Interview de Mme Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, à Sud Radio le 17 janvier 2025, sur les 50 ans de la loi Veil autorisant l'interruption volontaire de grossesse (IVG), les propos de Mark Zuckerberg relatifs à la "revirilisation d'Internet", le cyberharcèlement, le nombre de féminicides depuis le début d'année, la définition pénale du viol et le budget 2025.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Aurore Bergé - Ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations ;
  • Jean-Jacques Bourdin - Journaliste

Média : Sud Radio

Texte intégral

JEAN-JACQUES BOURDIN
Notre invitée de ce matin, Aurore BERGE qui est ministre déléguée chargée de l'Egalité entre les femmes et les hommes, et chargée de la lutte contre les discriminations. Aurore BERGE, bonjour.

AURORE BERGE
Bonjour.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci d'être avec nous. 50 ans de la loi Veil, aujourd'hui, c'était le 17 janvier 1975, promulgation de cette loi. 243 000 IVG en France en 2023. En 2024, c'est un peu plus, vous avez les chiffres, non ?

AURORE BERGE
C'est un chiffre qui reste stable en France, mais surtout, je pense qu'il faut qu'on accepte, depuis ces 50 dernières années, de changer le regard qu'on a sur l'avortement. Les femmes n'ont pas à se sentir ni honteuses ni coupables. C'est un droit, c'est une liberté, c'est à elles de choisir, à elles de choisir si elles veulent ou non être mères, et le moment où elles souhaitent évidemment le devenir. Et puis à la société de les accompagner dans leurs choix pour qu'elles aient le choix de la méthode à laquelle elles veulent avoir accès, puisqu'il y a deux méthodes pour l'avortement.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, il y a deux méthodes, médicamenteuse.

AURORE BERGE
Ou chirurgicale, exactement.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Ou chirurgicale.

AURORE BERGE
On a essayé de faciliter aussi les conditions de recours, loin des fantasmes, pas pour que plus de femmes puissent avorter, mais pour que celles qui le souhaitent. Laurence ROSSIGNOL le disait, une femme qui veut avorter, elle avorte, et donc l'idée, c'est qu'elle le fasse dans des conditions qui sont évidemment les plus dignes pour elle. Donc on a élargi les conditions d'accès. Le nombre de semaines a été augmenté de 12 à 14 semaines pour IVG.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce qu'il faut encore allonger, selon vous, le délai légal ?

AURORE BERGE
Non, je ne pense pas. Je pense qu'on est dans la moyenne européenne. Je pense que c'est éthiquement ce qui a du sens, en termes de santé aussi, ce qui a du sens, et ce qui permet de donner du temps aux femmes, parce qu'on peut avoir du déni de grossesse, on peut avoir l'incapacité à savoir, on peut avoir la difficulté à prendre une décision. Bref, je pense qu'on est aujourd'hui sur un délai qui est absolument raisonnable.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors oui, je vous coupe, Aurore BERGE.

AURORE BERGE
Je vous écoute, oui ?

JEAN-JACQUES BOURDIN
Il y a encore des entraves à l'IVG. Pourquoi par exemple ? J'ai vu ce que proposent les associations, pourquoi ne pas créer un répertoire des professionnels qui pratiquent l'IVG ?

AURORE BERGE
Alors c'est même dans la loi, et normalement, ça doit être créé.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais ça ne l'est pas.

AURORE BERGE
Alors pour deux raisons. Une raison qui est que malheureusement, certains médecins se font menacer et harceler parce qu'ils pratiquent. Et donc on avait aussi un doute, une résistance de certains médecins, à dire : "Moi, je n'ai aucun problème à le dire, mais je ne veux pas être cyber harcelée, je ne veux pas voir ma devanture être attaquée, je ne veux pas voir les personnes qui travaillent avec moi être menacées". Parce que malheureusement, l'entrave à l'avortement, ce sont aussi des militants anti-choix, anti-droits qui continuent à taguer des lieux qui pratiquent l'IVG, à menacer des associations. Donc malheureusement, il y a encore ça. Et puis il y avait des éléments plus techniques, d'arriver à pouvoir cartographier. Moi, je pense qu'il faut le faire parce que…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous allez engager, vous allez prendre une... Je ne sais pas, sous quelle forme ?

