Interview de Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi, à France 2 le 2 avril 2025, sur la condamnation de Marine Le Pen, les barrières douanières aux États-Unis, le déficit et les arrêts maladies frauduleux.

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Média : France 2

Texte intégral

JULIEN ARNAUD
Bonjour Madame la Ministre.

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Bonjour.

JULIEN ARNAUD
Merci d'être avec nous. Ce patin dans un environnement, on vient de l'entendre, économique, diplomatique, politique, compliqué. Commençons par les politiques, si vous le voulez bien, avec les suites de la condamnation de Marine LE PEN. Le parquet a donc annoncé hier qu'un nouveau jugement devrait intervenir d'ici à l'été 2026. Est-ce que, comme le dit Marine LE PEN ce matin dans la presse, c'est une bonne nouvelle pour vous ou pas, ce timing ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Ce n'est jamais bon qu'il y ait une contestation à ce point de la justice, qu'il y ait un ressentiment autour d'une élection volée. Donc, je pense qu'il faut d'abord rappeler les faits. Il y a beaucoup de discussions sur les conséquences politiques. Il faut quand même rappeler les faits, que Madame LE PEN aurait joué un rôle central. Le préjudice aussi causé de plusieurs millions d'euros. Il faut aussi rappeler à nos concitoyens le contexte de l'application de cette loi. La loi qui a été appliquée par les juges en première instance, c'est la loi Sapin qui a été votée dans les conséquences de l'affaire Cahuzac, où les Français réclamaient une célérité, de l'exemplarité, du zéro tolérance sur…

JULIEN ARNAUD
Mais est-ce qu'on est allé trop loin à ce moment-là, justement, peut-être ? Est-ce qu'on a basculé dans un excès inverse ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
En tout cas, la décision, ça a été les lois qui ont été votées à la fin des années 2000-2016.

JULIEN ARNAUD
Mais est-ce que c'était une erreur ? Sur laquelle on pourrait revenir ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Ça, ce n'est pas à moi d'en juger. Il faut quand même se rappeler le contexte de l'affaire Cahuzac, dans lequel il y a eu un émoi et une volonté d'exemplarité, et aussi, également, d'immédiateté des peines. Ce qui est important maintenant, c'est que la loi doit s'appliquer absolument à tout le monde. C'est pour ça que moi, je pense, dans la foulée de ce qu'a dit effectivement le ministre de la Justice, mais aussi Olivier FAURE, que c'est une bonne chose que la peine puisse se faire dans des délais, somme toute, raisonnables.

JULIEN ARNAUD
Éric CIOTTI a proposé qu'on change cette loi d'ici à juin. Le débat, il est quand même relancé. François BAYROU, d'ailleurs, hier, il a dit : "Moi, je suis favorable à une réflexion sur ce point de l'immédiateté de l'application". Est-ce… Quel est votre avis à vous, politiquement, peut-être personnellement ? Est-ce que vous pensez qu'il faut revenir sur cette loi ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
L'immédiateté de la sanction, effectivement, peut poser question, parce qu'il y a toujours, quand on doit pouvoir faire appel, et ça ne doit pas avoir une suspension pour l'ensemble. Donc l'immédiateté peut poser question. Mais encore une fois, quand la loi s'applique, elle doit s'appliquer pour tout le monde. Et personne n'est exonéré, quand bien même on a des sondages élevés pour les élections présidentielles. C'est pour ça que je pense que c'est une bonne chose, aujourd'hui, que l'appel et que la justice passent, parce qu'encore une fois, ce n'est jamais, jamais bon qu'il y ait un tel ressentiment de l'opinion publique vis-à-vis de la justice. On le voit, Axel De TARLÉ parlait des États-Unis, on le voit sur la Hongrie, on l'a vu sur la Pologne, quand il y a une fragilisation de la justice, c'est une fragilisation de l'État de droit pour l'ensemble de la société.

