Texte intégral
BENJAMIN FONTAINE
Bonjour Patrick MIGNOLA.
PATRICK MIGNOLA
Bonjour.
BENJAMIN FONTAINE
L'affaire des violences physiques et sexuelles à l'Institut catholique Notre Dame de Bétharram, dans les Pyrénées-Atlantiques, est en passe de devenir une affaire politique. D'après Mediapart, François BAYROU a été alerté plusieurs fois dès la fin des années 90. Il assure, aujourd'hui, qu'il ignorait tout. Pourquoi continuer à nier alors que plusieurs témoignages montrent qu'il savait ?
PATRICK MIGNOLA
D'abord, vous l'avez bien rappelé, c'est une affaire de violences et de violences sexuelles. Donc d'abord, on pense aux victimes. Si on peut passer une minute là-dessus, parce que les victimes ont besoin que la procédure judiciaire qui a commencé en février 2024 aille à son terme, que les coupables et responsables soient identifiés, que les condamnations. Une condamnation soit faite et qu'ils puissent se reconstruire. Donc, c'est d'abord, à eux qu'on pense. Et en effet, vous avez raison, qu'est ce qu'on veut en faire ? On veut en faire une affaire politique. Moi, j'étais dans l'hémicycle de l'Assemblée quand le député LFI a posé la question, a posé deux fois la même question au Premier ministre. Et j'ai entendu aussi la fin de sa question. Il a dit François BAYROU, "On vous croit pas François BAYROU, vous mentez, donc, vous devez démissionner. Le responsable de tout ça, c'est Emmanuel MACRON et François BAYROU". François BAYROU, est-ce qu'on peut imaginer, en dehors de ses fonctions de Premier ministre, comme un père de famille qu'il aurait pu scolariser ses enfants dans une école où il y avait des suspicions aussi graves que celles là ? La réponse est évidemment non.
ALIX BOUILHAGUET
C'est la défense de François BAYROU. Mais, si on regarde de manière extrêmement factuelle, en 1996, François BAYROU est alors ministre de l'Education nationale. Il aurait été informé, toujours d'après MEDIAPART, de violences physiques d'un surveillant sur un enfant de la classe d'un de ses fils. Une plainte a d'ailleurs, été déposée. Le surveillant condamné. Et il y a des archives du journal Sud Ouest qui rapportent que François BAYROU avait même été sur place pour apporter son soutien à Notre Dame de Bétharram. Cela semble implacable. Il avait connaissance de faits.
PATRICK MIGNOLA
À l'époque, c'étaient des faits sur une gifle, ce qui était très grave sur un élève. Et il y a eu une condamnation, mais on n'en était pas à parler, à l'époque, des 112 plaintes ont été déposées depuis. Et vous faites bien de reprendre la chronologie des faits, parce que je crois que dans les enchaînements de dates, tout le monde essaie d'apporter de la confusion. On l'a accusé d'avoir couvert une affaire de violences sexuelles, en l'occurrence, de pédophilie. C'est ça, les accusations portées contre le Premier ministre au moment où ses enfants étaient scolarisés, où son épouse donnait des cours de catéchisme au moment…
ALIX BOUILHAGUET
Ça, c'est la seconde affaire.
PATRICK MIGNOLA
Au moment où il était ministre de l'Education nationale. Il dit "Non, en fait, j'avais quitté le ministère de l'Education nationale et je n'étais pas au courant, à l'époque des faits". Et depuis, on lui dit "Il y a eu tellement de plaintes ont été déposées, vous ne pouviez pas l'ignorer".
ALIX BOUILHAGUET
Patrick MIGNOLA, ce que vous dites, c'est qu'il était au courant de certaines violences physiques, notamment celles de 96, mais qu'il n'était pas au courant des viols. Parce que MEDIAPART relate.
PATRICK MIGNOLA
Vous voyez bien, la procédure judiciaire a été ouverte en février 2024, donc effectivement, depuis février 2024, plus personne n'ignore. Oui, d'ailleurs, il a reçu un courrier judiciaire, un certain nombre d'articles, il y a eu un certain nombre d'éléments.
ALIX BOUILHAGUET
Une seconde affaire, Patrick MIGNOLA.
PATRICK MIGNOLA
Moi, j'ai entendu les victimes hier…
ALIX BOUILHAGUET
Il faut être précis pour ceux qui nous écoutent.
