Texte intégral
Mme la présidente
L'ordre du jour appelle la discussion, en application de l'article 34-1 de la Constitution, de la proposition de résolution de M. Marcellin Nadeau et plusieurs de ses collègues visant à adapter et mutualiser nos politiques publiques au changement climatique, notamment à destination des villes côtières et insulaires (nos 1942).
(…)
Je vous informe que sur le vote de la proposition de résolution, je suis saisie par les groupes Renaissance et Gauche démocrate et républicaine-NUPES d'une demande de scrutin public. Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La discussion générale est close.
La parole est à M. le ministre délégué chargé du commerce extérieur, de l'attractivité, de la francophonie et des Français de l'étranger.
M. Franck Riester, ministre délégué chargé du commerce extérieur, de l'attractivité, de la francophonie et des Français de l'étranger
Je remercie tout d'abord les députés communistes d'avoir inscrit à l'ordre du jour cette proposition de résolution.
M. Jean-Paul Lecoq
Les députés du groupe GDR !
M. Franck Riester, ministre délégué
Les députés du groupe GDR – vous avez raison de le préciser.
Le Gouvernement donnera un avis de sagesse à ce texte qui se rapporte à un sujet majeur de l'année 2024 : l'adaptation au changement climatique. Vous le savez, la transition écologique est au cœur des priorités du Gouvernement. La moitié des investissements du programme France 2030 est ainsi consacrée à la décarbonation de notre économie, et le Gouvernement a présenté en 2022 un projet ambitieux pour réussir la transition écologique : France nation verte.
Comme le Président de la République s'y était engagé lors de sa dernière campagne, le Premier ministre est chargé de la planification écologique – à l'instant où je vous parle, une partie du Gouvernement est réunie dans le cadre d'un séminaire gouvernemental de travail sur l'écologie. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, Christophe Béchu, n'a pas pu venir s'exprimer devant vous ce matin.
Les Français sont très attachés à leurs littoraux et ils sont fiers de la beauté de leurs paysages et de la biodiversité qu'ils abritent. Ces territoires concentrent de nombreux enjeux – qu'il s'agisse, parmi bien d'autres, de l'attractivité, de la dynamique démographique, du tourisme –, mais ils ont aussi leurs fragilités. Le recul du trait de côte, défi considérable, touche tous les littoraux français, notamment ceux d'outre-mer, qui représentent près de 14 500 kilomètres de côtes sur 20 000 au total.
Monsieur Nadeau, je sais que vous connaissez bien cette question – comme les autres députés ultramarins et ceux issus des littoraux français. Face à un phénomène à la cinétique lente mais certaine, l'enjeu est d'anticiper et de s'adapter en tenant compte des spécificités des territoires – telle est la stratégie du Gouvernement. Le Gouvernement prend donc à bras-le-corps l'enjeu du recul du trait de côte, qui touche notamment votre commune du Prêcheur. Il présentera d'ici à quelques semaines un plan global : le plan national d'adaptation au changement climatique, dont les mesures visent en particulier à protéger les Français des conséquences du recul du trait de côte en repensant l'aménagement des territoires exposés.
Je tiens donc à souligner positivement la cohérence entre le calendrier de cette proposition de résolution et celui des chantiers structurants conduits par le Gouvernement. Aujourd'hui, un cinquième des 20 000 kilomètres du littoral français est concerné par l'érosion côtière, et plusieurs millions de citoyens vivent ou possèdent des biens sur le littoral. En cinquante ans, pas moins de 30 kilomètres carrés ont déjà disparu. Le changement climatique et la montée des eaux accéléreront globalement le recul du trait de côte – aucune région côtière ne sera épargnée. Ce phénomène est progressif, inéluctable et irréversible. Nous devons l'anticiper et nous y préparer dès maintenant.
Ce phénomène présente plusieurs particularités. Sa temporalité longue, sur plusieurs décennies, engendre des incertitudes scientifiques sur l'ampleur du recul à moyen et long terme. De plus, chaque contexte local est spécifique. (Murmures.)
Mme la présidente
Seul le ministre a la parole !
