Texte intégral
BENJAMIN FONTAINE
Bonjour Manuel VALLS
MANUEL VALLS
Bonjour.
BENJAMIN FONTAINE
Les territoires ultra-marins, dont vous avez la charge sont ciblés, depuis hier, plus durement que le reste de la France par les droits de douane décrétés par Donald TRUMP. Ça a surpris tout le monde. Est-ce que depuis hier, vous avez compris pourquoi ces différences ?
MANUEL VALLS
Non, pas encore, parce qu'en plus, il y a beaucoup de listes qui circulent. Il paraît qu'il y en a une qui circule sans les territoires ultramarins.
BENJAMIN FONTAINE
Vous l'avez vue ?
MANUEL VALLS
Il y a une forme de chaos. Oui, j'ai vu une liste, mais moi, j'attends. Je ne suis pas dans l'administration américaine.
BERENGERE BONTE
C'est-à-dire qu'il ne serait plus concerné ?
MANUEL VALLS
Nous verrons bien, parce qu'on voit bien qu'il y a une forme de chaos. On a même vu l'administration américaine, Donald TRUMP, mettre des taxes douanières sur des pingouins, sur des territoires où il n'y a personne qui habite. Mais en revanche, il n'y a aucune mesure spécifique qui est prise sur la Russie de POUTINE, sur l'Iran ou sur la Corée Du Nord. Tout ça est très chaotique, mais restons sérieux. Il y a un risque de triple choc qui concerne évidemment aussi les territoires ultramarins. Un risque au niveau mondial, c'est un risque d'escalade. Les guerres commerciales ont ceci de spécifique, qu'elles ne font que des perdants. Elles provoquent des désastres. Nous l'avons vu dans les années 20 et 30. Il y a une attaque de notre modèle européen. Nous le voyons bien, puisque TRUMP, au fond, nous reproche des normes sanitaires et environnementales que nous imposons aux États-Unis pour protéger les Européens et la planète. Et puis au niveau français, il y a une attaque profondément politique avec des filières impactées. Nous les connaissons, qui sont celles aussi de notre puissance, l'aéronautique, les vins et les spiritueux, l'agriculture, la chimie. Donc, on voit bien que nous sommes face à un moment délicat. Il faut une réponse intelligente, graduée. C'est celle qu'évoquait le président de la République, hier, au niveau européen d'abord.
BERENGERE BONTE
Alors, on a entendu ce que vous disiez, cette hypothèse d'une liste qui n'intégrerait plus les territoires d'Outre-mer. Mais si on y reste quand même un instant, ce qui est d'autant plus surprenant, c'est que ces territoires sont parties intégrantes du territoire douanier de l'Union européenne, mais considérés fiscalement comme des territoires tiers. Pourquoi donc, Guadeloupe-Martinique, Guyane-Mayotte seraient à 10 % et La Réunion, qui a exactement le même statut légal, 37 % ? Pourquoi cette différence ?
MANUEL VALLS
Ça, il faut leur demander. On voit bien, par exemple, qu'il y a eu une attaque sans précédent contre un grand pays de l'océan Indien, Madagascar, et sans doute qui importe essentiellement, qui exporte, pardon, la vanille vers les États-Unis. Ce pays, qui est un pays pauvre, serait touché de plein fouet par ces décisions. Est-ce que La Réunion est mise dans le même paquet précédemment, toujours autour de la vanille ou d'un certain nombre de produits ? Honnêtement, je n'en sais rien.
BENJAMIN FONTAINE
Mais La Réunion qui fait des échanges importants, vanille, rhum…
MANUEL VALLS
Vous me demandez de chercher de la cohérence dans des mesures qui semblent marquées par l'improvisation, par des listes qui circulent, et par l'idée, que d'ailleurs les commentateurs mettent en avant, que tout ça est négociable, que c'est un deal que souhaiterait Donald TRUMP pour bénéficier à l'économie américaine, alors que celle-ci est en train, déjà, de connaître les effets d'une politique douanière de hausse de ses droits, qui est dangereuse pour l'économie mondiale, nous voyons bien avec cette guerre que j'évoquais, mais aussi pour l'économie américaine et ses travailleurs.