PATRICK MIGNOLA
Je suis très précis. Hier matin, sur votre antenne, il y a des victimes qui ont témoigné, il y a des avocats qui ont témoigné, et qui ont dit, effectivement, François BAYROU, à l'époque, de toute façon, son niveau d'information était le niveau d'information de ce qu'on pouvait lire dans la presse locale.
BENJAMIN FONTAINE
Mais, il ne pouvait pas ignorer, c'est aussi ce que dit un porte-parole des victimes.
PATRICK MIGNOLA
Mais quand il affirme, "mais à l'époque, je n'avais pas connaissance des faits qui, aujourd'hui, ont fait l'objet d'une procédure judiciaire et des 112 plaintes pour violences sexuelles", j'allais dire, c'est presque une évidence. Et à un moment, c'est très compliqué de remettre en cause sa bonne foi, puisqu'il était père de famille, lui-même.
ALIX BOUILHAGUET
Oui, mais soyons précis sur cette affaire. Cette seconde affaire dont on parle, c'est celle de 1988, dans laquelle un ex-directeur de l'établissement a été mis en examen et écroué pour viol. À l'époque, effectivement, François BAYROU était redevenu simple député des Pyrénées-Atlantiques. Il présidait aussi le conseil général du département. D'après le juge d'instruction de l'époque, il aurait été saisi de l'affaire. Le juge l'affirme, il aurait eu le dossier. Donc, pourquoi est-ce que François BAYROU affirme le contraire ?
PATRICK MIGNOLA
Non, la question qui lui a été posée, qu'on soit précis, c'est l'accusation qui a été portée par le député Paul VANNIER. C'est-à-dire, "François BAYROU, vos enfants étaient scolarisés dans cet établissement, vous étiez ministre de l'éducation nationale, vous ne pouviez pas ignorer". C'est ça l'accusation qui a été portée. Et la réponse qui a été apportée par François BAYROU, c'est "Qu'à cette époque, au moment où je suis ministre de l'éducation nationale, au moment où mes enfants sont scolarisés, non, je n'étais pas au courant".
ALIX BOUILHAGUET
Mais c'est cette seconde affaire dont on parle…
BENJAMIN FONTAINE
Mais après en tant que ministre, mais il a été au courant.
PATRICK MIGNOLA
Monsieur, cette seconde affaire, il n'est plus ministre.
ALIX BOUILHAGUET
D'accord, mais il est au courant.
PATRICK MIGNOLA
Oui, mais à ce moment-là, en fait, il y a un enchaînement de dates qu'on est en train de mélanger. C'est-à-dire qu'on porte une accusation sur une période de date qui est très précise. On l'accuse sur la période où il est ministre de l'éducation nationale, 93-97.
BENJAMIN FONTAINE
Et c'est en ça que vous dites qu'il n'a pas menti devant l'Assemblée nationale.
PATRICK MIGNOLA
À partir de 1998, il y a eu plusieurs faits. Et depuis, il y a eu 112 plaintes qui ont été données. Donc, vous ne pouviez pas ignorer en 93-97. Un, je le redis, il faut garantir aux victimes que cette procédure ira bien à son terme pour les protéger. Mais deux, la France insoumise essaie d'en faire une affaire politique, une affaire politicienne, en mélangeant les dates et en expliquant que, puisqu'il aurait pu savoir plus tard, il devait savoir avant. Et ça, c'est de la pure politique.
ALIX BOUILHAGUET
Si je résume, donc vous nous dites, lorsqu'il était ministre de l'éducation nationale, il a été saisi de violences, d'affaires de violences physiques. Et c'est ensuite, quand il n'est plus ministre d'éducation nationale, qu'il a effectivement connaissance de violences sexuelles.
PATRICK MIGNOLA
C'est exactement ce qu'ont dit les victimes, les avocats et le magistrat.
BENJAMIN FONTAINE
Comment sortir par le haut de cette affaire maintenant ?
PATRICK MIGNOLA
D'abord, en continuant à dire la vérité. C'est ce qu'il a fait. Et ensuite, en demandant à chacun de reprendre un peu d'esprit de responsabilité. Moi, je comprends qu'à la France Insoumise, il y a une envie quasi obsessionnelle de provoquer une présidentielle anticipée. N'instrumentalisons pas tout et surtout pas des victimes de violences sexuelles pour y arriver.
