Texte intégral
Mme la présidente
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au Congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie (nos 2424, 2611).
La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice
Cela fait désormais cent soixante et onze ans que la France et l'archipel de la Nouvelle-Calédonie partagent un destin commun et une histoire institutionnelle, à l'image de la population de ce dernier, riche et complexe.
Le texte constitutionnel dont nous allons débattre revêt une importance particulière. Je me suis d'ailleurs rendu en Nouvelle-Calédonie il y a quelques semaines avec mon collègue Gérald Darmanin, en amont de nos débats, afin de dire sur place l'engagement total de l'État et du ministère de la justice en particulier. J'ai pu inaugurer le centre de détention de Koné et entériner la construction tant attendue de la nouvelle prison de Nouméa, dont le coût atteindra un montant record de près d'un demi-milliard d'euros.
Revenons-en toutefois au cœur de nos débats. La démocratie calédonienne est un acquis récent, puisqu'il a fallu attendre un décret de 1957 pour que le suffrage universel soit institué sur l'archipel. Jusqu'aux années 1980, la démocratie locale a joué un rôle important pour canaliser les pulsions les plus violentes.
À la suite des événements survenus en 1984, qui ont brisé la paix, les accords de Matignon signés en 1988, puis ceux de Nouméa conclus en 1998, ont marqué un tournant majeur dans l'histoire démocratique de l'archipel. Ils ont, en effet, fixé un cap, celui la préparation de l'accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie, si tel était le souhait de ses habitants. En 1998, le titre XIII de la Constitution a d'ailleurs été renommé " Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie ".
Depuis, par trois fois, les Calédoniens ont choisi de rester dans la République.
S'il n'est pas question que l'État décide seul de l'évolution institutionnelle de l'archipel, l'un des éléments de l'organisation politique doit toutefois être impérativement réformé : la composition du corps électoral aux élections du Congrès et des assemblées de province. Gelée depuis la révision constitutionnelle de 2007, elle n'est désormais plus conforme aux exigences constitutionnelles et conventionnelles de la France – le caractère transitoire que j'ai évoqué ne peut perdurer.
Consulté sur le sujet, le Conseil d'État a indiqué, sans aucune ambiguïté, que seul le pouvoir constituant pouvait modifier les règles relatives au corps électoral calédonien.
Par conséquent, le Gouvernement a pris ses responsabilités et a déposé devant le Sénat un projet de loi constitutionnelle, qui entendait répondre aux trois impératifs suivants : dégeler, en partie, ce corps électoral restreint, propre aux élections au Congrès et aux assemblées de province ; permettre la tenue de ces élections avant la fin de l'année 2024 ; et laisser aux partenaires politiques calédoniens la possibilité de conclure un accord portant sur l'organisation politique.
Le projet de loi constitutionnelle, dans sa version adoptée par le Sénat, garantit que les prochaines élections au Congrès et aux assemblées de province se tiendront avec un corps électoral conforme aux exigences juridiques et démocratiques de notre pays.
Initialement, l'accord de Nouméa devait s'appliquer durant une période de vingt ans. Or il a été conclu il y a vingt-six ans et le cycle de consultations relatives à l'accession à la pleine souveraineté a pris fin il y a bientôt trois ans. À défaut d'un nouvel accord entre les partenaires politiques, le régime dérogatoire au droit électoral commun doit être repensé. Il y va de sa conformité avec les grands principes constitutionnels : l'égalité devant la loi, le caractère universel du suffrage et le droit de tous les citoyens à concourir personnellement, ou par l'intermédiaire de leurs représentants, à la formation de la loi.
Il n'est pas du tout certain que la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) juge, en 2024, que le gel du corps électoral restreint est conforme aux engagements conventionnels de notre pays.
Le Sénat a adopté le projet de loi constitutionnelle, sans remettre en question le dégel du corps électoral proposé par le Gouvernement. Je ne peux que m'en féliciter et je tiens à saluer l'œuvre du rapporteur Nicolas Metzdorf. De même si la Chambre haute a substantiellement modifié le dispositif initialement proposé, le texte adopté devrait néanmoins permettre de respecter l'impératif calendaire.
La substitution du législateur organique au pouvoir réglementaire est conforme à l'esprit de la Constitution et à la démocratie. Elle conforte ainsi le rôle du Parlement dans nos institutions. De même, confier le constat de l'existence d'un accord politique et institutionnel aux présidents des assemblées parlementaires me semble, à la réflexion, tout à fait pertinent. L'avenir de la Nouvelle-Calédonie dépendra ainsi, en grande partie, de la capacité du Gouvernement et du Parlement à trouver, dans les plus brefs délais, le meilleur des compromis. En l'état, le texte adopté par le Sénat me semble finalement constituer un point d'équilibre acceptable.
Au nom du Gouvernement, j'ai l'honneur de défendre devant vous, avec le ministre de l'intérieur et des outre-mer, ce projet de loi constitutionnelle. J'ai conscience que la réforme du corps électoral restreint aux élections au Congrès et aux assemblées de province relève avant tout des négociations entre les partenaires politiques calédoniens. C'est tout le sens de ce qu'a proposé mon collègue Gérald Darmanin concernant les discussions qui pourront se poursuivre dès le vote de ce texte. Toutefois, l'urgence commande au Gouvernement et au Parlement d'intervenir. Il y va de la démocratie calédonienne et, au-delà, de la démocratie sur l'ensemble du territoire national. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l'intérieur et des outre-mer.
M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer
Comme l'a souligné M. le garde des sceaux, nous examinons un projet de loi constitutionnelle important, tant la Nouvelle-Calédonie occupe une place institutionnelle et politique notable, depuis des dizaines d'années, dans le fonctionnement et la discussion des chambres parlementaires de la Ve République.
