Interview de M. Manuel Valls, ministre d'État, ministre des outre-mer, à France Info le 17 février 2025, sur les relations entre l'Union européenne et les États-Unis, la reconstruction à Mayotte, la situation politique en Nouvelle-Calédonie, la politique migratoire et le droit du sol.

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Média : France Info

Texte intégral

SALHIA BRAKHLIA
Bonjour Manuel VALLS.

MANUEL VALLS
Bonjour.

SALHIA BRAKHLIA
Avant de parler dans le détail des sujets qui vous concernent en tant que ministre des Outre-mer comme la reconstruction à Mayotte, la situation politique en Nouvelle-Calédonie ou la vie chère dans les Antilles. L'actualité du jour, cette réunion organisée en urgence, aujourd'hui, avec les dirigeants européens à Paris pour évoquer la sécurité du continent européen. Les États-Unis ont expliqué que les Européens ne pourraient pas forcément participer à la table des négociations avec l'Ukraine et la Russie. C'est un affront pour nous ?

MANUEL VALLS
C'est surtout le temps de la naïveté qui est révolue. Les premières déclarations de Donald TRUMP, le discours de son vice-président, il y a quelques jours à Munich, les initiatives de la diplomatie américaine obligent plus que jamais l'Europe à réagir. Et l'initiative du président de la République, elle est non seulement bienvenue, mais elle est vitale pour nos intérêts stratégiques comme Français et comme Européens.

SALHIA BRAKHLIA
Il faut dire aujourd'hui que les Américains ne sont définitivement plus nos alliés ?

MANUEL VALLS
C'est toujours difficile à dire, parce que nous savons quel est le lien qui nous unit aux États-Unis. Les États-Unis nous ont sauvés deux fois au cours du XXe siècle, ce sont des alliés, il y a la relation transatlantique bien évidemment, mais il y a incontestablement quelque chose qui est en train de se passer, une bascule, et qui nous oblige, nous, Européens, à prendre toutes nos responsabilités, dans ce moment qui est historique. Moi, je ressens, avec un peu de distance, en écoutant ces discours et en regardant les initiatives américaines, qu'il se passe quelque chose. Et je ne sais pas si mes compatriotes le ressentent ainsi, mais oui, il y a un changement, il y a une bascule, même s'il y a encore beaucoup de contradictions au sein de la diplomatie américaine. Mais ça nous oblige, nous, plus que jamais, à soutenir, à défendre l'Ukraine, à augmenter évidemment nos budgets de défense et à être à l'offensive. La réunion aujourd'hui à l'Elysée est importante, parce qu'il n'y a pas seulement les membres de l'Union européenne, mais il y a également la Grande-Bretagne, donc nous connaissons les liens avec les États-Unis, qui comme nous est une puissance atomique, et il y a aussi le secrétaire général de l'OTAN, de l'Alliance Atlantique.

JEROME CHAPUIS
Vous parliez de ce discours de Jay LEVINS, le vice-président américain, vendredi à Munich, comment est-ce que vous, si vous aviez eu à assister à ce discours, vous auriez réagi en l'entendant dire : "Le problème, pour moi, américain, ce n'est pas la Russie, c'est la liberté d'expression en Europe" ?

MANUEL VALLS
Beaucoup de leaders européens ont réagi, le ministre des Affaires étrangères hier l'a fait aussi sur vos antennes. J'aurais réagi peut-être de la même manière, au fond, en rappelant que nous avions un point commun, que nous avons un point commun, a priori, avec les États-Unis, c'est précisément la défense de la liberté et de la démocratie, et il est assez étonnant d'entendre un responsable américain donner d'une certaine manière un point ainsi à Vladimir POUTINE.

SALHIA BRAKHLIA
Lui, il dit : "On a abandonné ces valeurs-là", en fait.

MANUEL VALLS
Je pense que plus que jamais, l'Europe se confond avec la démocratie, et précisément en soutenant l'Ukraine, en condamnant l'invasion de la Russie en 2022, nous condamnons non seulement la violation des traités internationaux d'un pays, de son intégrité, mais nous condamnons aussi une dictature, un pays qui a une vision totalitaire des rapports internationaux, et qui veut en finir avec l'Ukraine, pour des raisons politiques, idéologiques, historiques, qui sont insupportables.

