Déclaration de Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État chargée du numérique, sur le projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique, à l'Assemblée nationale le 10 avril 2024.

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Circonstance : Commission mixte paritaire

Texte intégral

Mme la présidente
L'ordre du jour appelle la discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique (no 2404).

(…)

Mme la présidente
La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée du numérique.

Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État chargée du numérique
Il y a vingt ans, en février 2004, naissait sur le campus d'Harvard un site internet visant à mettre en relation ses étudiants ; il se présentait sous la forme d'un trombinoscope, qui allait lui donner son nom. Six mois plus tard, un moteur de recherche à peine âgé de six ans faisait une entrée remarquée en Bourse. Cette même année, Steve Jobs lançait le " Project Purple ", qui allait donner naissance à un téléphone intelligent à écran tactile.

Facebook, la valorisation de Google sur les marchés, l'iPhone, vingt ans nous séparent de ces révolutions, qui ont structuré notre espace numérique. Vingt années durant lesquelles les espoirs, l'enthousiasme et l'euphorie ont laissé place, dans nos démocraties, aux doutes, aux craintes et parfois, aux menaces et aux drames, comme M. le rapporteur vient de le rappeler. Vingt ans au cours desquels se sont affrontés les défenseurs du laisser-faire et de l'autorégulation par le marché, et les partisans de l'isolement et de l'interdiction. Comme souvent, in medio stat virtus : le courage est dans l'équilibre. Et c'est précisément cet équilibre auquel nous avons abouti, après des mois d'échanges constructifs bien qu'exigeants, à l'Assemblée nationale et au Sénat.

Et je veux rendre hommage à mon prédécesseur, Jean-Noël Barrot, ainsi qu'à ses équipes, qui ont suivi, jusqu'au début de l'année, le parcours législatif de ce texte. Il s'agit avant tout d'un texte de compromis – même si certaines parties de l'hémicycle ne connaissent pas trop ce terme –, amendé et amélioré grâce aux consultations menées par le Conseil national de la refondation (CNR) et, bien évidemment, à son parcours législatif, pendant lequel la sensibilité de tous les groupes représentés au Parlement a pu s'exprimer. À cet égard, je tiens à remercier chaleureusement le président de la commission spéciale et vice-président de la commission mixte paritaire, Luc Lamirault,…

M. Paul Midy, rapporteur
Un excellent député ! (Sourires.)

Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État
Tout à fait ! (Sourires.) Je remercie également le rapporteur général, M. Paul Midy, également rapporteur de la commission mixte paritaire (CMP), et les rapporteurs Louise Morel, Anne Le Hénanff, Mireille Clapot et Denis Masséglia, pour le travail accompli.

Ce texte est aussi, et surtout, un texte d'intérêt général et d'utilité publique, attendu par des millions de nos concitoyens. S'il est adopté, il nous offrira les moyens de peser face aux grandes plateformes et de garder le contrôle de notre espace numérique, pour mettre fin aux dérives d'aujourd'hui, anticiper celles de demain et protéger les Français, les entreprises et les collectivités locales.

L'époque où les plateformes se retranchaient derrière l'éclatement des législations des différents États membres, les mettant même en concurrence pour freiner toute régulation, est désormais révolue. Et je le dis aux eurosceptiques et aux europhobes de cet hémicycle, à ceux qui voulaient faire sortir notre pays de l'Union comme à ceux qui aimeraient faire passer les institutions européennes pour un temple de l'ultralibéralisme : si nous avons réussi, c'est grâce à l'Europe – car sans l'Europe et sans l'impulsion de la présidence française du Conseil de l'Union européenne (PFUE), qui a joué un rôle décisif, les règlements relatifs aux services numériques et aux marchés numériques – Digital Services Act (DSA) et Digital Markets Act (DMA) – n'auraient jamais pu voir le jour.

