Déclaration de M. Laurent Saint-Martin, ministre, chargé du budget et des comptes publics, et de Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l'accès aux soins, sur l'approbation des comptes de la sécurité sociale pour 2023, dans le cadre de la discussion du projet de loi après engagement de la procédure accélérée, à l'Assemblée nationale le 15 octobre 2024.

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Texte intégral

Mme la présidente
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale pour l'année 2023 (nos 4, 292, 317).

La parole est à M. le ministre du budget et des comptes publics.

M. Laurent Saint-Martin, ministre du budget et des comptes publics
En raison des contraintes que vous savez, l'examen projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale (Placss) pour l'année 2023, prévu plus tôt cette année, a été reporté à l'automne.

Notre discussion n'en garde pas moins toute sa pertinence : d'une part elle matérialise le pouvoir de contrôle et d'évaluation du Parlement, de l'autre elle contribuera à éclairer les propositions que le Gouvernement fera lors du débat du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour l'année 2025 et qu'il présentera dès demain à la commission des affaires sociales.

Le présent texte ayant été rejeté par la commission des affaires sociales, je note un certain parallélisme des formes avec l'examen, hier, du projet de loi de règlement et d'approbation des comptes pour 2023. Le projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale pour l'année 2022 avait déjà été rejeté, tout comme les trois derniers projets de loi de règlement et d'approbation des comptes.

M. Jérôme Guedj
C'est dire !

Mme Christine Arrighi
Comme, à chaque fois, rien n'a changé…

M. Laurent Saint-Martin, ministre
Permettez-moi de vous dire que le rejet des comptes publics est, malheureusement, en passe d'entrer dans la tradition parlementaire,…

Mme Danielle Brulebois et Mme Stéphanie Rist
Eh oui !

M. Laurent Saint-Martin, ministre
…ce que je regrette à plusieurs titres. D'abord, rejeter les comptes d'hier ne me semble pas franchement de bonne politique au moment où nous devons amorcer leur redressement.

Ensuite, ce vote ne reflète pas l'avis rendu par la Cour des comptes dans son rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale pour l'année 2023. La Cour avait estimé que ces tableaux d'équilibre "fournissent une représentation cohérente des recettes, des dépenses et du solde, ainsi que des actifs et passifs des entités comprises dans leurs champs respectifs".

Enfin et surtout, je suis particulièrement attaché à la philosophie qui sous-tend le texte. J'y suis attaché parce que je crois profondément à la vertu d'un "chaînage" permettant, de l'autorisation parlementaire jusqu'au contrôle et à l'évaluation, la continuité en fonction de laquelle approuver ou rejeter les comptes, en tout cas d'en discuter et de préparer le débat du PLFSS, lequel doit justement s'ouvrir dans les prochaines semaines.

On ne peut pas, d'un côté, vouloir préserver et même renforcer les prérogatives budgétaires du Parlement – ce que j'ai fait en modernisant la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) et celle de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale (LOLFSS) – et, de l'autre, rejeter les projets de loi d'approbation des comptes d'un exercice, qui ne sont que des textes techniques. En procédant ainsi, on introduit une rupture dans le chaînage vertueux que j'évoquais : comment veut-on bien autoriser si l'on n'a pas bien évalué et si l'on n'a pas approuvé ?

Cette conviction avait conduit la précédente majorité à consacrer toute son importance à l'évaluation, en instituant le Printemps de l'évaluation, tant pour le projet de loi de finances (PLF) que pour le PLFSS. Rappelons en effet que faire la transparence sur l'exécution permet d'améliorer la gestion des deniers publics et de réfléchir à la performance et à l'efficacité de la dépense, sur le fondement de constats objectifs.

C'est bien de cela qu'il s'agit : on ne peut pas se contenter d'un seul débat de fond, politique, sur un texte d'approbation des comptes puisqu'il nous faut d'abord un regard objectif sur la réalité de ces comptes. Nous pouvons ainsi nous demander si le modèle est efficace et s'il fonctionne de manière satisfaisante, si l'on peut consolider les droits des assurés et si l'on peut leur en ouvrir de nouveaux et à quelles conditions. Tel est le bon débat de fond que nous devons avoir, celui que nous aurons lors de la discussion du PLFSS.

Soit dit en passant, j'ajoute que c'est en évaluant rigoureusement la pertinence et l'efficacité de la dépense que le Parlement assume pleinement sa mission constitutionnelle de contrôle de l'action du Gouvernement.