JEROME CHAPUIS
Et précisément sur l'intégrité territoriale, les États-Unis lorgnent sur le Groenland, territoire d'outre-mer danois. Faut-il craindre, Manuel VALLS, pour la souveraineté de nos territoires d'outre-mer ?

MANUEL VALLS
Il faut en tout cas être très attentif à ce qui se passe. Il y a d'une manière générale d'ailleurs, puisque la France est présente à travers ses territoires ultramarins sur cinq continents et trois océans, il faut craindre en effet les ingérences de prédateurs économiques, je pense à la Chine dans le Pacifique, mais aussi d'ingérences permanentes. Et la Russie à travers l'Azerbaïdjan intervient, cherche à déstabiliser Mayotte, les Antilles, la Guyane, la Nouvelle-Calédonie. Et c'est d'autant plus inquiétant que parfois il y a des élus, des parlementaires, des élus locaux qui participent de ce qu'on appelle le groupe de Bakou, c'est-à-dire d'un État qui joue, qui va contre les intérêts fondamentaux de la France.

SALHIA BRAKHLIA
Mais il y a une crainte des États-Unis aussi ? Parce que vous avez cité l'Azerbaïdjan, vous avez cité la Chine, mais les États-Unis aussi peuvent être une menace ?

MANUEL VALLS
Je ne compare pas et il n'y a pas d'élément, mais enfin je rappelle que dans le Pacifique, les États-Unis et pas seulement, la Grande-Bretagne et l'Australie avaient remis en cause les accords concernant la vente de sous-marins. Il faut être très attentif, nous sommes dans un monde qui bascule avec cette hyperpuissance américaine, je reprends la formule d'Hubert VEDRINE qui joue totalement son rôle, nous l'avions oublié. Donc face à cela, il faut défendre certaines conceptions de l'ordre international du monde, et puis l'Europe est dans un moment historique, soit elle disparaît de l'histoire, soit elle est effacée de l'histoire, soit elle est capable, aujourd'hui, de reprendre l'offensive et de défendre ses intérêts stratégiques, de défense diplomatique et évidemment économique.

MANUEL VALLS
Et les Outre-mer, ils jouent un rôle évidemment, la Nouvelle-Calédonie notamment, vous vous envolez cette semaine pour l'archipel, votre premier déplacement sur place depuis que vous avez été nommé, dans un contexte de relations glaciales avec les représentants locaux, émeutes l'année dernière qui ont laissé beaucoup de traces, on en parlait encore ce matin sur France Info, comment est-ce que vous allez vous y prendre pour rétablir la confiance entre la métropole, l'État et les élus sur place ?

MANUEL VALLS
Par le dialogue, j'ai réuni, la semaine dernière, tous les élus, tous les groupes politiques qui sont représentés au Congrès de la Nouvelle-Calédonie, nous avons passé, j'ai passé beaucoup de temps avec eux, et c'est pour ça que je vais en Nouvelle-Calédonie, je connais bien ce territoire, je me situe d'une certaine manière aussi dans la continuité de Michel ROCARD et de Lionel JOSPIN, et des accords de Matignon et de Nouméa, qui avaient permis près de trente ans de paix et aussi de développement. Il reste bien sûr beaucoup d'inégalités, le rattrapage économique, social, culturel du peuple premier, du peuple kanak, n'a pas été totalement réalisé. Nous sommes toujours dans un processus de décolonisation, il ne faut pas l'oublier.

SALHIA BRAKHLIA
Donc là, l'objectif, c'est de trouver un nouvel accord politique sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, mais lequel ? Parce que vous voyez bien que les aspirations des loyalistes et des indépendantistes sont différentes.

MANUEL VALLS
Oui, mais il faut d'abord apaiser les plaies. Il y a eu de nouveau des morts en mai dernier, le sang a coulé, ça n'était pas arrivé depuis 1988, et donc il faut apaiser par le dialogue. C'est vrai que non seulement l'économie est par terre, près de 20 % du produit intérieur bruit de la Nouvelle-Calédonie a été saccagé par les émeutes de mai et de juin dernier. Il y a près de 30 000 Calédoniens qui sont au chômage. L'État, le Gouvernement, aide beaucoup la Nouvelle-Calédonie, le Gouvernement, le Congrès, les provinces et les communes, pour se reconstruire. J'y vais aussi pour cela, nous avons eu un colloque il y a d'ailleurs quelques jours à Bercy sur ces sujets-là. Donc cette aide et ce soutien, condition aussi à un certain nombre de réformes.