À la demande du Président de la République, le Gouvernement a souhaité vous soumettre ce projet de loi constitutionnelle relatif aux élections provinciales en Nouvelle-Calédonie, quelques semaines après l'adoption dans ce même hémicycle du projet de loi organique portant report du scrutin, avec le soutien du Congrès de Nouvelle-Calédonie.
Le présent texte, dans sa version issue des travaux du Sénat adoptée le mois dernier, est conforme à l'esprit du texte initial et son adoption rapide nous laissera le temps nécessaire pour discuter avec toutes les parties prenantes – indépendantistes et non-indépendantistes –, je l'espère, durant le mois de juin, tout en respectant l'engagement d'organiser les élections avant le 15 décembre 2024.
Avant de rentrer dans le vif du sujet, je ne peux que déplorer l'attitude irresponsable de certains groupes parlementaires qui ont décidé de jouer l'obstruction sur un sujet aussi important et sérieux que celui du droit de vote, expression classique de la démocratie et du suffrage. Vous ne m'en voudrez pas de souligner que, pour un groupe politique qui défend le droit de vote des étrangers sur le sol national, déclarer qu'être né sur un territoire et y vivre depuis vingt ou vingt-cinq ans, en avoir la nationalité, ne confère pas forcément le droit de participer à la vie politique de celui-ci, n'est pas sans contradiction avec notre débat national !
M. Maxime Minot
Ah oui, ça c'est drôle !
Mme Caroline Abadie
Tout à fait !
M. Antoine Léaument
Mais il y a une situation coloniale !
M. Gérald Darmanin, ministre
Malheureusement, nous serons amenés à examiner des amendements dont plus de la moitié n'ont aucun rapport avec le territoire calédonien, ce qui prouve le peu d'amour que certains portent aux citoyens de la Nouvelle-Calédonie, qu'ils soient indépendantistes ou non indépendantistes. Vous ne les prenez pas vraiment au sérieux.
M. Jean-Paul Lecoq
C'est une question de respect des accords de Nouméa !
M. Gérald Darmanin, ministre
Aujourd'hui, près de 10% du corps électoral calédonien étaient dans la rue, soit pour soutenir les thèses indépendantistes, soit pour soutenir celles qu'on appelle loyalistes – c'est-à-dire non indépendantistes. Cette impressionnante marée humaine de dizaines de milliers de personnes, représentant chacune des parties, doit être considérée et respectée. Les manifestants sont déterminés, mus par le souci de voir les problèmes politiques se régler démocratiquement, et nous n'avons pas eu à connaître de débordement jusqu'à présent. J'en remercie non seulement les manifestants, mais aussi le haut-commissaire de la République ainsi que l'ensemble des policiers et des gendarmes, qui ont concouru à l'organisation de ces manifestations.
Au moment où nous discutons – je le précise devant les députés de Nouvelle-Calédonie ici présents M. Philippe Dunoyer et M. le rapporteur Nicolas Metzdorf –, j'ai une pensée pour les policiers et les gendarmes, singulièrement pour les gendarmes, dont les familles sont en ce moment même évacuées parce qu'elles sont menacées de mort par des manifestants qui n'usent pas de la démocratie mais de la violence, du tir à balles réelles et de l'intimidation. J'espère que chacun sur ces bancs, quelles que soient ses opinions politiques, condamnera de tels actes et protégera nos gendarmes, qui servent la République, et leurs familles. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem, HOR et SOC ainsi que sur quelques bancs des groupes RN et LR.) Je regrette que La France insoumise ne les soutienne pas et ne décide pas de le faire alors qu'ils sont menacés par la violence.
Mme Sophia Chikirou
Arrêtez de raconter n'importe quoi ! Vous êtes en train de mettre le feu là-bas !
M. Gérald Darmanin, ministre
Malheureusement, comme nous l'avons constaté depuis le début du quinquennat, vous ne respectez pas les forces de l'ordre, qui agissent au nom du Gouvernement et de la République. (Protestations sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
M. Philippe Gosselin
On se calme, un peu !
M. Gérald Darmanin, ministre
Rien ne prédispose pourtant La France insoumise à menacer des familles et des enfants, partout dans le territoire national, y compris en Nouvelle-Calédonie ! (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
Ce n'est pas possible !
M. Gérald Darmanin, ministre
Je regrette que vous n'ayez pas ce bon sens démocratique qui vous inciterait à soutenir nos forces de l'ordre. (Mme Sophia Chikirou, M. Paul Vannier et M. Arthur Delaporte s'exclament.)
Mme la présidente
S'il vous plaît, un peu de silence ! Vous aurez la parole lors de la discussion générale et pourrez exprimer vos opinions. Chacun son tour ! Écoutez l'orateur respectueusement, c'est la moindre des choses. (Les exclamations se poursuivent sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
M. Rodrigo Arenas
Écoutez au moins la présidente !
M. Gérald Darmanin, ministre
Avant de présenter plus en détail le texte que le Gouvernement a souhaité vous soumettre, je rappellerai rapidement l'historique de la réforme. Les accords de Matignon, de 1988, et de Nouméa, de 1998, régissent depuis plus de trente ans l'organisation politique de la Nouvelle-Calédonie. Ils prévoyaient l'organisation de trois référendums d'autodétermination, afin que les Calédoniens choisissent s'ils souhaitaient, ou non, le maintien du territoire au sein de la République. Les trois référendums se sont déroulés sous le premier mandat du Président de la République, dans des conditions de parfaite régularité,…
M. Jean-Paul Lecoq
Le troisième a eu lieu en pleine période d'épidémie de covid !
M. Gérald Darmanin, ministre
…sous le contrôle d'experts des Nations unies et de nos plus hautes juridictions. Par trois fois, les Calédoniens ont dit " non " à l'indépendance.
M. Jean-Paul Lecoq
Il n'y a pas eu de respect envers les Calédoniens !