ALIX BOUILHAGUET
La France Insoumise, qui le compare à Jérôme CAHUZAC qui avait menti devant la représentation nationale.
PATRICK MIGNOLA
Je crois que la France Insoumise a pour seul objectif de déstabiliser les institutions et en l'occurrence le Premier ministre. Parce qu'ils avaient annoncé, dès l'arrivée de François BAYROU à Matignon, qu'il allait tomber en trois jours. Ils sont peut-être un peu vexés. Ce n'est pas parce qu'ils sont vexés qu'il faut instrumentaliser des victimes de violences sexuelles.
BENJAMIN FONTAINE
On va passer à un autre sujet Patrick MIGNOLA. Donald TRUMP et Vladimir POUTINE disent avoir convenu de lancer des négociations pour arrêter le conflit en Ukraine. Dans un entretien accordé au Financial Times, Emmanuel MACRON met en garde contre une paix qui serait, selon lui, une capitulation. Que pèse la parole de la France, aujourd'hui, face aux États-Unis ?
PATRICK MIGNOLA
Elle pèse lourd parce que quasiment la moitié du soutien à l'Ukraine et l'engagement politique qui est issu de l'Union européenne est fondamental. Et aucune paix ne devra se faire dans le dos des Ukrainiens. C'est ça la position de la France, c'est ça la position de l'Europe pour deux raisons. À la fois, pour les moyens qui ont été mis à la disposition de l'Ukraine pour qu'elle se défende contre cette agression et aussi parce que ça nous concerne au premier chef. Nous sommes concernés, nous appartenons au même continent. Et donc, une paix durable, ça ne se règle pas par un deal. C'est ça la position de l'Europe.
BENJAMIN FONTAINE
Il y a une forme de passivité que l'Europe est en train de payer, justement.
PATRICK MIGNOLA
Je ne crois pas, je crois qu'il y a une solution à la va-vite qu'essaie d'être trouvée par le président des États-Unis, comme sur un certain nombre de sujets. Vous avez vu comme il agit depuis qu'il est arrivé aux responsabilités. Il lance des idées pour donner le sentiment que le politique, tout d'un coup, aurait repris ses droits et qu'on va tout régler d'un coup de baguette magique. Non, on ne règle pas ce genre de sujet fondamental pour l'avenir de la sécurité sur le continent européen par des coups de baguette magique ou des coups de menton.
BENJAMIN FONTAINE
Est-ce qu'Emmanuel MACRON a la possibilité de porter le drapeau européen quelque part dans ces négociations ?
PATRICK MIGNOLA
Je le crois absolument. On voit bien la difficulté dans laquelle est l'Union européenne, aujourd'hui. Avec des crises qui sont assez profondes en Allemagne, avec des mouvements de déstabilisation, notamment extrémistes qui sont portés dans tous les pays européens. C'est le moment de garder calme, responsabilité, rationalité et de tenir la ligne. Et s'il y en a un qui peut tenir la ligne en Europe, c'est Emmanuel MACRON.
ALIX BOUILHAGUET
Ce matin s'ouvre à Matignon, un séminaire sur la réforme de l'État. Il a commencé à 7h30. Il s'agit de quoi précisément ? Ça veut dire que chaque ministre va devoir dire où il fait des économies et est-ce que ce seront des réformes réellement structurelles ?
PATRICK MIGNOLA
C'est même obligatoire. Et c'est le grand enjeu parce que la France, depuis quelques mois, était complètement bloquée. Moi, j'ai discuté beaucoup de parlementaires, beaucoup de maires, de chefs d'entreprises, d'élus locaux, d'associations qui nous disent qu'il n'y a plus rien qui marche. En tout cas, on a l'impression que tout a été grippé, comme si l'administration était bloquante, mais tout simplement parce que l'administration a été bloquée. Donc d'abord, dans un premier temps, il faut débloquer, il faut retrouver du mouvement. On a pu retrouver de la stabilité politique. Et là, moi, je rends hommage aux parlementaires dans la fonction qui est la mienne. Les parlementaires, pour la première fois, se sont parlé. Ils ont trouvé des compromis entre eux. Ils n'étaient pas d'accord sur tout, mais ils ont fait en sorte que la France dispose d'un budget, retrouve de la stabilité politique. À quoi on doit consacrer la stabilité politique maintenant ? C'est à remettre le pays en mouvement. Et dans la situation budgétaire dans laquelle nous sommes, et dans laquelle d'ailleurs beaucoup de pays d'Europe sont, il faut réinterroger toutes les missions de l'État pour remettre toute notre administration en mouvement.