SALHIA BRAKHLIA
Donc, financièrement, vous serez là ?

MANUEL VALLS
Oui, il y a plus de deux milliards de dégâts. Donc il y a une aide à l'économie, aux entreprises, à la reconstruction des écoles, à la filière nickel, qui va très mal, et qui est pourtant tout à fait stratégique. Et puis il faut trouver un chemin et ça passera par l'apaisement, la paix, mais en rappelant un certain nombre de principes. D'abord, il y a ces accords de Nouméa, il faut poursuivre le processus de décolonisation. Il faut toujours rappeler que ces accords de Nouméa, aujourd'hui, s'imposent. Il y a une unité de la Nouvelle-Calédonie qui doit être préservée. Et puis il y a eu aussi des votes.

SALHIA BRAKHLIA
Sauf que le dernier référendum, il n'a pas été reconnu par les indépendantistes.

MANUEL VALLS
Les Calédoniens se sont exprimés pour rester au sein de la France et le troisième référendum, a laissé un goût amer. Et puis il y a eu les émeutes du 13 mai qui ont tout fichu par terre, si vous me permettez cette expression. Donc, il faut recoudre, il faut, à travers le dialogue, le consensus, trouver une solution.

SALHIA BRAKHLIA
Ça va prendre du temps, ça, Manuel VALLS, mais les élections provinciales doivent être organisées à la fin de l'année, c'est ça ? Avec un corps électoral élargi ?

MANUEL VALLS
Oui. C'est de tout cela qu'il faut parler.

SALHIA BRAKHLIA
Oui, c'est la question.

MANUEL VALLS
On ne peut pas uniquement élargir ou dégeler, comme on dit, c'est un vilain mot, le corps électoral, s'il n'y a pas une réforme globale. Donc, je vais passer là-bas plusieurs jours, huit au moins, évidemment, parcourir le territoire, les provinces, rencontrer les acteurs économiques, rencontrer aussi la société calédonienne et puis discuter, évidemment, avec tous les partenaires politiques. Je pense qu'on est dans un moment, je l'ai dit l'autre jour à l'Assemblée nationale, en répondant à une question du député Emmanuel DJIBAHOU, nous sommes dans un moment où chacun doit prendre ses responsabilités. Nous sommes dans un moment très fragile en Nouvelle-Calédonie et donc, j'y mettrai toute mon énergie, ma connaissance des hommes et des femmes de ce territoire, pour trouver une solution qui est celle du dialogue et du consensus.

JEROME CHAPUIS
Mais est-ce que vous espérez, à l'issue de ces huit jours sur place, avoir une solution politique pour ce qui concerne la question qu'on vous posait à l'instant, que vous posait Salhia, le corps électoral ?

MANUEL VALLS
Je veux prendre le temps nécessaire, il n'y a pas un sujet qui doit s'imposer aux autres. Il faut d'abord faire en sorte que la paix s'impose, la tension est palpable là-bas, je vais le ressentir. Il y a une très grande inquiétude quant à l'avenir, il y a des compatriotes aussi, il y a des gens qui partent également de Nouvelle-Calédonie. Donc il faut trouver une solution politique, je ne précipiterai pas les choses, mais je serai à l'écoute dans le dialogue et puis aussi dans la proposition, bien sûr, pour sortir par le haut de cette crise qui n'a que trop duré.

SALHIA BRAKHLIA
Manuel VALLS, le cyclone Chido a ravagé Mayotte, deux mois plus tard, est-ce que vous savez combien de victimes ont été finalement comptabilisées ?

MANUEL VALLS
Il y a un chiffre officiel et l'État n'a aucune raison de cacher quoi que ce soit, ce serait absurde, quarante morts, des centaines de blessés. Le préfet l'a encore indiqué l'autre jour, il y a sans doute une quarantaine de disparus, on le sait à partir d'un certain nombre de témoignages, également de tombes, on est sur ces chiffres, rappelez-vous, on avait parlé de 30 000, 40 000, 50 000 morts même, nous sommes heureusement très loin de ces chiffres, même s'il y a eu ces drames et ces drames humains.

SALHIA BRAKHLIA
Parce que c'est le risque de retrouver des corps sous les décombres, c'est ça ?