M. Gérald Darmanin, ministre
Les accords prévoyaient que les différentes parties se réunissent à l'issue de ces trois consultations. La Première ministre, Élisabeth Borne, a donc invité l'ensemble des parties prenantes à Matignon, en octobre 2022, réunion à laquelle les représentants indépendantistes du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) n'ont pas voulu participer.
M. Jean-Paul Lecoq
Et pour cause !
M. Gérald Darmanin, ministre
Le Président de la République et la Première ministre m'ont alors confié la mission de renouer les fils du dialogue entre les deux parties, afin de créer les conditions permettant de bâtir un nouveau statut pour le territoire. Sous l'autorité du Président de la République et des Premiers ministres successifs, je m'y suis pleinement consacré. Avec sept déplacements effectués dans l'archipel dans cette période, je ne crois pas qu'on puisse me faire grief d'une forme de désintérêt.
M. Paul Vannier
Beau résultat !
M. Gérald Darmanin, ministre
Nous sommes dans un processus de fabrication d'un statut. Nous nous inscrivons aussi dans un débat public et politique. De ce fait, il y aura toujours quelqu'un pour affirmer que tel ou tel gouvernement a mal fait les choses – tout est bien sûr perfectible. Toutefois, cela n'empêche pas de dialoguer et de faire en sorte que tout le monde continue de se parler, dans le respect des personnes. Je regrette solennellement, mesdames et messieurs les parlementaires, les menaces physiques et les menaces de mort proférées à l'encontre du député Metzdorf, au moment même où des communiqués de presse prévoyaient qu'il ne puisse pas rentrer sur le territoire qui l'a vu naître. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RE, Dem et HOR ainsi que sur quelques bancs du groupe LR.) J'eusse aimé, monsieur le député, que l'ensemble des forces politiques vous soutienne face à une telle menace physique, inacceptable dans une démocratie.
Nous devons comprendre de quelle situation politique nous partons : au-delà du débat et, parfois, des controverses, entre ceux qui veulent le maintien du territoire au sein de la République et ceux qui veulent l'indépendance, les controverses au sein de chaque camp, qui sont parfois générationnelles, font que la parole peut varier. Il faut voir la Nouvelle-Calédonie de Paris pour ne pas le constater. Il en est ainsi, et nous faisons évidemment avec.
Nous défendons et la volonté exprimée par les Calédoniens, et l'intention politique des signataires des accords de Matignon et de Nouméa, dont le Président de la République porte aujourd'hui le message.
Je veux dire à ceux qui contestent la façon dont nous procédons que s'ils pensent que la bonne méthode est d'avoir des discussions dont l'issue est déjà connue, nous ne serons pas d'accord. La trajectoire du quarante et unième congrès du FLNKS, confirmée lors du quarante-deuxième congrès, le mois dernier, consiste à dire qu'il faudrait " un ultime processus qui met[te] en œuvre une programmation d'accession à l'indépendance ". Ni le Gouvernement, ni le Président de la République, ni même le Parlement, ne peuvent, pour donner raison au FNLKS, s'abstenir de consulter les Calédoniens, qui, par trois fois, n'ont pas choisi la voie qu'il propose.
M. Jean-Paul Lecoq
Par deux fois !
M. Gérald Darmanin
Sa position appelle de notre part deux commentaires. D'une part, la Nouvelle-Calédonie doit tourner la page et se projeter vers l'avenir – c'est ce que demandent les Calédoniens, les jeunes en particulier. Or, j'ai le sentiment qu'à cette " ultime processus ", succédera une autre, tout aussi ultime, et que l'avenir de la Nouvelle-Calédonie – celui du nickel, de l'économie, et du social – sera encore retardé : cet avenir attend toujours les décisions politiques. Pour le FLNKS, dont nous respectons profondément les convictions du FLNKS, l'ultime étape sera toujours le chemin qui mène à l'indépendance.
Cela mène à mon second commentaire : il ne peut pas y avoir de débat démocratique dont l'issue est déjà déterminée. Selon le texte adopté par le FLNKS, que j'ai cité, la réponse est déjà donnée, l'issue est fixée et les Calédoniens n'ont pas besoin de se rendre aux urnes : c'est déjà l'indépendance. Évidemment, le Gouvernement ne peut y être favorable : tout républicain, tout démocrate, ne peut être favorable à un processus dont l'issue est certaine et, de plus, contraire à l'avis que la majorité de sa population a exprimé par trois fois.
M. Jean-Paul Lecoq
Deux fois !
M. Gérald Darmanin
Nous comprenons bien les postures nationales et parisiennes, mais nous devons avant tout saisir, en Nouvelle-Calédonie, le sentiment de chacun.
Trois ans après la dernière consultation, dans la perspective des élections provinciales qui devaient se tenir en mai de cette année, le Gouvernement avait appelé à un accord global sur l'avenir du territoire d'ici à la fin de l'année 2023. Il n'y a pas eu d'accord, ce que nous regrettons. Nous avons donc reporté les élections de mai : vous avez voté en faveur de ce report, le mois dernier, afin d'essayer encore d'aboutir à un accord, en lien d'ailleurs avec le Congrès de Nouvelle-Calédonie. Cela ne vous aura pas échappé : pour l'instant, il n'y a toujours pas d'accord.
Comme j'ai eu l'occasion de le dire aux membres du groupe de contact réuni par Mme la présidente de l'Assemblée nationale, nous avons à nouveau tendu la main aux indépendantistes et aux non-indépendantistes – et nous devons continuer –, afin que les discussions aboutissent avant l'adoption, je l'espère, de ce texte constitutionnel par le Congrès à Versailles. Pour l'instant, cette main tendue a été refusée. Je la tends à nouveau, à cette tribune, à la suite des propos tenus ce week-end par le Président de la République.
