Interview de M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué, chargé du logement, à TF1 le 2 avril 2024, sur la fin de la trêve hivernale en matière de logement, les APL, les taux d'intérêt du crédit immobilier et la situation des finances publiques.

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Média : TF1

Texte intégral


BRUCE TOUSSAINT
Guillaume KASBARIAN, ministre chargé du Logement est l'invité d'Adrien GINDRE. Quand le bâtiment va, tout va bien, eh bien, là, ça ne va pas. Les permis de construire sont en fort recul. Quelle réponse du gouvernement ? Adrien GINDRE.

ADRIEN GINDRE
Bonjour Guillaume KASBARIAN.

GUILLAUME KASBARIAN
Bonjour Adrien GINDRE.

ADRIEN GINDRE
On va effectivement en parler dans un instant. Cette actualité, pour vous, c'est aussi la fin de la trêve hivernale. Ce week-end, 140.000 personnes sont menacées d'expulsion. Combien seront effectivement expulsées cette année ?

GUILLAUME KASBARIAN
Alors, en réalité, l'écrasante majorité des rapports locatifs se passe bien. Vous avez 7,5 millions de personnes aujourd'hui, de ménages qui louent en France…

ADRIEN GINDRE
Ça se passe moins bien pour ceux qui sont expulsés…

GUILLAUME KASBARIAN
Et il y a, mais il faut avoir les ordres de grandeur en tête, 7,5 millions de ménages qui louent, et 21.500 expulsions l'année dernière. C'est en réalité donc très faible.

ADRIEN GINDRE
21.500 personnes ou ménages concernés…

GUILLAUME KASBARIAN
Ménages qui sont expulsés. Bon, une fois que j'ai dit ça, la réalité, c'est que tout au long de l'année, hiver comme été, les services du ministère sont là pour prévenir les expulsions, accompagner les personnes en difficulté, y compris dès le premier impayé, pour éviter que les choses ne s'aggravent. Et puis, ensuite, il y a des procédures judiciaires qui prennent du temps, où le juge prend en considération les situations personnelles, et à la fin des fins, dans les 21.500 cas, le juge décide de l'expulsion. Et donc, mon rôle en tant que ministre, le rôle de mon ministère est d'appliquer bien sûr les décisions de justice avec fermeté, avec vigueur, de respecter la loi. Et donc quand le juge, après des mois de procédures, ordonne une expulsion, eh bien, malheureusement, nous la réalisons. C'est le rôle de l'exécutif que d'appliquer…

ADRIEN GINDRE
Guillaume KASBARIAN…

GUILLAUME KASBARIAN
Décision de justice, si je ne le faisais pas, d'ailleurs, vous me le reprochiez avec des reportages indiquant que certains propriétaires sont victimes…

ADRIEN GINDRE
Moi, je ne suis pas là pour vous reprocher, je suis là pour savoir quelle est la réalité…

GUILLAUME KASBARIAN
Sont victimes d'impayés, et qu'on ne peut pas rester des années comme ça…

ADRIEN GINDRE
Guillaume KASBARIAN, je profite de votre présence pour une précision. Vous avez avec vos collègues du gouvernement, il y a quelques jours, exclu l'idée d'une modification des APL, les aides personnalisées au logement. Pas de modification pour cette année ou pas de modification pour tout le quinquennat ?

GUILLAUME KASBARIAN
Ça n'a jamais été en projet, ça n'est pas en projet, et ça n'est pas la feuille de route que je mène et qui m'a été confiée par le Premier ministre…

ADRIEN GINDRE
Pour tout le quinquennat ?

GUILLAUME KASBARIAN
Aujourd'hui, la feuille de route que je mène, elle est autour du choc de l'offre pour créer plus d'offres locatives…

ADRIEN GINDRE
Mais vous ne m'avez pas répondu…

GUILLAUME KASBARIAN
Plus d'offres, eh bien, je ne peux pas être plus clair…

ADRIEN GINDRE
Est-ce que toute modification des APL est exclue pour tout le quinquennat ?

GUILLAUME KASBARIAN
Monsieur GINDRE, toute modification des APL est exclue, ça n'est pas en projet, ça n'a pas été en projet. Mon ministère n'a pas travaillé sur ce sujet-là…

ADRIEN GINDRE
Pour tout le quinquennat ?

GUILLAUME KASBARIAN
Et, attendez, je ne peux pas être plus clair que de vous dire que ça n'est pas à l'ordre du jour, et que ça n'est pas du tout prévu. Ça n'est absolument pas la feuille de route qui m'est fixé. La feuille de route qui m'est fixé, c'est de mettre plus d'offres de logements, encore plus d'offres de logements à la fois de l'offre locative, mais aussi de l'offre neuve. C'est ça l'enjeu prioritaire aujourd'hui de mon ministère.