ALIX BOUILHAGUET
Est-ce que les ministres ont des objectifs chiffrés ? Est-ce que François BAYROU leur dit "C'est un milliard dans chaque ministère et c'est des réformes structurelles ?"
PATRICK MIGNOLA
Ça, c'est ce qu'on a dit au moment du budget. C'est-à-dire qu'on a demandé à chacun de faire des efforts sur la dépense publique. Et vous avez deux façons de faire un budget. Vous reprenez…
ALIX BOUILHAGUET
Mais il n'y en a pas eu réellement dans le budget 2025, Patrick MIGNOLA, de réformes structurelles, d'économie, du train de vie de l'État, de la réforme de l'État. C'est ce que vous allez faire maintenant pour 2025 ?
PATRICK MIGNOLA
Il y a eu quasiment 2 % d'économie. Moi, je vous rappelle une chose. Si on était restés dans la situation d'avant, c'est-à-dire la loi spéciale, tout le monde dit que finalement, un budget en loi spéciale pouvait suffire. On aurait terminé l'année 2025 avec 7 % de déficit public. Là, on a fixé un objectif à 5,4 %. Et on doit rester dans une stratégie, dans une tendance où on devra être à 3 % en 2029. Ce sont nos engagements.
BENJAMIN FONTAINE
Et 5,4 %, la Cour des comptes n'y croit pas vraiment.
ALIX BOUILHAGUET
Elle dit déjà que c'est mal parti. Donc, il faut faire beaucoup plus fort, beaucoup plus massif.
PATRICK MIGNOLA
Alors, ce que vous dites, c'est extrêmement important. En fait, on est arrivé aux responsabilités avec une hypothèse de croissance qui concerne tous les Français à 1,1 %. Elle avait été revue à 0,8 %, 0,9 %. Et c'est sur la base de ce budget-là qu'on a déjà fait un certain nombre d'efforts, mais d'efforts un peu au rabot. Et on pourrait se retrouver, si on ne remet pas le pays en mouvement très rapidement, peut-être à 0,6 % ou à 0,7 %. Et là, effectivement, on n'atteindra pas les objectifs. Donc, qu'est-ce qu'on doit faire ? Deux choses. Réinterroger toutes les missions de l'État pour voir comment on peut faire mieux avec moins. Et donc, au lieu de repartir sur un budget qui serait celui de l'année précédente en essayant de le mettre en œuvre autant que faire se peut, c'est de réinterroger toutes les missions pour parvenir à trouver plus d'efficacité. Et puis ensuite, c'est conduire des réformes, toutes celles qui sont conduites actuellement. La retraite n'est pas un sujet neutre, mais le sujet de l'hôpital, le sujet de l'éducation. Nous sommes le pays qui a les prélèvements obligatoires les plus élevés. Et pourtant, on a le sentiment que dans l'administration, ça pourrait mieux fonctionner. Le travail des ministres, c'est effectivement de diriger leurs administrations pour que demain, on embarque tout le monde. Il ne s'agit pas de mettre en cause tel ou tel fonctionnaire, telle ou telle administration, telle ou telle agence de l'État. Mais c'est de dire, voilà, on doit se réembarquer tous ensemble. On sait, ça fait six mois qu'on est en crise politique, mais désormais, ça y est, on doit repartir de l'avant.
ALIX BOUILHAGUET
Très rapidement, Alexis KOHLER, le secrétaire général de l'Élysée, qui refuse d'aller devant la Commission des Finances à propos du budget 2024, sur le dérapage des comptes publics, ça vous choque ?
PATRICK MIGNOLA
Moi, ça ne me choque pas, parce que c'est la séparation des pouvoirs. Moi, je suis ministre des relations avec le Parlement.
ALIX BOUILHAGUET
Il n'y a pas de compte à rendre ?