MANUEL VALLS
Mais ça n'est plus le cas, aujourd'hui, en tout cas, chaque fois que nous aurons des informations, des éléments, sur notamment le nombre des disparus, nous le communiquerons, parce qu'il n'y a aucune raison de cacher quoi que ce soit sur ce qui s'est passé à Mayotte. Même si aujourd'hui, nous sommes évidemment totalement mobilisés pour la reconstruction économique de ce territoire.

JEROME CHAPUIS
Il y a des soupçons de détournement de l'aide alimentaire, de discrimination aussi à l'encontre des sinistrés étrangers sans papier, il y a d'ailleurs une enquête ouverte par la direction de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes, qu'est-ce que vous savez à ce sujet au moment où nous parlons ?

MANUEL VALLS
D'abord, il faut quand même le dire, il y a une très grande mobilisation, une très grande solidarité des Mahorais eux-mêmes, une très grande résilience face à ce qui était une catastrophe naturelle, ce cyclone qui a rasé une grande partie du territoire. Il y a un soutien très important de l'État, des collectivités territoriales et aussi des ONG. Et puis c'est vrai que sur place, quand j'étais il y a quelques semaines avec le préfet, nous avons été étonnés de voir qu'un certain nombre d'aides alimentaires ou de distribution de bouteilles d'eau n'étaient pas arrivées, qu'il y avait aussi, comme ça arrive malheureusement souvent, il y a ceux qui profitent de la détresse et du malheur, des gens qui achetaient des paquets de bouteilles d'eau pour les revendre plus cher, d'où ces enquêtes qui ont été déclenchées par le préfet qui fait un travail tout à fait exceptionnel sur place.

SALHIA BRAKHLIA
On en est encore à l'étape d'urgence, Manuel VALLS à Mayotte, et dans les urgences, il y a l'école. L'école, dans chaque reportage qu'on a pu diffuser sur France Info, on comprend que c'est une mission impossible, que techniquement, la reprise des cours est une galère depuis le 27 janvier dernier. Combien d'écoles n'ont pas pu rouvrir à Mayotte ?

MANUEL VALLS
À peu près 20 % des classes et des écoles qui n'ont pas pu ouvrir. Non, ce n'est pas mission impossible, je vous reprends, parce que la rentrée a quand même eu lieu, nous étions avec Elisabeth BORNE, la ministre de l'Éducation nationale.

SALHIA BRAKHLIA
Techniquement, très difficile.

MANUEL VALLS
C'est très difficile, parce que c'était déjà très difficile, puisqu'il y avait des rotations qui étaient organisées, puisque les élèves ne pouvaient y aller que le matin et d'autres s'y rendaient l'après-midi. Donc, il faut reconstruire vite, d'abord, les écoles et les classes qui ont été détruites, c'est notamment le premier degré qui a été touché. Il faut reconnaître aussi que ces écoles sont très touchées par l'immigration illégale, par la démographie. La République accueille tous les élèves sans discrimination, et donc il faut voir comment on construit de nouveaux établissements scolaires, ce qui là-bas est un vrai débat. Beaucoup d'élus s'y opposent, considérant que c'est un appel d'air qui risque d'être provoqué par rapport à l'immigration illégale qui vient des Comores. Mais s'il y a une priorité pour nous, et notamment avec le général FACON, qui est le chef de la mission qui s'occupe de la reconstruction de Mayotte à mes côtés, qui était encore, il y a quelques jours, avec son équipe, c'est bien sûr la reconstruction, c'est que l'eau arrive partout, ce reste un sujet, c'est que l'électricité arrive partout, 100 % arrive, mais il y avait des foyers avant Chido, avant le cyclone, qui n'étaient pas concernés par cette électricité, c'est qu'on enlève tous les déchets, parce que c'est un problème sanitaire, c'est qu'on ouvre tous les dispensaires, parce qu'il faut évidemment accueillir et soigner, mais s'il y a un projet qui compte avant tout, c'est le projet éducatif pour tous les jeunes Mahorais.

SALHIA BRAKHLIA
Juste en deux mots, parce que vous parlez de reconstruction depuis tout à l'heure, mais il faut bien le dire, aujourd'hui, ce qui se passe c'est la reconstitution des bidonvilles. Dans l'urgence, il faut un toit pour les gens. Il y a des bidonvilles qui se sont reconstituées.