JULIEN ARNAUD
On sent, dans ce que vous dites et dans l'atmosphère générale, que l'exécutif est un peu gêné aux entournures autour de cette décision. Est-ce que vous redoutez, comme on peut le dire notamment dans Le Monde ce matin, qu'il y a un mouvement populaire qui pourrait finir par se retourner contre le GOUVERNEMENT, peut-être créer du désordre, du chaos dans le pays ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Moi, ce que je crains, c'est le retournement contre la justice, c'est ce que je viens de vous dire. C'est-à-dire qu'il n'est jamais bon qu'il y ait un fossé qui se crée, qu'il y ait deux fossés qui se créent. Le fossé, d'abord, qu'il y a des justiciables comme tout le monde, et puis il y a des gens qui sont au-dessus des lois. Et donc là, pour le coup, les juges, ils ont appliqué la loi pour tout le monde. Et puis le deuxième fossé qui peut se créer, c'est le fossé d'une justice qui soit politisée, à laquelle on ne peut pas faire confiance. Et encore une fois, c'est extrêmement important de réparer cela, parce que c'est le premier pilier qui peut fragiliser notre État de droit. On voit que ce sont les juges qui sont les premiers attaqués quand il y a une fragilisation de l'État de droit.

JULIEN ARNAUD
On voit que ça déstabilise l'équilibre politique. Marine Le PEN brandit ce matin à nouveau la menace d'une censure, notamment sur le plan pluriannuel de l'énergie. Est-ce que vous redoutez de ne plus être ministre dans les semaines qui viennent à cause de ça ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Moi, ce que je redoute, c'est que dans le contexte international, dans le contexte également de fragilisation de nos finances publiques, on voit bien aujourd'hui comment le redressement est difficile, c'est qu'on n'ait pas aujourd'hui de Gouvernement et de capacité à pouvoir faire ce que nous avons à faire, que ce soit dans l'emploi, que ce soit sur la réponse au niveau français ou européen, aussi aux Américains sur la question des barrières douanières et ça, ce serait pire que tout.

JULIEN ARNAUD
Les barrières douanières vont donc être annoncées tout à l'heure par Donald TRUMP, on voit qu'il renforce la pression. On l'a vu aussi avec une lettre qui a été envoyée par l'ambassade des États-Unis à certaines grandes entreprises françaises, où les États-Unis demandent à ces entreprises de cesser leur politique inclusive. Est-ce qu'elle a une valeur juridique cette lettre ? Est-ce qu'il faut l'expliquer ? Est-ce que l'extraterritorialité du droit américain peut s'imposer à nous ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
L'extraterritorialité du droit américain ne s'impose pas au droit français qui dit que travail égal, salaire égal, qui dit qu'il ne peut pas y avoir de discrimination possible dans l'entreprise et sur le marché du travail. Donc, le droit français, le droit du travail n'est pas à vendre à la découpe. Ça, c'est extrêmement important de le dire.

JULIEN ARNAUD
Et sur les droits de douane, est-ce que ça vous inquiète ? Quels sont les secteurs qui, pour vous, sont le plus menacés sur le plan de l'emploi, qui est votre domaine de compétence ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
On est forcément inquiets. On est forcément inquiets parce qu'on voit bien qu'on est en train de détricoter 80 ans d'ouverture des frontières. Et on est forcément inquiets parce qu'on voit bien que les droits de douane, le protectionnisme, ça n'a jamais été une bonne solution, ni pour le pays qui pratique, ni pour celui à qui on ferme les frontières. Donc, il y a de l'inquiétude. Et la seule certitude, c'est que la réponse, elle ne peut pas être nationale, il faut qu'elle soit européenne. Parce que ce n'est pas un marché de 65 millions de personnes françaises qui va peser, c'est un marché de 500 millions de personnes au niveau européen.

JULIEN ARNAUD
Alors, sur la question des déficits, en revanche, il faut une réponse nationale. La prévision de croissance va changer. Le ministre de l'Économie l'a dit hier. On était à 0,9. Ce sera quoi ? On est plutôt vers 0,7 ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
On est plutôt vers 0,7, qui sont les prévisions de croissance de la Banque de France.