Ce sont les constats tirés de l'évaluation du budget de l'exécutif qui font la qualité des débats sur les budgets à venir. À titre d'exemple, la réforme des allègements généraux de cotisations – dont nous discuterons dans le cadre du PLFSS pour 2025 – n'aurait pas pu voir le jour sans les travaux d'analyse et d'évaluation menés avec l'ensemble des parties prenantes de la sphère sociale dans le cadre de la mission confiée, en 2023, aux économistes Antoine Bozio et Étienne Wasmer. J'insiste de nouveau sur ce point : ce n'est qu'en évaluant rigoureusement le passé qu'on peut proposer des solutions efficaces pour l'avenir.

En se prononçant contre ce texte, votre assemblée censurerait donc moins la gestion passée du Gouvernement qu'elle ne ferait l'économie d'une réflexion, pourtant utile, sur les améliorations possibles de notre modèle de protection sociale. Or je crois que ce dernier débat est éminemment important.

J'en viens aux comptes sociaux pour 2023, le fond du sujet. Comme l'ont rappelé, et à plusieurs reprises, les ministres du gouvernement précédent, l'année 2023 a été une année de rééquilibrage des comptes de la sécurité sociale.

M. Thibault Bazin
Et ils ne sont pas bons !

M. Laurent Saint-Martin, ministre
Le déficit s'est établi à 10,8 milliards d'euros, affichant une amélioration de 8,9 milliards d'euros par rapport aux résultats enregistrés en 2022. Cette amélioration est donc sensible, bien qu'inférieure de 2,1 milliards d'euros à la prévision inscrite dans la LFSS initiale. Les dépenses ont été maîtrisées et il faut souligner que la trajectoire de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) a été respectée. Les recettes de l'ensemble des administrations publiques ont été plus faibles qu'anticipé, du fait en particulier du ralentissement économique observé en fin d'année.

M. Thibault Bazin
On l'avait pourtant prévu, ce ralentissement !

M. Laurent Saint-Martin, ministre
Tendre vers l'équilibre des comptes sociaux, cela revient tout simplement à assurer la pérennité de notre modèle de protection sociale, à préserver notre capacité à agir, à protéger les Français, à consolider leurs droits acquis et à en ouvrir de nouveaux. Ce n'est pas autre chose.

Trois branches sont restées déficitaires en 2023 : la branche maladie, à hauteur de 11,1 milliards d'euros, la branche vieillesse, à hauteur de 2,6 milliards d'euros et la branche autonomie, à hauteur de 0,6 milliard d'euros. À l'inverse, les branches famille, accidents du travail et maladies professionnelles enregistraient un excédent.

M. Thibault Bazin
Pour la branche famille, c'est normal, on ne fait plus d'enfants !

M. Laurent Saint-Martin, ministre
Deux facteurs expliquent l'amélioration des comptes sociaux. D'abord, nous sommes évidemment sortis de la crise sanitaire, raison pour laquelle les dépenses de protection liées au dispositif de chômage partiel et aux reports de charges ont drastiquement diminué. Savoir retirer les filets de sécurité une fois les crises passées n'a rien d'un tabou, c'est au contraire le signe d'une bonne gestion : c'est ce que nous avons fait pour la sécurité sociale en 2023 et c'est ce que nous proposons de faire en 2025, en retirant les boucliers tarifaires conçus pour faire face à l'inflation et à la hausse des prix de l'énergie. Les prix étant désormais contenus, il est nécessaire et juste de faire disparaître ces dispositifs.

Ensuite, nous avons stimulé la croissance des recettes, en continuant à créer de l'emploi. En 2023, la masse salariale du secteur privé a progressé de 5,7 %. C'est très important : cela signifie concrètement que, pour redresser les finances publiques, nous avons besoin de croissance, de compétitivité, d'entreprises capables de créer de la valeur et d'embaucher.

Ces deux constats ont fondé les choix que nous proposons au Parlement dans le cadre des deux textes financiers pour 2025, avec un objectif clair, celui de redresser les comptes publics en contenant l'an prochain le déficit à 5 % du PIB. Vous connaissez l'ampleur de l'effort qu'il nous faut fournir pour respecter cette trajectoire : il est estimé à 60 milliards d'euros, que le Gouvernement propose de répartir entre toutes les administrations publiques, et de le faire porter aux deux tiers sur une baisse de la dépense publique et à un tiers par des contributions exceptionnelles.