AURORE BERGE
Ben l'objectif, c'est encore une fois de faciliter la vie de celles qui veulent avoir recours à l'avortement.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Un décret ?

AURORE BERGE
Donc il n'y a pas besoin même d'éléments réglementaires législatifs, c'est déjà la loi.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Réglementaires, oui.

AURORE BERGE
Il faut qu'on garantisse tout simplement son application. Parce qu'une femme, encore une fois, qui veut avorter, elle doit pouvoir savoir comment faire le plus proche possible d'elle, évidemment.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Comment allez-vous garantir l'application de la loi ?

AURORE BERGE
Eh ben c'est repérer évidemment en lien avec les ordres, les médecins, les sage-femmes aussi qui pratiquent l'IVG, puisque vous savez que les sage-femmes pratiquent les IVG et qu'on a même élargi cette possibilité sous le contrôle d'un médecin pour les IVG chirurgicales. Donc je pense que ce serait important encore une fois tout simplement pour se repérer quand on est une femme et qu'on veut avoir recours à l'avortement.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Et puis il y aura une liste de professionnels.

AURORE BERGE
On va voir est-ce que c'est une carte, est-ce que c'est une liste, mais en tout cas, l'idée, c'est de se repérer, de donner accès à l'information, et je le réaffirme, de continuer à lutter contre toutes les entraves, notamment contre ceux anti-droit et anti-choix, au-delà de la manifestation, qui est leur droit, en viennent à taguer, à menacer, à insulter, ce qui est évidemment intolérable.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que vous allez supprimer la clause de conscience spécifique permettant aux médecins de pratiquer une IVG ?

AURORE BERGE
Je ne crois pas. Je pense qu'il ne faut pas rentrer dans ce débat parce qu'on a trouvé… Je peux comprendre que ça choque évidemment les féministes, les personnes qui sont engagées. Par contre, je pense qu'on a trouvé aujourd'hui un compromis qui permet de garantir l'accès à l'IVG et qui garantit aussi, pour des médecins qui ne souhaitent pas le pratiquer, et je le respecte, de ne pas avoir à le faire. Ce qu'il faut, c'est qu'on ait suffisamment de médecins, suffisamment de sage-femmes, partout sur le territoire, notamment dans nos territoires ruraux, parce que c'est ça la première difficulté qu'on a, c'est la garantie de l'effectivité de ce droit. Et on n'est pas toutes égales, en fait, en fonction du territoire où on vit. Et c'est ça, moi, ma préoccupation, c'est de garantir l'accès partout sur les territoires.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors justement…

AURORE BERGE
Mais pour en garantir l'accès partout sur les territoires, il faut qu'on ait donc des médecins et des sage-femmes qui continuent évidemment à s'engager.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Et il faut des moyens. Pourquoi ne pas sanctifier les moyens dédiés à l'IVG à l'hôpital ?

AURORE BERGE
Alors les moyens, ils ont été augmentés année après année.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Augmentés, oui.

AURORE BERGE
Donc il n'y a pas d'inquiétude à avoir.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais dans certains hôpitaux, c'est un peu marginalisé, vous le savez.