ADRIEN GINDRE
Sauf que vous êtes en échec, manifestement, sur ce critère, Bruce le rappelait à l'instant, les permis de construire sont en très net recul, près de moins 22% sur 12 mois. Est-ce que vous reconnaissez cette situation d'échec ?

GUILLAUME KASBARIAN
Bien sûr, mais, c'est une situation de crise en tout cas. Et cela fait 18 mois que les taux d'intérêt ont augmenté significativement dans notre pays, et pas qu'en France, en Europe, partout…

ADRIEN GINDRE
Donc tout est de la responsabilité des taux d'intérêt, pas de la politique du gouvernement ?

GUILLAUME KASBARIAN
Monsieur GINDRE, vous savez bien, et tous les Français qui nous regardent savent bien que quand vous allez à la banque pour faire un crédit immobilier, la variable principale qui fait que vous avez accès ou pas au crédit, c'est quand même le taux d'intérêt. Quand il est à 1%, ce n'est quand même pas la même histoire que quand il est à 4 %...

ADRIEN GINDRE
Donc là, le fait que les taux d'intérêt baissent veut dire que, mécaniquement, pour vous, le marché va repartir ?

GUILLAUME KASBARIAN
Mécaniquement, en tout cas, les taux d'intérêt se stabilisent. On a une reprise du crédit. Les banques nous indiquent qu'on a une reprise du crédit, au mois de février, on a quand même eu plus de 30 % de crédits par rapport au mois de janvier. Ça reste des niveaux faibles par rapport à l'histoire, mais en réalité, c'est en hausse, parce qu'il y a une stabilisation des taux d'intérêt. Mais bien évidemment qu'on ne peut pas faire comme si les taux d'intérêt n'existaient pas. Tous ceux qui aujourd'hui veulent réaliser une acquisition ou ont déjà réalisé une acquisition savent que quand on est à 1%, ce n'est pas la même qu'à 4%…

ADRIEN GINDRE
Ça vous inquiète pour la croissance, parce que, comme disait Bruce à l'instant, quand le bâtiment va, tout va, ça veut dire que comme il ne va pas en ce moment, la croissance va en pâtir…

GUILLAUME KASBARIAN
C'est sûr que ça a nécessairement un impact, parce que quand il y a moins de constructions, quand il y a moins de bâtiments, eh bien, il y a d'ailleurs des plans sociaux qui sont en cours chez les promoteurs. Donc aujourd'hui, il y a des réductions d'effectifs chez un certain nombre d'entreprises, et puis, ça a un impact du coup, effectivement, sur la croissance, mais aussi les recettes fiscales. Parce que quand on construit moins, on a moins de recettes fiscales. Donc tout ça a un impact. Moi, je souhaite qu'on ait des taux d'intérêt qui restent stables. C'est pour ça qu'il faut d'ailleurs bien gérer le pays parce que, du coup, ça nous permet d'avoir des taux d'intérêt qui restent stables, et donc débloquer le marché de l'immobilier. Mais on lance plein de choses pour pouvoir relancer la machine…

ADRIEN GINDRE
Alors, parlons justement, Guillaume KASBARIAN, la gestion du pays comme vous dites, pour avoir un budget à l'équilibre, un déficit qui est réduit. Il va falloir faire des économies. Il y a beaucoup de pistes qui circulent en ce moment. Par exemple, celle, on est en dehors de votre champ de compétences, mais c'est intéressant de vous entendre, des arrêts de travail, augmenter le nombre de jours de carence, est-ce que vous, vous y seriez favorable ?

GUILLAUME KASBARIAN
Je n'ai aucun problème particulier avec ça, surtout que d'ailleurs dans le privé, ils ne sont, aujourd'hui, pas exactement au même niveau que dans le public. Donc moi, le fait de réfléchir, en tout cas sur la question du travail…

ADRIEN GINDRE
Il n'y a pas de tabou.

GUILLAUME KASBARIAN
Il n'y a aucun tabou sur le sujet, que ça soit sur la question du chômage, que ça soit sur la question du travail. Bien évidemment que pour pouvoir soutenir les dépenses publiques aujourd'hui dans notre pays, que ce soit les dépenses de l'Etat, de l'hôpital, des collectivités locales, il faut bien évidemment s'interroger sur la question du travail. Aujourd'hui, la France dépense énormément, et donc, pour assurer ce train de vie, pour assurer ses dépenses, il faut effectivement avoir des ressources en face. Et donc, la meilleure façon d'assurer ces ressources, c'est la croissance, l'emploi, le travail…