Le Gouvernement s'est donc engagé à corriger un point précis, sur lequel le Conseil d'État avait appelé son attention. Il ne peut convoquer les élections provinciales en Nouvelle-Calédonie avec l'ancien corps électoral, qui est transitoire et désormais dépassé : en effet, une grande partie des électeurs calédoniens, nés en Nouvelle-Calédonie, de parents calédoniens, citoyens français calédoniens, ne peuvent pas voter pour choisir leurs élus locaux. Nous devons donc prendre nos responsabilités et modifier le corps électoral – sans bien sûr remettre en cause le droit à l'autodétermination, qui est inscrit dans la Constitution, ni les équilibres des accords de Nouméa et de Matignon.
Si de nombreuses personnes parlent de la Nouvelle-Calédonie, peu savent que trois listes électorales coexistent sur ce territoire peuplé de 200 000 habitants environ. La première, la liste électorale générale, applicable sur l'ensemble du territoire de la République, est utilisée pour les élections nationales, dont les élections présidentielles, et pour les élections municipales. Il ne s'agit pas de la modifier.
La deuxième, la liste référendaire, permet l'autodétermination – donc peut-être, un jour, l'indépendance. Il ne s'agit pas de la modifier.
La troisième, la liste provinciale, qui sert à élire les représentants locaux aux assemblées des trois provinces de la Nouvelle-Calédonie, est ancienne, dépassée et caduque, d'après le Conseil d'État. Si nous ne prenons pas nos responsabilités, la tenue de ces élections à corps électoral constant conduirait directement à leur annulation.
Mesdames et messieurs les députés, vous qui êtes des représentants élus au suffrage universel direct et qui participez à l'exercice de la souveraineté de la nation, savez-vous que seules les personnes inscrites sur les listes électorales au moment de l'accord de Nouméa – depuis 1998 – ont le droit de voter aux élections locales en Nouvelle-Calédonie ? Autrement dit, certains Calédoniens nés Calédoniens, de parents calédoniens, ne peuvent pas voter pour choisir celui qui gérera le code de l'environnement ou la vie économique et sanitaire de leur propre territoire.
M. Maxime Minot
Eh oui ! C'est un scandale !
M. Gérald Darmanin
Qui peut accepter une telle situation plus longtemps ?
M. Maxime Minot
Personne !
M. Gérald Darmanin
Imaginons que vous viviez, travailliez, payiez des impôts dans un territoire depuis vingt-cinq ans – que vous ayez hérité la nationalité de vos parents, ou que vous soyez né sur ce sol –, et que vous ne puissiez toujours pas élire votre représentant régional, dans une région du territoire hexagonal ou ultramarin – alors que ses assemblées adoptent les lois qui régissent votre quotidien, recouvrent vos impôts et déterminent les choix de votre territoire.
De ce point de vue, l'élargissement du corps électoral n'est pas qu'une volonté politique : c'est une obligation morale pour ceux qui croient en la démocratie. Si les conséquences du gel du corps électoral ne concernaient à l'origine que 8 338 électeurs, soit 7,5% de l'électorat, ce chiffre est passé à 42 596 en 2023 – ce qui signifie qu'un électeur sur cinq ne peut pas voter. La démocratie, c'est le vote. Le vote, c'est la possibilité pour chaque citoyen de choisir ses représentants. Prendre des décisions à la majorité ne consiste pas à classer les personnes par couleur de peau ou par origine, mais à faire en sorte que tous les citoyens puissent choisir leur avenir commun.
Pour être complet, je préciserai que le corps électoral prévu pour les référendums d'autodétermination est paradoxalement plus large que celui prévu pour les élections provinciales. Autrement dit, les citoyens sont plus nombreux à pouvoir voter pour choisir l'indépendance que pour élire leurs représentants locaux. Allez comprendre l'intérêt de s'opposer à la réforme !
Nous le savons tous désormais, le gel du corps électoral provincial n'avait vocation à s'appliquer que dans le cadre des accords de Matignon et de Nouméa. L'un de mes prédécesseurs, Dominique de Villepin, alors Premier ministre, l'avait d'ailleurs dit à la tribune du Congrès à Versailles expressis verbis en 2007. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
M. Gabriel Amard
C'était un gaulliste !
M. Gérald Darmanin, ministre
Pour accepter cette dérogation au principe constitutionnel d'égalité des suffrages, le constituant s'était lui-même appuyé sur son caractère transitoire. Dominique de Villepin, avait expliqué que le gel des listes provinciales n'était valable que pour les deux élections provinciales qui suivraient ; nous en sommes à la troisième, nous devons respecter la volonté du constituant. De quel droit continuerions-nous donc aujourd'hui, alors même que le processus des accords est clos, à exclure une partie très importante de la communauté calédonienne, qu'elle soit kanak ou non kanak, de ses droits ? Le gel du corps électoral, dans les proportions actuelles, n'est conforme ni aux principes essentiels de la démocratie, ni aux valeurs de la République.
Il est primordial que la majorité des Calédoniens puissent choisir leurs responsables locaux, alors même que le territoire connaît des difficultés économiques très fortes. Nous pensons tous évidemment au nickel. Les réserves de ce minerai, principale richesse de ce magnifique territoire, sont certes très importantes, mais ce secteur industriel est en grande difficulté. Les trois usines fonctionnent difficilement, voire plus du tout. Or le modèle économique et social du gouvernement autonome de l'archipel est fondé sur le nickel : plus de la moitié des emplois, directs et indirects, en dépendent. Et comme le gouvernement calédonien, est, je le répète, autonome, les systèmes sociaux, sanitaires et économiques en dépendent également.
Des décisions difficiles devront être prises, en lien avec l'État, qui a toujours aidé la Nouvelle-Calédonie : pour cela, le Congrès de Nouvelle-Calédonie, comme les provinces, doivent trouver une nouvelle légitimité forte grâce à un renouvellement démocratique, donc à de nouvelles élections – je le dis à des élus.