BENJAMIN FONTAINE
Manuel VALLS, l'un de vos prédécesseurs, l'ancien ministre des Outre-mer, Victorin LUREL, sénateur PS, il voit, lui, une contestation de la présence française dans ses territoires ultramarins. Vous l'interprétez de la même façon ?
MANUEL VALLS
C'est toujours possible, je n'avais jamais entendu cela de la part des autorités américaines. La Réunion est assez loin quand même de l'espace américain, alors ça veut dire qu'il faudrait plutôt une attaque douanière contre les Antilles et la Guyane, mais très honnêtement, nous sommes rentrés dans un nouveau monde, dans un monde qui est fait d'instabilité, où si les États-Unis restent évidemment nos alliés, les États-Unis, l'administration TRUMP, pardon, a décidé de changer ses alliances, de mener une attaque contre le modèle économique, commercial, les équilibres, la démocratie européenne. C'est ça qu'il faut avoir en tête, une guerre commerciale menée par Donald TRUMP, une guerre idéologique et libérale menée par VANCE, avec les conseils d'un Steve BANNON, qui est un néofasciste. Donc, on a là, dans l'administration américaine, les ingrédients de quelque chose qui est très dangereux. Donc, il faut garder son sang-froid. C'est ce que nous faisons au niveau français comme au niveau européen. Discuter toujours avec les Américains, mais se préparer aussi à une riposte rapide. Emmanuel MACRON l'annonçait, dès la mi-avril pour l'acier et l'aluminium. Et puis une réponse coordonnée, évidemment, parce que nous sommes 450 millions de consommateurs.
BENJAMIN FONTAINE
Il faut que l'Europe se serre les coudes.
MANUEL VALLS
Évidemment qu'il faut une réponse graduée, cohérente et d'abord européenne. Et une riposte globale, et on n'exclut absolument rien. Notamment, je pense aux réponses tarifaires à la tech et aux GAFAM. Donc oui, il faut une riposte forte et intelligente. C'est ce qui a été dit au niveau européen. Il faut savoir que quand on rentre dans une guerre commerciale, même s'il y a encore le temps et l'espace, il faut l'espérer pour la négociation. Il faut être capable d'une riposte intelligente et stratégique à chaque fois.
BERENGERE BONTE
Et coordonnée, dites-vous, sauf qu'on sent des petites nuances. Parce qu'évidemment, la question, c'est de savoir s'il faut riposter avant de négocier ou négocier avant de riposter. Emmanuel MACRON a l'air plutôt partisan d'une riposte assez ferme. Les propos d'hier étaient assez clairs. En Europe, Ursula von der LEYEN, les Allemands aussi sont plutôt dans la négociation d'abord. Et vous ?
MANUEL VALLS
Non, mais là, moi, je suis membre du Gouvernement français. Donc j'épouse évidemment la position du chef de l'État. Mais quand je parle d'une riposte intelligente et stratégique, elle doit toujours avoir à l'esprit l'amélioration de notre productivité, la réindustrialisation, la compétitivité, la décarbonation de notre économie et évidemment à chaque fois la défense de nos intérêts stratégiques. Je pense à l'agroalimentaire, mais je pense aussi, bien sûr, aux territoires ultramarins qui subissent d'ailleurs, je le dis en passant, non seulement cette attaque commerciale scandaleuse. Évidemment, je suis en plein soutien à ces territoires, mais qui subissent aussi d'autres attaques, d'autres influences de la part de la Russie ou de l'Azerbaïdjan. Donc, nous sommes dans ce moment grave où tout bascule. Donc, il faut être prêt à mener cette bataille commerciale.
BERENGERE BONTE
Vous êtes solidaire de la position française. On l'entend bien. Mais quand Emmanuel MACRON…
MANUEL VALLS
Mais il ne manquerait plus que ça.
BERENGERE BONTE
On l'entend bien, mais…
BENJAMIN FONTAINE
On a vu d'autres ministres pas forcément en soutien du Premier ministre ou du Président sur d'autres sujets.