Désormais, grâce au DMA, les grandes plateformes en ligne désignées comme contrôleurs d'accès ne pourront plus imposer à leurs clients ou à leurs concurrents des pratiques commerciales déloyales sans risquer de lourdes amendes qui pourront s'élever jusqu'à 10% de leur chiffre d'affaires mondial, voire 20 % en cas de récidive. Grâce au DSA, les plateformes en ligne devront prendre leurs responsabilités pour lutter activement et efficacement contre la diffusion de contenus illicites et dangereux. Elles devront s'employer à corriger les risques systémiques qu'elles font peser sur le bien-être et la santé de leurs utilisateurs, sous peine de sanctions, qui peuvent aller jusqu'à l'interdiction d'exercer leurs activités sur le marché européen.

Si la France a été à l'initiative de ce nouveau cadre novateur et protecteur, elle doit désormais être exemplaire dans son application. L'impact réel de ces règlements réside dans la capacité collective de l'État, des régulateurs, des entreprises, des chercheurs – de se saisir de ces nouveaux outils. L'ambition de ce texte consiste à en assurer la pleine effectivité sur le sol français, en adaptant notre droit national au nouveau cadre européen puis en créant les conditions d'un environnement qui favorise la confiance et l'équité des échanges sur ces interfaces.

Notre combat pour un espace numérique plus sûr et plus éthique ne prendra pas fin ce soir. Chaque jour – nous en sommes tous témoins –, de nouvelles dérives et de nouveaux mésusages émergent au gré des évolutions technologiques et des nouvelles pratiques sociales, ou tout simplement parce que nous perdons le contrôle d'innovations détournées de leurs objectifs initiaux. Pleinement consciente de cet écueil, je vous soumets aujourd'hui un texte qui ne vise pas seulement à adapter notre droit national aux nouvelles réglementations européennes, mais qui apporte aussi des réponses concrètes et efficaces aux nouvelles menaces, tout en anticipant les risques futurs.

Plusieurs mesures très concrètes permettront ainsi de renforcer la protection de nos concitoyens en ligne. La création d'un filtre anti-arnaque était un engagement pris par le Président de la République devant les Français en 2022 : il sera tenu ! Je tiens à saluer l'excellent travail de la rapporteure Louise Morel et du député Éric Bothorel qui nous ont permis d'aboutir à un dispositif équilibré, efficace et opérationnel, et qui protégera les Français des tentatives d'escroquerie et d'hameçonnage.

M. Denis Masséglia
Excellents députés !

Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État
Tout à fait ! Le renforcement de notre arsenal judiciaire permettra aux magistrats de prononcer désormais une peine de bannissement numérique, en cas de condamnation pour haine en ligne, cyberharcèlement ou pour d'autres infractions graves.

Avec ce projet de loi, nous offrirons aussi à nos enfants un espace numérique beaucoup plus sûr. II y a quelques mois, un rapport sénatorial nous dévoilait " l'enfer du décor " de certaines pratiques de l'industrie pornographique et nous alertait sur la nécessité absolue de renforcer notre cadre législatif face aux sites pour adultes qui exposent les mineurs à des contenus pornographiques en ne vérifiant pas sérieusement l'âge de leurs visiteurs. Ce projet de loi est une réponse directe et concrète à ces abus. Demain – j'insiste sur ce point – les sites pornographiques qui persisteront à violer la loi, en refusant de mettre en place un vérificateur d'âge fiable et sans fichage, seront sanctionnés par un blocage et un déréférencement, ou par une amende qui pourra s'élever à 4% de leur chiffre d'affaires mondial, voire 6 % en cas de récidive. Force doit rester à la loi et force restera à la loi, si vous adoptez ce texte. De plus, une formation renforcée jusque dans l'enseignement supérieur aidera nos jeunes concitoyens à mieux maîtriser leurs usages et à mieux appréhender les risques de l'espace numérique.