M. Franck Riester, ministre délégué
Le Gouvernement a engagé des travaux structurants destinés à documenter ces enjeux. Une mission conjointe de l'inspection générale de l'environnement et du développement durable (Igedd) et de l'inspection générale de l'administration (IGA) a dressé, avec l'appui du Cerema, un inventaire des biens existants assorti de projections à 2050 et 2100. Les rapports ont été publiés le 5 avril 2024 et les cartes d'exposition aux risques, mises en ligne, sont à la disposition de tous. D'ici à 2100, 450 000 logements, d'une valeur estimée à 86 milliards d'euros, seraient menacés en l'absence d'actions correctives, autrement dit en l'absence d'ouvrages de protection, lesquels trouvent souvent leurs limites à moyen ou long terme, comme beaucoup d'entre vous l'ont souligné. Il faut donc interroger nos stratégies d'aménagement, nous adapter à ces évolutions en privilégiant le rétro-littoral et mettre l'accent sur des solutions fondées sur la nature, pour accompagner le phénomène, tout en prenant compte les réalités sociales.
Un inventaire similaire sera lancé dans les prochaines semaines pour les outre-mer de manière à mieux objectiver et quantifier le phénomène sur chacun des territoires et proposer des solutions adaptées.
Face à cet enjeu majeur, le Gouvernement, en lien avec les collectivités locales, a déjà commencé à agir. Il va continuer à le faire à la fois pour éviter les constructions sur des surfaces exposées et pour anticiper les réponses à apporter pour les biens progressivement menacés.
La loi " climat et résilience " a placé la question de l'érosion du trait de côte au plus haut niveau de l'agenda politique. Cette évolution du cadre légal fournit à l'État comme aux élus de nouveaux outils pour accompagner la recomposition spatiale des territoires littoraux exposés et favoriser un aménagement opérationnel.
M. Sébastien Jumel
Il faut un financement pérenne !
M. Franck Riester, ministre délégué
Ils renforcent la capacité d'intervention des pouvoirs publics, avec l'interdiction de construire et la servitude de démolition. Ils incitent à anticiper plus largement, grâce à la mise en place de cartographies locales d'exposition au recul du trait de côte et à une liste de communes appelées à adapter leur politique d'aménagement établie par décret. Ils facilitent l'aménagement des zones concernées et du rétro-littoral à travers un droit de préemption spécifique. Ils instaurent un bail réel d'adaptation à l'érosion côtière pour permettre d'habiter et de vivre autrement sur ces territoires pendant leur durée de vie résiduelle.
D'ores et déjà, 242 communes bénéficient de ce dispositif, après avoir demandé leur inscription au décret-liste.
M. Sébastien Jumel
Il faut un peu de financement !
M. Franck Riester, ministre délégué
En application de la loi " climat et résilience ", plusieurs décrets seront publiés en juin, notamment au sujet du droit de préemption pour l'adaptation des territoires au recul du trait de côte, et le décret-liste sera révisé avec l'adjonction de soixante-dix communes.
M. Sébastien Jumel
Il faut un fonds dédié !
M. Franck Riester, ministre délégué
Le Gouvernement a commencé à déployer des moyens supplémentaires pour répondre aux besoins de court terme des communes littorales. Je pense au financement à 80% des cartographies nécessaires à l'identification des enjeux au plus près du territoire. Je pense aussi à la mise en place d'une première enveloppe de 4 millions d'euros sur trois ans, au sein du plan Destination France, destinée à financer les diagnostics des campings exposés à l'érosion marine.
Dans le même temps, le Gouvernement soutient les premières opérations expérimentales à travers les projets partenariaux d'aménagement (PPA) comme à Gouville-sur-Mer, Lacanau, Sète ou Biscarosse,…
M. Sébastien Jumel
Et Dieppe !
M. Franck Riester, ministre délégué
…grâce à une enveloppe de 10 millions d'euros déployée entre 2021 et 2023, dans le cadre du plan France relance. Depuis 2023, une enveloppe du fonds Vert vient compléter ce dispositif. Elle est notamment mobilisable pour les cartes locales de projection du recul du trait de côte, pour les projets partenariaux d'aménagement et pour les diagnostics concernant les campings, dans la continuité des mesures du plan Destination France. Au total, plus de 20 millions d'euros auront été mobilisés en 2023.
M. Sébastien Jumel
Ce n'est pas assez !
