Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi spéciale prévue par l'article 45 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, adopté par l'Assemblée nationale (projet n° 207, rapport n° 210, avis n° 209).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
M. Antoine Armand, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, madame la rapporteure générale de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d'abord de m'associer à l'hommage qui vient d'être rendu à M. Roger Madec, qui fut membre de cette assemblée.
Je m'associe également au message adressé par le président Gérard Larcher à nos compatriotes mahorais, en rappelant la solidarité du Gouvernement envers toutes les victimes et leurs proches.
Je tiens à insister sur l'extraordinaire mobilisation de l'ensemble des services de secours et des services de l'État, qui, depuis des jours, ne dorment plus et travaillent chaque minute pour venir au secours des victimes, identifier les dégâts et préparer dès maintenant la reconstruction. Mon collègue Laurent Saint-Martin et moi-même travaillons aussi à cette préparation, en réunissant quotidiennement à Bercy une cellule de crise, afin que soient mises en place les aides d'urgence, tandis que se poursuivent les opérations de secours.
Je tiens aussi à exprimer à Mme la sénatrice et à M. le sénateur de Mayotte notre soutien, celui du Premier ministre et du Gouvernement tout entier.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous n'ignorez pas qu'une motion de censure, adoptée le 4 décembre dernier lors de la présentation du projet de loi de financement de la sécurité sociale, a interrompu la discussion des textes financiers, qu'elle a compromis l'adoption d'une loi de finances pour 2025 et qu'elle a, pour le moment, privé notre nation d'un budget.
J'ai eu l'occasion de le dire en commission des finances, et je le répète ici, cette situation est grave et exceptionnelle. Je ne reviendrai pas sur les nombreux impacts immédiats pour nos compatriotes ; j'en citerai seulement quelques-uns.
Pour nos compatriotes ultramarins, il n'y aura pas de baisse de la TVA sur 6 000 produits alimentaires au 1er janvier en Martinique et en Guadeloupe ; en Nouvelle-Calédonie, le prêt d'un milliard d'euros qui était prévu ne pourra être accordé, faute de garantie votée en loi de finances au 1er janvier.
Je ne reviendrai pas non plus sur les aides aux agriculteurs ni sur les aides à l'innovation pour les petites et les moyennes entreprises, qui ne pourront être accordées.
Il s'agit d'une très mauvaise nouvelle pour notre économie. Tous ces problèmes, que d'aucuns ont refusé de voir, ont pourtant été rappelés très clairement et très explicitement vendredi dernier par une agence de notation, qui a abaissé la note de notre pays.
Mesdames, messieurs les sénateurs, cette loi spéciale que mon collègue Laurent Saint-Martin et moi-même vous présentons aujourd'hui n'est pas un budget.
Il ne s'agit pas d'un budget, car ce n'est pas une loi sous-tendue par une prévision de croissance, une prévision de déficit, une prévision d'endettement, bref un cadre économique et financier qui permettrait aux acteurs économiques, dans l'ensemble de nos territoires, de se projeter, d'identifier les occasions d'investissement et les possibilités d'emploi.
Ce texte ne peut en aucun cas nous faire croire – je veux le redire ici – que nos déficits ont disparu, que notre dette n'existe plus et qu'il n'y a pas d'urgence budgétaire !
Je connais vos travaux, votre détermination et la conscience que vous avez, sur toutes ces travées, de l'urgence budgétaire. Je vous le dis donc très simplement : notre déficit, notre dette et l'urgence budgétaire sont toujours là, et cette dernière ne fera que s'aggraver avec les jours et les semaines. Nous devrons collectivement, en tant que responsables politiques, y apporter une réponse.
Ce projet de loi spéciale prévu, vous le savez, à l'article 47 de notre Constitution, a été présenté devant la commission des finances du Sénat moins d'une semaine après la censure, conformément à l'engagement pris par le Président de la République devant les Français le 5 décembre dernier. Il n'est donc – je le répète – qu'un texte technique, sans portée politique, qui vise uniquement à éviter la discontinuité budgétaire entre la fin de l'exercice 2024 et l'adoption d'un budget.