Il me semble avoir lu plusieurs fois dans les gazettes les termes " accélération " et " marche forcée ". Si nous avions voulu accélérer en nous appuyant seulement sur le résultat des trois référendums – sur le fait que la Nouvelle-Calédonie est la France et que les discussions s'arrêtent là –, nous aurions dégelé le corps électoral dès le lendemain du troisième référendum de 2021, organisé avant les élections présidentielles. Ce n'est pas ce que nous avons fait.
Je souligne par ailleurs que le Conseil d'État – qui est souvent cité à hue et à dia par l'opposition – nous a fortement suggéré qu'un décret de convocation d'un corps électoral non modifié serait attaqué, et que les élections seront annulées.
M. Arthur Delaporte
« Seraient » !
M. Gérald Darmanin, ministre
Nous devons donc corriger cette distorsion de la manière la plus consensuelle possible. Les non-indépendantistes proposaient de retenir des durées de domiciliation comprises entre trois et cinq ans : je l'ai refusé. À la demande du Président de la République, j'ai suggéré de retenir une période de dix ans. Il s'agissait de la première interprétation par le Conseil constitutionnel de la lettre de l'accord de Nouméa – proposition formulée par Lionel Jospin lui-même. Même si cela est tu, la solution de dix ans est plus proche de ce que proposaient les indépendantistes que de ce que proposaient les non-indépendantistes – chacun peut en témoigner. Alors que l'État proposait sept ans, les loyalistes trois ans, les indépendantistes pas moins de dix ans, la durée retenue, dix ans, traduit un compromis autour des propositions indépendantistes.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
Eh oui !
M. Gérald Darmanin
Je ne connais pas d'autres exemples dans le monde de pays démocratiques qui interdisent à leurs citoyens, dont la nationalité n'est pas contestée, de voter à des élections locales avant dix ans. Si vous adoptez le projet de loi constitutionnelle, aucun pays au monde ne restreindra autant le suffrage. La situation actuelle mène à l'absurde et à la voie antidémocratique : si vous n'adoptiez pas ce texte et si l'on devait continuer à appliquer le gel, nous finirions par tenir des élections sans électeur – il faudra, pour pouvoir voter, être citoyen calédonien né avant 1998. Une élection sans électeur : peut-être est-ce ce que souhaite La France insoumise ? (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
C'est donc la première fois dans l'histoire qu'un territoire qui gagne en population perd en électeurs.
M. Antoine Léaument
Une élection sans électeurs, ça fait penser aux européennes !
M. Gérald Darmanin
Nous avons toujours affirmé notre intention d'élargir le corps électoral par une initiative unilatérale si aucun accord politique global sur un nouveau statut n'était atteint d'ici aux prochaines élections territoriales. Il s'agit désormais de décorréler le dégel, qui est une nécessité démocratique impérieuse, de l'enjeu électoral, afin que l'on puisse négocier dans la sérénité cet accord attendu par tous.
Pour conclure, j'insisterai sur le fait que ce projet de loi constitutionnelle n'hypothèque en rien la signature de l'accord global que le Gouvernement appelle de ses vœux. Le Gouvernement ne souhaite pas décaler de nouveau ces élections, mais, en cas d'accord sérieux…
M. Jean-Victor Castor
Et qui décide que l'accord est " sérieux " ?
M. Gérald Darmanin
…nous avons la possibilité de le faire jusqu'en novembre 2025 – le Sénat et votre assemblée conservent cette possibilité, monsieur le rapporteur – le temps que nous soumettions au Parlement un autre projet de loi constitutionnelle et un projet de statut organique et que les indépendantistes et les non-indépendantistes travaillent ensemble comme ils l'ont fait dans le passé – malgré les vicissitudes de l'histoire et le temps que parfois nous prenons.
Mme Sophia Chikirou
Ce serait raisonnable !
M. Jérôme Guedj
En effet !
M. Paul Vannier
Sans vous !
M. Gérald Darmanin
Pour cela, il faut condamner la violence ;…
Mme Sophia Chikirou
Surtout, il ne faut pas la provoquer !
M. Gérald Darmanin
…pour cela, il faut accepter l'idée que chaque citoyen est égal devant la loi ; pour cela, il faut accepter que la démocratie s'exprime – et non les coups de hache ou les tirs à balles réelles.
M. Antoine Léaument
Vous n'avez pas parlé de la situation coloniale !
M. Gérald Darmanin
Sachant que ni le Conseil constitutionnel ni le Conseil d'État n'accepteront, ils l'ont dit, un nouveau report au-delà de la date butoir de novembre 2025, comment ferions-nous pour organiser les élections si la négociation locale dure et n'est pas achevée en octobre 2025 ? Notre mécanisme doit être vu comme un filet de sécurité afin que les élections puissent se tenir et que les Calédoniens puissent voter, sans remettre en cause le droit à l'autodétermination ni un nouvel accord. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
Au nom du Gouvernement, j'appelle cet accord de mes vœux : après l'adoption, je l'espère, ce soir, de ce texte, le Gouvernement invitera les parties calédoniennes à Paris pour discuter avec le Premier ministre et les membres du Gouvernement des moyens de parvenir à un accord global, qui se dessine depuis de longs mois sans jamais être conclu. Notre main est donc toujours tendue pour une discussion trilatérale : tel est le message que le Président de la République a envoyé hier à l'ensemble des partenaires en annonçant que la convocation du Congrès à Versailles devrait attendre le temps de réamorcer un cycle de discussions à Paris. Nous formons le vœu que celui-ci puisse s'organiser rapidement et que tous acceptent d'y participer.
