Vallaud
Eh oui !

Mme Danielle Simonnet
Relisez donc le texte : ce n'est pas une liberté qui est laissée aux départements mais une obligation qui leur est imposée de refuser l'accès aux contrats jeune majeur aux jeunes étrangers sous OQTF.

Quant aux départements qui décident de ne pas respecter les obligations qui leur incombent en matière de protection de l'enfance, vous avez le pouvoir, madame la ministre, de les mettre en demeure d'appliquer la loi par l'intermédiaire des préfets. Comment se fait-il que cela soit absent de vos réponses et que le Gouvernement ne fasse rien ?

L'article 39 créé un fichier spécifique aux mineurs isolés étrangers prévoyant le relevé d'empreintes digitales et la prise de photographies. C'est abject ! Vous êtes en train de valider le discours raciste visant à faire l'amalgame entre mineurs étrangers non accompagnés et délinquants. L'avis de la Défenseure des droits du 24 novembre 2023 dénonce cette atteinte aux droits et libertés contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant. Que répondez-vous à cela ?

Vous avez enfin évoqué une pénurie de professionnels. Revalorisez donc leurs salaires ! Vous avez parlé aussi du trop faible nombre de lieux d'accueil. Fermez donc les centres de rétention et créez des centres d'hébergement adaptés. Les Jeux olympiques approchent, qu'allez-vous faire ? Entendez-vous accroître la stratégie de répression ?

M. le président
La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
Vous avez évoqué de multiples sujets…

Mme Anna Pic
Dans la continuité de ceux qui ont été évoqués précédemment !

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
… dans le prolongement, en effet, des questions de vos collègues. Pour être très claire, puisque je sens dans votre voix…

Mme Danielle Simonnet
De la colère ! De l'indignation !

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
Oui, de la colère – c'est le mot que je cherchais, et j'entends également votre indignation. Mais je veux vous dire que personne ne s'habituera à voir des enfants en danger et non mis à l'abri.

Mme Danielle Simonnet
Vous, si, visiblement, puisque les actes ne suivent pas !

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
Les travaux que je mène, dans la continuité de l'action de mes prédécesseurs, ont pour objectif d'accompagner la protection de l'enfance, de fluidifier le passage à la majorité, d'éviter que les jeunes ne soient l'objet d'une décision d'OQTF.

Je maintiens, m'appuyant sur l'interprétation de mes services, que les départements auront la possibilité d'offrir des contrats jeune majeur aux jeunes qu'ils auront suivis auparavant, même s'ils sont sous OQTF. Cette décision relève de la responsabilité politique des présidents de département. Je ne peux pas laisser dire qu'il y aura un traitement différencié. Notre objectif est de lutter contre les sorties sèches. N'oubliez pas que c'est nous qui avons mis en place, soutenus par une large majorité, cette protection des jeunes majeurs.

Il n'en reste pas moins que la protection de l'enfance a besoin de moyens. Vous me trouverez à vos côtés et à ceux de toutes les personnes qui ont envie de trouver des solutions. Encore une fois, la seule chose qui guide mon action, c'est de trouver des solutions, département par département, territoire par territoire, avec les professionnels. Ce sont autant d'investissements dans l'humain, et j'y crois.

En revanche, je ne crois pas aux sorties sèches, je ne crois pas à l'isolement des jeunes, je ne crois pas au manque de moyens des professionnels. Madame la députée, sachez que, chaque fois qu'une difficulté sera constatée dans un territoire, nous discuterons avec les présidents de département, avec Départements de France, pour trouver des solutions dans l'urgence. C'est l'engagement que j'ai pris auprès de François Sauvadet.

Mme Danielle Simonnet
Les vingt-trois jeunes que j'évoquais, vous les laissez à la rue ou vous les mettez à l'abri ?

M. le président
Madame Simonnet, vous n'avez pas la parole. C'est au tour de M. Arthur Delaporte de s'exprimer.

M. Arthur Delaporte (SOC)
Madame la ministre, les départements n'ont pas la liberté d'appliquer ou non la loi. En revanche, le Gouvernement est soumis à l'obligation constitutionnelle de la faire appliquer ainsi que la Constitution. Le contrôle de légalité des actes des collectivités territoriales relève des préfets. Si des départements refusent délibérément de respecter leurs obligations en matière de protection des MNA, ce serait une faute de la part de l'État de ne pas pousser les préfets à leur rappeler leurs devoirs.

L'article L.222-5 du code de l'action sociale et des familles prévoit, depuis la modification apportée par l'article 44 de la loi « immigration », que les majeurs âgés de moins de 21 ans et les mineurs émancipés sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance « à l'exclusion de ceux faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français ». Il faut que vous reconnaissiez la responsabilité du Gouvernement dans cette exclusion car il a accepté cet ajout.

Vous avez enfin dit, madame la ministre, que les familles n'avaient pas leur place dans les centres de rétention. Mais qu'en est-il de celles qui sont dans des zones d'attente ou des locaux de mise à l'abri ? Je me suis rendu à Menton et j'ai pu voir entassés dans une pièce de quarante mètres carrés des bébés, des mineurs, des familles, sans douche et avec un seul WC. Tous dorment directement sur le sol, bébés inclus. C'est la réalité. Condamnez-vous cette situation ? Irez-vous à Menton visiter ce lieu pour voir de vos yeux quel sort la France réserve aux enfants ?