AURORE BERGE
Alors je pense que ça l'est de moins en moins, ça l'est de moins en moins parce qu'encore une fois on a élargi les conditions d'accès à l'IVG. Quand vous passez de 12 à 14 semaines, quand pour les IVG médicamenteuses, vous passez de 5 à 7 semaines, quand vous constitutionnalisez l'IVG, vous dites aussi très clairement aux Français qu'en France, ce droit n'est pas négociable, que ça fait partie en fait des libertés fondamentales qui sont les nôtres. Et vous voyez bien d'ailleurs que dans toutes les démocraties dites illibérales, que dans tous les régimes qui deviennent plus régressifs et plus répressifs, eh bien, les premiers droits qui sont attaqués, c'est les droits des femmes et notamment la maîtrise par les femmes de leur corps. Donc nous, en France, ce n'est pas négociable, donc ça permet aussi, je pense, de remettre en lumière ceux et celles qui pratiquent les IVG. Et je crois que ça, c'était aussi extrêmement important dans la pratique à l'hôpital.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Aurore BERGE, Laurence ROSSIGNOL, que vous avez écoutée, qui était mon invitée tout à l'heure à 7 h 40, sénatrice socialiste, avec plusieurs personnalités, appelle à la réhabilitation des femmes injustement condamnées pour avoir avorté avant la fameuse loi Veil. Laurence ROSSIGNOL a déposé une proposition de loi reconnaissant et réparant les préjudices subies. Est-ce que vous soutenez cette proposition de loi ?

AURORE BERGE
Oui, parce que je crois que c'est une démarche symbolique qui est extrêmement importante et de réparation. Quand on se replonge plus de 50 ans en arrière, on se replonge dans des souffrances qui étaient épouvantables parce qu'avoir accès à l'IVG, c'était la clandestinité, c'était le secret, c'était la honte, c'était s'exposer à la mort, c'était s'exposer à de la prison. Les femmes qui ont eu accès à l'IVG dans ces conditions expliquent les conditions absolument sordides dans lesquelles elles étaient, les policiers qui les attendaient.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Et se cacher, évidemment.

AURORE BERGE
Claudine MONTHEIL qui était l'une des signataires du manifeste des 343, qui me racontait ces dimanches, c'est Simone de BEAUVOIR qui a été une de celles qui a aidé et soutenu des jeunes filles et des jeunes femmes. Eh bien, il y avait une voiture de police qui attendait en bas de chez elle. Les jeunes filles, les jeunes femmes, apeurées, terrorisées, qui montaient, qui avaient recours à l'IVG dans des conditions clandestines. Et je pense que ça a un effet de réparation parce que la société a mis du temps à sortir d'une forme de barbarie qui faisait que les femmes, encore une fois, n'avaient pas la maîtrise de leur choix, de leur liberté, de leur corps ; et qu'encore une fois, au-delà de la clandestinité, c'était des souffrances physiques et des séquelles physiques parfois pour toute une vie.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Eh oui. Et puis elles mettaient leur vie en danger. Je regardais, j'écoutais le témoignage de Christiane TAUBIRA qui a failli mourir après être passée entre les mains, entre guillemets, d'une faiseuse d'anges. On les appelait les faiseuses d'anges, je me souviens.

AURORE BERGE
Mais parce qu'il faut s'imaginer que c'était des cintres, que c'était des sondes. C'est comme ça qu'on pratiquait parce qu'on faisait ce qu'on pouvait. Et on a eu aussi des médecins, il faut le dire, très courageux, qui risquaient la prison, des infirmières, des sage-femmes qui ont aidé, qui ont accompagné, qui ont tenu la main, qui ont pratiqué auprès de ces jeunes filles, de ces jeunes femmes, de ces femmes aussi parce que parfois, c'était des femmes qui avaient déjà eu des enfants et qui se disaient : "Moi, je ne sais pas, en fait, nourrir une bouche supplémentaire. Donc il y a tellement de cas différents de recours à l'avortement. Et oui, je crois que c'est symboliquement une réparation que l'on doit à ces femmes.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien. Aurore BERGE, vous défendez évidemment l'égalité homme-femme. Mark ZUCKERBERG a fait des déclarations, disons peut-être…

AURORE BERGE
Inquiétantes.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Justement. Il veut reviriliser internet. Les réseaux sociaux de META, FACEBOOK, INSTAGRAM, autorisent les internautes à qualifier les femmes d'objets et les homosexuels et personnes transgenres de malades mentaux. Il défend l'énergie masculine et les bienfaits de l'agressivité, il met fin à sa politique de diversité, d'équité et d'inclusion dans son recrutement. Que lui répondez-vous ?