PATRICK MIGNOLA
Et donc, je veille à ce que on ait ce strict respect de la séparation des pouvoirs. Et en l'occurrence, la commission d'enquête à l'Assemblée a auditionné un certain nombre de ministres pour savoir, en fait, quelle était l'évaluation budgétaire, notamment des déficits et de la dette ? Et je vais vous dire, là aussi, convoquer le secrétaire général de l'Élysée, c'est-à-dire convoquer des collaborateurs d'hommes politiques qui ont été régulièrement investis par la démocratie alors qu'eux n'ont pas été élus, il y a quelque chose qui ressemble beaucoup à de la politique. C'est-à-dire que, je crois que les députés auraient tellement eu envie de convoquer le président de la République, ce qu'ils n'ont pas le droit de faire. Ils essayent de convoquer son secrétaire général, mais c'est la même réponse que pour le président de la République.
BENJAMIN FONTAINE
Ils ont le droit d'avoir des réponses, aussi.
PATRICK MIGNOLA
L'Assemblée nationale ne peut pas convoquer le président de la République. Heureusement qu'on a des institutions et une constitution. Et ils ont les réponses avec les ministres de l'économie successifs qui sont venus. Mais, je crois que c'est pas mal d'avoir des règles dans un pays. Le président de la République ne peut pas faire ce qu'il veut avec le Parlement. Le Parlement ne peut pas faire ce qu'il veut avec le président de la République. Et pas plus avec son secrétaire général.
BENJAMIN FONTAINE
On va parler, en tout cas, de ce qui attend, une nouvelle fois, François BAYROU à l'Assemblée la semaine prochaine avec une nouvelle motion de censure. Avec vous, Patrick MIGNOLA. Ce sera juste après le Fil info à 8 h 46 avec Thomas GIRAUDEAU.
(…)
ALIX BOUILHAGUET
Nous sommes toujours avec Patrick MIGNOLA, ministre délégué, chargé des relations avec le Parlement. Mercredi prochain, les députés vont débattre de la motion de censure spontanée déposée par les socialistes via l'article 49-2. Le texte portera sur la défense des valeurs de la République, ça fait suite aux propos tenus par François BAYROU sur le sentiment de submersion migratoire. Vous êtes dans quel état d'esprit ? Est-ce que vous êtes plutôt confiant ou plutôt inquiet ?
PATRICK MIGNOLA
Je crois que pour le coup, ici, ce n'est pas une affaire de sentiments. Désormais, il faut regarder ce qu'on aura à perdre. Au début du mois de décembre, on n'avait plus de Gouvernement et on n'avait pas de budget. Maintenant, on a un budget et un Gouvernement. Il ne faudrait pas qu'on se retrouve jeudi prochain, après ce 49-2 et cette nouvelle censure, avec un budget, mais pas de Gouvernement pour le mettre en œuvre parce qu'on replongerait dans la crise. Concrètement, ça veut dire quoi pour les Français ? Ça veut dire que quand on a une loi d'urgence pour Mayotte à promulguer et à mettre en œuvre, qu'on a le plan Mayotte debout à reprendre, qu'on a la reconstruction de la Nouvelle-Calédonie à faire, quand on a à inscrire énormément de textes pour les collectivités locales parce qu'on est à un an des élections municipales et qu'il faut faciliter la vie des maires et leur donner les règles du jeu dans lesquelles ils travailleront, quand on a à travailler sur l'école et sur l'hôpital, quand on a la loi sur le narcotrafic qui arrive, désormais, il y a un choix de responsabilité qui doit être fait.
ALIX BOUILHAGUET
C'est ce que vous demandez au Rassemblement national ce matin, parce que c'est eux qui vont être les faiseurs de droit. Et on sait qu'ils peuvent voter cette motion, même si le motif n'est pas le leur.
PATRICK MIGNOLA
Nous sommes tous coresponsables de l'avenir. Il y a eu cinq motions de censure sur les budgets, avec le Parti socialiste qui, dans un esprit de responsabilité, alors qu'il était dans l'opposition et qu'il le réaffirme d'ailleurs à cette occasion, la semaine prochaine, a décidé de faire en sorte qu'il y ait un budget pour les Françaises et pour les Français. Là, on est sur une motion de censure qui dirait : "Finalement, le pays vient de sortir de l'instabilité, est-ce qu'on décide d'y replonger ou de ne pas y replonger ?"
