Texte intégral
M. Philippe Mouiller, président. - Dans le cadre de nos travaux sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, nous accueillons à présent Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l'accès aux soins.
Madame la ministre, la situation financière de la branche maladie est préoccupante. Les forts déficits conjoncturels du début de la décennie liés à la gestion de la crise épidémique du covid-19 semblent être devenus des déficits structurels, de plus de 10 milliards d'euros par an, notamment du fait des revalorisations salariales décidées lors du Ségur de la santé. De plus, la nouvelle convention entre l'assurance maladie et les médecins se traduira par des revalorisations pour les professionnels libéraux, certes attendues, mais qui ne seront pas sans conséquences financières pour la branche.
Le Gouvernement a donc annoncé diverses mesures d'économies concernant les dépenses de la branche, dont certaines figurent dans ce PLFSS, tandis que d'autres revêtent un caractère réglementaire. Ces mesures suscitent naturellement des réactions et devraient donner lieu à de riches débats politiques au cours des prochaines semaines.
Sans plus attendre, je vous laisse la parole pour un propos liminaire, avant une séance de questions et réponses.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l'accès aux soins. -Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis ravie de pouvoir débattre avec vous du PLFSS pour 2025. Je vous le dis d'emblée, loin du triomphalisme, c'est un discours de vérité que je vais vous tenir, et j'espère que nous pourrons avancer ensemble dans cet exercice qui appelle à la responsabilité.
Le secrétariat général de la commission des comptes de la sécurité sociale présentait le 14 octobre dernier la situation pour 2025 : si rien n'était fait, sans mesure nouvelle, le déficit de la sécurité sociale s'élèverait à 28 milliards d'euros. Ce PLFSS est une étape importante dans le retour progressif à l'équilibre de nos comptes sociaux. Il y va de la soutenabilité et de la pérennité de notre système de protection sociale.
Le déficit de la sécurité sociale sera de 16 milliards d'euros en 2025. Nous mettrons en œuvre des mesures telles que le report de l'indexation des pensions ou la refonte des allégements généraux. Cependant, ce niveau de déficit n'empêchera pas une augmentation de la dépense des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale (Robss) et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV), pour plus de 18 milliards d'euros cette année. Les besoins croissent et nous les finançons. Notre modèle social et l'héritage du Conseil national de la Résistance doivent être préservés. Ce budget ouvre de nouveaux droits, tout en veillant à l'amélioration de la trajectoire de nos comptes sociaux, vers un retour progressif à l'équilibre.
La santé des Français demeure une priorité. Ce budget le prouve. Il répond aux préoccupations de nos concitoyens pour la santé et l'accès aux soins.
Ce budget est un budget de progrès, comme en témoigne la trajectoire des dépenses. C'est un budget d'action, qui agit en faveur de l'hôpital et de l'accès aux médicaments et aux produits de santé. L'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) progressera de 2,8 % en 2025, soit un point de plus que l'inflation, pour atteindre 264 milliards d'euros. Il représente une hausse de 9 milliards d'euros par rapport à 2024, et de 63 milliards d'euros par rapport à 2019. Cette progression régulière et permanente traduit la poursuite des investissements et le financement de mesures nouvelles, et vient répondre aux besoins de nos concitoyens.
Nous finançons de grandes priorités : améliorer l'organisation du système de santé ; en assurer le financement ; renforcer nos politiques en matière de psychiatrie et de santé mentale, un domaine dont le Premier ministre a fait une grande cause nationale pour 2025 ; rendre les métiers plus attractifs ; accompagner les innovations.
Concrètement, nous renforçons l'accès aux soins dans tous les territoires. Les maisons de santé pluriprofessionnelles continueront à se développer. Nous accompagnerons toutes les solutions innovantes dans les territoires ; les agences régionales de santé (ARS) financent déjà certaines d'entre elles. La convention nationale avec les médecins généralistes sera respectée, instaurant une consultation à 30 euros. Pour favoriser l'accès aux soins dans tous les territoires, y compris ruraux, nous mènerons un travail fin avec les élus locaux.
Nous agissons aussi résolument en faveur des soins palliatifs. La stratégie décennale décidée l'an dernier débute, avec un budget de 1 milliard d'euros prévu sur dix ans et 100 millions d'euros mis en œuvre cette année.
La santé mentale a été déclarée grande cause nationale en 2025, et presque 100 millions d'euros supplémentaires sont mobilisés. Nous renforçons par exemple le dispositif "Mon soutien psy", accompagnons la prévention du suicide et renforçons l'offre de soins en pédopsychiatrie dans tous les territoires.
L'axe prévention est toujours aussi important. Le dispositif "Mon bilan prévention" sera généralisé cette année, et j'entends le promouvoir. Il permettra, à certains âges clés de la vie, d'avoir accès à un bilan de prévention réalisé par un médecin, une infirmière ou un pharmacien.
Nous garantirons l'accès aux médicaments, avec une attention particulière portée aux stocks à constituer et à notre action au niveau européen pour éviter toute rupture d'approvisionnement.
J'en viens à l'hôpital, qui présente un sous-objectif de l'Ondam en augmentation de 3,1 %. Le Ségur de la santé, représentant 14 milliards d'euros pour les rémunérations et 19 milliards d'euros pour les investissements, continue de se déployer. Ce PLFSS inclut aussi l'encadrement de la rémunération des intérimaires, qu'ils soient médecins ou paramédicaux, ainsi que l'amélioration des soins critiques.
Ce budget est aussi un budget de responsabilité. Nous travaillons à la pertinence des dépenses et à la responsabilisation de tous les acteurs, face à la croissance des dépenses de santé. J'appelle de mes vœux une coconstruction des grilles tarifaires entre l'assurance maladie et les représentants des professionnels de santé, notamment en matière d'imagerie et de biologie. Nous devons aussi améliorer l'efficience des transports ; les dépenses sont en augmentation vertigineuse. Nous allons élargir le dispositif d'accompagnement des prescripteurs créé dans le précédent PLFSS pour nous assurer de la pertinence des prescriptions. Je pense, enfin, à la simplification du mode de calcul de la clause de sauvegarde pour les médicaments.
Par ailleurs, un effort de 5 milliards d'euros d'économies supplémentaires est à envisager pour 2025. Il devra être partagé. Nous allons poursuivre le dialogue, notamment avec vous, les parlementaires. Sont envisagés des mesures de transfert vers les complémentaires santé, à hauteur d'un milliard d'euros, la baisse du plafond de prise en charge des indemnités journalières (IJ) financées par l'assurance maladie, un plan de baisse des prix sur les produits de santé, à hauteur d'un ou 1,2 milliard d'euros environ, et des mesures d'efficience à l'hôpital et dans la médecine de ville. Je souhaite laisser toute leur place à la concertation et au débat parlementaire pour identifier les meilleures solutions. Cela étant dit, nos objectifs d'économies devront être atteints : il y va de la crédibilité de nos comptes sociaux.