ADRIEN GINDRE
Et pourquoi pas augmenter le nombre de jours de carence…

GUILLAUME KASBARIAN
Et donc, moi, ce sujet-là, en tout cas, de mon côté, n'est pas tabou. Et en tout cas, c'est aux parlementaires également, dans le cadre des discussions budgétaires, de trouver des moyens, en lien avec le gouvernement, d'avoir cet échange-là…

ADRIEN GINDRE
D'en discuter avec le gouvernement…

GUILLAUME KASBARIAN
Pour trouver des marges de manoeuvre…

ADRIEN GINDRE
Guillaume KASBARIAN, il y a en revanche un tabou qui a été fixé par le Premier ministre, c'est : pas d'augmentation d'impôts, en tout cas, pas pour les classes moyennes. Ce matin encore, chez nos confrères des Echos, le président du Conseil d'analyse économique, Camille LANDAIS, dit : refuser toute hausse d'impôts au vu des déficits, c'est absurde. Vous n'écouterez pas toutes les mises en garde des économistes ?

GUILLAUME KASBARIAN
Ecoutez, si la France était un paradis fiscal, je vous dirais : bien évidemment, allons-y, augmenter les impôts. La réalité, c'est que nous sommes le premier aujourd'hui pays de l'OCDE en termes de prélèvements obligatoires, c'est-à-dire que la France prélève déjà énormément aujourd'hui. Il ne faut pas laisser penser qu'aujourd'hui, les gens ne paient pas d'impôts…

ADRIEN GINDRE
Viser les plus aisés ou les retraités, par exemple, est-ce qu'on pourrait les mettre à contribution ?

GUILLAUME KASBARIAN
Mais c'est déjà le cas, aujourd'hui, quand vous gagnez de l'argent, vous êtes bien évidemment imposé avec un impôt sur le revenu qui est progressif. Quand vous avez des actions, que vous les cédez, vous êtes imposé, quand vous gagnez de l'argent, vous êtes imposé. La réalité, c'est que l'impôt est partout dans notre quotidien. Et quand on compare à nos voisins de l'OCDE, il est déjà à un niveau qui est très important. C'est un peu facile à chaque fois qu'on a un sujet de dépense publique, de dire : en fait, il n'y a pas de sujet côté dépenses, n'en parlons pas, augmentons les impôts, et ça ira bien. C'est cette mécanique-là qui, en réalité, freine la croissance. Et je ne crois pas que ça soit la bonne solution.

ADRIEN GINDRE
Puisque vous ne voulez pas augmenter les impôts, rappelons que vous aviez promis d'en baisser certains. Le chef de l'Etat, pendant sa campagne, avait promis la baisse des droits de succession. Aucun impôt jusqu'à 150.000 euros par enfant notamment. Il ne s'est rien passé depuis son élection ?

GUILLAUME KASBARIAN
Alors, ça dépendra des prochaines discussions budgétaires et des prochaines marges de manoeuvre, puisque, bien évidemment, si on a la capacité de baisser plus les impôts, il faudra le faire. A titre personnel, j'y suis, et d'ailleurs, c'était dans nos programmes, vous l'avez souligné, donc j'y suis favorable, si nous avons des marges de manoeuvre pour le faire, à baisser un certain nombre d'impôts, l'intérêt sur…

ADRIEN GINDRE
Donc si nous avons des marges de manoeuvre, ça veut dire, pas pour le budget qui vient ?

GUILLAUME KASBARIAN
Bien sûr…

ADRIEN GINDRE
Parce que là, vous n'en avez pas, c'est ce qu'il faut comprendre…

GUILLAUME KASBARIAN
Mais, on peut toujours, au sein d'un même budget, avoir des arbitrages qui font qu'on arrive à baisser certains impôts. L'avantage sur la question des donations et des successions, c'est que ça peut d'ailleurs faire un lien avec le logement. C'est qu'on peut très bien dire que, si par exemple, vos grands-parents, vos oncles, vos tantes veulent vous donner un pécule qui vous permet d'avoir un apport supplémentaire auprès de la banque pour pouvoir faire votre acquisition…

ADRIEN GINDRE
Donc vous souhaitez que ça revienne à l'ordre du jour…

GUILLAUME KASBARIAN
Je trouve que la discussion est intéressante et qu'elle peut avoir un impact positif pour des ménages qui aujourd'hui sont bloqués par rapport aux banques, mais qui pourraient, grâce à une donation succession, peut-être débloquer la situation. Ça relancerait le logement. En tout cas, c'est une idée qu'il faut discuter et qu'il faut discuter dans le cadre du débat budgétaire avec le gouvernement et avec les parlementaires.

ADRIEN GINDRE
Merci beaucoup Guillaume KASBARIAN…

GUILLAUME KASBARIAN
Merci à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 3 avril 2024