BENJAMIN FONTAINE
Donc ça ne vaut pas le coup de se questionner sur ces valeurs de la République au risque de remettre le pays dans le chaos ?
PATRICK MIGNOLA
Absolument. Si vous me demandez ce que j'en pense, moi, je pense que cette sixième motion de censure en six semaines, elle aurait pu être évitée, je ne sais pas si elle est encore évitable. Mais en tout cas, je sais ce que ça pourrait coûter pour les Françaises et les Français. Si c'est le cas…
ALIX BOUILHAGUET
Ce n'est pas de la faute de François BAYROU avec cette phrase qu'il n'avait sans doute pas prévue, de sentiment de submersion migratoire ? Il n'a pas une part de responsabilité ?
PATRICK MIGNOLA
Oui, il a parlé de sentiment de submersion lors de la déclaration de Politique Générale, il avait dit ce qu'est le raisonnement qui conduit depuis très longtemps, on doit avoir, en matière d'immigration, un langage d'humanité et un langage de vérité. Parce qu'on sait que notre modèle d'intégration, le vrai modèle français d'intégration, il est en panne.
ALIX BOUILHAGUET
Donc il n'a pas fait d'erreur, il assume ?
PATRICK MIGNOLA
C'est ça, et donc il a assumé ça. Il dit : "Si vous souhaitez qu'on en parle, d'accord, on va en parler". Mais on ne va pas parler avec les mots de la radicalité et des exagérations de la droite ou de la gauche. On va en parler sur la base de qu'est-ce qu'être français ?
ALIX BOUILHAGUET
Mais c'est une façon de noyer le poisson, c'est-à-dire qu'on sait très bien que ce débat ça va faire chute. En 2009, avec Éric BESSON, sous Sarkozy, ça avait fait pschitt. Une note de synthèse que personne n'a lue et ça a enflammé le débat public.
PATRICK MIGNOLA
Moi, j'ai le sentiment que les droits et les devoirs en France, ce n'est pas pschitt.
ALIX BOUILHAGUET
Donc vous dites, on en tirera quelque chose de ce débat ?
PATRICK MIGNOLA
Donc, il faut qu'on en tire quelque chose, mais le vrai choix, c'est-à-dire qu'il y aura à faire. Il faut qu'on ait ce débat, et on aura ce débat, et s'il faut le poursuivre, on le poursuivra, parce que droits et devoirs, c'est quelque chose qui parle très profondément aux Françaises et aux Français. Mais au moment du vote, après ce débat mercredi soir, c'est la prise de responsabilité de chacune et chacun des députés. Est-ce que nous replongeons dans l'instabilité ? Est-ce que nous sommes incapables de nous reprojeter dans l'avenir ? Et est-ce qu'en effet, on aura de nouveau des problèmes de croissance ? On aura de nouveau des problèmes économiques ? On aura de nouveau des difficultés pour inscrire un calendrier budgétaire dans la durée ? S'il y avait eu cinq censures sur le budget, il y en a une sur la responsabilité individuelle et collective.
BENJAMIN FONTAINE
Patrick MIGNOLA, vous êtes un très proche de François BAYROU depuis de longues années. Qu'est-ce que vous pensez quand vous entendez que cette méthode est un peu floue ? La méthode de François Bayrou est un peu floue, qu'avec les ministres, c'est la cacophonie. On a parfois du mal à comprendre qui pense quoi.
ALIX BOUILHAGUET
C'est ça la méthode BAYROU ?
PATRICK MIGNOLA
Je ne crois pas. Moi, je crois que François Bayrou, c'est un homme de conciliation et de réconciliation, c'est ça dont on a besoin aujourd'hui. Un chef de Gouvernement, ce n'est pas quelqu'un qui empêche les ministres de penser ou qui veut relire toutes leurs interviews. Alors, quand on a des ministres qui veulent évoquer la question du droit du sol, effectivement, le rôle du chef de gouvernement, c'est de remettre ça dans un cadre plus global où on va parler du modèle d'intégration et du modèle social français. Quand on a des sujets d'actualité qui sont saisis, il doit les affronter. Et je crois qu'il faut qu'on perde l'habitude d'être dans une logique politique où forcément, le chef du Gouvernement, il doit avoir réponse à tout. Le chef du Gouvernement, ce n'est pas un chien savant. On est face à une Assemblée nationale, désormais, qui a changé de nature. On a changé d'époque. Il n'y a pas de majorité large qui se dégage et à qui on pourrait tout imposer. Et donc, la méthode François BAYROU…
BENJAMIN FONTAINE
D'ailleurs, on le sent triste et parfois un peu mal à l'aise avec certaines prises de parole. On l'a pu les entendre ici sur ce plateau.
