Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2025, considéré comme rejeté par l'Assemblée nationale (projet n° 143, rapport général n° 144, avis nos 145 à 150).
Mme Rachida Dati, ministre de la culture. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances – cher Claude Raynal –, monsieur le président de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport – cher Laurent Lafon –, monsieur le rapporteur général de la commission des finances – cher Jean-François Husson –, messieurs les rapporteurs spéciaux Vincent Éblé et Didier Rambaud, mesdames les rapporteurs pour avis Sabine Drexler et Karine Daniel, mesdames, messieurs les sénateurs, comme vous le savez, la reprise de l'examen du projet de loi de finances pour 2025 intervient dans un contexte d'une grande sensibilité, pour la culture et pour notre pays.
De manière assez inédite, nous entamons d'ailleurs cette nouvelle année sans budget adopté.
Pour la culture, l'année qui s'ouvre est aussi une année de très grands défis. Je le dis devant la Haute Assemblée, celle où le cœur de nos territoires bat un peu plus fort, il n'y a pas de plus grand enjeu aujourd'hui pour notre culture que de refonder le pacte entre l'État et les collectivités territoriales. Je m'y emploie tous les jours et à chaque déplacement dans nos territoires, comme vous le savez.
Je formulerai tout d'abord un constat : depuis 2017, les financements en faveur de la culture ont augmenté de 1,4 milliard d'euros. C'était un engagement du Président de la République, qui a été tenu. Vous l'avez rappelé, cette augmentation connaît désormais une stabilisation.
Cette stabilisation correspond à la double nécessité de nous inscrire dans le contexte actuel de gravité de la situation nos finances publiques – cela a été dit sur ces travées – et de réaliser de véritables vrais efforts, y compris de manière innovante, en développant de nouvelles ressources.
Les collectivités, de leur côté, vous le savez mieux que quiconque, portent les deux tiers de la dépense culturelle de notre pays. Cette dernière est aussi le meilleur investissement pour l'avenir de ces territoires.
La culture, singulièrement dans les territoires, ne doit pas être caricaturée ! La culture, c'est le cadre de vie, c'est l'attractivité touristique, ce sont les horizons nouveaux, différents, que nous donnons à notre jeunesse et à tous les âges. C'est le cœur battant de notre pays. C'est pourquoi cela fait mal au cœur de voir que nos politiques culturelles, ici et là, font l'objet de choix que je ne puis approuver en tant que ministre de la culture.
Je l'ai dit dès ma nomination en janvier dernier, je considère que le ministère de la culture est un ministère régalien, car il structure aussi notre cohésion républicaine.
Cette force de la France est reconnue dans le monde. Il n'y a de désert culturel dans aucun de nos territoires : il faut préserver ce modèle ! C'est mon combat.
La plupart des choix que j'évoquais sont contraints, et je veux saluer l'esprit de responsabilité de nos élus locaux qui ont décidé, dans leur large majorité, de minimiser l'impact des baisses de dotation sur les politiques culturelles locales.
Sauvegarder et consolider notre modèle culturel ; assumer de prendre une part légitime à l'effort collectif que nous devons réaliser pour nos finances publiques ; soutenir et accompagner nos acteurs culturels dans tous les défis qu'ils rencontrent ; être à l'écoute, toujours, de toutes les collectivités ; travailler à refonder le pacte culturel qui les unit à l'État ; essayer d'accélérer et de porter des transformations, des rénovations, des réinventions même, qui sont nécessaires : voilà l'état d'esprit qui est le mien et qui a inspiré ce projet de budget.
Ce budget intègre quelques évolutions récentes. Je l'ai dit, la situation de nos finances publiques nous oblige, et ce budget prévoit une diminution nouvelle de 50 millions d'euros des crédits de mon ministère. J'évoquerai ultérieurement la situation de l'audiovisuel public.
Avec la baisse arbitrée par le gouvernement de Michel Barnier, ce projet de budget intègre donc une baisse totale de 150 millions d'euros des crédits du ministère, équitablement répartie entre les programmes – à la différence de ce qui s'était passé en février dernier, je tiens à le préciser.
Le précédent gouvernement avait souhaité, sur mon initiative, porter un amendement exceptionnel de 300 millions d'euros pour nos besoins d'investissement, avec 300 millions d'euros en autorisations d'engagement et 200 millions d'euros en crédits de paiement. Le Gouvernement a souhaité confirmer cet amendement.