Le projet de loi SREN aidera les collectivités et les entreprises, trop souvent prisonnières des pratiques commerciales déloyales de la part d'une poignée d'acteurs qui dominent le marché du cloud et abusent de leur position dominante. Les fournisseurs de cloud ne pourront désormais octroyer de crédits cloud que pour une durée limitée et ne pourront plus imposer à leurs clients des frais de transfert de données. Ils devront, en outre, assurer les conditions de portabilité de leurs services avec des offres tierces. Les entreprises utilisatrices migreront ainsi plus facilement leurs données sur des offres plus compétitives et plus diversifiées. Je tiens ici à remercier la députée Anne Le Hénanff pour son travail constructif et exigeant, visant à réduire la dépendance de nos entreprises aux fournisseurs de cloud et à protéger les acteurs français, mais aussi leurs données.
Grâce à ce projet de loi et aux apports de l'examen parlementaire, nous protégerons mieux les données de santé de nos concitoyens et les données sensibles de l'État et de ses opérateurs contre tout risque d'ingérence. En vertu de l'article 10 bis A du texte, par symétrie avec la circulaire « cloud au centre », les administrations et opérateurs de l'État devront en effet héberger leurs données sensibles sur des solutions souveraines, certifiées SecNumCloud. L'entrepôt national des données de santé – le Health Data Hub (HDH) – a été intégré au champ de cet article, lors des travaux de la CMP.

Le Gouvernement s'attache à ne pas entretenir de confusion entre les certifications nationales relatives à la protection des données hébergées dans des services cloud, notamment entre le référentiel hébergeur de données de santé (HDS) et le référentiel SecNumCloud, qui poursuivent chacun des finalités spécifiques et légitimes qu'il serait hasardeux de vouloir mélanger. Je prends néanmoins acte de l'intégration du HDH au sein de l'article 10 bis A et de la conséquence logique de cette intégration : son basculement, à terme, vers une offre de cloud labellisée SecNumCloud. Le Gouvernement en avait pris l'engagement et a commandé plusieurs études techniques très concrètes pour le rendre opérationnel et permettre aux acteurs de préparer les futurs appels d'offre.

En complément, nous poursuivons une stratégie nationale ambitieuse pour le cloud, visant à accompagner les entreprises vers la qualification SecNumCloud et à accroître la diversité et les performances de leurs offres. Je compte particulièrement sur le dernier appel à projets de cette stratégie, que j'ai dévoilé le 22 mars dernier à Strasbourg, pour nous faire franchir une étape supplémentaire vers la disponibilité suffisante en offres SecNumCloud qui intègrent des briques logicielles de dernière génération, notamment en matière de plateforme de gestion de données, d'analyse de données et d'intelligence artificielle.

Enfin, grâce à ce projet de loi et à l'action résolue de la majorité, nous prouvons de nouveau que notre pays sait être aux avant-postes des questions de régulation et qu'il sait créer des régimes équilibrés, ambitieux et protecteurs pour accompagner le développement des technologies émergentes. Je pense bien sûr à la création d'un cadre expérimental pour les jeux à objets numériques monétisables, les fameux Jonum. Ce nouveau type de jeux vidéo repose sur les technologies Web3, qui génèrent de fortes opportunités de développement dans ce secteur où notre pays est très bien positionné. Cependant, notre législation n'était pas adaptée à ces nouveaux jeux, qui empruntent des caractéristiques tant aux jeux de loisirs – le gaming – qu'aux jeux d'argent – le gambling –, et remettent en question la pertinence des catégories actuelles ainsi que la sécurité juridique offerte aux acteurs du secteur. Le régime expérimental prévu par ce texte, auquel Paul Midy, en tant que rapporteur général du texte, puis rapporteur de la CMP, et Denis Masséglia en tant que rapporteur spécial ont beaucoup œuvré, permettra un développement encadré de ces offres innovantes, tout en donnant à l'Autorité nationale des jeux (ANJ) les moyens de mieux les identifier et les superviser, et de protéger nos concitoyens contre les risques qu'ils présentent.

Avec ce texte, nous vous proposons donc de reprendre le contrôle sur l'intégralité de notre espace numérique. Nous vous proposons de rappeler à leurs obligations et à leurs responsabilités les géants du numérique. Nous vous proposons de ne plus laisser seules les victimes de leurs dérives ou de harcèlement en ligne, ni laisser impunis ceux qui les utilisent pour violer nos lois et notre contrat social. Nous vous proposons, dans un monde percuté par les crises, de nous donner les moyens de bâtir une vraie souveraineté numérique à la française. Nous vous proposons, tout simplement, d'affirmer un principe simple : dans l'espace numérique, la loi s'applique à tous. J'espère que vous utiliserez le bon bouton ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem, ainsi que sur ceux des commissions.)


source https://www.assemblee-nationale.fr, le 12 avril 2024