JULIEN ARNAUD
Éric LOMBARD convoque une conférence des finances publiques le 15 avril. Vous y serez ? Comment vous allez faire pour sortir de ce cauchemar anticipé par la porte-parole du Gouvernement ? Cauchemar sur le budget. Où est-ce qu'on trouve tous ces dégâts ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Je pense qu'il faut avoir un discours de vérité aux Français sur le fait qu'aujourd'hui, d'abord, il y a un contexte économique qui peut sembler inquiétant, parce qu'on a parlé des hypothèses de croissance. On n'a pas encore anticipé précisément l'impact des décisions de droits de douane, qui ne vont pas nécessairement avoir des conséquences positives, donc je pense qu'il faut qu'on ait un discours… Et puis on a aussi le contexte géopolitique, où il faut aussi se réarmer, parce que ce parapluie américain, depuis 80 ans, est en train de partir. Et donc, je pense qu'il faut avoir un discours de vérité sur le fait que notre modèle économique est à bout de souffle, indépendamment de la situation géopolitique.

JULIEN ARNAUD
Alors qu'est-ce qu'on change ? Il y a plusieurs pistes qui ressortent du bois. Il y a notamment, ce matin, une piste qui a été écartée par le Gouvernement, mais qui revient régulièrement, c'est la TVA sociale. Elle est poussée par le MEDEF, il y a des sénateurs qui la remettent sur le tapis. Est-ce que vous, vous y seriez favorable ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Moi, ce que je regarde, c'est pourquoi est-ce qu'on a un modèle qui est à bout de souffle. C'est parce qu'aujourd'hui, on n'a pas assez de personnes qui, par rapport aux Allemands, par rapport aux Britanniques, par rapport aux Américains, travaillent. Les gens qui bossent, les gens qui nous regardent peut-être avant d'aller au travail ou avant d'aller accompagner leurs enfants pour aller au travail, ils bossent beaucoup. Le sujet, c'est qu'on n'a pas assez de gens qui bossent. Les jeunes, pour lesquels l'insertion sur le travail reste quand même difficile, malgré l'apprentissage, les travailleurs expérimentés depuis plus de 55 ans, et puis les femmes pour lesquelles, il faut quand même le dire, ça devient difficile parce que, faute de garde d'enfants, elles sont obligées de se retirer du marché du travail.

JULIEN ARNAUD
Oui, mais ça, le constat, tout le monde le fait plus encore.

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Le constat, le constat…

JULIEN ARNAUD
C'est quoi la douloureuse ? Parce qu'il faut dire aux gens, vous devez travailler plus, mais qui va travailler plus ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Le constat, c'est qu'il faut d'abord continuer à améliorer l'insertion de nos jeunes. Et donc, l'apprentissage, on a commencé, on continue.

JULIEN ARNAUD
Ça coûte cher ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Oui, mais ça coûte cher. Pourquoi ? Ça coûte cher parce qu'il faut mieux former nos jeunes pour qu'ils puissent trouver facilement, quel que soit le niveau de qualification, un travail qui est en plus un travail reconnu, sur lesquels il y a des métiers en tension, il y a des besoins, que ce soit du soudeur au chaudronnier, jusqu'à l'ingénieur.

JULIEN ARNAUD
Il nous reste… Non, mais je voudrais vous interroger sur…

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Parce que c'est absolument indispensable, parce que c'est ce qui va permettre de pouvoir financer notre protection sociale.

JULIEN ARNAUD
Un mot sur les arrêts maladie, s'il vous plaît, parce que les chiffres, c'est vrai, sont assez effarants. C'est vous qui les avez rendus publics. 17 milliards d'indemnités en 2024, c'était moins de huit milliards en 2017. On voit qu'il y a beaucoup d'abus, notamment sur Internet. Avec trois clics, on peut avoir un arrêt-maladie. Quand est-ce que tout ça sera terminé ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Alors, ces trois clics, ce n'est plus possible maintenant d'avoir un arrêt-maladie.

JULIEN ARNAUD
C'est encore possible.

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
On a beaucoup encadré aujourd'hui la possibilité de donner des arrêts de travail sur des plateformes. Ça, c'est un premier point. Ensuite, effectivement, on a réduit les indemnités journalières. Mais je pense qu'il faut qu'on regarde ce sujet de manière globale parce qu'effectivement, il y a des abus et c'est pour ça qu'il faut qu'on en discute avec les partenaires sociaux.

JULIEN ARNAUD
Sacré gisement d'économie. La croissance vraisemblablement revue à la baisse. 0,7 nous est dit ce matin. La ministre de l'Emploi… du Travail. Merci beaucoup, Astrid PANOSYAN-BOUVET.

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Merci.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 3 avril 2025