Interview de Mme Sophie Primas, ministre déléguée, porte-parole du Gouvernement, à France 2 le 3 février 2025, sur l'application de l'article 49-3 de la Constitution, par le Premier ministre, à la loi de finances pour 2025 et probablement à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025.

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Média : France 2

Texte intégral

JULIEN ARNAUD
Bonjour à vous.

SOPHIE PRIMAS
Bonjour Julien

JULIEN ARNAUD
Et merci d'être avec nous en cette matinée un petit peu particulière, parce que c'est vrai que c'est un moment important qu'on va vivre, tout à l'heure, à l'Assemblée. François BAYROU va annoncer solennellement qu'il utilise l'article 49.3 pour faire passer le budget en urgence. Expliquez-nous quel sera ensuite le timing, s'il n'y a pas de censure évidemment, à partir de quand la France aura pour de bon un budget ?

SOPHIE PRIMAS
Écoutez, si cet après-midi, l'ensemble des formations politiques entendent les arguments de François BAYROU, ne votent pas la censure dans leur majorité, nous pensons que nous pourrons avoir un budget entre mi-février et fin février, un budget promulgué.

JULIEN ARNAUD
Oui, parce qu'il y a urgence, c'est ce qu'a expliqué le Premier ministre et l'ensemble du Gouvernement tout le week-end ?

SOPHIE PRIMAS
Oui, il y a bien sûr urgence, mais, moi, je fais comme les parlementaires, je fais comme tous les hommes politiques. Le week-end, je rentre chez moi, je parcours les marchés et les cérémonies, et partout, les Français, en fait, viennent vous voir, vraiment, dans une démarche très proactive, pour vous dire : "Ça suffit, il faut qu'on ait un budget". Je crois qu'ils ont compris l'urgence, cette urgence dans un monde politique, qui est une situation politique non identifiée, qui est nouvelle.

JULIEN ARNAUD
49.3 pour le budget. 49.3 également pour le budget de la Sécurité sociale ou pas ?

SOPHIE PRIMAS
Probablement, qu'on sera dans une même avancée pour la Sécurité sociale…

JULIEN ARNAUD
Dès aujourd'hui ?

SOPHIE PRIMAS
Normalement, c'est un peu trop tôt pour le dire, puisque en réalité, nous sommes encore dans cette phase qui est la phase de dialogue. Donc, c'est un petit peu trop tôt pour le dire, mais les mêmes mécanismes atteignent effectivement les mêmes décisions.

JULIEN ARNAUD
Donc, 49.3 probable également pour le projet de financement de la Sécurité sociale. Le coût de la censure, vous l'évaluez au Gouvernement, à cent millions d'euros par jour, soit douze milliards au total. En mettant en avant ce chiffre, c'est une façon de dire à chacun, aux RN et aux socialistes surtout, de prendre leur responsabilité, de dire : "Si vous censurez, ça va coûter cher à la France" ?

SOPHIE PRIMAS
Ça coûte cher déjà à la France. Le fait d'avoir censuré Michel BARNIER, déjà, coûte beaucoup d'argent et surtout, un manque de croissance, un manque de relance, un manque d'investissement. C'est cela que les Français, aujourd'hui, perçoivent parfaitement. Donc, effectivement, c'est à peu près estimé à douze milliards d'euros, c'est considérable. Mais surtout, ça bloque. Ça bloque les investissements, ça bloque les embauches, ça bloque les communes, ça bloque tous les investisseurs, l'emploi. Il faut redémarrer.

JULIEN ARNAUD
Alors, il faut redémarrer, sauf si évidemment il y a une nouvelle censure. Du côté du Rassemblement National, Jean-Philippe TANGUY, qui est un peu le monsieur économie du RN, dit qu'à titre personnel, lui, il voterait la censure. Ce qui a mis une épée de Damoclès sur vos épaules. Est-ce que vous essayez de convaincre le RN ou bien pour vous, le RN n'est plus dans l'équation ?

SOPHIE PRIMAS
Écoutez, la méthode de François BAYROU, c'est de l'écoute, l'écoute de toutes les formations politiques. C'est le dialogue avec celles qui veulent engager des dialogues et qui ne sont pas forcément dans la majorité et puis ensuite, c'est la responsabilité. Donc, aujourd'hui, on est à l'heure de la responsabilité, la responsabilité du Gouvernement qui engage sa responsabilité justement par le 49.3, c'est la responsabilité des formations politiques d'écouter les Français. Et vraiment, j'insiste, les Français nous demandent d'avancer.

JULIEN ARNAUD
Alors on sait bien que vous vous êtes davantage appuyé cette fois sur le Parti Socialiste. Vous négociez encore avec eux ou bien la version adoptée en commission paritaire, elle est ferme et définitive ?