MANUEL VALLS
Elles se sont reconstituées extrêmement vite. Il faut un toit pour tous les Mahorais. C'est pour ça que nous avons mis en place aussi un dispositif d'aide et de prêts. Tout est urgent, l'économie, l'agriculture, l'école, les toits, les infrastructures, le futur de l'aéroport. Sur tous ces sujets-là, il va y avoir une très grande mobilisation, alors que le coût de destruction est estimé à autour de 3 à 3,5 milliards d'euros. Donc, ça veut dire qu'il faut un effort puissant de la nation en solidarité avec les Mahorais, des compatriotes qui sont tellement, en plus, attachés à la France, qui attendent beaucoup de l'État, qui ont toujours fait le choix d'être français. Donc, ma tâche, c'est qu'on ne les oublie jamais.

JEROME CHAPUIS
Manuel VALLS avec nous jusqu'à 9h sur France Info. On laisse passer le Fil Info, 8h47.

(…)

JEROME CHAPUIS
Désormais ministre des Outre-mer, Manuel VALLS, vous avez publié, hier, un texte dans La Tribune Dimanche où vous exposez votre vision de la politique migratoire. Contrairement à vos collègues Gérald DARMANIN et Bruno RETAILLEAU, contre la remise en cause du droit du sol sur tout le territoire français, le droit du sol pour vous Manuel VALLS, ce n'est pas un sujet, sauf pour Mayotte ?

MANUEL VALLS
Non mais le débat est ouvert et donc, chacun y participe, donc, je donne aussi mon opinion sur des sujets qui sont abrasifs depuis des années, qui provoquent beaucoup de débats, mais en essayant de distinguer ce qui est de l'ordre des politiques migratoires, la lutte notamment contre l'immigration illégale, ce qui est de l'ordre de la nationalité, et donc, je suis défavorable à une remise en cause du droit du sol, même si on l'a déjà restreint pour ce qui concerne Mayotte. Et puis, il y a un autre débat qui est celui de l'identité française, ce n'est pas un débat nouveau. Moi, comme Ernest RENAN, grand intellectuel du 19e siècle, je considère que la nation est un plébiscite quotidien. Vous savez, moi je suis né de parents étrangers, je suis né à l'étranger, j'ai appris à être français grâce à mes parents, grâce à la culture, grâce à l'école.

JEROME CHAPUIS
Mais sur le droit du sol Manuel VALLS…

MANUEL VALLS
Sur ces questions-là, il faut bien serrer les sujets.

JEROME CHAPUIS
Au sein du Gouvernement, il y a des ministres, et pas des moindres, qui en font un point de fixation. Ça ne vous pose pas de problème de cohabiter au sein d'un même Gouvernement avec des positions aussi divergentes sur un sujet aussi important ?

MANUEL VALLS
Non, mais le Premier ministre a dit que le débat était ouvert au fond sur une belle interrogation. Qu'est-ce que c'est être français ? Donc, il faut participer de ce débat. Pour changer le droit du sol, en tout cas pour le remettre en cause, il faudrait une réforme constitutionnelle. Est-ce que c'est possible aujourd'hui ? Non, donc, le débat existe. J'y participe parce que je suis aussi ministre des Outre-mer, comme vous l'avez rappelé. La France, elle est plurielle, très plurielle. Elle doit évidemment se retrouver autour des valeurs fondamentales qui l'unissent, qui sont les valeurs républicaines. Dire qu'il n'y a pas un problème d'immigration serait absurde. Qu'il n'y ait pas un sentiment chez beaucoup de nos compatriotes d'une forme d'insécurité culturelle, comme l'avait écrit mon vieil ami, aujourd'hui disparu, Laurent BOUVET, c'est aussi une réalité. Donc moi, depuis des années, je participe à ces discussions, à ces débats. Mais je pense qu'il faut le faire avec beaucoup de méthodes et en traitant de l'ensemble des questions.

SALHIA BRAKHLIA
Donc, si on comprend bien ce que vous dites, c'est que vos collègues DARMANIN et RETAILLEAU, en fait, trompent de débat. Ce n'est pas le droit du sol, le problème c'est effectivement qu'il faut réfléchir à la question de l'identité française. Ce que propose François BAYROU, un débat sur l'identité française. Là-dessus, vous vous dénoncez toujours dans cette même tribune, je cite, les fantasmes d'une vision étroite et maladroite de l'identité française, en gros celle de l'extrême droite. Et en même temps, vous pointez, je cite, l'impérieuse nécessité de protéger notre identité, en précisant, dans certains quartiers, l'identité française disparaît car le rapport numérique s'est inversé. En trois phrases, là, vous ne dites pas tout est son inverse.