M. Thibault Bazin
C'est carrément une publicité !

M. Laurent Saint-Martin, ministre
L'amélioration des comptes sociaux démontre clairement que le chemin du redressement existe, à condition de mettre fin aux dispositifs exceptionnels déployés en temps de crise et de ne pas casser la croissance et l'emploi. Elle nécessite aussi de savoir examiner les comptes des années passées, qu'ils soient approuvés ou non.

M. Thibault Bazin
Il n'a pas dit que les comptes de la branche famille n'avaient pas été certifiés !

M. Laurent Saint-Martin, ministre
Améliorer les comptes sociaux, tel est l'engagement du Premier ministre et de son Gouvernement. (Mmes Danielle Brulebois, Stéphanie Rist et Sophie Mette applaudissent.)

M. Louis Boyard
On note un fort soutien au Gouvernement !

M. Thibault Bazin
Monsieur le ministre, soyez sérieux !

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre de la santé et de l'accès aux soins.

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l'accès aux soins
L'examen du projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale pour l'exercice 2023 marque une étape essentielle dans l'évaluation de la trajectoire financière et de la situation de la protection sociale.

C'est la deuxième évaluation du genre, résultat de la réforme d'initiative parlementaire – celle induite par la loi organique du 14 mars 2022 –, qui prévoit qu'un temps spécifique soit consacré à l'examen de l'exécution des comptes sociaux. Ce projet de loi fournit ainsi à la représentation nationale une photographie factuelle des comptes sociaux de l'année écoulée.

Je suis très attachée à l'évaluation des politiques publiques. Aussi, c'est par l'instauration de temps démocratiques comme celui-ci que nous faisons progresser une culture de l'évaluation qui nous fait parfois défaut. L'exercice ne se résume pas à une énumération de chiffres – encore que j'en commenterai beaucoup –, mais il est l'incarnation de nos choix politiques passés et doit nous servir de guide pour les décisions futures qui traduiront l'avenir de la protection sociale.

Il permet également de rendre des comptes aux Français et à leurs représentants. En effet, derrière ces sommes importantes, c'est l'argent public, celui de nos concitoyens, qui est en jeu.

Notre pays se trouve à un moment charnière puisque nous devons relever tout à la fois les défis de la justice sociale, de la pérennité de nos comptes publics et de la modernisation de notre système de santé et de sécurité sociale.

Cette présentation est l'occasion de rappeler, avec clarté et transparence, les progrès que nous avons réalisés collectivement, mais aussi d'évoquer les défis qu'il nous faudra relever dans les mois et les années à venir. Nous devons adopter une vision prospective de nos finances publiques, autrement dit, penser à long terme.

Je tiens tout d'abord à souligner les avancées réalisées en dépit de la période difficile que nous avons traversée.

En 2023, nous avons observé une nette amélioration de la situation financière de la sécurité sociale : le solde de ses administrations était positif de 0,5 milliard d'euros ; les excédents de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), qui s'établissaient à 18 milliards, ont largement contribué au solde positif de l'ensemble du secteur ; enfin, le déficit global de la sécurité sociale a été contenu à 10,8 milliards, bien en deçà du pic historique de près de 40 milliards, atteint en 2020 du fait de la crise du covid. Cette amélioration est encourageante ; elle montre que les mesures prises ont permis de contenir le déficit, tout en protégeant notre système de santé, et de garantir l'accès aux soins pour nos concitoyens par une stimulation des recettes. Garantir la protection en dépensant plus efficacement, c'est une approche que je fais mienne, et c'est évidemment la logique qui préside à la préparation du PLFSS pour 2025, dont l'examen est imminent.

Cette présentation traduit également l'attention que nous portons à la justice sociale. Notre priorité a toujours été la protection des Français, notamment des plus précaires, mais aussi de ceux qui sont en première ligne pour garantir, partout et pour tous, l'accès aux soins, c'est-à-dire les soignants et les professionnels de santé.

Cela étant dit, ne nous voilons pas la face : malgré nos efforts, le déficit reste élevé. Il est supérieur de 2 milliards d'euros aux prévisions établies dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024, en raison notamment d'un ralentissement de l'entrée des recettes, mais aussi de la dynamique inflationniste qui a pesé sur les coûts – notamment dans le secteur hospitalier et pour les soins de ville.

Sur le plan des dépenses, d'abord, l'Ondam, qui constitue l'un des principaux leviers de contrôle budgétaire du système de santé, a atteint 247,8 milliards d'euros, soit 0,2 milliard de plus seulement que ce que prévoyait la LFSS pour 2024. Le fait que ce dépassement reste largement contenu témoigne de la maîtrise des dépenses de santé, malgré l'impact persistant de la crise sanitaire et des tensions inflationnistes.