Notre impératif est d'assurer la soutenabilité de notre système de santé. Ce discours n'est pas nouveau. Il faut associer tous les acteurs et professionnels de santé pour devenir plus efficient. Nous avons une ligne de crête à trouver. Si le budget proposé cette année est un peu paramétrique, à nous d'en faire un enjeu d'avenir.
On parle beaucoup d'une loi d'orientation dans le domaine des dépenses sociales et de santé. Nous devons mener un important travail de restructuration de notre système de santé et de son financement, ce qui implique d'engager une réflexion de moyen et long termes, en tentant de dépasser le seul court terme de l'année budgétaire.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - J'appelle de mes vœux une forme de continuité des politiques de santé et une plus grande stabilité des ministres de la santé. Il nous faut en effet une réforme systémique. Je rêve d'un "Vauban de la santé", qui mette en perspective, sur le long terme, sa vision dans la santé. Sans cela, nous rencontrerons toujours des difficultés !
Le fait que l'accès aux soins ait été ajouté à la dénomination de votre poste est très important, mais il manque la prévention. La réduction des risques est la priorité essentielle pour réduire les frais de santé. J'espère que l'intitulé de votre ministère pourra être modifié en conséquence.
Que pensez-vous du rapport de la Cour des comptes sur les indemnités journalières ? Vous envisagez un abaissement du plafond, mais la Cour propose d'autres solutions. Les avez-vous étudiées ?
Encore un tiers des médecins n'utilisent pas le dossier médical partagé (DMP). Devons-nous les obliger à le faire ? Sinon, nous n'y arriverons jamais, et nous pâtirons de la redondance des soins et examens.
De la même manière, les hôpitaux ne disposent pas d'outils numériques harmonisés. Une personne auditionnée ce matin parmi les conférences de présidents de commissions médicales d'établissements (CME) nous demandait si nous pouvions envisager que toutes les gares de France n'aient pas le même logiciel... Malheureusement, pour l'hôpital, c'est le cas. Il s'agit pourtant d'une question essentielle ! C'est nécessaire pour la protection des données et l'information, et cela permettrait de construire un véritable observatoire sur les médicaments et les parcours de soin, avec, derrière, une amélioration de la pertinence des soins.
Mme Corinne Imbert, rapporteure pour la branche assurance maladie. - Nous partageons le souhait d'une réforme structurelle. Nous n'avons jamais mis autant d'argent sur la table, mais la population a le sentiment que rien ne va. Pour autant, certaines choses vont bien, comme l'accès aux médicaments innovants, le fait de pouvoir être pris en charge par l'hôpital public et des services performants.
Le PLFSS pour 2025 entérine un nouveau dépassement de 1,2 milliard d'euros pour l'année 2024. La progression de l'Ondam est très importante depuis 2019, alors que les prévisions ne sont plus respectées depuis cette même date.
Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) a jugé les prévisions pour l'Ondam 2025 très optimistes. Dans un contexte de déficit durable de la branche assurance maladie, quelles marges de manœuvre peut-on trouver pour financer notre système de santé et améliorer l'accès aux soins pour tous ?
Vous parlez beaucoup de disponibilité des médicaments, mais, concrètement, le nombre de ruptures de médicaments ne cesse d'augmenter. Comment expliquer des ruptures d'antibiotiques en plein été ? Qu'en sera-t-il en hiver ? Au-delà des bonnes intentions, les constats sur le terrain sont unanimes, et la situation semble même s'aggraver.
Quelles réformes structurelles vous semblent pouvoir contribuer à dégager des marges de manœuvre ?
La hausse du ticket modérateur sur les actes et consultations des médecins et sages-femmes permettrait d'aligner le taux de prise en charge des actes de toutes les professions de santé, mais ne serait-il pas plus opportun, quitte à effectuer un transfert de charges vers les complémentaires santé, d'étudier la possibilité de décroiser les périmètres d'intervention des assurances maladie obligatoire et complémentaire ? En laissant les complémentaires agir seules là où l'assurance maladie joue déjà un rôle limité, comme dans la prise en charge des audioprothèses ou de l'optique, ne pourrait-on pas améliorer l'efficience du système en évitant la superposition de frais de gestion ?
J'en viens aux baisses de tarifs unilatérales, notamment pour la radiologie et la biologie. Le texte donne la possibilité au ministre et au directeur général de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (Uncam) de décider unilatéralement de baisses de tarifs lorsqu'aucune mesure de maîtrise des dépenses n'aura pu être négociée avec les syndicats, ou lorsque les mesures s'avéreront insuffisantes. Vous avez pourtant dit qu'il fallait coconstruire avec les professionnels de santé.
Cette partie du texte permet de contourner l'exercice conventionnel, pour maîtriser les dépenses très dynamiques constatées dans ces deux secteurs. Ne risque-t-on par d'affaiblir durablement l'exercice conventionnel ? Si des décisions de baisses de tarifs peuvent être prises sans les professionnels de santé, pourra-t-on encore espérer la coopération des syndicats de professionnels afin de maîtriser les dépenses ?
Je ne reviendrai pas sur l'absence de mesures de prévention dans ce PLFSS. Cela doit rester une priorité. Il faudrait sans doute travailler avec votre homologue de l'éducation nationale, car la prévention commence aussi à l'école. Des actions existent déjà en lien avec le ministère de l'éducation nationale.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre. - La prévention doit effectivement être un axe majeur de développement. Or cet axe n'est pas bien identifié, alors que nous dépensons 2,5 milliards d'euros par an pour l'ensemble des actions de prévention. Cette dépense se fait de manière très interministérielle, et concerne de nombreux acteurs - santé, travail, éducation nationale, associations, complémentaires, collectivités, etc. Il faut une politique charpentée, pour que les personnes vieillissent en meilleure santé et que des maladies chroniques comme le diabète cessent de se développer. Jusqu'à présent, nous avons concentré nos politiques de santé sur le seul soin, non sur la prévention. Nous devons donc réaliser ce travail de structuration. La prévention doit irriguer notre société, et les consultations de prévention aux quatre âges clés de la vie sont un premier pas.