Il ne s'agit pas, comme on l'entend trop souvent, de la reconduction du budget de l'année 2024. Comme le rappelle la circulaire du Premier ministre, ainsi que l'article 45 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (Lolf), il s'agit d'ouvrir le minimum de crédits nécessaires à la continuité de la vie de la Nation et des services publics, dans une limite maximale, qui est celle du budget de l'année précédente.
En aucun cas nous ne pouvons dire – donc nous en satisfaire – que cette loi permettrait de passer une année. Au contraire, cette loi, qui vise à éviter la discontinuité, appelle d'autant plus l'urgence budgétaire !
Ce projet de loi, que mon collègue Laurent Saint-Martin détaillera, vise seulement à atteindre deux objectifs : premièrement, continuer à lever l'impôt, permettre de tenir nos engagements, notamment à l'égard de l'Union européenne, et donner de la visibilité aux collectivités locales ; deuxièmement, permettre à l'État et aux organismes de sécurité sociale de continuer à émettre de la dette.
Aujourd'hui, notre responsabilité collective est donc contenue à l'examen et à l'adoption de cette loi spéciale que nous vous soumettons.
Je veux saluer ici, bien sûr, l'esprit de responsabilité dont a fait preuve l'Assemblée nationale en adoptant ce texte à l'unanimité des 481 députés votants. Je ne doute pas que le Sénat fera de même.
Nous devrons dès demain, bien au-delà des clivages politiques, donner un cadre économique, financier et donc budgétaire à notre pays. Il en a besoin, et nous le lui devons.
M. le président. La parole est à M. le ministre chargé du budget et des comptes publics.
M. Laurent Saint-Martin, ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, madame la rapporteure générale de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi d'avoir, à mon tour, une pensée pour l'ensemble de nos compatriotes de Mayotte, en particulier pour tous les agents de la direction générale des finances publiques (DGFiP), des douanes et de l'Urssaf qui sont mobilisés en permanence – le ministère du budget et des comptes publics, que je représente ici, leur rend hommage et les remercie chaque jour.
Mesdames, messieurs les sénateurs, comme vous le savez, l'Assemblée nationale a adopté ce texte à l'unanimité. Je forme le vœu qu'il en aille de même au Sénat, afin que ce texte soit mis en œuvre le plus rapidement possible.
Tôt ou tard, il faudra donner un budget à la France. Le projet de loi spéciale que vous vous apprêtez à examiner ne saurait en tenir lieu. Le Premier ministre l'a lui-même clairement souligné, lors de la passation de pouvoir vendredi dernier et, de nouveau, hier lors de la séance de questions d'actualité au Gouvernement à l'Assemblée nationale.
La situation de nos finances publiques n'a pas changé depuis la censure du Gouvernement. L'état de nos comptes est le même, avec tous les défis que cela emporte pour le présent comme pour l'avenir. La décision de l'agence de notation Moody's, ne nous dit pas, hélas ! autre chose.
Chacune et chacun ici – je le sais – en est parfaitement conscient. Malgré l'issue des débats budgétaires, il ne s'est trouvé personne, sur quelque travée que ce soit, pour contester la gravité de la situation, le caractère excessif de notre endettement ou la nécessité de réduire le déficit.
Il y a donc au Parlement, je le crois, un espace pour engager le redressement des comptes publics, pourvu que les forces politiques qui le composent parviennent à s'entendre, en responsabilité, sur les modalités de l'effort à fournir.
Ce texte ne préjuge donc pas des nouveaux arbitrages qui seront rendus, sous l'autorité de François Bayrou, par un prochain gouvernement de plein exercice. Il ne préempte en aucun cas les futures décisions budgétaires, dont je souhaite évidemment qu'elles soient prises rapidement, dans l'intérêt supérieur de notre pays et de nos concitoyens.