BERENGERE BONTE
Et quand Emmanuel MACRON dit "Suspendez vos investissements hier aux entreprises", est-ce qu'il ne réagit pas un peu vite, un peu fort ? Et surtout, est-ce que c'est envisageable ? Les entreprises françaises qui avaient entamé des investissements ne vont pas s'interrompre ?
MANUEL VALLS
Mais pour entendre le président de la République régulièrement au Conseil des ministres, pour m'entretenir avec lui, je partage le sentiment de gravité. Nous ne sommes pas dans un moment où ça passera. Il faut entendre ce que dit Donald TRUMP. Ce n'est pas une foucade. Ce n'est pas improviser seulement, même s'il y a une part d'improvisation et d'amateurisme.
BERENGERE BONTE
Mais suspendre les investissements des entreprises françaises…
MANUEL VALLS
Mais nous sommes dans un moment où l'administration américaine a décidé de changer un certain nombre d'alliances, de mener une guerre commerciale d'abord à l'égard de ses principaux alliés historiques, à commencer par l'Europe. Et donc nous avons besoin, bien sûr, de la réflexion, mais de montrer que nous sommes conscients de ce qui est en train de se passer. Donc, si nous rentrons et j'espère que nous pourrons l'éviter dans cette guerre commerciale que souhaitent les Américains, il faut s'y préparer. Et donc, les propos du président de la République vont, je crois, dans ce sens.
BENJAMIN FONTAINE
Une guerre commerciale qui est déjà en train de faire flancher les bourses mondiales. On le voit depuis hier. Est-ce que finalement, Donald TRUMP ne va peut-être pas tomber dans son propre piège ?
MANUEL VALLS
Sans doute. Mais dès qu'on rentre dans une guerre des droits de douane, il faut rappeler les erreurs, y compris des États-Unis d'Amérique, dans les années 20 et 30. Et cela conduit à la crise de 1929. Cela conduit à la Grande Dépression. Et cela conduit aussi pardon d'être un peu grave à la Seconde Guerre mondiale, puisque les économies européennes se sont effondrées, favorisant la montée des fascismes et des populismes à l'époque. Alors comparaison, comparaisons, nous sommes dans d'autres moments. Mais cette guerre commerciale peut plonger les classes moyennes, les classes ouvrières, qui vivent déjà des situations difficiles, des deux côtés de l'Atlantique et donc, aussi aux États-Unis, dans une situation extrêmement précaire. Il y a une part d'improvisation, il y a une part de folie. À l'idée de privilégier à tout prix la puissance américaine, qui n'en manque pas déjà, on risque de provoquer, en effet, un effondrement des économies.
BERENGERE BONTE
Encore un mot là-dessus. Vous l'évoquiez, ces surtaxes sont censées répondre ce que les Américains, enfin, des barrières dites non-tarifaires, à l'entrée des produits américains, par exemple des normes sanitaires et environnementales. Comment vous entendez, ceux qui régulièrement laissent entendre quatre normes, qu'il faut revenir un peu en arrière ? Vous, vous dites : "Ne cédons surtout pas là-dessus", c'est aussi une nécessité européenne ?
MANUEL VALLS
On peut toujours assouplir des normes, être intelligent, les adapter. Mais le ministre des Outre-mer que je suis est confronté, voit tous les jours avec les ultramarins, quels sont les effets du changement climatique, du réchauffement climatique avec les traits de côte, des cyclones de plus en plus fréquents et de plus en plus violents, l'augmentation de la chaleur, ce que cela peut représenter pour tous les circuits d'eau, on pourrait parler de Mayotte, de la Guadeloupe, de la Guyane, bref, de la Réunion bien sûr, qui a été, il y a quelques semaines encore, frappée et par un cyclone et avant par une crise de l'eau dans une partie du territoire. Donc face à ces sujets-là, si on ne prend pas conscience que la priorité, c'est la préservation de la planète et notre capacité à avoir donc une économie décarbonée, alors ça veut dire qu'on est totalement à côté de la plaque, à côté de l'histoire. Ce n'est pas la première fois que cette administration de TRUMP, c'était le cas déjà quand il était président des États-Unis, il y a un peu plus de quatre ans, si les États-Unis sortent totalement des traités qui permettent la lutte contre le changement climatique, contre le réchauffement climatique, évidemment, là, on aura à faire face à des conséquences en plus graves. Donc vous avez une guerre en Europe, vous avez une guerre commerciale dans le monde et en plus, une volonté de nier ce qu'est la réalité du changement climatique, c'est particulièrement grave.