Les indemnités journalières sont payées par l'assurance maladie, à hauteur de 17 milliards d'euros en 2024, contre 8 milliards d'euros en 2017. L'augmentation est considérable. Si je ne remets pas en cause les arrêts maladie - nous devrions travailler sur la prévention et le bien-être au travail -, nous devons maîtriser cette dépense. La ministre du travail envisage donc de baisser le plafond de 1,8 Smic à 1,4 Smic ; 45 % des salariés ne seraient pas affectés par cette mesure. Nous devons aussi simplifier l'indemnité journalière.
Le DMP, j'en entends parler depuis trente ans ! C'est une nécessité absolue pour éviter toute redondance des examens. Il y a eu de nombreux freins, comme la potentielle remise en cause du secret médical. Ne pas avancer me semble déraisonnable. "Mon espace santé" doit être développé et alimenté par les professionnels. Le déploiement est beaucoup trop long et sans doute, effectivement, faudrait-il contraindre...
En matière numérique, la fragilité des hôpitaux et des professionnels libéraux tient dans le fait que chacun a son propre logiciel, développé souvent de manière empirique, empêchant l'interopérabilité. Cela crée une grande vulnérabilité face aux cyberattaques. Nous devrions être bien mieux équipés.
Concernant les ruptures de médicaments, les problèmes perdurent. Nous avons pris des mesures : nous avons listé 450 médicaments essentiels depuis 2023 ; nous avons signé une charte d'engagement avec tous les acteurs de la chaîne du médicament, notamment pour constituer des stocks ; nous avons agi contre les tensions d'approvisionnement, avec des amendes en cas de non-respect de constitution de stocks par les industriels ; nous avons une feuille de route réaliste, élaborée en février 2024, pour les trois ans à venir.
Dans ce PLFSS, nous rendons possible le recours à la distribution à l'unité, et l'obligation d'ordonnance de dispensation conditionnelle pour certains médicaments soumis à une forte saisonnalité. Le pharmacien pourra aussi remplacer un médicament par un autre en cas de risque de rupture. Nous prévoyons la possibilité de recourir à un financement dérogatoire pour des dispositifs médicaux utilisés comme solution alternative à un dispositif en rupture d'approvisionnement. Nous facilitons aussi le recours aux procédures d'achat public à l'échelle française et européenne.
Je soutiens totalement l'exercice conventionnel dans le domaine de l'imagerie et de la radiologie, mais les partenaires doivent jouer le jeu de la négociation. L'an dernier, une négociation a eu lieu avec les biologistes. Des décisions ont ensuite été prises qui les ont mis quelque peu en colère. Pourtant, la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) n'avait fait qu'appliquer les mesures négociées. C'est en tout cas une direction qu'il faut encourager, notamment parce qu'elle offre des perspectives intéressantes.
L'évolution du ticket modérateur relève du domaine réglementaire. Le transfert d'un milliard d'euros de dépenses de l'assurance maladie vers les complémentaires santé représente effectivement une hausse de 10 points du ticket modérateur qui s'applique pour les consultations chez les médecins et sages-femmes, et une baisse équivalente du pourcentage de prise en charge par la sécurité sociale. Pour l'heure, rien n'est décidé. Je continue à travailler sur une réduction la plus faible possible de la prise en charge, même si appliquer pour tous un taux de 60 % serait facteur de cohérence. En outre, quoi qu'on en dise, la part du reste à charge est plus faible en France que chez nos voisins, avec un taux très élevé de prise en charge par l'assurance maladie obligatoire, et ce sans compter les près de 400 000 personnes supplémentaires atteintes, chaque année, par une affection de longue durée (ALD), qui, elles, ne seraient pas concernées par une évolution du ticket modérateur.
J'ai lu avec attention le rapport sénatorial Hausse des tarifs des complémentaires santé : l'impact sur le pouvoir d'achat des Français, qui montrait, d'une part, que le remboursement des médecines alternatives représentait près d'un milliard d'euros de dépenses pour les complémentaires santé et, d'autre part, que l'évolution des cotisations avait dépassé les besoins attendus.
Ma principale préoccupation est la garantie de l'accès aux soins pour tous. À ceux qui s'inquiéteraient de la situation de certains de nos concitoyens, je rappelle que 96 % des Français ont adhéré à une mutuelle, et que les plus fragiles bénéficient de la complémentaire santé solidaire (C2S). En revanche, nous devrions travailler sur le périmètre de cette dernière, car certains, notamment des retraités, n'y ont pas droit.
Mme Florence Lassarade. - Les centres régionaux de coordination des dépistages des cancers (CRCDC) de France, en particulier celui de la Nouvelle-Aquitaine, m'ont fait part de leurs inquiétudes vis-à-vis de la forte diminution de leur dotation. Il est vrai que la Cnam a pris en charge l'envoi des convocations au dépistage, tandis que ces centres ont développé une politique volontariste d'"aller vers", pour dépister au plus tôt les tumeurs. Mais une telle démarche sollicite fortement le personnel, et la contribution de la Cnam à cet égard apparaît marginale.
Par ailleurs, comment l'ARS arbitre-t-elle les dotations ? D'une région à l'autre, il semble y avoir des variations.
Le taux de vaccination contre le papillomavirus en France - environ 40 % chez les filles - est catastrophique. Nous devons redoubler d'efforts si nous voulons faire disparaître ce cancer, et les coûts qu'il induit.
Enfin, nous pourrions réaliser des économies, en particulier à l'hôpital, en évitant davantage les accidents médicamenteux, notamment grâce à certains logiciels ayant fait leurs preuves.
M. Daniel Chasseing. - Je partage vos propos sur la nécessité de conserver la sécurité sociale, d'assurer une complémentaire aux plus fragiles, ainsi que ce que vous avez dit sur le DMP et les ruptures de médicaments.
Pour autant, les principaux postes d'économies dans ce PLFSS sont le décalage de l'indexation des retraites et la diminution des allègements de cotisations. L'Ondam augmente de 2,8 %, soit 9 milliards d'euros par rapport à la LFSS pour 2024. Le ministre des solidarités, de l'autonomie et de l'égalité entre les femmes et les hommes a également évoqué, lors de son audition d'hier, la création de 6 500 places en Ehpad.
Vous souhaitez renforcer les soins palliatifs. Il me semble indispensable de développer une équipe mobile par département pour intervenir au domicile et en Ehpad. D'ailleurs, avant d'adopter une loi sur la fin de vie, commençons par améliorer la qualité des soins palliatifs !
