Déclarations de Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics et de M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l'accès aux soins, sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, au Sénat le 23 janvier 2025.

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Circonstance : Adoption des conclusions d'une commission mixte paritaire sur un projet de loi

Texte intégral

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 (texte de la commission n° 169, rapport n° 168).

(…)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Madame la présidente, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les sénateurs, sans vouloir poursuivre trop longtemps le propos précédent de Mme la rapporteure générale, j'ajouterai que nous nous trouvons face à un exercice que nous pourrions qualifier de singulier, voire de baroque.

En effet, nous sommes réunis dans cet hémicycle par obligation constitutionnelle. Il nous est demandé de procéder à la lecture du texte issu des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025. La rédaction soumise au vote du Sénat aujourd'hui, fruit d'un compromis entre les députés et les élus de cette chambre, a pourtant été rejetée à l'Assemblée nationale en décembre dernier du fait de l'adoption d'une motion de censure contre le gouvernement d'alors.

Le parcours et le débat parlementaires se poursuivront donc dans les prochaines semaines. Je souhaite comme vous tous et vous toutes ici que nous parvenions, le plus vite possible, à une adoption du budget de notre sécurité sociale, comme nous venons de le faire pour celui de l'État.

Nous le devons non pas seulement à ceux qui aiment la matière budgétaire, mais surtout et avant tout aux acteurs de notre système de protection sociale, aux professionnels de la santé, aux infirmières libérales, aux sages-femmes, aux médecins et aux professionnels de l'accompagnement des enfants en situation de handicap, de nos plus âgés et de nos plus fragiles. Les intéressés ont besoin de visibilité et de prévisibilité. Nous agissons tous en responsabilité dans cet hémicycle pour les leur fournir.

La sécurité sociale représente un budget de 650 milliards d'euros. Le montant est considérable, bien plus élevé que celui de l'État, et en hausse constante. De fait, les dépenses sont dynamiques parce que notre population vieillit.

Le texte qui vous avait été présenté à l'automne dernier tendait à établir une trajectoire de redressement financier. Je pense que nous partageons un tel objectif. Le PLFSS déposé par le Gouvernement aurait permis de réduire, ou plutôt d'établir le déficit à 16 milliards d'euros pour 2025. Passé la première lecture, un compromis s'est dégagé pour que le montant s'élève plutôt à 18,3 milliards d'euros.

Un certain nombre de mesures d'économie ou de dispositifs entraînant des recettes, par exemple les cotisations sur les actions gratuites ou la fiscalité comportementale, ne sont pas mises en œuvre à ce jour et attendent l'adoption d'un budget pour l'être, si tant est qu'elles soient retenues.

Nous sommes donc dans une situation où, chaque jour qui passe, le déficit se dégrade, ce qui nous contraint à consentir à un effort plus important encore. Les chiffres et le constat que je partage avec vous sont préoccupants. Il est utile que l'ensemble de la communauté nationale prenne pleinement conscience des risques que fait peser l'endettement sur nos comptes et sur notre système de protection sociale et de santé.

Les besoins sont croissants et le secteur est en difficulté, tandis que les hôpitaux se trouvent très souvent dans le rouge. Par conséquent, le Gouvernement a décidé de rehausser l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) pour donner de l'air au système, notamment hospitalier, et pour prendre acte des dépenses effectives réalisées en ces mois de janvier et février 2025.

Tel que nous le prévoyons désormais, l'Ondam devrait progresser de 3,3%, c'est-à-dire de 0,9 point ou de 2,3 milliards d'euros, par rapport au texte issu de la CMP et de 0,7 point par rapport à la rédaction issue des travaux du Sénat, sachant que les prévisions d'inflation ont, dans le même temps, été revues à la baisse. Il convient de souligner ce geste collectif.

En suivant une telle tendance, le déficit de la sécurité sociale devrait dorénavant s'approcher de 25 milliards d'euros, un chiffre jamais atteint hors période de crise majeure.

Aussi, après l'adoption du budget, je souhaite que nous travaillions collectivement, dès les prochaines semaines, à la définition d'une trajectoire de redressement de nos finances sociales. Il s'agit d'un prérequis afin d'assurer la soutenabilité de notre modèle de protection pour les générations futures, l'année même où nous célébrons les 80 ans de la sécurité sociale.