AURORE BERGE
Je trouve ça très inquiétant. C'est-à-dire que Donald TRUMP n'est pas encore investi, qu'il anticipe en fait et qu'il se met complètement dans sa roue. Peut-être qu'il a peur des conséquences fiscales, économiques, que ça aurait s'il ne se mettait pas en accord avec ce que fait Elon MUSK et ce que prône, en fait, cette partie-là des États-Unis. Et je pense que c'est très inquiétant parce que ça façonne aussi notre manière de regarder le monde. On passe tellement de temps, nos enfants, nos adolescents passent tellement de temps sur ces réseaux qui sont d'ailleurs de moins en moins sociaux, qu'évidemment qu'après, ça déforme la manière avec laquelle ils peuvent appréhender notamment les questions d'égalité, de respect entre les femmes et les hommes. Déjà, je pense que c'est suffisamment viriliste, il suffit de regarder aujourd'hui la moindre femme… Moi, je le vois même à titre personnel, la moindre déclaration que je peux faire, regarder les commentaires que ça suscite, graveleux, insultants, menaçants notamment, et les femmes, malheureusement, subissent beaucoup plus d'attaques et des attaques d'un autre type que celles des hommes.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Après l'ère du wokisme, c'est celui de l'homme fort aux États-Unis ?

AURORE BERGE
Je pense qu'il faut tomber ni dans l'un ni dans l'autre en fait, parce que les excès sont toujours condamnables et sont toujours des dérives très dangereuses. Moi, je suis pour la République, et la République, c'est d'abord l'égalité. Et je pense que c'est ça qu'il faut qu'on continue à promouvoir. Donc ce n'est pas le wokisme qui est une défiance vis-à-vis de nos valeurs républicaines et vis-à-vis de la laïcité en particulier, mais ce n'est pas non plus le virilisme dont je ne sais pas très bien ce que ça veut dire comme valeur, parce que c'est contraire à notre doxa d'égalité.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, Aurore BERGE. Le danger, c'est que ces nouvelles directives de META ou autres, ou X, entreraient peut-être en vigueur en Europe, c'est ça le danger.

AURORE BERGE
Oui, mais l'Europe…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Les États rechignent… Oui, mais les États rechignent à réglementer les plateformes.

AURORE BERGE
Ben pas le continent européen, on est le continent qui est le plus régulé, on nous le reproche parfois d'ailleurs. On nous dit : "Il y a un excès de régulation". Sauf que cette régulation…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, les États-Unis inventent, les Chinois produisent, et les Européens régulent.

AURORE BERGE
Ben je pense qu'on produit aussi, qu'on innove aussi, qu'on crée aussi, mais qu'on a aussi raison de réguler parce que ces plateformes ne peuvent pas elles-mêmes dicter leurs lois. Et c'est bien ça la difficulté. Moi, dans les sujets que j'ai à traiter sur la question de l'égalité, il y a la question des violences, il y a la question des violences sexuelles, il y a la question du fléau que représente par exemple la pornographie pour nos adolescents, c'est-à-dire avoir accès à des millions de contenus d'une violence absolument inouïe.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais où en est la réglementation ?

AURORE BERGE
Eh bien, là-dessus par exemple, c'est ce qu'on fait sur le porno dans notre pays. C'est-à-dire, on a maintenant une véritable authentification pour garantir que les personnes qui viennent sur ces sites sont des majeurs, alors qu'avant, c'était du pur déclaratif, que nos ados ne sont pas complètement idiots. Étonnamment, ils ne disaient pas qu'ils avaient 15 ans, ils disaient plutôt qu'ils en avaient 18.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, on ne les laisse pas aller acheter le pain tout seul de l'autre côté de la rue.

AURORE BERGE
Exactement.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais on les laisse libres d'aller sur…

AURORE BERGE
D'avoir un smartphone, de ne pas contrôler ce qu'ils ont sur leur smartphone.