M. le président
La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
Je répète, monsieur le député, que la nouvelle rédaction de l'article L.222-5 n'empêche nullement un département de continuer à accompagner un jeune majeur s'il le souhaite, simplement il n'est plus obligé de le faire.

M. Arthur Delaporte
Le texte de l'article est pourtant clair !

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
Je rappelle que c'est la représentation nationale qui a voté ce texte. Ma responsabilité est de mettre en oeuvre un texte adopté par le Parlement,…

M. Olivier Faure
Vous ne pouvez pas vous exonérer de la responsabilité de ce texte comme cela ! C'est incroyable !

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
…qu'il ait fait ou non l'objet de débats. Je maintiens que l'article du code en question permet aux présidents de département de proposer un contrat jeune majeur aux jeunes âgés de 18 à 21 ans.

M. Arthur Delaporte
Il est bien précisé : « et à l'exclusion de ceux faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français » !

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
Non, ce qui change c'est qu'ils ne sont plus obligés d'accompagner ceux qui ont fait l'objet d'une OQTF. Cela leur laisse la liberté de le faire ou pas, décision qui relève de la responsabilité des présidents de département. Et j'espère bien que le fait d'avoir accueilli et protégé un mineur les conduira à vouloir prolonger cet accompagnement. Voilà le fond de ma pensée, monsieur le député.
Vous évoquiez aussi les avancées de cette loi. Désormais, les enfants ne pourront plus être placés en centre de rétention administrative avec leur famille.

M. Boris Vallaud
C'est la simple application d'une convention internationale !

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
C'est une avancée. Vous avez parlé d'autres lieux où les conditions dans lesquelles sont accueillies les familles ne sont pas idéales.

M. Arthur Delaporte
Elles sont même illégales !

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
Je l'entends. En sortant de cette salle, je demanderai au préfet de me fournir une réponse circonstanciée au sujet de ce local de Menton et je vous en ferai part, monsieur le député.

M. Arthur Delaporte
Je tiens les photos à votre disposition !

M. le président
La parole est à M. Olivier Faure.

M. Olivier Faure (SOC)
Je suis en plein accord avec ce qu'ont dit les orateurs précédents. Mettons que votre interprétation de la nouvelle version de l'article L.222-5 soit juste et que les départements aient désormais la faculté ou non d'accompagner les jeunes, cela reste un gaspillage humain extraordinaire. Quel sens cela a-t-il pour l'État de prendre en charge un enfant depuis ses 12 ans pour l'amener jusqu'à l'âge adulte dans les meilleures conditions puis de le laisser tomber une fois qu'il aura atteint 18 ans ? Ces jeunes majeurs, privés subitement d'hébergement, vont se retrouver dans des situations impossibles alors même que, parfois, ils suivent un parcours d'apprentissage. Vous savez très bien qu'ils ne repartiront pas. Et le gaspillage ne se limite pas à l'argent que l'on aura investi en leur avenir. Laissés à la rue, ils seront exposés à tout ce qui fait horreur aux Françaises et aux Français et l'on aura vite fait des amalgames en disant qu'ils versent dans la délinquance et la prostitution.

Ce système est absurde : nous renvoyons des jeunes en enfer, nourrissant par la même occasion les discours racistes qu'on entend partout. Ces préjugés sont entretenus par votre inconséquence et par votre abandon de l'obligation faite aux départements d'accompagner les enfants jusqu'à un âge où ils peuvent enfin voler de leurs propres ailes.

M. le président
La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
Chacun sera responsable de la politique qu'il mène dans son département. C'est cela, la réalité.

M. Olivier Faure
Mais non ! C'est vous qui avez ouvert cette possibilité !

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
Le Gouvernement a souhaité maintenir l'accompagnement jusqu'à 21 ans dans le cadre du contrat jeune majeur. En donnant un avis de sagesse, il s'en est remis à la représentation nationale pour décider s'il était opportun de faire bénéficier de ce dispositif les jeunes faisant l'objet d'une OQTF.

M. Olivier Faure
Vous saviez ce que vous faisiez ! Ne vous exonérez pas de cette responsabilité !

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
La coopération entre les services spécialisés de l'ASE et la préfecture a précisément pour but d'éviter que des jeunes arrivés en tant que mineurs non accompagnés soient visés par une OQTF. Il s'agit d'éviter la sortie sèche, que nous ne souhaitons pas, mais surtout de les accompagner en amont. Les travaux menés à l'échelle des départements le sont non seulement par les présidents de conseil départemental, mais aussi par les services de l'État, avec lesquels je suis en train de faire le point. Nous pouvons éviter les OQTF ; cette tâche doit être entreprise territoire par territoire, en fluidifiant les échanges entre les services, et nous nous y emploierons partout où cela est possible.

Par ailleurs, d'après les rapports qui me sont faits, aucun département ne prive du bénéfice du contrat jeune majeur les mineurs non accompagnés dont il s'est occupé. Lors des échanges directs que j'ai eus avec eux, les présidents de département m'assurent au contraire qu'ils protègent ces MNA et qu'ils ne les lâcheront pas. La loi dit simplement qu'ils n'en ont plus l'obligation.

M. Olivier Faure
CQFD.

M. Boris Vallaud
Quelle cohérence !

M. le président
Le débat est clos.


Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 4 mars 2024