MANUEL VALLS
Non, au contraire, je montre bien ce qui est en train de se passer. Il ne faut jamais nier la réalité. J'ai été député, maire de ces banlieues, comme on dit, de ces territoires où j'ai tellement appris. Donc, c'est cette réalité. J'avais à l'époque déjà, comme député, puis ensuite comme Premier ministre, évoqué un apartheid territorial, social, ethnique, y compris religieux. J'ai été l'un des premiers, à gauche, à dénoncer la montée de l'islamisme et son corollaire, c'est-à-dire la haine des juifs. Donc, sur toutes ces questions-là, il faut les aborder.

SALHIA BRAKHLIA
Mais ce n'est pas alimenter le discours de l'extrême droite.

MANUEL VALLS
Non, au contraire, c'est le camp républicain. Et moi, j'écris ce texte comme un républicain de gauche. Il n'intervient pas sur ces sujets-là, ne propose pas sa vision des choses, n'apporte pas des solutions. Et je le fais sur l'immigration. Je suis de ceux qui prônent une politique extrêmement claire, nette, concernant l'immigration illégale. Je dis qu'on ne peut pas accueillir plus d'immigration économique, aujourd'hui. Donc, si on ne traite pas de ces questions-là, comme le font, par exemple, les socio-démocrates danois, aujourd'hui, au pouvoir dans ce pays, alors on sera balayé en effet par les solutions qu'on utilise ou par le discours de LEVINS ou de l'extrême droite qu'on évoquait tout à l'heure.

JEROME CHAPUIS
Manuel VALLS, quand vous dites : "Pointer la visibilité d'un islam revendicatif influencé par l'islamisme", est-ce que vous ne craignez pas qu'on vous accuse d'amalgame ?

MANUEL VALLS
Non, c'est la réalité, vous le savez, notamment du voile revendiqué comme un étendard politique. Oui, c'est la pression des frères musulmans et de l'islamisme dans nos quartiers. Regardez ce qui se passe, aujourd'hui, en Europe, ne faisons pas semblant. Vous savez, nous, démocrates et européens, nous l'avons évoqué, aujourd'hui. Nous faisons face à un discours idéologique insupportable qui est celui des dirigeants américains. Il y a la mise en cause de notre intégrité avec l'attaque contre l'Ukraine et puis, il y a un autre adversaire qui est l'islamisme qui a frappé sans aucun doute ces derniers jours à Munich comme en Autriche et qui nous a frappés. Il y a un procès, aujourd'hui, qui s'ouvre, très important, de nouveau en France et c'est régulier. Donc, il faut regarder ces menaces, ces adversaires, ces ennemis qui sont devant nous et les combattre. C'est d'ailleurs, le meilleur moyen de protéger nos compatriotes et nos concitoyens de confession ou de culture musulmane puisque c'est eux qui sont visés par l'islamisme. Donc, je le dis, immigration, nationalité, identité, mal nommer les choses, clin d'œil à Albert CAMUSQ, c'est ajouter au malheur français.

SALHIA BRAKHLIA
Juste une question concrète sur l'immigration justement parce que vous disiez, "Il ne faut pas être naïf, il faut affronter le problème tel qu'il se pose". Vos collègues, RETAILLEAU et DARMANIN, encore eux, s'opposent au mariage lorsque l'un des époux est en situation irrégulière. C'est votre cas aussi ?

MANUEL VALLS
Oui, moi je pense qu'il faut regarder évidemment tous ces sujets mais ce sont mes collègues, ce sont deux républicains, ils participent au débat. J'étais ministre de l'Intérieur, DARMANIN aussi, RETAILLEAU l'est aujourd'hui. Donc, on débat beaucoup de ces questions-là.

SALHIA BRAKHLIA
Mais vous, vous étiez maire d'Evry, vous n'avez jamais fait de mariage avec l'un des deux époux étrangers ?

MANUEL VALLS
Non, ça a pu arriver mais je me rappelle que les services de l'état civil, c'est le cas en général, sont extrêmement prudents sur tout ce qui, aujourd'hui, serait illégal. Quand on est dans ce pays, quand on est en France, il faut en respecter les règles.