La situation politique et le retard pris du fait de la censure justifient simplement que nous décalions une partie du besoin, selon la logique des dix douzièmes : puisque nous commençons l'année par des services votés, l'idée n'est pas de dépenser en dix mois ce que l'on aurait voulu dépenser en douze. Cela veut dire que nous avons ajusté les montants disponibles, avec 175 millions d'euros de crédits de paiement au lieu de 200 millions d'euros.
Dernière nouveauté, ces 175 millions d'euros, qui étaient majoritairement fléchés vers l'investissement au bénéfice du patrimoine, intègrent 25 millions d'euros qui vont alimenter un fonds exceptionnel en 2025, afin de nous aider à agir au profit des situations les plus critiques pour la création artistique dans les territoires. C'est une grande innovation, que j'ai vivement souhaitée.
Telles sont les dernières évolutions envisagées par le Gouvernement depuis la déclaration de politique générale du Premier ministre. Je voudrais vous dire ma conviction qu'elles répondent à la gravité de la situation. Elles contribuent au redressement de nos finances publiques, d'une manière qui me semble légitime et proportionnée. En même temps, elles préservent l'essentiel et nous dotent de moyens nouveaux et dédiés pour gérer les situations les plus complexes qui vont se présenter dans nos territoires cette année.
Ce projet de budget nous permettra donc de répondre aux principaux enjeux culturels qui sont devant nous.
Dans le secteur de la création artistique, tout d'abord, lors des annulations de crédits de février dernier, j'avais dit que pas un euro ne manquerait dans les régions. Au terme de cette année, j'ai tenu parole : pas un euro de l'État n'a manqué pour la création dans les territoires. Je souhaite remercier le directeur général de la création artistique, Christopher Miles, qui y a veillé.
Il n'en reste pas moins que la situation de la création artistique, singulièrement du spectacle vivant, est très difficile. Les structures ont été touchées par la crise inflationniste ; et alors que les salles sont très souvent pleines, signe d'un engouement du public, le modèle économique montre des signes de fragilité.
L'État en tout cas n'a ni failli ni fait défaut. Il a soutenu ces structures, avec des crédits consacrés au spectacle vivant, hors opérateurs nationaux, en hausse de 45 millions d'euros entre 2022 et 2024, soit une augmentation de 11 %, dont près de 9 millions d'euros en 2024 dans le cadre du plan Mieux produire, mieux diffuser.
Ce plan est pérennisé, avec ses 9 millions d'euros de financement, et c'est heureux, car son bilan est très positif : l'effet de levier fonctionne à plein en partenariat direct avec les collectivités locales. En 2024, pour 9 millions d'euros apportés par l'État, les élus locaux ont déployé 12,5 millions d'euros. Le plan a fait ses preuves, aussi, parce qu'il permet aux collectivités de codécider. Ce soutien du ministère sera poursuivi en 2025.
Il n'en reste pas moins que l'horizon s'assombrit pour le spectacle vivant. Je veux dire les choses telles qu'elles sont, et j'ai d'ailleurs eu des discussions très franches et très constructives avec tous les représentants de ce secteur. La situation nécessite, selon moi, que l'État continue de s'engager, ce qui sera le cas. Je pense qu'un désengagement nous coûterait beaucoup plus cher, en termes de pacte républicain, que le maintien de cet engagement.
Cette situation, qui menace les conditions d'exercice de la compétence culturelle partagée et négociée, appelle aussi une refondation du pacte culturel dans nos territoires.
J'ai lancé un travail très concret, qui doit aboutir d'ici à la fin du mois de février, pour objectiver la situation du spectacle vivant. J'espère que nous pourrons ainsi constater le réengagement d'un certain nombre de collectivités après les annonces difficiles de janvier dernier, au regard de la moindre baisse des dotations de l'État. Je veux en tout cas être claire devant vous qui représentez nos territoires : le premier critère pour mon action sera un engagement croisé État-collectivités.
L'État ne se substituera pas à des désengagements volontaires, mais il répondra présent aux côtés des collectivités qui maintiendront leur engagement et leur soutien, y compris dans un contexte contraint.
Les Drac vont ouvrir, dans chaque région, des discussions avec les collectivités intéressées, afin de déployer des contrats de territoire pour la création artistique, voire, lorsque c'est possible, des contrats territoriaux culturels de plus grande ambition englobant les enjeux de patrimoine et d'éducation artistique et culturelle ; j'ai signé le premier d'entre eux en septembre dernier dans le département de Charente-Maritime.
Ces contrats nous donneront la possibilité de fixer ensemble les priorités et d'avoir une visibilité sur des engagements financiers pluriannuels, permettant de faire des choix structurants.
