Texte intégral
CHRISTOPHE BARBIER
Philippe BAPTISTE, bonjour.
PHILIPPE BAPTISTE
Bonjour.
CHRISTOPHE BARBIER
Et bienvenue. Alors que justement, oui, le monde baigne dans cette ambiance de tristesse. Hier, le Conseil des ministres, et c'est rare, a consacré une bonne partie de son temps à parler de lutte contre l'antisémitisme. 436 actes antisémites en 2022, 1 676 en 2023, 1 570 en 2024. Et pour ce qui vous concerne, l'Enseignement supérieur, on note que 42 % des mises en cause ont moins de 35 ans. Qu'un quart des moins de 35 ans jugent acceptable ou compréhensible le fait de taguer une synagogue ou un commerce supposé juif pour manifester son opposition à Israël. Alors, quelle est votre diagnostic, vous, sur l'état de l'antisémitisme dans l'Enseignement supérieur ?
PHILIPPE BAPTISTE
Alors, il y a deux choses. Il y a les actes, celles qui remontent aujourd'hui, et ça, les actes antisémites, il y en a, et ils sont en augmentation, mais il y en a une cinquantaine qui ont été identifiés depuis le 7 octobre. C'est à la fois assez beaucoup, et en même temps, on a parfaitement conscience que ce ne sont malheureusement qu'un petit morceau des actes antisémites, parce que je pense qu'il y a énormément de choses aussi, qui ne remontent pas, qui sont simplement aussi un antisémitisme d'ambiance qui existe, aujourd'hui, dans les universités, mais comme il existe malheureusement dans toute la société. Les universités, je crois, malheureusement, sont quelque part le reflet aussi de ce qui se passe dans la société. Et donc, c'est bien une lutte globale contre l'antisémitisme qu'il faut mettre en place et évidemment, dans les universités.
CHRISTOPHE BARBIER
Et que pouvez-vous faire ? Que faites-vous ?
PHILIPPE BAPTISTE
Alors aujourd'hui, déjà, je veux dire, c'est très clair, c'est-à-dire qu'on ne tolère pas l'antisémitisme aujourd'hui, ni dans les universités, ni dans les écoles, ni dans l'enseignement supérieur. C'est quelque chose qui n'est pas tolérable. L'antisémitisme, c'est la haine, c'est la bêtise, c'est la brutalité, c'est la violence, c'est le contraire des valeurs académiques, c'est le contraire de ce qu'est l'Enseignement supérieur, c'est le contraire de ce qu'est l'université. Donc, on a des dispositifs qui existent aujourd'hui. C'est des dispositifs qui permettent non seulement, évidemment, de signaler les actes, de saisir le procureur. Et je remercie, j'ai travaillé avec le garde des Sceaux pour que, justement, dans une circulaire pénale qui est sortie il y a quelques jours, justement, on soit sûr que les actes qui sont, les articles 40, c'est-à-dire en gros…
CHRISTOPHE BARBIER
Les signalements au procureur.
PHILIPPE BAPTISTE
Les signalements au procureur soient suivis d'effet. On a travaillé aussi avec le ministre de l'Intérieur pour travailler plus efficacement, pour avoir rapidement une très bonne coordination entre le recteur, le président de l'université, les forces de l'ordre, le préfet, pour justement intervenir en cas de difficulté. C'est aussi tout un travail qu'on mène en ce moment. Il y a une proposition de loi qui sera discutée tout à l'heure, justement, pour améliorer le fonctionnement de nos instituts disciplinaires.
CHRISTOPHE BARBIER
C'est une loi, une proposition de loi déposée par deux sénateurs, FIALAIRE et LEVY. Elle a été adoptée la semaine dernière à l'unanimité en commission. Elle le sera sans doute cet après-midi au Sénat, mais après, il va falloir aller à l'Assemblée nationale. Ça sera moins simple, peut-être.
PHILIPPE BAPTISTE
On verra, évidemment, il y aura un débat. Et je ne peux pas, évidemment, présumer des choix des parlementaires, mais moi, je suis très confiant. Je pense que c'est une proposition de loi qui va dans le bon sens, parce qu'elle va permettre à la fois d'accentuer la formation des questions autour de l'antisémitisme. Il y a aussi un amendement du sénateur PIEDNOIR qui est très intéressant, qui va nous permettre, derrière, s'il est adopté, d'avoir des commissions disciplinaires qui sont plus efficaces. Aujourd'hui, je ne vais pas rentrer dans les détails techniques, mais une des difficultés, aujourd'hui, c'est quand vous avez un responsable d'établissement, un président d'université qui est saisi, il a des commissions disciplinaires et les choses s'enlisent un petit peu et donc, on va essayer de dépayser un petit peu.