JEROME CHAPUIS
Manuel VALLS, vous avez annoncé, la semaine dernière, au Sénat que vous demandiez de nouvelles études sur l'exploitation du pétrole, du pétrole au large de la Guyane. Pourquoi rouvrir ce dossier alors qu'aujourd'hui, en l'état actuel de la loi, c'est impossible ?

MANUEL VALLS
Parce que les élus sur place, de droite et de gauche, le demandent. Je demande qu'on ouvre le débat. Tous les pays autour, c'est le cas du Brésil qui va accueillir d'ailleurs la COP30 dans quelques mois, c'est le cas du Suriname et du Guyana. TOTAL va investir plus de 10 milliards au Suriname, où il y a dans les sols et aussi en mer, sans aucun doute, des nappes de pétrole très particulières. Il y a le Venezuela à côté. Et le seul territoire où ce débat ne pourrait pas avoir lieu, où on ne pourrait pas se poser ces questions-là, serait la France.

JEROME CHAPUIS
Et on dira que ce débat a déjà eu lieu.

SALHIA BRAKHLIA
La loi Hulot l'interdit, il y a eu un débat effectivement.

MANUEL VALLS
Ouvrons le débat. Les sénateurs, les députés, les maires le demandent. Ils disent en plus, c'est ce que pensent les Guyanais. Il faut le faire évidemment avec précaution, en respectant l'écosystème de ce territoire qui est grand comme la Belgique sur le continent américain. Ils nous disent, mais s'il y a des ressources, et nous souhaitons d'ailleurs mieux exploiter, aujourd'hui, également l'or, qui est aujourd'hui, pillé par ce qu'on appelle l'orpaillage clandestin, illégal. Ils nous disent, mais ce sont nos ressources. Et moi, d'une manière générale, je souhaite non pas que la France rayonne seulement à travers ces territoires, mais que ces territoires puissent rayonner dans leur espace régional. Et on interdirait aux Guyanais de pouvoir exploiter, si c'est le cas, les ressources avec intelligence, avec équilibre, en respectant évidemment la nature. On leur interdirait d'exploiter ces ressources qui seraient, on peut penser à un fonds spécial pour le développement de la Guyane, mais qui seraient des ressources très importantes pour eux alors qu'ils font face à de nombreux défis économiques.

SALHIA BRAKHLIA
Sauf que ce n'est pas l'avis de votre collègue à la transition écologique, énergétique, Agnès PANNIER-RUNACHER.

MANUEL VALLS
On peut ouvrir les débats. Et notamment parce qu'autour, vous savez, quand on parle du Suriname et du Guyana, on parle de petits Qatar, de petits Koweït en pensant aux ressources qu'exige le président LULA.

JEROME CHAPUIS
Donc, il pourrait en être de même pour la Guyane.

MANUEL VALLS
Le président LULA, qui est d'extrême droite et qui veut protéger la forêt amazonienne et dont on connaît les combats, va donner sans aucun doute une autorisation également juste à côté de la frontière française, au nord-est du Brésil. Et nous, on s'intéresse là. Moi, ce que je demande uniquement, c'est qu'on écoute les élus, qu'on écoute la population, les forces économiques et sociales de Guyane et qu'on regarde de près ce que l'on peut faire. C'est ma fonction et je suis très déterminé à ouvrir ce débat.

JEROME CHAPUIS
Ultime question et très rapidement. François BAYROU est accusé par une partie de la gauche d'avoir menti à la représentation nationale, la semaine dernière, dans l'affaire de Notre-Dame-de-Bétharram. Établissements scolaires ou des violences, notamment sexuelles, ont été dénoncés. Le patron du PS, Olivier FAURE, a estimé hier que François BAYROU devait, en conscience, démissionner. Votre réaction ?

MANUEL VALLS
Que la dignité des victimes et des familles de Bétharram, nous les avons entendues ce matin, sur notre antenne, samedi évidemment, elle force le respect. Leur témoignage est bouleversant. Je sais que le Premier ministre a été très touché, bouleversé, à travers la rencontre qu'il a eue avec ses représentants de ses familles. Et que d'une manière générale, laissons la justice travailler, face à leurs souffrances, les polémiques politiciennes sont indécentes. Je trouve que d'ailleurs, les victimes, au général, sont plus dignes que beaucoup des responsables politiques.

JEROME CHAPUIS
Merci, Manuel VALLS, d'avoir été avec nous ce matin sur France Info. Je vous laisse en compagnie de Salhia BRAKHLIA et Renaud DELY.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 18 février 2025