Mes échanges récents avec François Sauvadet, président de l'Assemblée des départements de France (ADF), vont dans ce sens. Les départements sont, je le rappelle, les collectivités qui investissent le plus dans la culture, en termes de montants consacrés et d'ampleur des engagements. Une convention sera d'ailleurs bientôt signée entre le ministère de la culture et l'ADF pour soutenir l'investissement dans la culture.
Je souhaite mener ce travail, plus largement, avec les collectivités d'ici à la fin du mois de mars prochain. Je tiendrai un Conseil des territoires pour la culture (CTC) en avril prochain pour examiner les conclusions de ces concertations.
J'en viens à la démocratisation culturelle, qui est aujourd'hui la ligne de front du ministère et de nos politiques culturelles. À qui nous adressons-nous ? Avec quel objectif d'émancipation personnelle, de cohésion nationale et de liberté d'expression ?
La culture doit être chez elle partout, à la ville comme dans les campagnes, dans les lieux labellisés comme dans les écoles, les hôpitaux et les prisons. J'ai ainsi porté un plan, dont les mesures doivent être mises en œuvre, de lutte contre toutes les atteintes à la liberté de création.
Vous l'avez noté, le budget consacré à la démocratisation culturelle est marqué par une baisse, qui contribue ainsi à notre besoin global d'économies. Je tiens à m'y arrêter, car elle porte sur le pass Culture.
Concernant le pass Culture, il y a ceux qui sont absolument pour…
M. Max Brisson. Ce n'est pas notre cas !
M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur spécial. Ils ne sont pas nombreux !
Mme Rachida Dati, ministre. … et qui ne veulent rien changer. Ils ne voient pas que ce dispositif peine à réaliser son ambition première : être un outil d'émancipation culturelle et d'accès à la culture pour ceux qui en sont les plus éloignés.
M. Max Brisson. Sauf en Vendée !
Mme Rachida Dati, ministre. J'ai aussi entendu ceux qui sont absolument contre…
M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur spécial. Ils sont plus nombreux !
Mme Rachida Dati, ministre. … et qui pensent qu'il n'y a rien de bon dans ce dispositif. Ils passent à côté d'un élément important : le pass Culture a tout de même enregistré quelques réussites, notamment en matière d'accès à la lecture.
Les enjeux sont trop importants, et il fallait porter un regard juste. Je l'ai dit, notamment lorsque j'ai été auditionnée au Sénat et à l'Assemblée nationale. J'ai émis de fortes réserves sur l'efficacité du pass Culture dans sa part individuelle.
Avec Noël Corbin, délégué général à la transmission, aux territoires et à la démocratie culturelle au sein du ministère, j'ai d'ailleurs remis l'ouvrage sur le métier avec beaucoup d'engagement et d'investissement. Oui, une réforme est nécessaire, parce que le dispositif peut et doit être amélioré ; je l'avais dit avant même la publication du rapport de la Cour des comptes.
À l'issue des deux missions que j'ai lancées à la fin de l'année dernière, je crois qu'il y a deux leviers fondamentaux pour y parvenir.
D'une part, il faut produire de l'envie. C'est pourquoi le ministère accompagnera les secteurs du théâtre, de l'opéra et de la danse, afin d'améliorer leur visibilité. Il est également nécessaire de prévoir une éditorialisation de leurs offres.
D'autre part, il faut cultiver la pratique d'aller dans un lieu culturel. Je ne souhaite pas que cet outil devienne, comme cela a été évoqué par certains d'entre vous, un moyen de paiement ou un chèque – un de plus, d'ailleurs –, qui ne servirait qu'un objectif consumériste.
Il faut le dire, la part collective du pass Culture est un véritable succès. Les résultats sont très bons pour le spectacle vivant, car les professeurs sont à la manœuvre. Si l'on interroge non seulement les enseignants, mais aussi les enfants, on constate que cela constitue souvent le premier point d'entrée dans la culture. Il faut donc évidemment préserver ce dispositif.
La part individuelle est plus à la peine, alors que la pratique du spectacle vivant chez les jeunes est réelle. L'une des clés est la médiation. C'est pour cela d'ailleurs que j'avais souhaité réunir au ministère de la culture l'ensemble des acteurs de l'éducation populaire et de la médiation, alors qu'ils ne l'avaient plus été depuis près de quarante ans. Avec eux, nous avons refondé une charte, et j'ai donné des moyens pour favoriser la médiation.