CHRISTOPHE BARBIER
On pourra sanctionner plus vite à l'intérieur de l'université.
PHILIPPE BAPTISTE
Plus efficacement. L'objectif, il est simple, c'est tolérance zéro. Je veux dire, on peut avoir tous les débats possibles au sein de l'université. L'université, c'est une terre de débats. C'est conçu comme ça et on en a tous bénéficié. Mais évidemment, il y a des limites à ça et l'une des limites, ce n'est pas la seule, c'est l'antisémitisme.
CHRISTOPHE BARBIER
Alors, il y aura la systématisation, dit la loi, d'un dispositif de signalement en leur sein. Qu'est-ce que ça veut dire concrètement pour des présidents d'université ? Ils auront des surveillants dédiés à la vigilance ?
PHILIPPE BAPTISTE
Ce n'est pas des surveillants, c'est toute la communauté universitaire. Et quand on dit toute la communauté universitaire, toute la communauté académique, c'est non seulement les enseignants-chercheurs, les chercheurs, mais c'est aussi les autres étudiants. Et je pense qu'il y a un travail de formation et de compréhension qu'on doit faire en permanence sur ces faits et sur le fait qu'effectivement, on a une résurgence de l'antisémitisme, mais encore, je voudrais insister là-dessus, dans l'ensemble de la société. Et je crois qu'aujourd'hui, les présidents d'université sont très mobilisés là-dessus parce qu'ils veulent lutter contre ça. Mais ce n'est pas un phénomène qui est spécifique aux universités, malheureusement, pas du tout. C'est quelque part, on le voit parce que c'est très visible et parce que les débats dans les universités sont toujours des débats qui sont très vifs, etc. et prompts à tous les débats de la population qu'on connaît sur tous les sujets. Mais malheureusement, l'antisémitisme, il est présent dans notre société partout.
CHRISTOPHE BARBIER
Alors, il y a un plan qui a été lancé, d'ailleurs, avant le 7 octobre 2023, le Prado, le plan de lutte contre le racisme, l'antisémitisme et les discriminations liées à l'origine. Dans ce plan, il y avait l'idée qu'il fallait que tous les collègues et étudiants aient une visite d'un lieu mémoriel. Est-ce que ça, ça se met en route ?
PHILIPPE BAPTISTE
Oui, ça se met en route. Ça n'a probablement pas atteint encore suffisamment l'ensemble du public, mais je pense que c'est absolument essentiel d'avoir ce type de formation. C'est essentiel parce qu'aujourd'hui, on voit bien qu'il y a une perte de la mémoire, il y a une perte de la réalité. Aujourd'hui, quand vous parlez de la Shoah, que ce soit dans les établissements scolaires, où la question, elle est questionnée. Enfin, je veux dire, ce n'est plus quelque chose qui est…
CHRISTOPHE BARBIER
C'est plus facile, c'est plus évident.
PHILIPPE BAPTISTE
C'est plus évident et donc, je pense qu'il faut absolument remettre cette question-là au centre. Il faut former les gens, il faut former les personnels, il faut former les enseignants-chercheurs aussi à la lutte contre les questions d'antisémitisme. Et ça, je pense que c'est vraiment une des priorités du ministère.
CHRISTOPHE BARBIER
Dans le secondaire, on voit des enseignants renoncer parce qu'il y a trop d'hostilité.
PHILIPPE BAPTISTE
Mais on ne peut pas renoncer, ce n'est pas possible.
PHILIPPE BAPTISTE
Et est-ce que dans le supérieur, vous avez cela ?
PHILIPPE BAPTISTE
Non, je ne crois pas. Je ne crois pas. Je crois que la situation, aujourd'hui, est un peu différente. Moi, je vois, aujourd'hui, j'ai réuni plusieurs fois les présidents d'universités autour de moi, ceux qui étaient directement concernés par les questions d'antisémitisme, sur lesquelles, là où il y a eu des dérapages, là où il y a eu des signalements. J'ai réuni des directeurs de composantes, j'ai réuni les syndicats. Je crois qu'il n'y a aucun renoncement. Je veux dire, enfin, ils sont conscients du problème. Ils ont envie de lutter contre. Ils m'ont fait part de leurs difficultés concrètes et on essaye de mettre en place des solutions concrètes pour lutter contre leurs difficultés concrètes. Je n'ai pas senti la volonté de renoncer. J'en ai discuté aussi avec France Université qui regroupe l'ensemble des établissements universitaires de France. Aujourd'hui, je crois qu'ils sont très allants. Ils ne veulent absolument pas céder contre ça.