Pour entrer dans le détail, les dépenses liées aux établissements de santé s'élèvent à 102,9 milliards d'euros, dépassant de 4 milliards les prévisions de la LFSS.

M. Thibault Bazin
C'était attendu !

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre
Cela s'explique par la compensation des mesures statutaires, à hauteur de 3,5 milliards, et par l'aide exceptionnelle de 500 millions au titre de l'inflation, allouée à la fin de l'année 2023 en soutien aux établissements de santé. Les soins de ville ont atteint 105,3 milliards, soit 2 milliards de plus que prévu. Les dépenses exceptionnelles liées à la gestion de l'épidémie de covid-19 ont, en revanche, largement diminué, ce qui a beaucoup contribué à l'amélioration des comptes. Concrètement, elles s'élevaient à 1,1 milliard en 2023, contre 11,7 en 2022 : cette évolution marque la fin progressive des mesures d'urgence qui ont lourdement pesé sur les finances publiques ces dernières années. Le déficit de la branche maladie, enfin, s'établit à 11,1 milliards : il est certes légèrement plus élevé que prévu, mais a presque été divisé par deux par rapport à 2022.

Face à ces résultats, nous devons tenir un discours de responsabilité. La maîtrise des comptes n'est pas qu'une question technique ; il s'agit d'un impératif démocratique. Nous devons continuer à travailler à des solutions de long terme pour assurer la viabilité de notre système de santé, qui doit relever le défi du vieillissement de la population et de la multiplication des maladies complexes, ce qui implique un besoin croissant de soins. Il est de notre devoir de préparer l'avenir pour faire face aux transformations démographiques en cours et aux pathologies qui en découlent.

Même si elles ont augmenté, les recettes n'ont, quant à elles, pas évolué aussi favorablement que prévu au cours de l'année 2023. Un chiffre, en soi, ne veut rien dire et il importe donc de replacer ces résultats dans leur contexte. En l'occurrence, c'est le ralentissement de la croissance économique, couplé à un contexte international incertain, qui affecte les recettes fiscales et sociales. Si ces résultats ne sont pas à la hauteur de nos espérances, ils ne doivent pas nous empêcher de souligner les progrès qui ont été faits et qui présagent d'une amélioration pour le système de santé.

Je pense notamment à l'accent mis sur la lutte contre la fraude sociale : c'est un enjeu important pour le rétablissement des comptes publics. Au cours des deux dernières années, nous n'avons pas cessé d'intensifier nos efforts pour détecter et sanctionner les fraudes, aussi bien en matière de prestations sociales que de travail dissimulé. (M. Thibault Bazin applaudit.) Depuis le lancement du plan de lutte contre les fraudes, les résultats sont au rendez-vous. Les redressements de l'Urssaf ont augmenté de 50 % sur la fraude sociale des entreprises, avec 1,2 milliard d'euros de redressement en 2023, contre 800 millions en 2022 et 500 millions en 2017. L'objectif est désormais d'atteindre 5,5 milliards d'ici à 2027. Les résultats sont également significatifs pour les prestations sociales : 400 millions ont été détectés par la caisse d'allocations familiales (CAF), 200 millions par l'assurance vieillesse et 400 millions par l'assurance maladie.

Enfin, les actions contentieuses en santé ont augmenté de 60 % et l'assurance maladie va amplifier et systématiser ses contrôles dans les années à venir, notamment s'agissant de la pertinence des actes. Parce que chaque euro détourné est un euro qui manque à ceux qui en ont vraiment besoin, notre combat contre la fraude va se poursuivre et s'intensifier dans les années à venir.

M. Thibault Bazin
Très bien ! Merci, madame la ministre !

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre
Chacun doit participer à l'effort collectif et je crois que nous allons dans le bon sens.

L'examen du présent projet de loi doit nous donner l'occasion de prendre conscience des progrès déjà réalisés, comme des défis qui nous restent à relever. Il nous faut impérativement transformer et moderniser notre système de santé, mais jamais au détriment de la solidarité et de l'accès de tous aux soins ; nous devons travailler en profondeur et réfléchir aux modalités de son financement. Si le chemin qui reste à parcourir est encore long, je suis convaincue qu'avec les réformes engagées et nos efforts collectifs, nous parviendrons à garantir la viabilité et l'efficacité de notre système de sécurité sociale pour les générations futures. Ensemble, faisons le choix de la solidarité, de la responsabilité et de l'avenir ! (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR, DR et Dem.)


Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 17 octobre 2024