M. Franck Riester, ministre délégué
Le Gouvernement travaille également à définir un modèle de financement de moyen et long terme à la hauteur des enjeux. La concertation est menée depuis 2023 au sein du Comité national du trait de côte, comité technique du Conseil national de la mer et des littoraux (CNML). Présidé par Sophie Panonacle, il constitue l'instance de dialogue et de concertation entre les parties prenantes sur tout sujet relatif à la gestion intégrée du trait de côte. Les différents collèges qui le composent se sont réunis plusieurs fois depuis avril 2023 et le comité sera à nouveau convoqué en juin 2024 afin de proposer au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires des options de financement, en vue notamment du projet de loi de finances pour 2025.
Enfin, comme je l'ai déjà souligné, cette proposition de résolution est examinée à quelques semaines de la sortie de la troisième version du nouveau plan national d'adaptation au changement climatique.
Mme Marie Pochon
On ne savait plus où il en était !
M. Franck Riester, ministre délégué
L'objectif du Gouvernement est non pas de lutter à tout prix contre le phénomène du recul du trait de côte mais de privilégier les solutions d'aménagement du rétro-littoral. Concrètement, ce nouveau plan consiste en un accompagnement renforcé de l'État pour sept PPA, précurseurs ou pionniers, engagés et signés depuis 2021, dont trois serviront de démonstrateurs. Ils seront également suivis par le CNTC afin de contribuer à l'élaboration d'une doctrine " littoral à + 4 degrés ". Sur la base du retour d'expérience de ces projets partenariaux nationaux et des recommandations des inspections générales, le CNTC proposera prochainement ses pistes de financement pour les territoires.
La situation spécifique des outre-mer sera étudiée avec attention grâce à une mission complémentaire de l'Igedd relative au financement des conséquences du recul du trait de côte dans les territoires ultramarins.
Ce sujet mérite que nous prenions le temps de la concertation et de la réflexion collective. C'est la méthode de travail que privilégie le Gouvernement. Nous partageons plusieurs objectifs et la volonté de trouver des solutions concrètes et équilibrées pour lesquelles chacun assume sa part de responsabilité.
M. Sébastien Jumel
Les assurances ?
M. Franck Riester, ministre délégué
Les recommandations de votre proposition de résolution sont en partie satisfaites ou en passe de l'être. L'État accompagne financièrement l'ingénierie locale avec la mission Adaptation et les aides du fonds Vert. S'agissant du volet relatif à la précision des connaissances et à la recherche, le Gouvernement a décidé de rendre publics les travaux du Cerema sur les projections du recul historique du trait de côte sur le littoral français dans cinq ans, en 2050 et en 2100 ; il les complétera avec les données ultramarines.
Cela permettra, dans les départements et régions d'outre-mer, d'améliorer la connaissance des biens et personnes exposés, de proposer des dérogations législatives ou réglementaires ainsi que d'identifier les besoins et les sources de financement mobilisables. Dans les collectivités d'outre-mer, il s'agira de dresser un inventaire des biens menacés par l'érosion littorale à moyen et long terme et de proposer des recommandations génériques sur la gestion du recul du trait de côte. La mission rendra ses conclusions en novembre 2024.
Soulignons que l'enjeu social est présent de manière transversale dans le nouveau Pnacc. La nécessité de développer des connaissances opérationnelles et de poursuivre les travaux de recherche sur les impacts du changement climatique sur les territoires littoraux et les solutions est prise en compte. C'est une brique majeure du nouveau plan d'adaptation.
Votre demande concernant l'évaluation environnementale des projets est également satisfaite. L'adaptation au changement climatique est déjà comprise dans ce processus : l'étude d'impact doit détailler les " incidences du projet sur le climat et la vulnérabilité du projet au changement climatique ". Le Gouvernement communiquera au deuxième semestre 2024 un guide méthodologique pour améliorer cette prise en compte. Il prévoit un autre guide méthodologique portant sur l'intégration du volet " adaptation au changement climatique " dans les plans-programmes d'ici à 2025.
Enfin, les outils de financement de la lutte contre le recul du trait de côte, y compris dans le domaine fiscal, et la bonne gouvernance de la recomposition spatiale nécessaire à l'adaptation, laquelle peut dépasser les limites administratives d'une commune ou d'un établissement public de coopération intercommunale, seront mis en regard du coût de l'inaction, ce qui nous invite à nous adapter au plus tôt. Le temps est donc à l'action. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes RE, Dem et HOR.)
source https://www.assemblee-nationale.fr, le 3 juin 2024