Il n'a pas davantage vocation à permettre la répétition des débats que nous avons eus ensemble lors de l'examen du projet de loi de finances (PLF) et du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).
Ce texte n'a qu'un seul objectif, qui délimite strictement son contenu : assurer à titre exceptionnel et transitoire la continuité de la vie de la Nation. Il ne peut ni faire moins ni faire davantage, tant la jurisprudence à cet égard est claire.
En premier lieu, la loi spéciale ne permet pas de modifier le code général des impôts. Elle n'exprime pas le consentement à l'impôt ; elle n'en constate que la nécessité. Elle ne permet donc ni de reconduire pour l'année suivante les dispositions fiscales qui arrivent à échéance à la fin de l'année 2024 ni de modifier le barème de l'impôt sur le revenu pour l'indexer sur l'inflation. L'avis rendu par le Conseil d'État sur ces deux points ne souffre aucune ambiguïté.
Cette loi spéciale ne peut qu'autoriser temporairement le Gouvernement à continuer à percevoir les impôts et taxes existants jusqu'au vote de la loi de finances de l'année. C'est indispensable pour assurer le financement de nos services publics, de notre système de protection sociale et, bien sûr, des collectivités territoriales.
En second lieu, le décret qui sera pris après la promulgation de la loi spéciale nous place sous le régime restrictif des services votés.
La loi spéciale n'autorise pas le Gouvernement à engager des dépenses nouvelles. Conformément à la Constitution et jusqu'à l'adoption d'une nouvelle loi de finances pour l'année, les crédits se rapportant aux services votés seront donc temporairement ouverts par décret.
Ces services votés correspondent au niveau minimal de crédits jugé indispensable pour permettre l'exécution des services publics en 2025 dans les conditions de l'année précédente. Cela signifie que, en l'absence de loi de finances, le Gouvernement ne pourra pas augmenter les budgets ; je pense à ceux des armées, de la justice et de l'intérieur, par exemple.
Sauf nécessité pour la continuité de la vie nationale ou motif d'urgence caractérisé, le Gouvernement ne pourra pas non plus procéder à de nouveaux investissements ou à des dépenses discrétionnaires de soutien aux associations, aux entreprises ou aux collectivités.
Comme vous le savez, la situation à Mayotte, durement touchée, réunit ces deux conditions. Des crédits pourront être ouverts pour l'île de Mayotte, tant sur le fondement de la loi de fin de gestion pour 2024 que sur celui des décrets de services votés pour 2025.
Enfin, la loi spéciale autorise le Gouvernement à recourir aux emprunts nécessaires pour assurer ses engagements, ainsi que le fonctionnement régulier des services publics.
Vous le savez, les recettes fiscales et sociales ne suffiraient pas à couvrir le besoin de financement des administrations publiques ; c'était d'ailleurs tout l'objet des débats sur la dette que nous avons menés. Nous ne pourrions donc pas assurer nos engagements auprès de nos créanciers ni garantir le fonctionnement régulier des services publics sans la possibilité de recourir à l'emprunt.
Par conséquent, il est indispensable d'autoriser tant l'État que les régimes obligatoires de base de la sécurité sociale et l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) à émettre de la dette.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne serai pas plus long. Je n'imagine pas que ce projet de loi ne soit pas adopté. Aussi ne m'étendrai-je pas sur les conséquences de son éventuelle non-adoption.
Il ne s'agit pas d'un texte politique. Il s'agit de parer à l'urgence, dans l'attente d'un nouveau budget. Il s'agit d'assurer la continuité de la Nation, le fonctionnement régulier des services publics et le respect des engagements pris par notre pays.
Avec ce texte, nous vous proposons tout simplement que nécessité fasse loi, dans le respect du droit. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE. – M. Alain Chatillon applaudit également.)
source https://www.senat.fr, le 30 décembre 2024