Vous avez fait de la santé mentale une grande cause nationale, et vous souhaitez un accès direct aux psychologues. Il faudrait également travailler sur la psychiatrie, la pédiatrie et la pédopsychiatrie pour mieux prendre en charge des individus psychotiques insuffisamment accompagnés, qui peuvent devenir dangereux. Des adolescents admis en centre départemental de l'enfance (CDE) ou en maison d'enfants à caractère social (Mecs) souffrent parfois de troubles mentaux. Là encore, la création d'équipes mobiles et l'augmentation du nombre de pédopsychiatres seraient nécessaires.
M. Bernard Jomier. - Le projet de hausse du ticket modérateur sur les consultations médicales aurait pour conséquence que l'assurance maladie ne rembourserait finalement que 50 % du prix de l'acte médical - puisque 16 euros seulement seraient pris en charge, sur un total de 30 euros.
Vous semblez pourtant dire que vous souhaiteriez maintenir le système actuel. En réalité, avec une telle évolution financière, on peut se demander si ce sera bien l'assurance maladie qui mènera, par la suite, les négociations conventionnelles avec les professionnels de santé. Nous entrerions dans un système différent, où il faudrait accorder une place plus importante aux assureurs complémentaires.
Le PLFSS proposé par le Gouvernement ne comporte pas une seule ligne sur le tabac, pas plus que sur l'alcool, le sucre, l'activité physique ou la santé environnementale. Depuis que je suis parlementaire, c'est la première fois que je vois cela !
Concernant l'hôpital, l'Ondam proposé progresse de 3,1 %. Une fois que les transferts à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) auront été déduits, il ne restera plus que 1,8 % d'augmentation, soit le niveau de l'inflation. Ce serait la première fois que nous arriverions à faire respecter un Ondam hospitalier dont le montant fixé correspondrait à celui de l'inflation ! Puisque vous pensez tenir ce budget, vous engagez-vous à ne pas activer le mécanisme de réserve prudentielle des hôpitaux au printemps prochain ?
Le Sénat a adopté une proposition de loi relative à l'instauration d'un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé, qui a été inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale pour le mois de décembre. Quelle sera votre position sur ce sujet ?
Vous parlez beaucoup d'efficience. Pourtant, dans le rapport sur la financiarisation de l'offre de soins que j'ai signé avec Corinne Imbert et Olivier Henno, nous faisions part de lourdes interrogations sur la capacité à garantir l'efficience des soins quand les investisseurs financiers prennent la main sur certains secteurs. Soutiendriez-vous l'adoption de certaines de nos recommandations pour enrayer ce phénomène lors de l'examen du PLFSS ?
Enfin, vous appelez à une discussion sur le DMP. Tous les logiciels utilisés par des professionnels de santé doivent être agréés par l'assurance maladie. Désormais, la transmission est automatique. Les données sont donc massivement aspirées dans le DMP. Le problème est l'organisation de ce dossier, qui n'est pas hiérarchisé. Il y a du conservatisme partout, chez les professionnels de santé comme dans les gouvernements. Mais ce n'est pas la question : le problème, c'est celui de l'utilisation et du contrôle des données.
Mme Anne-Sophie Romagny. - Je vous remercie pour votre préoccupation quant à l'intérim, qui, s'il répond dans un premier à un manque de personnels formés, désorganise tout de même fortement les hôpitaux et leur coûte cher. Ce système pervertit et épuise les titulaires, qui assurent de plus en plus de gardes, notamment le week-end.
Je salue également vos remarques sur les actes redondants et sur "Mon espace santé".
Les services d'accès aux soins (SAS) ne sont pas l'alpha et l'oméga de l'accès aux soins, mais j'ai bien compris qu'il importait fortement au gouvernement précédent d'agiter la baguette magique. Le problème de recrutement persiste, car en raison des tarifs actuels, les médecins installés ne peuvent pas quitter leur cabinet pour travailler moins cher, tout en payant les charges qui leur incombent. Et c'est donc grâce à des médecins à la retraite que les plannings sont partiellement comblés ! Cela fait longtemps que j'alerte sur ce sujet, et la réponse se fait urgemment attendre.
Les infirmières libérales sont les oubliées du Ségur de la santé. Elles souffrent grandement de l'absence de revalorisation de leurs actes. Certaines perdent même de l'argent lorsqu'elles font des prises de sang. J'entends les contraintes pesant sur le budget, mais si la consultation des médecins généralistes est revalorisée, envisageons de faire de même pour les actes réalisés par les infirmières libérales, qui, dans les territoires ruraux en particulier, jouent un rôle crucial.
C'est à regret, enfin, que je vous invite à consulter le site stop-travail.com, qui propose à l'utilisateur de choisir une maladie pour bénéficier d'un arrêt maladie, en trois minutes chrono et pour neuf euros, depuis son canapé. Cerise sur le gâteau, pour quatre euros de plus, on peut demander un arrêt antidaté ! Ce site compterait 1 million d'utilisateurs. Alors que nous demandons à tout le monde des efforts, il faut apporter une réponse urgente à ces dérives frauduleuses.
Mme Raymonde Poncet Monge. - On nous avait annoncé un objectif "zéro patient sans médecin traitant" d'ici à fin 2023. Où en sommes-nous ? S'il en est de même que l'objectif de ne plus voir de sans-abri dans la rue, j'ai des raisons de m'inquiéter.
Si l'on tient compte de l'inflation, la progression de l'Ondam pour les établissements de santé passe de 3,1 % à 1,3 %, et si l'on y soustrait la revalorisation du taux de cotisation à la CNRACL, on ne serait plus qu'à 0,2 %. Autrement dit, il n'y a pas de croissance en volume. Selon vous, à combien s'élèverait l'augmentation mécanique de l'Ondam, si l'on ne prenait aucune mesure nouvelle ?
Le postulat, c'est donc que toute mesure nouvelle doit être compensée par des économies. Et cela va durer plusieurs années... Vous parlez de mesures d'efficience. Mais jusqu'à quand ?
La santé mentale, dites-vous, est la grande cause de l'année. Avez-vous chiffré l'effort budgétaire qui y sera consacré ?
De multiples facteurs sont avancés pour expliquer l'évolution des indemnités journalières (IJ). Ce que l'on entend moins, et que les médecins constatent pourtant, c'est que l'embolie du système et l'allongement considérable de l'accès aux soins contribuent largement à ce phénomène. Il faudrait mesurer précisément l'ampleur de ce facteur, car l'explosion des IJ est moins liée au site frauduleux mentionné par Mme Romagny qu'à des raisons structurelles !
