Texte intégral
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d'État.
M. Manuel Valls, ministre d'État, ministre des outre-mer. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est un grand honneur de me présenter aujourd'hui devant le Sénat pour défendre les crédits de la mission "Outre-mer". J'ai plaisir à vous retrouver, quelques années après d'autres exploits… (Sourires.)
Je remercie les orateurs pour leurs interventions, qui témoignent de la très grande attention que porte votre institution à nos territoires d'outre-mer, avec son président Gérard Larcher, la présidente de la délégation aux outre-mer, Mme Micheline Jacques, les sénateurs et sénatrices ultramarins, et toutes celles et tous ceux – que je sais nombreux parmi vous – qui, comme moi, ont au cœur ces territoires de notre République.
Le Premier ministre, avec l'accord du Président de la République, a fait un choix fort dans la composition de son gouvernement : celui de créer un ministère d'État aux outre-mer, pour la première fois depuis plus de cinquante ans, et de lui confier la deuxième place dans l'ordre protocolaire, en y nommant un ancien Premier ministre. C'est le signe de la grande attention portée à ces territoires, qui doivent être, comme l'a dit hier le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale, notre "toute première préoccupation". Ce choix m'honore, mais surtout il m'oblige.
Notre préoccupation aujourd'hui, vous l'avez tous dit, c'est bien sûr la situation de nos compatriotes mahorais. Je sais que vous la suivez de près, avec la sénatrice Salama Ramia, le sénateur Saïd Omar Oili et, bien sûr, avec le ministre Thani Mohamed Soilihi. Je veux ici saluer leur courage et leur engagement constant.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Tout à fait !
M. Manuel Valls, ministre d'État. J'étais à Mayotte avec eux voilà quelques jours seulement. J'y ai vu un territoire de la République dévasté. Je veux avoir de nouveau, avec vous, une pensée pour tous les Mahorais et leurs proches. Les morts, les blessés physiques et psychologiques, les habitants qui ont été particulièrement isolés après le cyclone, ces vies meurtries, ces hommes et ces femmes sans toit, ces travailleurs inquiets, de nouveau frappés par une tempête tropicale intense il y a trois jours : tous nous obligent.
L'ensemble des services de l'État sont pleinement mobilisés jour et nuit à leurs côtés, et je veux rendre hommage à leur travail.
J'ai présenté hier à l'Assemblée nationale, et je présenterai bientôt devant vous, un projet de loi d'urgence pour Mayotte, qui doit aider à répondre à la crise et à poser les premières pierres de la refondation. Vous l'avez dit, le cyclone a révélé une fois encore les maux dont souffre ce territoire. Ils sont de natures diverses, mais je veux souligner que Mayotte fait face à deux fléaux particuliers, qui empêcheraient demain, s'ils n'étaient pas résolus, toute reconstruction : l'immigration illégale et l'habitat illégal.
Une deuxième loi de programme, "Mayotte debout", plus structurelle sera présentée dans deux mois, après un travail approfondi avec les élus locaux, les sénateurs mahorais et la délégation aux outre-mer de votre chambre.
Notre préoccupation va aussi naturellement à la Nouvelle-Calédonie. Le territoire a connu, au mois de mai dernier, des émeutes qui l'ont laissé exsangue, détruisant 15 % à 20 % de son PIB, comme l'a rappelé Georges Naturel. Le soutien de l'État a été fort et constant depuis le début de cette crise. Il faut maintenant trouver un chemin de réconciliation.
À la demande du Premier ministre, j'entamerai, dès le début du mois de février prochain, une discussion, une négociation, avec tous les acteurs politiques calédoniens, suivant un agenda précis, pour que puisse se dessiner un accord politique, condition indispensable de la refondation du modèle calédonien dans un destin commun. Vous comprendrez que je m'inspire de la méthode suivie par Michel Rocard et Lionel Jospin, puisque j'ai travaillé avec eux, mais également du travail qui a été effectué par le Sénat et de l'engagement plus personnel du président Larcher.
Notre préoccupation, c'est aussi bien sûr celle de la vie chère, fléau du quotidien dans tous ces territoires, qui a enflammé la Martinique au mois de septembre dernier. Georges Patient, Teva Rohfritsch et nombre d'entre vous ont cité des chiffres éloquents. Nous devons à nos concitoyens de trouver des solutions concrètes à ce défi, en faisant la vérité des prix et en trouvant des outils de régulation plus puissants.
Des propositions de loi viendront bientôt en discussion devant les deux assemblées, notamment au Sénat, avec un texte de l'ancien ministre Victorin Lurel : elles devraient permettre d'avancer. Je compte sur vous, monsieur le sénateur, car je connais votre engagement sur ces sujets, votre lucidité sur ce qui a été ou n'a pas été fait. Vous le savez, gouverner, c'est difficile, mais nous devons aller de l'avant.