JEAN-JACQUES BOURDIN
D'avoir un smartphone.

AURORE BERGE
Et de ne pas contrôler ce à quoi ils ont accès. Et c'est essentiel, pas dans une logique de défiance, mais dans une logique de protection encore une fois de nos enfants, de nos adolescents. Parce que quand vous commencez votre jeune adolescence, à 11 ans, 12 ans, 13 ans, avec ce flot de contenus, d'images que vous ne savez pas décoder, sur lesquelles vous n'avez aucun recul, et qui ne représentent en rien des relations réelles entre hommes et femmes, en tout cas pas celles qu'on espère, pas celles qui sont basées sur le respect, évidemment que ça a un impact. Et donc ces plateformes, malheureusement, elles ont un impact majeur sur la manière avec laquelle notre monde est façonné. Oui, évidemment, je suis inquiète. Et oui, il faut que nous, on résiste à la fois sur de la régulation qu'on peut avoir, et puis aussi d'un point de vue économique.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors justement, puisque vous parliez de plateformes, puisque vous parliez d'audiovisuel, vous avez suivi l'affaire de cette jeune femme, Anne, escroquée de 830 000 euros, après avoir été volée.

AURORE BERGE
Abusée, oui.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Abusée, c'est un abus. Mais est-ce que les médias n'ont pas une responsabilité, franchement ?

AURORE BERGE
Si, parce que je pense qu'on jette en pâture une jeune femme qui est forcément vulnérable. Et ce que je trouve détestable, c'est la vague de cyberharcèlement qu'elle a subie. Alors on peut avoir un avis, mais est-ce que menacer, insulter une femme, c'est des milliers et des milliers et des milliers de commentaires tout d'un coup… Vous imaginez quand vous n'avez jamais été exposé et l'impact que ça peut avoir.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais n'a-t-elle pas été jetée en pâture ?

AURORE BERGE
En tout cas, je pense qu'il y a une responsabilité parce que moi, quand je viens sur votre plateau, voilà, je suis, disons, plus habituée au fait de m'exposer, je suis plus habituée au fait que ça peut générer de la critique, même si je regrette qu'au-delà de la critique, ça puisse générer de la violence et des insultes. Parce que je pense que c'est un autre registre. Mais quelqu'un qui n'avait jamais été exposé de sa vie, forcément, oui, il y a une forme de responsabilité parce qu'il savait, je pense, voilà, les flots de commentaires que ça pouvait générer. Mais les principaux responsables sont d'abord ceux qui insultent, qui menacent, qui créent du cyberharcèlement.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Cyberharceleurs.

AURORE BERGE
Je ne sais pas si elle souhaitera porter plainte, mais elle a le droit de porter plainte. Toutes les femmes, tous les hommes qui sont cyberharcelés, ce n'est pas un espace de non-droit, ils peuvent porter plainte, il y a des condamnations régulières pour, encore une fois, des personnes qui malheureusement ont vu comme ça des milliers et des milliers de comptes les harceler, les menacer. Et je pense que c'est important aussi de le rappeler, de le rappeler que c'est un espace de droit et un espace régulé.

JEAN-JACQUES BOURDIN
5 féminicides depuis le 1er janvier, c'est déjà trop. 136 en 2024. Que faire ? Que faire de plus ?

AURORE BERGE
Je pense qu'il faut…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Je sais que vous vous battez, mais que faire ?