En Nouvelle-Calédonie, près de trois années se sont écoulées depuis le dernier référendum. Le dossier peut paraître bien épineux depuis l'Hexagone, et parfois politisé depuis Paris, mais quiconque se rend sur place constate que les Calédoniens, quelles que soient leurs opinions politiques, souhaitent vivre en paix, pour leur jeunesse en particulier, après tant de sang versé. Plus qu'utile, la réforme sans doute exigeante que nous proposons, en prévoyant le dégel du corps électoral, empêchera que les élections soient annulées indéfiniment, permettra que les institutions œuvrant à la lutte contre le réchauffement climatique de l'archipel fonctionnent, pour assurer un avenir à la jeunesse et rétablir la bonne marche de l'économie au moment où de grandes puissances mondiales jettent sur cette magnifique terre un regard prédateur.
Un député du groupe LFI-NUPES
C'est vous le prédateur !
M. Gérald Darmanin, ministre
Les Calédoniens attendent des solutions. Les acteurs économiques en ont besoin, les acteurs institutionnels les appellent de leurs vœux, les citoyens en ont envie, les partenaires de la zone indo-pacifique nous regardent avec intérêt.
M. Antoine Léaument
Ah !
M. Gérald Darmanin, ministre
Il est de la pleine responsabilité de l'État de garantir l'expression du droit de suffrage dans l'ensemble des territoires de la République. En votant ce projet de loi constitutionnelle, mesdames et messieurs les députés, vous ne ferez qu'une chose : rétablir la démocratie. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR.– M. Philippe Gosselin applaudit également.)
(…)
Mme la présidente
La discussion générale est close.
La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre
Je vous présente tout d'abord mes excuses pour avoir dû m'absenter, ce qui m'a empêché d'entendre certains orateurs mais le garde des sceaux m'a rapporté les propos tenus et j'y répondrai. Je remercie ceux d'entre vous qui soutiennent le texte du Gouvernement, modifié par le Sénat, et j'essaierai de répondre aux questions de ceux qui ne l'approuvent pas.
Je commencerai pas dire aux députés du groupe Socialistes et apparentés qu'à trois reprises, les référendums prévus par l'accord de Nouméa se sont soldés par un " non ". L'accord de Nouméa, négocié à la suite des accords de Matignon, présente de nombreuses qualités, en particulier celle d'avoir restauré la paix en Nouvelle-Calédonie, d'avoir permis aux gens de renouer le dialogue, notamment sur le futur statut institutionnel de l'île. Cependant, rien n'étant parfait, ces accords n'avaient peut-être pas prévu que le peuple calédonien dirait, par trois fois, non.
Mme Danièle Obono
Deux fois !
M. Gérald Darmanin, ministre
Par trois fois ! Le Conseil d'État a validé le dernier référendum. Le sujet ne souffre pas la moindre contestation.
Mme Mathilde Panot
Soyons sérieux ! Il y a des contestations !
M. Gérald Darmanin, ministre
Tous les maires, y compris ceux qui étaient indépendantistes, ont organisé ce référendum. M. Paul Néaoutyine, qui préside l'assemblée de la province Nord, est indépendantiste et il a voté ! Aller chercher du côté de l'Azerbaïdjan, grande démocratie s'il en est, une preuve de la contestation internationale de ce troisième référendum, ne prouve pas indiscutablement l'adhésion aux valeurs démocratiques ou à l'universalisme qu'évoquait tout à l'heure M. Guedj.
Il demeure qu'il n'avait pas été prévu que les Calédoniens répondraient " non ".
M. Antoine Léaument
Menteur ! Vous mentez, monsieur Darmanin, c'était prévu.
M. Gérald Darmanin, ministre
Peut-être était-ce une grande erreur. C'est en tout cas ce que nous essayons de réparer aujourd'hui. La situation qui en a découlé est celle que nous constatons collectivement.
J'en viens aux propos des députés de La France insoumise et du groupe communiste. M. Le Gayic, élu en Polynésie, a affirmé, dans son explication de vote, que les Kanaks voulaient continuer à suivre leurs coutumes et que soit préservée la culture kanak dont ils sont fiers. Qu'il faille respecter l'histoire particulière de ce peuple, c'est incontestable. D'ailleurs, la Constitution le prévoit. Cependant, ce type de propos pourrait laisser croire à ceux qui ne connaîtraient pas le sujet autant que vous, que tous les Kanaks voteraient en faveur des indépendantistes.
M. Tematai Le Gayic
95 % !
M. Gérald Darmanin, ministre
Pardon, monsieur le député, mais j'ai remis, il n'y a pas si longtemps que cela, la légion d'honneur à un ancien sénateur, Gérard Poadja…
M. Tematai Le Gayic
Il est dans les 5% !
M. Gérald Darmanin, ministre
Pourquoi faites-vous de l'essentialisation ? Laissez les gens exercer librement leurs droits dans une nation démocratique. Les Kanaks votent ce qu'ils veulent, tout comme les Européens. Fort heureusement, le vote " oui " ou " non " à l'indépendance ne dépend ni de la couleur de peau, ni des origines ! C'est une essentialisation que je ne peux accepter en tant qu'universaliste, pour reprendre le mot de M. Guedj. Il ne faut pas essentialiser les populations : vous avez fait exactement ce reproche au Rassemblement national dans d'autres domaines, par exemple lors de l'examen de la loi " immigration ".
Fort heureusement, de très nombreux Kanaks sont contre l'indépendance et adhèrent à des partis non indépendantistes. Je prends l'exemple de M. Ponga qui, aujourd'hui, préside le parti des Républicains et mène l'opposition aux indépendantistes dans la province Nord, territoire indéniablement indépendantiste.
On trouve aussi des citoyens kanak dans la police, la gendarmerie. Certains, à l'heure qu'il est, sont même en train de se faire molester, sont blessés, se font tirer dessus à balles réelles. Il ne faut pas essentialiser…
M. Tematai Le Gayic
N'importe quoi.
M. Gérald Darmanin, ministre
Cela a déjà été dit en commission : je regrette que vous ayez cette vision essentialiste. Il y a même des Européens qui votent pour l'indépendance ! C'est leur droit le plus strict. Ne les essentialisez pas. Ne confondez pas…
Mme Danièle Obono
C'est vous !