CHRISTOPHE BARBIER
Dans la loi qui passera cet après-midi, il y avait la possibilité d'accéder à la communication, aux messages échangés entre ceux qu'on peut soupçonner d'antisémitisme. Ça a été retiré parce que c'était une atteinte à la correspondance privée. Est-ce qu'il y a un moyen de revenir là-dessus ou ?
PHILIPPE BAPTISTE
Je pense que c'est compliqué. Ça ne relève pas de la responsabilité des présidents d'universités. Je veux dire, certes, les présidents d'universités ont un pouvoir de police au sein de leur établissement pour s'assurer qu'il n'y a pas de troubles à l'ordre public, mais ça ne va pas jusque-là. Donc, ça aurait été probablement extrêmement difficile à faire passer plus loin. Techniquement, ce n'était pas faisable.
CHRISTOPHE BARBIER
Il y a eu depuis le 7 octobre le cas, évidemment, de Sciences Po Paris. Il y a eu un changement de directeur. Est-ce que vous notez une évolution positive ?
PHILIPPE BAPTISTE
Oui, effectivement, je suis très heureux que Luis VASSY, le directeur de Sciences-Po, tiens aujourd'hui un langage qui est un langage d'une grande clarté, d'une grande fermeté aussi. Je souscris pleinement à ce qu'il dit aujourd'hui. Il dit la même chose que moi. Il dit : "En gros, l'université, que ce soit à Sciences Po, que ce soit dans une autre école ou dans une autre université, c'est une terre de débats. C'est un endroit où on peut venir avec ses convictions politiques, ses convictions religieuses. On peut débattre de tout. On peut débattre de la situation à Gaza. On a le droit d'en débattre. C'est même complètement légitime. Mais par contre, au cœur de ce débat, il y a des lignes rouges. Et ces lignes rouges, c'est la loi. C'est les lois de la République et c'est évidemment aussi l'antisémitisme, ce qui n'est pas tolérable". Je le répète encore une fois et qui sera sanctionné.
CHRISTOPHE BARBIER
Est-ce que Sciences Po n'est pas l'exemple même d'établissements poreux où sont venus de l'extérieur des membres étrangers à la communauté étudiante ou enseignante et qui ont profité de cette tribune ? Jeunes militants ou politiques ?
PHILIPPE BAPTISTE
Je pense que, si je m'abstrais trente secondes, du sujet spécifique qui est lié à la question de l'antisémitisme, ça a toujours été le cas. C'est-à-dire, quand vous avez eu, si vous revenez dans les années 60 ou dans les années 70.
CHRISTOPHE BARBIER
Les débats politiques s'importaient.
PHILIPPE BAPTISTE
Les débats politiques s'importaient. Et ça, je crois que ça fait partie... S'il y a débat, je pense que ça peut être un débat qui est ouvert, qui est libre. Moi, ça ne me dérange pas. Mais par contre, la question, c'est qu'il faut que ce débat, il soit pluriel. Et ça, c'est fondamental. Ça ne peut pas être un débat qui soit simplement un débat qui soit confisqué par une minorité, imposé aux autres. Ça, ce n'est pas tolérable. Il faut un débat qui soit un débat qui soit pluriel et qui soit ouvert. Il y a un certain nombre d'universités, il y a un certain nombre d'écoles qui ont mis en place des chartes, justement, pour garantir l'accès quand vous voulez organiser une réunion publique ou organiser un débat. Un certain nombre de dispositifs minimaux pour assurer, justement, la pluralité du débat. Moi, j'y suis très favorable. Je pense que c'est fondamental. Le débat, oui, sur tous les sujets, oui, mais pluriel et dans le cadre de la loi.
CHRISTOPHE BARBIER
On ne pourra plus, demain, refuser l'entrée d'un amphi à des élèves parce qu'on les traite d'agents sionistes.
PHILIPPE BAPTISTE
Mais évidemment que ce n'est pas tolérable. Ce n'est évidemment pas tolérable.
CHRISTOPHE BARBIER
Est-ce qu'on n'a pas trop donné de pouvoir aux étudiants dans ces établissements supérieurs ? Alors, ils peuvent imposer à la direction telle chose, récuser telle autre chose.
PHILIPPE BAPTISTE
Non, c'est ça aussi. Je pense que là aussi, il y a des traditions universitaires. Il y a des traditions, effectivement, c'est l'université. C'est aussi un lieu où les étudiants, à un moment ou un autre, développent une vision politique, développent leur capacité de penser, leur capacité de débattre.
CHRISTOPHE BARBIER
Ils réclament la cogestion.
PHILIPPE BAPTISTE
Mais il n'y a pas de cogestion. Ce n'est pas ça le système universitaire. Ce n'est pas un système de cogestion. C'est un système où il y a un président, il y a un conseil d'administration, il y a des représentants des étudiants qui sont présents, parce que c'est important que les étudiants y soient. Mais ce n'est pas un système de cogestion. Ce n'est pas ça l'université, aujourd'hui.