PATRICK MIGNOLA
C'est-à-dire ?
BENJAMIN FONTAINE
Sur notamment le droit du sol, par exemple. Nous étions avec Monsieur MAILLARD la semaine dernière qui n'était pas très à l'aise avec le sujet.
PATRICK MIGNOLA
Sur le droit du sol, je pense que le chef du Gouvernement, il a fait une chose assez simple, c'est remettre le débat au niveau où il doit être. Mais n'imaginez plus qu'on reviendra avec une assemblée nationale aux ordres. On a besoin aujourd'hui de chefs de Gouvernement et de chefs de parti politiques et de chefs de groupes parlementaires qui travaillent ensemble.
ALIX BOUILHAGUET
On ne vous parle pas seulement des députés. Un exemple concret, Catherine VAUTRIN, sur la loi fin de vie. Elle dit : "Il faut revenir à un texte global, c'est-à-dire qu'il traite à la fois les soins palliatifs et à la fois le sujet de la fin de vie". François BAYROU, il dit : "Non, non, il faut scinder le texte en deux et les examiner en même temps". Par exemple, là, qui dit vrai ? Le Premier ministre ou sa ministre ?
PATRICK MIGNOLA
Le Premier ministre, en fait, il dit une chose assez simple. Il dit qu'il y a des sujets sur lesquels toutes les consciences doivent pouvoir s'exprimer, c'est la raison pour laquelle il défend deux textes, parce qu'il y a le sujet des soins palliatifs et il y a le sujet de la fin de vie.
ALIX BOUILHAGUET
Donc, là, il y aura deux textes ?
PATRICK MIGNOLA
Et les deux sont liés, mais ils ne sont pas dépendants les uns des autres.
BENJAMIN FONTAINE
Mais on a déjà eu une convention citoyenne qui s'est exprimée sur le sujet. Les consciences ont pu s'exprimer.
PATRICK MIGNOLA
Mais c'est la raison pour laquelle le Premier ministre m'a demandé d'inscrire dans le calendrier de ce premier semestre les deux textes.
ALIX BOUILHAGUET
Très bien, donc vous nous affirmez qu'il y aura bien un projet de loi soutenu par Catherine VAUTRIN avec deux textes ? L'un sur la fin de vie, l'autre sur la loi palliative ?
PATRICK MIGNOLA
Exactement, et dans le cadre d'une discussion commune, ce qui est assez rare pour être souligné, c'est rare au Parlement qu'on ait deux textes avec deux votes distincts, mais une discussion commune, c'est-à-dire une proposition du président du Sénat, Gérard LARCHER.
ALIX BOUILHAGUET
Mais ce n'est pas un camouflet pour la ministre de la Santé ?
PATRICK MIGNOLA
Ce n'est jamais un camouflet que les consciences s'expriment. Si la conscience de Catherine VAUTRIN, qui est une femme très respectable et qui travaille beaucoup au Gouvernement, si la conscience lui fait dire qu'il ne faut qu'un texte et qu'il y a d'autres consciences qui disent qu'il faut deux textes... Vous savez, moi, j'ai tendance à beaucoup écouter ce que disent les infirmières dans les services de soins palliatifs. Et elles peuvent être favorables à une loi sur la fin de vie ou défavorables à une loi sur la fin de vie. En tout cas, ce qu'elles nous disent, c'est qu'il faut qu'on développe désormais partout en France, pour toutes les Françaises, tous les Français qui sont malades et qui arrivent en fin de vie, les services de soins palliatifs. L'un et l'autre des textes sont liés, ils ne sont pas dépendants l'un de l'autre, mais chaque conscience doit pouvoir s'exprimer. Alors je sais que c'est un peu gênant de ne pas trancher brutalement et que la méthode BAYROU, ce soit de laisser les consciences s'exprimer, c'est notre méthode et on assumera de le faire ainsi, parce que le temps politique n'est pas à la brutalité.