Au-delà des préoccupations et des crises, nos outre-mer doivent être toujours dans nos regards comme des territoires de formidables opportunités. Quand éclatent les émeutes, quand s'abattent les cyclones et les tempêtes, ces territoires se rappellent à Paris. Mais quand se calment la fièvre et les tumultes, ils retombent dans l'oubli. Cela doit complètement changer.
Ces territoires sont aussi des joyaux de la République, ils abritent 10 % de la biodiversité du monde, 20 % de ses atolls. Ils représentent plus de 11 millions de kilomètres carrés et font de la France la deuxième puissance maritime mondiale.
M. Philippe Folliot. La première !
M. Manuel Valls, ministre d'État. Il me semble que c'est plutôt la deuxième…
Ce sont eux qui nous permettent d'être un pays-monde, présent sur cinq continents et dans trois océans. Ils sont le berceau de 2,7 millions de nos concitoyens sans compter le million d'Ultramarins dans l'Hexagone, et sont riches d'identités, de cultures, de traditions singulières, de tant de visages qui ont fait l'histoire, souvent tourmentée, et la beauté de notre République.
Mais c'est aussi dans ces territoires que se concentrent les plus grandes difficultés, les plus grandes vulnérabilités, la pauvreté, l'éloignement, l'immigration, la violence et le narcotrafic. Ils ont parfois, trop souvent, le sentiment d'être abandonnés, un sentiment profond d'injustice, qui est une réalité. Cela aussi doit changer.
Nous devons porter toute notre attention aux besoins singuliers de chaque territoire et favoriser leur projection et leur insertion dans leurs bassins régionaux. Cela a été souvent dit : il faut décidément passer aux actes. Une parlementaire posait hier au Premier ministre, au fond, la meilleure des questions : "Qu'est-ce que la France des outre-mer ?" C'est à cela que je veux, avec vous, répondre, en construisant dans le dialogue avec les forces vives des outre-mer de nouvelles trajectoires de développement et de financement par territoire, avec des moyens constants, comme l'a demandé hier le Premier ministre.
Je m'y consacrerai, avec engagement et détermination. C'est une belle mission. Le Ciom sera réuni pour acter cette ambition et cette méthode renouvelées, après vous avoir consultés, cela va de soi.
Le budget qui vous est présenté aujourd'hui doit nous donner les moyens de l'action, pour faire face aux crises comme pour accompagner le développement de tous les territoires. Vous le savez, la mouture initiale du projet de loi de finances pour 2025 qui avait été présentée aux assemblées demandait aux outre-mer des efforts importants et, disons-le, excessifs dans le contexte des crises multiples qu'ils traversent.
Dès mon arrivée au ministère des outre-mer, j'ai demandé que de nouveaux arbitrages soient pris par le Gouvernement pour rétablir cette situation. Je veux remercier le Premier ministre de l'avoir permis, en donnant au budget des outre-mer un traitement tout à fait exceptionnel dans le contexte des finances publiques que nous connaissons. Cela témoigne, je le crois, de la réelle priorité donnée à ces territoires.
Si les amendements présentés et soutenus par le Gouvernement sont aujourd'hui adoptés, le budget des outre-mer s'élèvera en effet pour l'année 2025 à 3,5 milliards d'euros en autorisations d'engagement et à 3 milliards d'euros en crédits de paiement, soit une hausse de 11 % en AE et de 6 % en CP par rapport à une loi de finances initiale pour 2024 déjà historiquement élevée.
Cela témoigne de la réalité de l'engagement et de la solidarité de la Nation avec nos territoires ultramarins. Je sais qu'il y a beaucoup à faire en raison des retards accumulés depuis longtemps.
Ce budget va nous permettre de poursuivre l'effort pour accompagner la reconstruction de la Nouvelle-Calédonie. Depuis le début de cette crise, l'État a déjà engagé, je le rappelle, près de 600 millions d'euros. La loi de finances comprendra une garantie de l'État, qui sera portée à 1 milliard d'euros, pour un prêt de l'Agence française de développement (AFD) au gouvernement de Nouvelle-Calédonie. Une enveloppe de 200 millions d'euros en subventions sera incluse dans la mission "Outre-mer", pour permettre la reconstruction des écoles et des bâtiments publics. Une nouvelle dotation de la société de gestion de fonds de garantie d'outre-mer (Sogefom), à hauteur de 29 millions d'euros, sera accordée pour poursuivre et amplifier le soutien aux entreprises via des prêts garantis. Enfin, l'État complétera l'avance accordée en décembre 2024, dont le dernier tiers sera versé si les conditions demandées sont remplies. Car il faudra aussi des réformes en Nouvelle-Calédonie.