M. Gérald Darmanin, ministre
M. le député vient de me dire à l'instant que 95% des Kanaks votaient pour l'indépendance : c'est donc bien une essentialisation ethnique ! Personnellement, je ne fais pas grand cas de ce genre de pourcentage ou de statistique… (Vives exclamations sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
Mme Danièle Obono
Il y a une spécificité de la Nouvelle-Calédonie ; c'est une exception française.
M. Gérald Darmanin, ministre
Pouvons-nous discuter sans que vous criiez ? Pensez-vous que ce soit possible dans un débat ? Pourrons-nous espérer terminer le quinquennat autrement que sous vos cris dès que l'on s'adresse à La France insoumise ?
M. Philippe Gosselin
Cela paraît impossible, monsieur le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre
Ce serait un défi intéressant. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
Mme Danièle Obono
Quand vous arrêterez de dire des bêtises !
M. Gérald Darmanin, ministre
Monsieur Delaporte, je compte sur vous pour rapporter ma réponse à M. Guedj. Je l'ai écouté avec attention et j'ai pour lui beaucoup de respect. Nul doute qu'il essaie avec respect et humilité, comme on dit en Nouvelle-Calédonie, d'apporter sa pierre à l'édifice, dans la tradition de votre parti politique. Il dit qu'il est " universaliste, mais ", qu'en Nouvelle-Calédonie, la construction pourrait s'envisager autrement. Eh bien non, quand on est universaliste, pardon de cet impératif catégorique, on l'est pleinement, c'est-à-dire qu'on pense que tout le monde doit tendre vers certaines valeurs, d'autant plus qu'il n'est pas désagréable de s'en imprégner – ce sont des valeurs de la démocratie, et de l'égalité de suffrage. Il n'y a pas d'" universaliste mais ". Si je dis à quelqu'un que je l'aime, je ne vais pas mettre un bémol à mes sentiments en ajoutant " mais ".
On ne peut pas être " universaliste mais ". Cela n'empêche pas, comme vous l'avez fait avec raison, monsieur Le Gayic, de se demander si les valeurs occidentales ou démocratiques telles que nous les imaginons sont les bonnes valeurs pour les peuples d'Océanie, mais ce n'est pas ne pas être universaliste que de le dire, c'est prendre en considération une culture, des droits. D'ailleurs on sait tous qu'il y a un droit coutumier à respecter en Nouvelle-Calédonie, la Constitution le prévoit. Je ne comprends donc pas cette contradiction au sein du parti socialiste et singulièrement chez M. Guedj qui est " universaliste mais ". Il faudra m'expliquer dans quelle partie du monde l'universalisme s'applique et dans quelle autre partie, il ne s'applique pas.
M. Arthur Delaporte
C'est dans la Constitution française !
M. Gérald Darmanin, ministre
M. Guedj, à la tribune, en était encore à vouloir décoloniser la Nouvelle-Calédonie. Cela veut donc dire qu'il admet que le gouvernement socialiste, pourtant porté de très nombreuses fois aux responsabilités, n'a pas décolonisé la Nouvelle-Calédonie. L'argument me semble donc spécieux.
Monsieur Rimane, vous comparez ce qui n'est pas comparable. La comparaison entre la situation en Nouvelle-Calédonie et le 8 Mai qui commémore la libération du joug nazi, n'est pas tenable.
M. Davy Rimane
Pourquoi ?
M. Gérald Darmanin, ministre
Parce que les Français ne sont pas des nazis, monsieur le député de la France. Je regrette qu'en tant que député, vous ne l'ayez pas vraiment distingué.
M. Davy Rimane
Ce n'est pas ce que j'ai dit ! N'essayez pas de déformer mes propos.
M. Gérald Darmanin, ministre
Vous avez comparé en quelques minutes ce que nous commémorons le 8 mai…
M. Davy Rimane
Je parlais de la guerre et de l'occupation : de rien d'autre, et pas du nazisme !
M. Gérald Darmanin, ministre
Ce que nous commémorons le 8 mai, c'est la libération de l'Europe et de la France du joug nazi. Votre comparaison m'a choqué et m'a blessé.
M. Davy Rimane
Respectez mes propos !
Mme la présidente
Monsieur Rimane, s'il vous plaît.
M. Gérald Darmanin, ministre
Je respecte vos propos, monsieur Rimane. Nous les relirons. Je vous ai écouté avec attention.
M. Davy Rimane
Cela ne marchera pas ! Pas avec moi !
M. Gérald Darmanin, ministre
Et ce n'est pas la peine de me menacer, ni de m'agresser ! Vous ne me faites pas peur, monsieur le député ! (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
M. Davy Rimane
Ne faites pas ça !
M. Gérald Darmanin, ministre
Je réponds à des arguments démocratiques. Je suis moi-même petit-fils de colonisés, de gens qui ont choisi la France et qui ont été enrôlés de force dans l'armée française. N'avancez pas cet argument contre moi : mon grand-père s'est enrôlé pour combattre les nazis ! Dresser cette comparaison à la tribune de l'Assemblée ne me paraît pas digne de tous ceux qui, en Nouvelle-Calédonie, se battent pour l'indépendance – ils en ont parfaitement le droit et nous le respectons –, sans se livrer à de telles comparaisons, qui ne sont pas du niveau de notre débat démocratique.
Cette référence au 8 mai 1945 nous entraîne d'ailleurs assez loin du sujet de notre discussion, la possibilité de voter à des élections locales, et du texte constitutionnel que nous vous soumettons.
Le problème est que vous n'entendez pas ceux qui ne sont pas d'accord avec vous, ce qui rend difficile le débat démocratique. Essayons tout de même d'échanger ! (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
Mme Danièle Obono
Arrêtez d'essentialiser !