SOPHIE PRIMAS
La version qui a été adoptée en commission paritaire est déjà une première étape. Ça fait douze ans, je crois, qu'il n'y a pas eu de Commission mixte paritaire positive qui s'est soldée de façon positive. C'est donc une première étape extrêmement importante. La version qui est proposée est celle sur laquelle le Gouvernement engagera sa responsabilité cet après-midi.

JULIEN ARNAUD
Donc, ça ne bougera plus ?

SOPHIE PRIMAS
On a beaucoup dialogué. Chaque formation politique a apporté ses idées, a apporté sa volonté. Je n'aime pas trop le nom de ligne rouge. Bon, chacun a été entendu. La version qui sort du Sénat et de la commission mixte... Mais chacun veut plus. Mais si vous voulez, je le redis, on est dans un objet politique non-identifié pour les Français, pour les responsables politiques. Le fait de ne pas avoir de majorité à l'Assemblée nationale, c'est une situation tout à fait nouvelle. Il faut qu'on l'appréhende et qu'on prenne en compte les avancées qui ont été faites.

JULIEN ARNAUD
Alors, on voit que les socialistes réservent leurs réponses. Ils sont peut-être suspendus à une annonce de votre part peut-être sur le SMIC. Ils demandent une hausse du SMIC. Est-ce que vous pouvez leur accorder cette hausse du SMIC ou pas ?

SOPHIE PRIMAS
Alors, cette hausse du SMIC n'est pas là dans ce budget-là. Il faut qu'elle fasse l'objet d'une discussion sociale. Et c'est ce que le Premier ministre va engager avec la ministre de l'Emploi. Nous allons faire une conférence sociale dans laquelle, une fois de plus, le dialogue sera à l'ordre du jour. Et la question du SMIC est une question qui sera posée, mais qui n'est pas là, dans le budget.

JULIEN ARNAUD
Et au Gouvernement, vous souhaitez cette hausse ou pas ?

SOPHIE PRIMAS
La question, en fait, pour les Français, c'est la question du pouvoir d'achat. Et en fait, ce que nous souhaitons, c'est que nous réfléchissions sur le bas de page de sa feuille de salaire. Nous réfléchissions au SMIC avec les difficultés que nous avons, aujourd'hui, à sortir de cette trappe à bas salaire. Un trop grand nombre de Français qui restent bloqués au niveau du SMIC.

JULIEN ARNAUD
Et alors, donc, qu'on comprenne bien, c'est non ou c'est peut-être oui ?

SOPHIE PRIMAS
La question, c'est la question du pouvoir d'achat et la question des bas de page.

JULIEN ARNAUD
Alors ça, on a bien compris. Mais les socialistes, ils vont vous demander un truc très précis aujourd'hui : "Avancez sur le SMIC et on ne censurera pas". C'est comme ça que ça va se passer.

SOPHIE PRIMAS
Le SMIC a déjà réévalué, je le rappelle, au mois de novembre. Donc, la question, aujourd'hui, pour nous, n'est pas celle d'augmenter le SMIC, maintenant, mais de rentrer dans une conférence sociale dans laquelle on travaille tous ces points-là. L'augmentation du SMIC rapidement ou pas. Enfin, c'est vraiment la conférence sociale qui le déterminera et comment on améliore la différence entre le brut et le net.

JULIEN ARNAUD
Mais pas de geste immédiat visiblement. Ils sont dans quel état d'esprit, les socialistes, pour les retours que vous avez eus ce week-end ? Sur la censure, évidemment.

SOPHIE PRIMAS
Ils sont dans une position, je ne vais pas parler à leur place, donc c'était un peu délicat pour moi.

JULIEN ARNAUD
Vous suivez ça de près, évidemment.

SOPHIE PRIMAS
Je suis ça de près, ne serait-ce que dans ma propre circonscription, là où j'habite. Et ils sont vraiment très à l'écoute du terrain, je pense et le terrain leur envoie des messages qui sont des messages apaisants.

JULIEN ARNAUD
Alors, ils sont aussi à l'écoute de certains propos urticants comme la submersion migratoire évoquée la semaine dernière par François BAYROU. Cet épisode, il est passé ou pas ?

SOPHIE PRIMAS
Cet épisode, il est passé. Je crois qu'on ne peut pas jouer l'avenir de la France et l'avenir des Français sur un mot. Un mot qui, quel qu'il soit, dépeint une réalité sur laquelle, là aussi, il faut un peu de sérénité et il faut en parler tranquillement.

JULIEN ARNAUD
Alors, il y a un autre mot qui est heurté ce week-end, c'est le mot de "rat". Vous avez sans doute entendu ça dans la bouche de Sophie BINET, la secrétaire générale de la CGT, à propos du coup de colère de certains grands patrons contre la surtaxe de l'impôt sur les sociétés. Bernard ARNAULT, notamment, qui s'est exprimé. Sophie BINET, elle dit : "Les rats quittent le navire". Est-ce que cette expression, elle vous a choqué ou pas ? Elle a fait pas mal causer ce week-end.