Je le sais, certains d'entre vous voudraient faire encore plus. Mais j'en appelle, si possible, à la responsabilité collective, pour ne pas fragiliser l'équilibre général qui a pu être trouvé. La proposition du Gouvernement donne déjà des moyens puissants pour soutenir le territoire, même si je n'ignore rien des inquiétudes sur place.
Ce budget permettra aussi d'amorcer le travail, immense, difficile, qui se présente devant nous pour la refondation de Mayotte. Nous le savons, des moyens considérables seront nécessaires. Les services de l'État sont mobilisés sans compter, chacun au travers de son budget, depuis le début de la crise.
L'évaluation des dégâts est en cours et tous les moyens budgétaires seront mis en œuvre en exécution dans le courant de l'année pour répondre à ces besoins. D'ores et déjà, le budget prévoit une enveloppe nouvelle de 100 millions d'euros en AE et de 35 millions d'euros en CP pour commencer immédiatement la reconstruction des bâtiments publics, sans attendre l'évaluation complète.
Ces moyens sont une première amorce. Ils ont bien évidemment vocation à être massivement complétés ensuite. Je sais, madame la sénatrice Ramia, que des promesses ont très souvent été faites à Mayotte et que beaucoup d'engagements ont été pris. Encore faut-il ensuite passer aux actes ; je compte sur votre vigilance.
Cet effort pour la refondation de Mayotte vient s'ajouter à des dispositifs de soutien qui étaient d'ores et déjà prévus avant Chido et qui sont confirmés dans ce budget. Je pense notamment à une subvention de 100 millions d'euros au conseil départemental pour faire face à la hausse de ses dépenses sociales, à une enveloppe de 60 millions d'euros pour le plan eau Mayotte, dont 21,7 millions d'euros dans le budget de la mission "Outre-mer", à une enveloppe de 2,5 millions d'euros pour l'appui au financement des constructions scolaires. Et cela sans compter tous les autres dispositifs, à l'instar des contrats de convergence, et les budgets mobilisés par tous les ministères.
Enfin, au-delà des territoires en crise, ce budget revalorisé permet aussi de maintenir et de renforcer nos dispositifs de soutien au développement de tous les territoires. Sans en détailler l'ensemble – nous y reviendrons au cours de la discussion –, je voudrais souligner plusieurs points que nous avons pu améliorer.
La réforme des exonérations de charges dites Lodéom (loi pour le développement économique des outre-mer), qui était initialement prévue cette année, ne sera pas incluse dans ce budget. Ce sont ainsi 180 millions d'euros qui sont réinjectés dans les territoires. Cela nous donne le temps d'une meilleure concertation au cours de l'année 2025 pour voir collectivement comment nous pourrions améliorer les choses.
Les dispositifs de soutien à l'investissement public et privé dans les territoires voient leurs dotations dynamisées, notamment l'AFD et Bpifrance. Nous améliorons aussi les contrats de convergence et de transformation, outils essentiels pour nos collectivités.
Bien évidemment, je n'oublie pas que le soutien de l'État aux territoires d'outre-mer va bien au-delà des crédits de la mission "Outre-mer". L'effort financier de près de 25 milliards d'euros, dont 5 milliards d'euros de dépenses fiscales et 20 milliards d'euros de crédits budgétaires, est porté par 105 programmes, dans tous les ministères.
En tant que ministre des outre-mer, je souhaite donner une meilleure visibilité à ces crédits et améliorer le travail interministériel et la coordination avec les collectivités territoriales pour voir l'efficacité de ces dépenses. Je serai très attentif, comme vous et avec vous, à ce que les dépenses qui concernent nos outre-mer dans ces budgets soient bien prises en compte et bien traitées. Nous devons aussi faire beaucoup mieux en termes de consommation des fonds européens.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le budget qui vous est aujourd'hui présenté, complété par les amendements du Gouvernement, est un budget de solidarité et d'ambition pour nos outre-mer. Je ne viens pas ici pour crier victoire ; je viens ici avec humilité et modestie, parce que je sais le travail qu'il reste à accomplir. Je connais ce sentiment d'inégalité, les réalités, les attentes et les colères.
Solidarité avec les territoires en crise, avec les plus fragiles, et ambition pour accompagner chacun des territoires dans une trajectoire de développement plus ambitieuse et plus durable. Logement, agriculture, autonomie alimentaire, lutte contre la pauvreté, économie bleue : les sujets sont multiples et il faut les traiter.
Je souhaite que ce budget puisse être adopté avec vous, car il faut construire ensemble. Nous devons nous donner les moyens d'agir, pour tous nos concitoyens ultramarins, qui représentent ce qu'il y a de plus beau dans notre pays. Ils le méritent, pour une France en grand. Cela doit être une priorité républicaine. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe RDSE. – Mme Catherine Conconne et M. Marc Laménie applaudissent également.
Source https://www.senat.fr, le 27 janvier 2025