Mme Mathilde Panot
Arrêtez vos leçons !
M. Gérald Darmanin, ministre
Monsieur Molac, vous évoquiez la place d'une partie de ceux qui souhaitent depuis très longtemps l'indépendance, pour des raisons politiques tout à fait compréhensibles, que nous respectons évidemment. La Constitution et la France les respectent également.
Vous avez comparé la situation de la Nouvelle-Calédonie avec celle de l'Australie. Mais vous avez pu constater que le dernier référendum australien n'a pas donné raison à ceux qui voulaient conférer davantage de droits aux Aborigènes. Je ne sais d'ailleurs pas dans quelle partie de l'Australie on leur a accordé l'indépendance. Votre comparaison est donc un peu lointaine.
Par ailleurs, contrairement à ce que l'on constate en l'Australie – j'ai le plus grand respect pour cette grande démocratie –, sur les cinq institutions néo-calédoniennes, quatre sont gouvernées par les indépendantistes. Plus de la moitié des communes de Nouvelle-Calédonie sont gérées par des maires et des conseils municipaux indépendantistes. Je ne connais aucun autre endroit du monde où des gens qui souhaitent mener une politique consistant à lutter pour l'indépendance et pour la séparation d'avec un territoire particulier peuvent occuper de tels postes.
Vous citez l'ONU. Mais l'ONU nous félicite chaque année !
Mme Danièle Obono
Non, non !
M. Gérald Darmanin, ministre
J'ai eu l'honneur de représenter mon pays devant elle pas plus tard qu'il y a trois semaines, comme je le fais chaque année. La France est le seul pays à répondre aux interrogations de l'ONU au sujet des territoires figurant sur la liste du C24, le Comité spécial chargé d'étudier la situation en ce qui concerne l'application de la Déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, également appelé Comité spécial des Vingt-Quatre. Ni la Grande-Bretagne, ni les États-Unis ne le font. L'ONU constate ainsi que quatre institutions néo-calédoniennes sur cinq sont gouvernées par les indépendantistes. Votre comparaison avec l'Australie me paraît donc un peu rapide. C'est bien la France, au contraire, qui a montré la voie.
Enfin, vous avez évoqué à plusieurs reprises la nécessité pour le Gouvernement de se monter impartial. Il doit bien sûr être impartial, mais il ne doit pas être neutre.
Mme Danièle Obono
Il ne prend pas parti ?
M. Gérald Darmanin, ministre
C'est un partenaire, signataire des accords de Nouméa et de Matignon, qui a le droit d'affirmer qu'après trois référendums organisés suivant les règles prévues par la Constitution, il faut accepter et respecter le vote des Calédoniens.
Le Gouvernement est évidemment heureux que la démocratie puisse vivre. Il respecte ceux qui veulent l'indépendance, il permet que l'on discute avec eux : il y a des partis politiques et des syndicats indépendantistes, y compris au sein de la police nationale et de la magistrature. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NUPES.) Cela montre la grandeur et l'ouverture d'esprit de notre nation, et notre respect pour chacune et pour chacun. Le Gouvernement n'en a pas moins le droit de dire qu'il aime la Nouvelle-Calédonie et les Calédoniens, et qu'il est heureux qu'ils aient choisi de rester français. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RE et Dem.)
M. François Cormier-Bouligeon
Très bien !
Mme la présidente
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
Rassurez-vous, mon intervention sera très brève. J'ai écouté, comme vous sans doute, dans un silence de cathédrale, l'intervention de Nicolas Metzdorf. Il était à l'évidence très ému. Je me demandais : " Qui est-il, celui-là ? N'est-il pas Calédonien ? Qu'est-il alors ? " Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes n'appartiendrait donc pas à un peuple ? Est-ce cela qu'on nous raconte ?
Mme Sabrina Sebaihi
Je ne comprends rien !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
Je veux dire un mot des violences commises hier. Vous auriez pu vous lever et adopter notre attitude de compassion vis-à-vis des militaires blessés. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE et sur quelques bancs du groupe RN, du groupe LR et du groupe Dem.)
M. Romain Daubié
Ça aurait été décent !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
Enfin, je veux rappeler qu'effectivement, à trois reprises, les Calédoniens ont souhaité rester dans la République, avec un corps électoral restreint, comme nous le savons. Sans cette restriction, les résultats de ces consultations eussent sans doute été plus probants encore.
Comme l'a dit Nicolas Metzdorf, on a envisagé successivement de restreindre le corps électoral pour les élections au Congrès et aux assemblées de province aux électeurs nés ou domiciliés en Nouvelle-Calédonie depuis au moins trois, sept, puis dix années. À chaque fois, une concession a été faite. Ces propositions ne sont pas, à l'origine, celles du Gouvernement, mais celles des indépendantistes.
Mme Danièle Obono
Mais non !
M. Gérald Darmanin, ministre
Mais si !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
Bien sûr que si ! Vous pouvez bien dire " Mais non ! Mais non ! " C'est : " Mais oui ! Mais oui ! "
M. Manuel Bompard
Demandez-leur !
Mme Caroline Abadie
On leur a demandé !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
Je vais vous dire une dernière chose, toute simple. Quand Gérald Darmanin et moi-même sommes allés en Nouvelle-Calédonie, nous avons rencontré des gens lors de nos pérégrinations, nous les avons salués et nous avons parlé avec eux. Je me souviens en particulièrement d'une jeune femme, qui disait : " Moi, il y a plus de vingt ans que je suis ici. Ce pays, je l'aime ; cette terre, c'est la mienne. Je vis avec toutes les communautés. Et je suis quoi ? Et je suis qui ? " Voilà tout ce que je voulais vous dire, car il me semble important que tous ceux qui font cette terre puissent s'exprimer à son sujet. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE et sur quelques bancs du groupe Dem.)
source https://www.assemblee-nationale.fr, le 15 mai 2024