SOPHIE PRIMAS
Écoutez, moi, je ne vais pas commenter les expressions des uns et des autres. Ce qui est certain, c'est que les grands patrons se sont exprimés par la voix de Bernard ARNAULT, par la voix du MEDEF, pour dire que la taxation, effectivement, de leurs grandes entreprises était une mauvaise chose. Ce que nous partageons, mais compte tenu de…

JULIEN ARNAUD
Mais que vous faites quand même.

SOPHIE PRIMAS
Mais qu'on fait quand même, cette année, de façon unique, puisque nous nous sommes engagés à ne pas refaire ce geste l'année prochaine.

JULIEN ARNAUD
Alors, eux, qui n'y croient pas du tout.

SOPHIE PRIMAS
Écoutez, c'est un engagement que nous prenons et que le Premier ministre a pris. Donc chacun doit faire confiance à l'autre, mais je ne commenterai pas les propos qui sont ceux de Sophie BINET et que je lui laisse.

JULIEN ARNAUD
Alors si vous dites que ça ne durera qu'un an, ça veut dire que l'année prochaine, vous allez faire davantage d'économies, sans doute, c'est la promesse que vous faites pour essayer de trouver cet argent. Vous avez sans doute lu toutes les propositions de Laurent WAUQUIEZ, que vous connaissez bien, puisque vous venez de la droite, vous-même, vous êtes LR.

SOPHIE PRIMAS
Oui, bien sûr.

JULIEN ARNAUD
Alors, il propose notamment la suppression de nombreuses agences de l'État. Vous êtes pour ou pas ?

SOPHIE PRIMAS
Oui, bien sûr. Ce n'est pas la suppression pour la suppression, c'est l'efficience de l'argent public.

JULIEN ARNAUD
Oui, mais Éric LOMBARD, le ministre de l'Économie, dit : "Non, non, ces agences servent à quelque chose". On voit bien que vous n'êtes pas d'accord au sein du Gouvernement.

SOPHIE PRIMAS
Non, bien sûr qu'on est d'accord. On est d'accord. Ces agences, elles sont là pour établir des missions, pour répondre à des missions. Il faut simplement savoir si ces missions ne sont pas établies plusieurs fois par plusieurs agences différentes ou par des services de l'État et des agences. Ça peut arriver. J'ai quelques exemples en tête. Et donc, il faut être certain que l'efficience de l'argent public, soit au travers d'une agence, soit au travers d'un service de l'État, mais uniquement par l'un ou par l'autre, est bien faite.

JULIEN ARNAUD
Autre annonce de Laurent WAUQUIEZ. Hier, il va y avoir une niche, comme on dit, les Républicains, cette semaine. Et LR va notamment défendre la suppression du droit du sol à Mayotte. Que va dire le Gouvernement ? Est-ce qu'il va soutenir cette proposition LR ?

SOPHIE PRIMAS
Là, vous savez que le droit du sol est un sujet que le Premier ministre lui-même s'en est emparé. La proposition de loi n'est pas une réforme constitutionnelle qui annihile complètement le droit du sol sur Mayotte. Les aménagements, en fait, pour durcir l'accès à la nationalité française sur Mayotte sont le propos de cette proposition de loi qui sera, le Premier ministre l'a dit, soutenue par le Gouvernement.

JULIEN ARNAUD
Et les sénateurs proposent aussi, les sénateurs cette fois, 210 jours de rétention pour les immigrés en France et deux ans de résidence en situation régulière avant de toucher des prestations sociales. Est-ce que ça, vous le soutenez ou pas ?

SOPHIE PRIMAS
C'est un petit peu tôt pour dire la position du Gouvernement là-dessus. La première, qui est l'allongement de la durée de rétention administrative, c'est-à-dire qu'on l'appelle le CRA, on en entend parler de temps en temps…

JULIEN ARNAUD
Le Centre de Rétention.

SOPHIE PRIMAS
Est une proposition qui est fortement portée par le ministère de l'Intérieur et le ministre de l'Intérieur.

JULIEN ARNAUD
Et sur les prestations sociales ?

SOPHIE PRIMAS
Et sur les prestations sociales, c'est un sujet sur lequel il faut discuter, qui a eu, d'ailleurs, un avis favorable au Sénat pendant la loi Immigration, dont une disposition avait été censurée, car elle a été jugée par le Conseil constitutionnel comme un cavalier législatif, donc n'ayant pas rapport avec le texte d'origine.

JULIEN ARNAUD
Pas de position tranchée donc pour l'instant, mais on verra ce que va dire le Gouvernement. Merci beaucoup, Sophie PRIMAS.

SOPHIE PRIMAS
Merci beaucoup Julien.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 4 février 2025