Vous avez raison de vous inquiéter pour les petites retraites. Il sera difficile, pour les concernés, de faire face à l'augmentation du prix des mutuelles, qui pourrait atteindre 8 %. Quand on passe de la mutuelle d'un grand groupe dans lequel on était employé à une mutuelle de retraite, la différence s'élève parfois à 150 euros... Il aurait pourtant été possible d'épargner ces personnes, qui vont finalement subir la double peine.
Seulement 4 % des Français, d'après vous, n'auraient pas de mutuelle sans avoir droit à la C2S. Le pourcentage semble faible. En réalité, il s'agit de 2 millions de personnes !
Mme Chantal Deseyne, rapporteur pour la branche autonomie. - L'accès précoce aux médicaments devait être une réforme importante et positive de l'ancienne autorisation temporaire d'utilisation (ATU) - une promesse de sauver des vies en accélérant l'accès à des traitements innovants pour des maladies graves, rares ou invalidantes.
C'est notamment, mais pas uniquement, le cas pour les cancers. Plusieurs accès précoces ont été autorisés à titre dérogatoire et exceptionnel pour répondre à l'absence de traitement approprié. Pourtant, c'est un échec partiel, voire un fiasco pour certains patients. Alors que des médicaments innovants sont rendus accessibles par ce dispositif, leur passage dans le droit commun n'est pas garanti, car ils ne peuvent pas systématiquement être inscrits sur la fameuse liste en sus qui permet leur prise en charge à l'hôpital.
C'est un grand paradoxe : pour être inscrits, ces traitements innovants devraient disposer par exemple de comparateurs selon le niveau d'évaluation défini par la Haute Autorité de santé (HAS). Or l'un des critères de l'accès précoce est bien l'absence de traitement approprié - c'est la définition même de l'innovation et du progrès thérapeutique ! Résultat : des traitements qui fonctionnent en accès précoce, pour lesquels nous disposons de données en vie réelle, sont parfois brutalement arrêtés. Des vies sont mises en péril pour des raisons purement administratives.
Comment justifiez-vous ces situations ? Des hôpitaux déjà en difficulté financière doivent parfois renoncer à soigner les patients, car ils ne peuvent pas supporter ce fardeau budgétaire. Allez-vous permettre l'inscription systématique sur la liste en sus des médicaments à usage hospitalier bénéficiant d'un accès précoce et d'un service médical rendu important ?
M. Philippe Mouiller, président. - Certaines de vos questions sont très techniques, et ne pourront obtenir qu'une réponse écrite ultérieure. Je vous invite plutôt à interroger Mme la ministre sur son approche politique globale.
Mme Céline Brulin. - Chaque année, l'Ondam est jugé insuffisant par l'ensemble des professionnels de santé. Si vous en avez décrit les aspects positifs, il fait toutefois l'objet d'un nouveau coup de frein important. D'un point de vue budgétaire, cela n'a aucun sens, car il risque d'être à la fois intenable et démobilisateur.
L'Ondam hospitalier devra être mis en parallèle avec le taux de cotisation à la CNRACL des hôpitaux, lesquels traversent déjà une crise profonde.
Concernant l'augmentation du ticket modérateur, sur la forme, vous semblez ne pas complètement adhérer à la mesure. Très bien : mais on nous a déjà fait le coup lors du PLFSS pour 2024 sur les franchises et les forfaits médicaux... Je trouve cela regrettable pour la clarté de nos débats. Même si certaines mesures sont d'ordre réglementaire, il est sain d'en discuter.
Sur le fond, vous dites qu'il s'agit d'un transfert vers les complémentaires santé. Comment éviter que celles-ci ne procèdent, pour compenser, à une augmentation tarifaire ? En réalité, le transfert sera assumé par les patients, qui devront adhérer à des contrats moins protecteurs ou renoncer à des soins.
Vous avez évoqué les solutions innovantes qui pouvaient être développées sur certains territoires. Je pense aux médicobus, qui sont organisés par la mobilisation de professionnels de santé, souvent retraités, pour aller au-devant de patients n'ayant plus de médecin traitant. Vous savez à quel régime seront soumises les collectivités territoriales. Or, ce sont elles qui financent l'ensemble de ces dispositifs, même si l'ARS y contribue minoritairement. Elles risquent de ne plus pouvoir soutenir de telles mesures innovantes.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre. - Je suis consciente du travail réalisé par le centre régional de coordination des dépistages des cancers de Nouvelle-Aquitaine, que je connais bien. Pour autant, certaines missions ont été reprises par l'assurance maladie et retirées, par conséquent, du budget des CRCDC. Nous allons étudier le sujet pour mieux comprendre les difficultés rencontrées par ces centres.
Le taux de vaccination contre le papillomavirus progresse depuis deux années consécutives, bien qu'il reste insuffisant. Nous devons continuer à l'encourager, et je vous invite à participer à cet effort sur le territoire.
Les accidents médicamenteux entraînent, au-delà des coûts, de graves problèmes de santé pour les patients. Nous devons y prêter une attention particulière. Cette question, je suppose, relève surtout de difficultés de fonctionnement et de structuration des alertes dans les établissements.
Une nouvelle stratégie décennale des soins d'accompagnement a été lancée pour amplifier la réponse. Dans les départements ne disposant pas d'une offre en soins palliatifs, nous voudrions au moins déployer des équipes mobiles afin d'intervenir à domicile ou en Ehpad. C'est un premier pas avant de disposer d'unités hospitalières spécialisées sur l'ensemble du territoire. La reconnaissance de leur importance est un véritable enjeu. Nous devons également veiller à améliorer la formation, car nous manquons d'enseignants dans ce domaine. Bien entendu, la volonté politique seule ne suffit pas - il faudra des soignants pour constituer ces équipes -, mais elle envoie un signal encourageant aux établissements.
Le Premier ministre a déclaré faire de la santé mentale une grande cause nationale pour 2025. Pour autant, nous ne partons pas de rien. Plusieurs stratégies ont été mises en œuvre dans la continuité du travail du délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie. Nous devons néanmoins multiplier les efforts dans plusieurs domaines, comme la prévention, le repérage et la prise en charge précoces - en particulier, donc, chez les plus jeunes. Nous manquons de psychiatres et de pédopsychiatres ; sans personnel, la seule ouverture de lits ne suffira pas !
Le Premier ministre s'est rendu dans la Vienne pour s'inspirer de ce qui y a été mis en œuvre. Je pense, notamment, aux maisons des adolescents, dont il souhaite doubler le nombre à l'échelle nationale, tout en développant des parcours de soins adaptés à chaque département pour tous les âges. Le PLFSS 2025 marque des avancées pour la psychiatrie, mais ce plan interministériel sera développé dans les semaines à venir.