Je souhaite qu'une part du pass Culture soit fléchée sur les actions de médiation. Celles que j'ai commencé à mettre en œuvre portent d'ailleurs déjà leurs fruits, puisque, au cours du dernier trimestre 2024, l'utilisation du pass par un nouveau public en faveur du spectacle vivant a progressé de 30 %.
Un autre sujet clé pour moi concerne le plan Culture et ruralité, qui trouvera dans ce budget sa pleine application. Ce qui fait le bonheur de notre pays, comme je le disais tout à l'heure, c'est qu'il n'y a aucun désert culturel en France. Partout, il y a des ferments de culture. Le problème est plutôt inverse : la ruralité a été trop longtemps un impensé de nos politiques culturelles. Il fallait y remédier.
Les enjeux sont immenses, car 22 millions de nos compatriotes vivent dans ces territoires. Comment diffuser l'art, notamment le spectacle vivant, dans des zones qui manquent d'équipements ? Comment mettre à la disposition des élus une capacité de maîtrise d'ouvrage qu'ils n'ont pas ?
À cette fin, et cela figure dans le plan Culture et ruralité, j'ai renforcé les Udap, les unités départementales de l'architecture et du patrimoine. Comment faire en sorte que nos établissements publics nationaux aient une véritable force de frappe ? Comment travailler sur les horaires d'ouverture, notamment ceux des petites médiathèques ? Avec ce plan, qui fait suite à une large consultation, à laquelle vous avez d'ailleurs fortement contribué, mesdames, messieurs les sénateurs, nous allons répondre à ces demandes.
J'en viens enfin au patrimoine, qui est, vous le savez, au cœur de mon action. C'est la beauté de notre cadre de vie, c'est la fierté de notre histoire et c'est surtout ce qui peut nous réunir. C'est aussi l'avenir de la création, car je crois à ce continuum.
Les tapisseries de Lebrun ont été de l'art contemporain. La création des Manufactures nationales, réunion du Mobilier national et de Sèvres que nous venons de célébrer, marque justement ce point de jonction entre création et patrimoine. Il faut le souligner, c'est une première, et elle est unique. Il s'agit d'une démarche exemplaire de rapprochement qui a du sens. J'y insiste, ce nouveau pôle public est unique au monde.
Le patrimoine est donc une priorité très claire de ce budget, qui est permise par un amendement exceptionnel. Je remercie Jean-François Hebert, car notre engagement en faveur du patrimoine durant l'année écoulée a été extrêmement fort. Nous comptons sur vous, mesdames, messieurs les sénateurs, pour continuer cet engagement.
Dans le contexte de nos finances publiques, cet effort est réellement exceptionnel, mais il est justifié, comme vous l'avez tous rappelé sur l'ensemble des travées de cet hémicycle. En raison de la situation dégradée de notre patrimoine, je le dis, il y a aujourd'hui une urgence patrimoniale dans notre pays.
Le mur d'investissements que nous évoquons est très concret. C'est la tour Saint-Nicolas qui menace de s'effondrer à La Rochelle, où je me suis rendue et pour laquelle j'ai prévu des moyens.
M. le président. Il faut conclure, madame la ministre.
Mme Rachida Dati, ministre. C'est l'urgence d'avancer sur la reconversion de l'ancienne abbaye-prison de Clairvaux. Ce sont les besoins, aggravés par l'inflation, de nos grands opérateurs. Ne pas prêter attention à ces projets, c'est porter atteinte au rayonnement de la France, auquel ces établissements contribuent grandement.
Ce sont en réalité des dizaines de chantiers partout dans nos territoires qui attendent d'être menés. C'est dans ce contexte que je suis fière de porter un amendement du Gouvernement pour le patrimoine. Ce montant total de près de 275 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 175 millions d'euros en crédits de paiement sera très majoritairement consacré à ces projets d'investissement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, voilà quelles sont les priorités de la mission "Culture" pour 2025, qui sera soumise à votre vote.
Je ne puis conclure – si vous me le permettez, monsieur le président – sans saluer l'engagement quotidien, passionné, de tous les agents de ce ministère, aussi bien dans l'administration centrale que dans les territoires, notamment au sein des Drac.
Je souhaite de nouveau leur rendre hommage et leur dire qu'ils bénéficieront d'un soutien très concret dans les mois à venir. La mobilisation de ces crédits budgétaires permettra aussi, dans ces temps difficiles, de leur témoigner notre détermination à consolider avec eux, à vos côtés, mesdames, messieurs les sénateurs, le rôle de notre modèle culturel, au cœur de notre société et de notre République. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Laurent Lafon et Mme Laure Darcos applaudissent également.)
source https://www.senat.fr, le 30 janvier 2025