AURORE BERGE
Déjà, on se bat évidemment parce que c'est d'abord la responsabilité de l'État, mais c'est aussi une responsabilité collective qu'on doit avoir. Le point commun, malheureusement, dans les féminicides qu'on a eus depuis le début de l'année, c'est que ce sont des femmes qui avaient voulu reprendre le contrôle de leur vie et qui étaient en instance de séparation, qui venaient de se séparer. Donc ça veut dire qu'il y a cette image dans la société que la femme, en fait, elle appartient à son compagnon et qu'elle n'a jamais le droit de se séparer, qu'elle n'a pas le droit de choisir sa vie, qu'elle n'a pas le droit avec qui elle veut poursuivre ou pas sa vie de couple. Et c'est ça le véritable problème, c'est qu'on a encore cette image-là qui persiste dans notre société, et que c'est ça qu'on doit combattre à la racine et dès le plus jeune âge. Quand on parle d'égalité, quand on parle de respect, quand moi, je me bats pour qu'on ait enfin des cours de vie affective au sein de nos établissements scolaires, c'est pourquoi ? C'est pour que ce respect soit inculqué.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Il y en aura.

AURORE BERGE
Il y en aura, parce que c'est la loi, parce qu'on s'engage avec Elisabeth BORNE, et parce que c'est une nécessité aussi pour que nos enfants, dès le plus jeune âge, sachent ce que veut dire le respect et l'égalité, parce que c'est ça qui est en jeu dans notre pays. Parce que si on ne vous l'apprend pas dans votre famille, alors il faut que la société dise très clairement, encore une fois, comment on peut ou comment on ne peut pas se comporter.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Aurore BERGE, est-ce que vous allez changer la définition du viol et y inscrire le consentement ?

AURORE BERGE
Alors c'est d'abord les parlementaires qui vont le faire, parce que c'est un travail que…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais vous y êtes favorable ou pas ?

AURORE BERGE
Moi, j'y suis favorable, c'est un travail transpartisan par Véronique RIOTTON, par Marie-Charlotte GARIN notamment, députées de deux groupes différents, Renaissance et Les Écologistes, qui ont travaillé depuis plus d'un an…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Ce sera soumis bientôt en débat, ou… ?

AURORE BERGE
Elles remettent leur rapport la semaine prochaine, qui est favorable à une évolution de notre code pénal. Pourquoi ? Pour deux raisons à mon avis. La première, mieux caractériser, mieux définir, pour aussi mieux condamner ceux qui se sont rendus coupables de ce qu'est un crime, puisque le viol est un crime, quelles que soient les circonstances, quelles que soient les personnes ; Et d'autre part aussi, encore une fois, envoyer un message à la société, qui est de dire que ce n'est pas parce qu'on ne dit pas non qu'on dit oui. Et pour avoir été avec des collégiens la semaine dernière, ben ce n'était pas une évidence pour eux. Ce n'était pas une évidence qu'une jeune fille qui disait non, ça voulait vraiment dire non. Et je pense que ça, il faut aussi le rappeler, qu'encore une fois, il y a des principes essentiels qui doivent absolument être respectés, et que le consentement, c'est évidemment quelque chose qui se respecte, et qu'en vérité, dans une relation normale, on sait quand ça devient anormal, mais ça, encore faut-il ben qu'on nous l'enseigne, qu'on nous l'explique, qu'on nous l'apprenne, qu'on nous le transmette.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Aurore BERGE, un peu de politique pour terminer. Vous êtes ministre du Gouvernement François BAYROU. Pas de censure hier. Beaucoup de promesses qui ont disparu du Gouvernement BARNIER, et beaucoup de réponses apportées aux socialistes. Je résume, pas de gel des pensions de retraite, pas d'augmentation des taxes sur l'électricité, pas de déremboursement des consultations chez le médecin, pas de passage d'un à trois jours de carence, pas de suppression de 4 000 postes d'enseignants, 12 000 postes de soignants-hospitaliers maintenus, pas de baisse du budget consacré aux DOM-TOM, enfin, etc. Il y en a beaucoup. Pas le début du commencement d'une économie. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est votre ancien collègue, Guillaume KASBARIAN, des dépenses supplémentaires, des hausses d'impôts. Il est député ensemble pour la République, vous êtes d'accord avec lui ou pas ?