BERENGERE BONTE
Mais pour ne peut-être pas multiplier les déclarations sur ces normes européennes qui sont si faciles à balayer comme ça.
MANUEL VALLS
Mais on ne peut pas les balayer, ça veut dire qu'on ne peut pas faire preuve d'intelligence, on voit bien dans le débat entre agriculture, écologie, il y a un certain nombre de choix qui ont été faits. Mais sur la stratégie globale de lutte contre le réchauffement climatique, il ne faut pas s'en écarter, il en va tout simplement de l'avenir de l'espèce humaine.
BENJAMIN FONTAINE
Manuel VALLS, on va revenir avec vous dans quelques instants sur la situation dans les territoires ultramarins, à Mayotte notamment, en Nouvelle-Calédonie, à La Réunion. On va évoquer évidemment la politique française avec une invitation de Donald TRUMP, cette nuit, dans la politique française. On va y revenir, ce sera juste après le Fil info à 8 h 45 avec Magali HOMO.
(…)
BERENGERE BONTE
Emmanuel VALLS, ministre d'État, ministre des Outre-mer. Benjamin FONTAINE le disait, Donald TRUMP s'immisce, s'invite dans la politique française ce matin en appelant à la libération de Marine LE PEN. Ça aide ou ça plombe, un soutien de Donald TRUMP pour Marine LE PEN ?
MANUEL VALLS
L'administration américaine, à travers son président ou son vice-président, marque le soutien à l'extrême-droite britannique, aux néo-nazis de l'AFD en Allemagne, à l'extrême-droite en Espagne. Je ne suis pas sûr que ça aide. En tout cas, ça démontre qu'il y a une internationale réactionnaire, une internationale d'extrême-droite qui cherche à peser dans les débats. Pas touche pas à la justice française, monsieur TRUMP. Il faut quand même respecter une grande démocratie. Nous respectons la démocratie américaine, le choix des électeurs américains, quoi qu'on en pense. Et moi, je demande un respect de ce qu'est la France, sa République, son histoire, intimement liée d'ailleurs à l'histoire américaine depuis la Fayette, et donc, au travail de la justice française, d'une manière générale…
BENJAMIN FONTAINE
C'est ce que vous lui répondez, ce matin ?
MANUEL VALLS
Ce que je ressens, c'est que dans le populisme et dans cette extrême droite réactionnaire, dans ce mouvement qu'on sent monter un peu partout dans le monde, il y a une conception de la démocratie qui est une remise en cause de la séparation des pouvoirs. Moi, qui suis profondément républicain, qui défends le travail de la police, de la gendarmerie, je défends aussi profondément l'indépendance de la justice. Dans le moment grave que j'évoquais tout à l'heure, parce qu'on voit bien qu'il y a une remise en cause de la démocratie, il y a même un doute général dans les opinions sur la démocratie. Remettre en cause dans le pays de Montesquieu, qui a inventé la séparation des pouvoirs, cette séparation me paraîtrait et me paraît particulièrement grave.
BERENGERE BONTE
Il y a un doute, et je reprends votre mot, qui s'est installé dans le débat depuis le début de la semaine. Il y a cet appel à soutenir Marine LE PEN, lancé par le RN, qui revendique 1,5 million de signatures pour sa pétition d'ailleurs, et 20 000 adhésions en plus depuis le début de la semaine. Jordan BARDELLA récuse, lui, le terme de coup de force à propos de la manif de dimanche. Quel regard portez-vous sur ce qui se passe en France ?