Le tabac, l'alcool et la nutrition sont en effet des pistes essentielles de la prévention. Il faut les taxer. Cela fait partie du débat parlementaire. En commission, les députés se sont emparés de ce sujet. Je suis favorable à l'instauration d'une taxe sur le sucre, qui est un véritable poison, sous toutes ses formes. Je souhaite trouver l'équilibre entre le travail de prévention à réaliser auprès de la population et le niveau de taxation qui incitera les industriels agroalimentaires à faire évoluer leurs pratiques.
Concernant l'Ondam hospitalier, j'ai du mal à entendre que la progression serait nulle, quand nous proposons une hausse de 9 milliards d'euros. On augmente chaque année les montants, et on a l'impression qu'il en faut toujours plus ! C'est vrai, mais ne dites pas qu'il n'y a pas de moyens. Les soignants ont été soutenus, au travers des 14 milliards d'euros de revalorisations salariales du Ségur de la santé. En complément, l'Ondam prévoit 500 millions d'euros pour les établissements sanitaires et médico-sociaux. Et n'oubliez pas que ces revalorisations sont pérennisées chaque année.
Il est vrai que les hôpitaux, en 2024, sont en déficit. Toutefois, on constate aussi que l'activité hospitalière repart, avec un regain de recrutements. Nous serons aux côtés de tous nos établissements pour les soutenir.
Monsieur Jomier, la réserve prudentielle est une obligation prévue par la loi.
J'ai conscience de ce que représente le ticket modérateur. Le transfert prévu est d'un milliard d'euros. Mon directeur de cabinet continue à rencontrer les assureurs complémentaires. Nous devons nous mettre d'accord sur les chiffres. Le rapport sénatorial sur le sujet est très intéressant. Je rappelle que les dépenses de santé des 14 millions de personnes en ALD sont entièrement prises en charge par l'assurance maladie. Cela représente environ 400 millions d'euros qui ne sont pas assumés par les assurances complémentaires.
En fin de compte, nous sommes tous dans le même bateau : l'objectif est de soigner nos patients dans de bonnes conditions et d'éviter les maladies grâce à la prévention. La prise en charge doit suivre l'esprit de solidarité qui a donné naissance à la sécurité sociale au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Tous les acteurs doivent y contribuer. L'exemple de fraude cité par Mme Romagny est justement un coup de boutoir contre cette solidarité.
La financiarisation de certains secteurs de la santé m'inquiète également. Nous entendons poursuivre notre travail d'état des lieux sur la question.
M. Philippe Mouiller, président. - Je vous invite à consulter le rapport du Sénat : il est excellent !
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre. - Je le lirai avec attention. Il est certain qu'outre des mesures réglementaires, un travail législatif sera nécessaire.
J'entends vos remarques sur le DMP. Sa restructuration relève davantage d'un travail numérique que d'une décision politique.
Un projet de loi "infirmières, infirmiers" est en préparation. J'espère qu'il vous sera rapidement présenté. Il devra redéfinir les missions de ces soignants. Par ailleurs, je travaille sur un décret sur les infirmiers en pratique avancée (IPA), que je souhaite faire paraître avant la fin de l'année. Enfin, des négociations conventionnelles seront engagées avec la profession en 2025, afin de tirer les leçons de la future loi.
Nous devons sans doute mieux organiser les SAS. Cette solution d'accès aux soins présente néanmoins une vertu indéniable. La restructuration du système de santé se fait à bas bruit, par ce type de dispositifs. Les SAS permettent à des professionnels libéraux de travailler avec l'hôpital, de manière coordonnée, alors qu'il leur était souvent difficile de communiquer. Nous devons continuer à développer ces structures, en y intégrant un accès aux soins psychiatriques. N'oublions pas que le dispositif est récent : évaluons-le avant de chercher à le transformer.
Madame Poncet Monge, nous avons trouvé un médecin traitant à près de 270 000 patients - en ALD, j'insiste - sur les 700 000 malades qui n'en avaient pas.
Madame Deseyne, entre 2021 et 2023, plus de 100 000 patients en situation d'impasse thérapeutique ont eu accès à de nouveaux produits. Quelque 182 décisions ont été prises en deux ans. J'entends votre alerte, et le dispositif doit être renforcé, mais il importe que le service médical rendu soit important.
Les médicobus et les maisons médicales sont en effet des solutions innovantes mises en œuvre par les collectivités. Je connais la préoccupation des élus territoriaux quant à l'accès aux soins de leur population. Dans la Creuse, par exemple, l'association Médecins solidaires organise un relais hebdomadaire de médecins généralistes, qui a permis la prise en charge de 4 000 personnes, pour un total de 17 000 consultations en un an et demi. Certaines solutions se construisent en effet à l'échelle du territoire - dans cet exemple précis, grâce à la mise à disposition d'un local par le maire. L'accès aux soins relève de l'aménagement du territoire. Nous devons donc travailler avec les élus locaux pour l'organiser. Cela étant, j'entends votre inquiétude quant au financement des collectivités territoriales.
Mme Véronique Guillotin. - C'est un budget de rigueur, mais c'est grâce aux transformations de fond que nous pourrons réinvestir dans la santé. À la prévention, que vous avez évoquée, j'ajouterai comme priorités la santé environnementale et le plan des 1000 premiers jours de la vie de l'enfant - je vous invite à ce titre à consulter le rapport sénatorial Transformation de l'offre de soins périnatals dans les territoires : le travail doit commencer.
Je soutiens le rapport sur la financiarisation du système de santé. Réduire de 70 % à 60 % la part prise en charge par la sécurité sociale pour la transférer vers les mutuelles revient finalement à renforcer la privatisation du financement du système de soins. Ne balayons donc pas trop rapidement les conclusions de ce rapport.
Comme l'a souligné Corinne Imbert, les baisses unilatérales de tarifs contribueront également à accentuer cette financiarisation.
Concernant les réformes structurelles que nous appelons tous de nos vœux pour l'hôpital, nous pourrions nous inspirer de certains exemples, comme celui de Valenciennes. Il est en tout cas certain que la décentralisation des décisions nous aidera à gagner en efficacité et en efficience.
Enfin, pour renforcer l'accès aux soins, il est impératif de réconcilier les médecins et les IPA.