BENJAMIN FONTAINE
Il y aura donc de textes au printemps ?
PATRICK MIGNOLA
Oui.
BENJAMIN FONTAINE
Lors de ses vœux, Emmanuel MACRON avait indiqué qu'il souhaitait soumettre les Français à des référendums. Patrick MIGNOLA a plusieurs sujets, tiendrai la corde de la fin de vie, les réseaux sociaux, le travail ? Vous avez des précisions, vous ?
PATRICK MIGNOLA
Non, je n'ai pas de précisions, parce que ça, c'est vraiment la décision du président de la République. C'est la même réflexion que tout à l'heure sur la séparation des pouvoirs. Je crois toutefois que c'est une très bonne idée de réinterroger les Français. Ça fait vingt ans qu'ils n'ont pas été réinterrogés par référendum. Moi, je crois que la démocratie française, elle est quand même un peu malade. Elle est un peu en difficulté. Et qu'il va falloir trouver de nouveaux moyens pour réinterroger les Français à période régulière, sur les sujets qui les concernent, et puis sur les grands sujets collectifs dans le pays. Vous savez, quand on avait parlé de la réforme des retraites, le premier souhait de François BAYROU, ça avait été de dire qu'on devrait interroger les Français par référendum sur la retraite. Moi, je crois que le système de financement des retraites, aujourd'hui, c'est un sujet qui mine la société française. Ça pourrait être aussi…
BENJAMIN FONTAINE
Ce serait un bon sujet de référendum ?
PATRICK MIGNOLA
… Un sujet à mettre. Moi, j'en suis absolument persuadé. Je sais que les partenaires sociaux sont en train de faire un énorme travail, qu'ils vont faire des propositions pour améliorer la réforme des retraites. Ça aussi, on s'en priverait, tiens, si la censure de mercredi prochain passerait, mais un sujet comme celui-là serait un beau sujet de référendum, ou peut-être un beau sujet d'un exercice de démocratie locale pour que les Français reprennent leur destin en main. Et au fond, ce que veut faire le président de la République, c'est ça. Il faut que chacun soit acteur. Il n'y a pas d'un côté les politiques qui doivent décider et de l'autre côté les Français qui doivent subir.
ALIX BOUILHAGUET
Un mot encore sur Emmanuel MACRON qui souhaite nommer Richard FERRAND à la tête du Conseil constitutionnel pour remplacer Laurent FABIUS dont le mandat prend fin le 7 mars. Vous entendez bien les reproches qui lui sont faits. Une trop grande proximité avec Emmanuel MACRON, une compétence juridique quasi nulle. Ça reste un bon candidat pour vous ?
PATRICK MIGNOLA
Alors, d'abord, il n'a pas une compétence juridique quasi nulle.
ALIX BOUILHAGUET
Il a fait deux ans de fac vaguement. Ce n'est pas non plus un spécialiste.
PATRICK MIGNOLA
J'ai travaillé avec lui quand il était président de l'Assemblée nationale, mais vous savez, ce procès-là, il a été fait de la même façon à Jean-Louis DEBRE ou à Laurent FABIUS.
ALIX BOUILHAGUET
Oui, mais il y a un contexte politique.
BENJAMIN FONTAINE
Le contexte joue un peu plus.
PATRICK MIGNOLA
Le sujet, finalement, de la proximité politique. Le fait que des présidents de l'Assemblée nationale président le Conseil constitutionnel. Et vous voyez, hier, le Conseil constitutionnel a censuré dix articles du budget qui avaient été faits par l'Assemblée nationale et le Sénat. Je trouve que c'est plutôt une bonne nouvelle. C'est une bonne manière d'agir pour que les institutions fonctionnent. Je pense même que cette notion qu'un président de l'Assemblée nationale puisse, à un moment donné de sa carrière, être à la tête du Conseil constitutionnel entouré d'un certain nombre de juristes, je crois que c'est une bonne idée. C'est même une garantie pour les Français.
BENJAMIN FONTAINE
Donc, vous le soutenez, Patrick MIGNOLA. Merci beaucoup.
PATRICK MIGNOLA
Merci à vous.
ALIX BOUILHAGUET
Merci Alix. À demain pour une nouvelle interview.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 17 février 2025