CHRISTOPHE BARBIER
Le Sciences Po au Strasbourg s'est enflammé aussi autour d'un sujet très particulier : les partenariats avec des universités sises en Israël. Est-ce que demain, il sera possible encore de faire d'autres partenariats ?
PHILIPPE BAPTISTE
Bien sûr, mais j'espère bien.
CHRISTOPHE BARBIER
Et vous y veillerez ?
PHILIPPE BAPTISTE
Mais évidemment. En tout cas, ce n'est pas à une université de prendre une décision politique de cette nature-là, de dire, université ou une composante, parce que là, s'il s'agissait même d'une composante d'université, de décider si oui ou non le partenariat est politiquement faisable ou pas faisable. Ils peuvent se prononcer, évidemment, sur la validité scientifique, technique du partenariat, le respect des clauses contractuelles. Tout ça, c'est parfaitement légitime. Mais après, il y a une position du Gouvernement, et les universités ne peuvent pas se substituer à ça.
CHRISTOPHE BARBIER
Pourquoi ça a dérapé à Strasbourg ? Il y a un problème de gestion ?
PHILIPPE BAPTISTE
Non, je pense qu'il y a aussi toujours un certain nombre de petits groupes qui essayent toujours de faire un peu déraper les débats.
CHRISTOPHE BARBIER
Et des votes dans des commissions.
PHILIPPE BAPTISTE
Mais moi, je crois aujourd'hui qu'il y a eu débat, il y a eu un positionnement. Le conseil de déontologie du ministère de l'Enseignement supérieur de la recherche a été saisi avec des personnalités indépendantes qui ont travaillé là-dessus, qui ont donné un avis. Cet avis, aujourd'hui, il est respecté. C'est celui que je viens de vous donner précédemment, c'est-à-dire que, quelque part, le positionnement qu'a peut avoir eu une composante universitaire sur ces questions-là, ça peut être sur le contenu scientifique, le contenu technique, mais pas sur une opportunité politique.
CHRISTOPHE BARBIER
L'affaire Bétharram met la lumière sur le problème du contrôle des établissements, alors évidemment secondaire souvent, mais parfois les classes prépa ou certaines grandes écoles peuvent être touchées. Est-ce que vous aurez les moyens, vous, de renforcer les contrôles pour voir s'il n'y a pas des dérapages ?
PHILIPPE BAPTISTE
Alors, pas sur Bétharram, mais de manière générale. Dans l'Enseignement supérieur, il y a systématiquement des instances qui permettent justement de contrôler, de surveiller ces dérapages. Après, est-ce qu'elles fonctionnent parfaitement bien ou pas ? La réponse est probablement qu'il y a plein de choses qui sont améliorables. J'ai mentionné en particulier les conseils disciplinaires et je pense vraiment qu'il faut essayer d'avancer et de réformer un petit peu la manière dont fonctionnent ces conseils disciplinaires, pour être en capacité en particulier sur des sujets qui sont très sensibles ou qui sont délicats, de ne pas les laisser en interne dans une université, mais de les dépayser et éventuellement aussi des magistrats professionnels qui sont autour, qui peuvent contribuer. Donc ça, je pense qu'il y a plein de choses très concrètes qu'on peut faire pour améliorer les choses, mais il y a des dispositifs qui existent aujourd'hui, il faut les faire fonctionner.
CHRISTOPHE BARBIER
Alors, je voudrais terminer par une note un petit peu plus riante. Vous, qui avez dirigé le Centre national d'études spatiales, est-ce qu'il faut avoir peur de l'astéroïde 2024 YR4 ?
PHILIPPE BAPTISTE
Ce n'est pas ce qui m'empêche de dormir.
CHRISTOPHE BARBIER
Bon, ça va, ce n'est pas la fin du monde.
PHILIPPE BAPTISTE
Non, non, non, je ne crois pas, je ne me crois pas. Puis si je me suis trompé, personne ne sera là pour s'en rendre compte.
CHRISTOPHE BARBIER
On surveille tout ça quand même, on est à la pointe.
PHILIPPE BAPTISTE
Non, mais bien sûr, évidemment, on surveille le déplacement de tous ces corps célestes, on identifie, mais les risques, je pense qu'honnêtement, vos auditeurs peuvent dormir assez tranquille.
CHRISTOPHE BARBIER
On ne sera pas écrasés en 2032. Philippe BAPTISTE, ministre chargé de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, merci beaucoup de votre venue ce matin.
PHILIPPE BAPTISTE
Merci beaucoup
source : Service d'information du Gouvernement, le 21 février 2025