AURORE BERGE
Je pense que c'est une vision un petit peu parcellaire. Vous savez, quand Michel BARNIER a présenté son budget, beaucoup lui sont tombés dessus en disant : "Mais c'est quoi ce budget qui propose des hausses d'impôts ?" Et quand François BAYROU présente une esquisse de budget, puisqu'il n'a pas encore été engagé dans le débat, en tout cas à l'Assemblée nationale, on dit : "Ben en fait, c'est de la dépense supplémentaire". C'est heureusement plus complexe que ça, ça s'appelle un compromis, ça veut dire qu'on n'est pas en majorité absolue, ça veut dire qu'un budget qui demain serait à nouveau censuré, ça aurait un coût terrible pour notre pays, ça suppose de la responsabilité de la part des partis politiques.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais où sont les économies ?

AURORE BERGE
Notamment de la part du parti socialiste. Les budgets seront en baisse, beaucoup de budgets vont être en baisse, et ça a d'ailleurs été annoncé. Vous savez, dès qu'un budget est en baisse, ça crée des remous.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Le sport hier, au Sénat.

AURORE BERGE
Je lisais ce matin que comme le budget des sports baisse de près de 400 millions d'euros. Là, tout de suite, on a immédiatement hurlé sur "Comment est-ce que c'est possible qu'un budget baisse ?" Donc vous voyez bien d'ailleurs que systématiquement, on nous demande des économies, mais dès qu'il y a des baisses qui sont réalisées…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Le vôtre va baisser ?

AURORE BERGE
Pour l'instant, ce n'est pas prévu. Moi, c'est plus modeste que ça.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, d'accord, mais…

AURORE BERGE
Mais au-delà de mon budget, moi, ce qui m'importe, c'est le budget sur la question de la santé des femmes, sur la justice pour les femmes, et sur le logement pour les femmes.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais il va bien falloir trouver des recettes, il va bien falloir trouver des économies.

AURORE BERGE
Il n'y a pas que la question… Evidemment, c'est les deux questions, et les recettes, mais on a toujours dit qu'on n'alourdirait pas l'impôt des Français, donc on garde uniquement les propositions qui avaient été faites par Michel BARNIER sur les très très hauts patrimoines. Donc je pense que ça, c'est quelque chose qui crée plutôt du consensus dans la société, de dire qu'on participe à cet effort collectif, d'autant plus qu'on peut le faire. Et on parle vraiment des très hauts patrimoines. Et je pense qu'il ne faut pas aller au-delà, parce qu'on a plutôt, depuis 7 ans, permis la baisse des impôts, que ce soit la taxe d'habitation, que ce soit les premières tranches d'impôt sur le revenu, et il faut continuer dans cette dynamique-là. Et puis oui, il faut qu'on assume, en effet, des baisses de dépenses, et c'est ça qui est le plus difficile.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que, Aurore BERGE, la Flat Tax va passer de 30 % à 37 % ?

AURORE BERGE
Je ne crois pas que ce soit…

JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est une hausse d'impôts, ça.

AURORE BERGE
Je ne crois pas que ce soit à l'ordre du jour.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous dites non ?

AURORE BERGE
Mais en tout cas, moi, je ne suis pas favorable à des hausses d'impôts.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous êtes opposée à cette augmentation de la Flat Tax ?

AURORE BERGE
Moi, ce que je vous dis, c'est que… Déjà, on n'a même pas engagé les débats.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, on est d'accord, mais…

AURORE BERGE
Pour l'instant, on a un débat qui se poursuit au Sénat sur la base de la copie précédente.

JEAN-JACQUES BOURDIN
D'accord. Mais enfin, moi, j'ai entendu les uns et les autres, j'ai lu, elle va passer de 30 % à 37 %.

AURORE BERGE
Moi, j'attends que ce soit présenté.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Bon. Vous y êtes opposé ?

AURORE BERGE
Par principe… Vous savez, avec le Président de la République, depuis 7 ans, on a baissé les impôts des Français.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais vous y êtes opposée ou pas ?

AURORE BERGE
Moi, je pense qu'il faut se prémunir de toute hausse d'impôts, sauf celle qui était prévue encore une fois par la copie…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc vous êtes contre cette augmentation ?