Mme Pascale Gruny, rapporteur pour la branche vieillesse. - S'agissant de l'abaissement du plafond pour les indemnités journalières, vous avez dit que 45 % des salariés ne seraient pas affectés par la mesure en raison de la faiblesse de leurs revenus, en semblant minorer l'impact du changement envisagé. Mais là, nous parlons d'arrêts courts. Or, les personnes au-dessus du plafond sont en général des cadres, qui, lorsqu'ils sont malades, le sont souvent gravement. Le message envoyé est donc terrible ! L'argument d'un transfert vers les contrats de prévoyance n'est pas convaincant en dehors des grandes entreprises et je vous appelle donc à être vigilante sur ce point.
En outre, vous prévoyez de prendre 1,6 milliard d'euros sur la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP), alors que la prévention dans les entreprises et le renforcement de la médecine du travail pourraient permettre de réduire le nombre d'arrêts maladie.
Je note également que les services départementaux d'incendie et de secours (Sdis) se chargent désormais du secours à la personne.
Serait-il possible, par ailleurs, de connaître le coût informatique total du dossier médical partagé, devenu dossier médical personnel, puis "Mon espace santé" ? J'ai remis deux rapports sur le sujet en tant que députée, l'État n'est pas du tout compétent pour choisir les éditeurs et logiciels numériques.
Un mot, enfin, sur les soins ambulatoires : les infirmières libérales m'indiquent qu'elles reçoivent des patients en grande difficulté, car ils se retrouvent seuls à la maison après avoir été renvoyés de l'hôpital.
Mme Émilienne Poumirol. - Les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) de proximité sont une solution convaincante, mais il va falloir des IPA pour les faire fonctionner et donc avancer sur leur formation - 14 000 euros pour deux ans à titre de salaire, ce n'est pas possible -, tout en reconnaissant le fait qu'elles détiennent un bac+5, et non un bac+3, avec une progression de rémunération correspondante.
Sur un autre sujet, il est question de plafonner les salaires des personnels paramédicaux en intérim, mesure qui peut s'apparenter à un échec pour les médecins dans la mesure où il existe un contournement de l'intérim par des contrats de type 2. Les intérimaires ont ainsi été remplacés par des contractuels, qui, paradoxalement, sont mieux payés que les titulaires. Seriez-vous favorable à une limitation dans la durée - de trois ou quatre ans - de l'intérim, tant sur le plan médical que paramédical ?
Mme Annick Petrus. - J'ai été ravie de vous entendre dire que l'offre de soins fait partie de vos préoccupations. Le dynamisme de l'augmentation de l'Ondam est louable, mais l'accès aux soins reste problématique dans les territoires d'outre-mer et ruraux. Qu'allez-vous mettre en place pour y remédier, notamment pour les populations vulnérables ?
Vous êtes le troisième ministre que j'interroge sur la situation de l'hôpital de Saint-Martin, en rappelant que j'ai transmis à votre cabinet une note sur les dysfonctionnements de cet établissement, dans lequel l'offre de soins et la prise en charge des patients deviennent problématiques. Le silence de l'État ne fait que renforcer notre inquiétude : allez-vous enfin lancer une mission de l'inspection générale des affaires sociales (Igas), attendue par la population ?
Mme Annie Le Houerou. - Vous avez indiqué vouloir améliorer la rémunération des médecins, y compris dans les territoires ruraux. Envisagez-vous la mise en place d'un différentiel de rémunération entre les zones sous-denses et les zones mieux pourvues, de manière à favoriser l'installation des médecins dans les premières ? Vous avez beaucoup parlé de prévention, mais la première prévention consiste en un accès aux soins de premier recours le plus rapidement possible. Or tous les médecins nous disent qu'il existe aujourd'hui un retard de prise en charge qui entraîne des coûts supplémentaires pour l'assurance maladie.
Cette dernière pointe d'ailleurs la difficulté, pour les pouvoirs publics, de définir un juste prix des médicaments. La transparence des coûts devrait permettre de mieux maîtriser les dépenses de santé : comment envisagez-vous d'agir sur ce poste ?
Enfin, vous avez indiqué que de nombreuses aides à l'installation sont mises en place dans nos territoires. Une évaluation de l'efficacité et de l'efficience de ces dépenses, au regard du bénéfice pour l'accès aux soins des patients, est-elle envisagée ?
Mme Marion Canalès. - L'affectation de l'excédent de la branche AT-MP à une autre utilisation que la prévention est tout à fait regrettable, tandis que le tableau des maladies professionnelles repose encore sur une vision très masculine de l'activité. Pourrons-nous nous pencher sur ce sujet à l'avenir ? On constate aussi une augmentation très significative des accidents du travail dans le secteur médico-social, qui concernent en particulier les femmes.
Si un passage du PLFSS est consacré aux engagements en faveur des agriculteurs, on peut regretter que les maladies professionnelles liées aux risques psychosociaux chez les agriculteurs soient mal appréhendées, alors que cette profession est en proie à un mal-être avéré.
Annoncée pour avril prochain, la suppression du service de contrôle médical de l'assurance maladie est, elle aussi, regrettable : une suspension de cette décision pourrait-elle être envisagée ?
S'agissant des enfants protégés, qui étaient censés devenir une grande cause avant d'être supplantés par la santé mentale, j'aimerais évoquer le coût de l'absence de prise en charge ou d'une prise en charge très tardive des enfants placés à l'aide sociale à l'enfance (ASE), aujourd'hui évalué à 38 milliards d'euros. L'ancien ministre avait fait plusieurs annonces aux assises de la pédiatrie le 24 mai, tandis que le programme Pégase (protocole de santé standardisé appliqué aux enfants bénéficiant avant l'âge de 5 ans d'une mesure de protection de l'enfance) était censé être généralisé, mais les moyens nécessaires seront-ils dégagés ? Dans un reportage de France 2 consacré aux pouponnières, les professionnels indiquent qu'il faut accompagner dès leurs premiers jours et mois ces enfants qui sont en permanence dans l'"ultra-collectif", et qui déclarent ensuite des maladies ou des troubles cognitifs.
Enfin, le PLFSS pour 2024 prévoyait une expérimentation dans les centres hospitaliers universitaires (CHU) dans le cadre de la planification écologique du système de santé. Celle-ci devait démarrer début novembre, mais le décret est toujours en attente de publication, j'imagine donc que vos services s'y emploient.
Mme Marie-Do Aeschlimann. - On ne dit pas assez que notre pays consacre des sommes considérables à ses dépenses de santé, sans que les résultats soient toujours au rendez-vous. Pour autant, une série de choses fonctionnent, il faut le dire également. Vous avez fait part de votre souhait de réformer le système en profondeur, les sénateurs sont prêts à vous accompagner dans cette démarche. Cependant, le cadre annuel de la loi de financement de la sécurité sociale n'est-il pas trop étriqué pour porter toutes les réformes structurelles que nous devons envisager, ainsi que pour programmer les politiques de recherche et de formation ?