Comme l'a indiqué le Premier ministre dans son discours de politique générale, il nous faut passer d'une vision annuelle à " pluriannuelle ", de " moyen […] terme ". Aux côtés de mon ministère, mes collègues Catherine Vautrin et Yannick Neuder auront pour objectif de trouver les voies et moyens de garantir à nos concitoyens un système de santé revenant à l'équilibre et qui soit durablement financé. Nous avons déjà réussi à atteindre cet objectif entre 2010 et 2020 ; nous devons y parvenir de nouveau, non par idéologie ou par désir totémique, mais parce que la sécurité sociale, sans cet effort, se trouverait fragilisée dans son ensemble.

Il nous faudra collectivement ouvrir ce chantier après la reprise des débats, qui aura lieu dans les prochains jours. Je sais pouvoir compter sur vous. Je tiens à remercier le président Philippe Mouiller, la rapporteure générale Élisabeth Doineau, les rapporteurs de branche et les rapporteurs pour avis ainsi que l'ensemble des sénateurs pour les travaux à venir et pour les accords et compromis que nous trouverons. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe RDSE. – Mme la rapporteure générale applaudit également.)

(…)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l'accès aux soins. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure générale, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de bien vouloir excuser mon retard : je viens juste de quitter l'Assemblée nationale, où je répondais aux questions des députés sur la proposition de loi relative à l'instauration d'un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé du sénateur Bernard Jomier, qui a été votée conforme à vos travaux.

C'est un sujet qu'il nous faudra retravailler ensemble pour permettre la juste application de ce texte, qui va dans le bon sens. Nous nous sommes en effet éloignés de la quête de sens que nos soignants nous réclament. Je le constatais encore en décembre dernier dans mon service : 20% des infirmières nous quittent au bout de dix ans. C'est bien la preuve qu'il existe un souci d'attractivité et de quête de sens.

Cette proposition de loi a donc été adoptée conforme par l'Assemblée nationale. Il nous faudra maintenant ensemble, pas à pas, avec la Haute Autorité de santé (HAS), définir les personnels ciblés, déterminer les volumes financiers, mais surtout former suffisamment de professionnels de santé.

Je citerai quelques chiffres, qui vous rassureront ou vous inquiéteront peut-être : sans l'application des ratios, il conviendra de former 80 000 infirmiers d'ici à 2050. Il s'agit d'un enjeu majeur en termes de formation. Cela fait partie des sujets que je souhaite aborder très rapidement devant le Parlement.

Pour en revenir à ce projet de loi de financement de la sécurité sociale, j'ai bien conscience de participer à un exercice formel de lecture d'un texte sur lequel j'ai été rapporteur général pour l'Assemblée nationale. Madame Apourceau-Poly, j'ai souri quand vous avez comparé l'examen de ce texte à une série télévisée : j'aimerais que nous puissions ouvrir ensemble la saison 4 afin de redonner des perspectives.

Madame Souyris, les questions relatives aux exonérations et aux tickets modérateurs sur les médicaments ou les consultations sont du domaine réglementaire. Tout cela ne fait donc pas partie des conclusions de la commission mixte paritaire.

La neutralisation du ticket modérateur sur les consultations et les médicaments a été l'une des voies de passage vers l'acceptabilité. Pour autant, cela n'a pas neutralisé la majoration des tarifs des mutuelles, ce qui ouvre un nouveau champ de discussions avec elles. Ce sera peut-être l'objet de la saison 4 évoquée par votre collègue.

Le président de la commission des affaires sociales du Sénat et Mme la rapporteure générale sont intéressés par ce travail avec les mutuelles, notamment en ce qui concerne le champ de la prévention.

Monsieur Chasseing, j'entends vos remarques sur la fraude à l'assurance maladie, qui font finalement écho à la question que m'a posée Mme la sénatrice Puissat, mercredi dernier, lors des questions d'actualité au Gouvernement.

Je pense que nous avons une marge de progression, puisque le Haut Conseil du financement de la protection sociale a estimé cette fraude potentielle autour de 13 milliards d'euros. À nous maintenant de trouver les outils respectueux d'une justice sociale – je sais qu'il y a, dans cet hémicycle, des spécialistes qui y veilleront.