AURORE BERGE
Je sais ce que vous voulez me faire dire.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais je ne veux pas vous le faire dire. Ce que vous pensez, je veux vous faire dire, moi. C'est mon boulot.

AURORE BERGE
Sur la question des impôts et de la fiscalité… Je sais bien. Sur la question des impôts et de la fiscalité, je souhaite qu'on garde la copie qui était celle de Michel BARNIER, qui était vraiment une taxation exceptionnelle et qui était extrêmement ciblée.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc on ne touche pas à la Flat Tax ?

AURORE BERGE
Je pense qu'il ne faut pas aller au-delà. Et je pense surtout que oui, il faut qu'on arrive à s'engager sur la baisse de dépenses. Sur la question des fonctionnaires, vous avez mentionné le jour de carence, ce qui est très important, c'est qu'on a assumé une baisse du taux d'indemnisation aussi sur les jours d'arrêt maladie. Ce qui, à mon avis, est une mesure d'égalité entre la fonction publique et le secteur privé, et qui aussi va générer beaucoup d'économies pour l'État.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien. J'ai une dernière question qui concerne Boualem SANSAL.

AURORE BERGE
Oui ?

JEAN-JACQUES BOURDIN
Aurore BERGE, qui aurait été, on ne sait pas, mais je ne sais pas si vous avez des informations, réincarcéré. Le régime algérien l'aurait sorti de la prison-hôpital où il était enfermé. Je ne sais pas si vous avez des informations.

AURORE BERGE
Alors je n'ai pas…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors moi non plus, mais j'ai lu ça. Je ne sais pas si c'est vrai, et j'aimerais avoir les informations, mais il souffre d'un cancer. Combien de temps l'État français va-t-il le laisser mourir en Algérie ?

AURORE BERGE
Ce n'est pas l'État français qui le laisse mourir en Algérie, c'est l'État algérien qui l'a incarcéré.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, je suis d'accord, mais alors… Oui, l'État algérien.

AURORE BERGE
Qui l'a emprisonné parce qu'il exerçait tout simplement sa liberté d'écrivain et de penseur. Et vous voyez bien, nous, le combat diplomatique que nous menons avec le Président de la République, qu'il mène pied à pied vis-à-vis de l'Algérie pour garantir évidemment sa libération, je crois qu'il n'y a aucun doute sur la position de la France, sur la volonté qui est la nôtre, évidemment qu'il puisse être remis en liberté parce que c'est ce qui doit être fait, parce que c'est ce qui est juste, non pas juste au regard de son état de santé, mais au regard de ce qu'il représente, de ce qu'il est, de ce qu'il pense, de ce qu'il dit, de ce qu'il écrit. Et c'est ça qui devrait justifier qu'il soit remis en liberté, et c'est ça malheureusement aujourd'hui qui, pour le régime algérien, justifie qu'il soit emprisonné dans des conditions indignes.

JEAN-JACQUES BOURDIN
La France se bat ?

AURORE BERGE
Ah, mais bien sûr !

JEAN-JACQUES BOURDIN
Il y aura de nouvelles initiatives ?

AURORE BERGE
C'est un engagement personnel du Président de la République qui l'a pris, il en a encore parlé, vous voyez, devant nous en Conseil des ministres cette semaine. Donc évidemment que c'est un engagement…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Qu'a-t-il dit ?

AURORE BERGE
Et parce que je crois qu'il n'y a aucun doute sur le fait que le Président de la République trouve que cet emprisonnement, qu'il soit dans une prison-hôpital ou dans une prison, est évidemment indigne pour quelqu'un qui est un grand écrivain, un grand penseur, et qui est franco-algérien, et qui doit donc pouvoir revenir dans notre pays s'il le souhaite, à défaut malheureusement de pouvoir être libre dans le sien.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci beaucoup, Aurore BERGE, d'être venue nous voir ce matin sur l'antenne de Sud Radio.

AURORE BERGE
Merci à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 20 janvier 2025