J'ai observé avec satisfaction que vous souhaitiez davantage mettre l'accent sur la prévention. Ne faut-il pas donner davantage de cohérence à cette politique dispersée ? La médecine scolaire, en particulier, est très lacunaire.
Vous avez indiqué vouloir travailler avec les élus locaux, qui sont effectivement les meilleurs connaisseurs de leurs territoires en matière d'accès aux soins, car ils sont en première ligne, à l'écoute des attentes de leurs concitoyens. Avez-vous l'intention de vous inspirer de l'Allemagne, du Danemark ou de la Finlande, pays dans lesquels les communes et les régions sont mieux associées à la politique de santé ? La région Île-de-France, dont je suis l'une des élues, a demandé instamment à être mieux associée au pilotage de la politique de santé : quelle est votre position sur ce sujet ?
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre. - La santé environnementale est un véritable sujet. Comment parviendrons-nous à anticiper les évolutions du climat et ses incidences sur la santé humaine, notamment avec l'apparition de nouvelles maladies et d'épidémies ? Nous devrons adapter notre système de santé à ces enjeux majeurs.
En ce qui concerne la décentralisation, souhaitant aller vers davantage de simplification, j'ai demandé aux directeurs d'ARS de réfléchir, en lien avec les directions centrales, à des améliorations. Les groupements hospitaliers de territoire (GHT), qui me semblent être l'échelon adéquat pour agir dans ce domaine, pourraient se voir confier davantage de responsabilités.
S'agissant des IPA, nous allons publier les décrets correspondants et faire en sorte de faciliter leur exercice.
En outre, je n'ai pas dit qu'il n'y avait rien de grave en matière d'IJ. J'ai simplement indiqué que les salariés gagnant moins de 1,4 Smic ne seraient pas pénalisés. Je rappelle que nous avons besoin de trouver des économies, et cet effort en fait partie. Je suis par ailleurs très attachée à la médecine du travail et à la prévention.
Au sujet des Sdis, je sais qu'ils se chargent de nombreux transports, ce qui déstabilise leur activité, car il ne s'agit pas de leur cœur de métier. Nous avons un problème plus général en matière de transports, avec des dépenses d'environ 6,5 milliards d'euros, des tarifs différents entre ambulanciers, véhicules sanitaires légers et taxis...tout cela est bien compliqué et nous devrons y apporter de la rationalité.
Quant aux infirmières libérales, le projet de loi "infirmières, infirmiers" a vocation à définir leurs missions et à leur donner la capacité d'agir, par exemple en leur permettant de prescrire certains matériels.
L'intérim est pour moi un vrai sujet : je vais valider des décrets qui limiteront les rémunérations des contrats de type 2, tandis que l'intérim sera exclu pendant les deux premières années après l'obtention du diplôme. Au-delà de ces textes, je n'envisage pas davantage de coercition, mais vous conservez toute la latitude de porter des propositions dans ce domaine.
Madame Petrus, je n'ignore pas les difficultés de l'hôpital de Saint-Martin, vers lequel 12 millions d'euros de crédits ont été fléchés par le Ségur afin de moderniser les infrastructures, mais les conditions ne semblent pas réunies pour une mise en œuvre efficace. L'Agence nationale d'appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (Anap) se verra probablement confier une mission à ce sujet, afin de remettre un rapport en vue d'un accompagnement spécifique.
Pour les autres sujets d'accès aux soins dans les départements d'outre-mer, nous devrons poursuivre le dialogue avec les collectivités locales et avec les ARS. Je serai très attentive au suivi de ces enjeux, aux côtés de mon collègue en charge des outre-mer.
Madame Le Houerou, des exonérations fiscales d'une durée de cinq ans existent déjà dans les zones de revitalisation rurale (ZRR), ainsi que des aides à l'installation. Il faudrait effectivement faire le point sur ces dispositifs, car il faudrait éviter de voir émerger des effets d'aubaine, voire des abus, qui m'ont été signalés et que j'ai moi-même pu constater.
Une majoration de 10 % a été mise en place pour le forfait médecin traitant dans les zones sous-denses et les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), les difficultés n'existant pas que dans la ruralité.
Enfin, je partage, madame Canalès, votre préoccupation relative à la protection de la santé de nos agriculteurs. Je travaillerai sur ce sujet avec Olivier Damaisin, qui se penche sur les risques psychosociaux et la santé des agriculteurs. Pour ce qui concerne la santé mentale, j'ai indiqué que je travaillerai avec l'ensemble des ministères, en particulier avec le ministère de l'agriculture.
L'ASE est pour moi un sujet majeur. Près de 45 % des enfants pris en charge dans ce cadre présentent des troubles du neuro-développement ou des troubles psychiques. La prise en charge doit être la plus précoce et la plus efficace possible, sans quoi le coût humain sera très élevé pour la société. Je recevrai prochainement Céline Gréco pour évoquer ce sujet.
Enfin, je vous remercie, madame Aeschlimann, pour avoir souligné ce qui fonctionne bien dans notre pays. Malgré les difficultés actuelles de notre système de santé, j'éprouve une certaine fierté lorsque je vois que nos concitoyens malades parviennent à se faire soigner sans débourser des sommes trop importantes, voire gratuitement. Nous avons à la fois de grands services hospitaliers et des points de difficultés majeures tels que les urgences. N'oublions pas nos acquis et saluons l'ensemble des professionnels.
Je partage votre avis selon lequel le cadre annuel d'un budget est trop limité. Je ne veux pas travailler uniquement à une loi d'orientation financière, qui n'a guère de sens si elle n'est pas adossée à une évaluation très précise des besoins et à une évolution majeure de notre système de santé. J'ai l'ambition de lancer des chantiers de long terme.
Les élus locaux seront associés, les contrats locaux de santé (CLS) étant d'ailleurs très utiles pour mener des actions ciblées et mobiliser les associations, par exemple dans la lutte contre la solitude. Vous évoquiez aussi les cas allemand et espagnol, très différents puisque la santé y relève de la compétence des régions. Nos voisins allemands rencontrent des difficultés similaires aux nôtres et procèdent à une restructuration totale de leur système de santé, en particulier de leurs hôpitaux.
M. Philippe Mouiller, président. - Je vous invite à lire le rapport du Sénat consacré aux systèmes allemand et danois, qui devrait être édité au mois de décembre. Je vous remercie.
Source https://www.senat.fr, le 5 novembre 2024