Je veux, en introduction des nouvelles discussions à venir sur le PLFSS, mentionner les sujets qui seront les nôtres et que vous connaissez. Je souhaite les aborder sans naïveté, mais de façon optimiste et volontaire, pour inspirer la confiance à nos professionnels de santé et faire en sorte que les Français nous voient comme des parlementaires et un gouvernement qui les protègent et qui cherchent à répondre à leurs attentes sur ces questions de santé.

La protection sociale nous rassemble tous sur ces travées.

Elle est issue du modèle du Conseil national de la Résistance, dont on sait l'importance qu'il a eue sur l'éducation, sur la sécurité, sur la protection sociale, au-delà des différences politiques des uns et des autres. De même, dans la circonscription que j'ai remportée face au Rassemblement national, nous avons partagé avec l'ensemble des élus républicains du territoire cette volonté d'avancer dans le sens de la protection.

Les sommes en jeu sont importantes : comme vous le savez, il s'agit d'un budget supérieur à celui de l'État. Il y a des prestations de solidarité à verser, des prises en charge à assurer, des malades à soigner, des soignants à rémunérer et des hôpitaux à rénover. Tel est sens de notre engagement.

Si nos soignants sont heureux, les patients, qui ont bénéficié de la qualité de leurs soins, pourront l'être aussi. Mais vous l'avez compris, vouloir être optimiste et rassurant ne veut pas dire se passer de cadrage budgétaire.

Dans la situation actuelle post-CMP conclusive, l'Ondam évolue mécaniquement de 2,95 %, taux que nous savons tous être insuffisant pour porter les dépenses publiques permettant réellement d'améliorer le travail des soignants, de garantir l'accès aux soins dans les territoires et de protéger les plus fragiles.

Ce n'est pas non plus suffisant pour former plus et bien les soignants dont nous avons besoin.

Il faut des moyens, relever les défis d'aujourd'hui et se doter d'une vision pluriannuelle. Cette dernière, qui a été évoquée dans le discours de politique générale du Premier ministre, sera introduite dans ce texte.

Si nous n'en sommes pas à écrire une loi de programmation santé, comme on peut avoir une loi de programmation militaire, je pense que nous pouvons donner, notamment à nos agences régionales de santé et à nos établissements, une lisibilité sur plusieurs exercices budgétaires qui permette d'avoir une vision plus large et de définir des priorités.

Il faudra naturellement protéger les piliers de notre système de santé, protéger les Français.

Le premier axe de notre forte volonté politique sera de majorer l'objectif national de dépenses d'assurance maladie, qui sera porté à 3,3%, soit 9 milliards d'euros supplémentaires.

Je tiens à préciser, sans vouloir être trop technique – je sais que vous connaissez cela par cœur –, que, dans le sous-Ondam hospitalier, qui est celui des établissements, le taux n'atteint pas les 6% que demande, notamment, la Fédération hospitalière de France. Cela dit, il faut aussi être raisonnable.

En tant que député et rapporteur général – et il n'y a aucune raison pour que j'aie changé d'avis depuis que je suis ministre –, je considérais qu'il était important de neutraliser le volume financier du rattrapage sur les caisses de la CNRACL locales, les hôpitaux devant, en tant qu'employeurs, assumer leurs obligations en matière de cotisations de retraite, sans prendre le risque que cela entre en concurrence avec le soin et se fasse à son détriment. Telle était ma ligne.

C'est cet arbitrage qui est rendu aujourd'hui, puisque l'Ondam des établissements sera porté à 3,8%, ce qui permet cette neutralisation. Ce milliard d'euros est une bouffée d'oxygène.

Nous devons tout de même être extrêmement prudents sur l'ensemble des chiffres, puisque le déficit de nos hôpitaux a plutôt tendance à s'accroître. Le chiffre avancé est de 3,5 milliards d'euros, ce qui est assez inquiétant, puisque l'on sait très bien que, pour obtenir la confiance des établissements bancaires financeurs et être en mesure d'emprunter, il faut un taux de marge suffisant. C'est un sujet sensible.

Par conséquent, nous sommes optimistes, mais nous restons prudents. Ce milliard d'euros ne permettra pas de faire face à l'ensemble des déficits annoncés si nous ne conduisons pas de réformes structurelles, qu'il nous faut naturellement prendre le temps de mener.

Si la situation n'était extrêmement grave, je dirais presque, avec un peu d'humour, que ce n'est pas le ministre de la santé d'un gouvernement qui durera quatre mois qui pourra porter ces réformes ! (Sourires.) Au-delà des avis des uns et des autres, il faut s'inscrire dans le temps pour pouvoir réformer correctement.

Je veux évoquer un certain nombre de points.

Je vous l'ai dit, les tickets modérateurs ne seront pas repris.

Il convient d'être réaliste face à la situation budgétaire et à l'impérieuse nécessité de redresser les comptes publics sur les parties retraite et soins, et prendre des mesures de régulation pertinentes, dont un certain nombre ont d'ores et déjà été adoptées.

Il faudra aussi s'assurer que les démarches de simplification et celles qui visent à remédier à la perte de sens ne se traduisent pas par une surcharge administrative pour nos soignants.

J'ai déjà évoqué les quotas de soignants et la lutte contre la fraude.

Le dernier point concernera l'aspect territorial. Je pense qu'il faut que nous veillions tous à territorialiser les actions de ce PLFSS, notamment dans la partie relative au soin, dont je suis tout particulièrement chargé.

On ne règle pas les problèmes de déserts médicaux de la même façon en métropole, en ruralité et en montagne. Je crois qu'il faut faire confiance à nos élus locaux. Pour avoir été maire pendant plus de vingt ans et président d'une intercommunalité, je crois que les élus locaux doivent aussi pouvoir peser sur les décisions relatives à la santé. Ces décisions sont d'ordre régalien, mais beaucoup de questions relèvent de l'aménagement des territoires et du bon sens des élus : il appartient à ces derniers de créer les conditions pour qu'il fasse bon vivre sur un territoire.

Je ne veux pas être trop long. Je vous remercie de m'avoir permis de m'exprimer à ce moment du débat. Nous allons rouvrir la période budgétaire. J'essaierai d'être présent autant que possible dans cet hémicycle, pour la sécurité sanitaire des Français.

Je ne saurais finir cet exposé sans avoir une pensée pour nos amis mahorais, auprès desquels je me suis rendu entre Noël et le jour de l'an. Je n'oublie pas non plus La Réunion, qui connaît une situation extrêmement difficile en raison du chikungunya, ni le premier cas sporadique de Mpox – espérons que ce soit le seul.

Je veux enfin adresser un message à nos soignants : c'est grâce à leur volontarisme que le système hospitalier tient, pour l'instant, face à une grippe particulièrement difficile.

Au moment où je suis arrivé dans l'hémicycle, une oratrice s'interrogeait sur la question de la vaccination. Je pense que ce sera aussi un sujet important.

Si l'on veut avoir un système de santé qui soigne et qui tienne face à tous ces défis, il faudra très probablement envisager un choc démographique de formation de médecins et de personnels paramédicaux. Il faut former plus ; il faut former mieux.

Le rapport au travail a complètement changé. Je constate que mes internes n'envisagent pas du tout le métier de la même façon que nous le faisions voilà quelques années. Le monde a changé : le législateur et les ministres doivent s'adapter.

Je suis très heureux de pouvoir travailler avec le Sénat, en particulier avec la commission des affaires sociales. Je pense que le meilleur des traitements est celui que l'on ne dispense pas. J'espère donc que nous pourrons aussi défendre ensemble les politiques de prévention.

J'en finis par l'aspect médical. Il faudra s'atteler à la prise en charge de la santé mentale, qui a été érigée en grande cause nationale, à l'amélioration de la prise en charge des facteurs de risque cardiovasculaires – vous aurez l'occasion de constater que, en tant que cardiologue, je reviens régulièrement sur le sujet… – et à celle des cancers, et surtout de leur dépistage. Ces pathologies représentent deux tiers de nos affections de longue durée (ALD) et de nos dépenses de santé.

Je sais qu'il y a aussi des praticiens dans cet hémicycle. Nous devrons nous interroger pour savoir ce que l'on peut faire pour mieux prévenir, tout en maintenant l'excellence universitaire de recherche de nos facultés et en favorisant l'innovation, qui, je pense, sera une source d'efficience économique et de meilleure prise en charge des malades.

Je vous donne rendez-vous pour la saison 4 ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE, et UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)


source https://www.senat.fr, le 4 février 2025