MANUEL VALLS
L'émotion, l'affection à l'égard d'une dirigeante, la volonté de changer la loi. Tout ça, je peux le comprendre, ça fait partie du débat. Mais nous ne devons pas tolérer la mise en danger, d'abord, de l'intégrité des magistrats, désormais protégés, mais nous ne devons surtout pas, et j'y insiste, tolérer la remise en cause du système de la justice, de son indépendance, de son impartialité. Plusieurs élus, et notamment des élus ultramarins, sont condamnés sur les mêmes bases, et chacun est égal devant la justice. S'ils ont fauté, c'est normal. Le parti de madame LE PEN, qui pendant des décennies a exhibé le slogan "mains propres, tête haute" et qui réclamait l'inéligibilité à vie des élus, un certain nombre de ses responsables sont condamnés pour des faits graves, détournements. Je lis uniquement ce que je vois dans la presse. Il faut respecter les décisions de justice. On peut évidemment manifester, mais attention au chaos et attention à la remise en cause de principes fondamentaux qui sont ceux de la République.
BENJAMIN FONTAINE
Alors justement, Jean-Luc MELENCHON parle de risques séditieux dimanche. Il craint des dérapages. Est-ce qu'il faut l'autoriser ce rassemblement dimanche ?
MANUEL VALLS
Je crois que le droit de manifester doit être respecté si les conditions se réunissent, s'il n'y a pas de troubles à l'ordre public. Il faut respecter, que ça fait partie de la démocratie.
BENJAMIN FONTAINE
Même lorsqu'on remet en cause l'indépendance des juges ?
MANUEL VALLS
C'est un droit constitutionnel. Mais avec d'autres, ça fait partie de ceux qui disent qu'on ne peut pas mettre en cause des magistrats. On ne peut pas parler de la manière dont on l'a fait, l'autre jour, à l'Assemblée nationale d'un carton de magistrats. Si on met en cause ainsi la justice, surtout quand il s'agit des responsables politiques, on crée les conditions d'une confusion. Je crois que les Français sont profondément attachés à cette séparation des pouvoirs. Dans ce moment-là que j'évoquais, j'insiste, de troubles, de remise en cause de la démocratie, dans un climat géopolitique particulièrement grave, nous l'avons beaucoup évoqué, n'oublions pas la guerre en Ukraine, ce n'est pas le moment de mettre en cause les fondements de notre démocratie, de nos institutions.
BERENGERE BONTE
Vous avez peut-être entendu, hier soir, Bruno RETAILLEAU qui donne raison à Jordan BARDELA, c'est sur France 2. Il parlait de juges rouges. Le ministre de l'Intérieur a jugé objectif qu'il y ait des juges rouges et il s'en prend au syndicat de la magistrature. Je ne parle même pas seulement à l'homme de gauche, que vous êtes toujours, je pense.
MANUEL VALLS
Je vous confirme. Vous parlez d'abord à un ministre de la République, vous parlez à un républicain.
BERENGERE BONTE
Et qu'un autre ministre de la République qualifie les juges ainsi, ça ne vous choque pas ?
MANUEL VALLS
Nous sommes dans un moment où notre rôle est de défendre l'état de droit. Nous sommes dans un moment où nous devons défendre des principes comme la séparation de la justice. Qu'on soit de droite et de gauche. Moi, je suis un républicain de gauche mais avant tout je suis un patriote, je suis un démocrate. Dans un moment où dans le monde, nous voyons bien, il y a des forces, il y a des dangers. Il y a évidemment la guerre en Europe, il y a les attaques que nous subissons de la part de l'islamisme. Il y a cette internationale réactionnaire qui se sent renforcée évidemment par la victoire de Donald TRUMP et par ses attaques permanentes contre le système démocratique. Nous sommes dans un moment où il faut être clair et tous les mots ont leur importance. Moi, je n'attaquerai pas la justice.
BENJAMIN FONTAINE
Donc c'est une erreur de Bruno RETAILLEAU ?
MANUEL VALLS
C'est vous qui faites les commentaires,…
BENJAMIN FONTAINE
Je vous pose la question.
MANUEL VALLS
Moi, je défends des positions. Nous sommes dans un moment où tout mot a son importance. Et quand on gouverne, quand on est au gouvernement, il faut être très attentif à défendre la séparation des pouvoirs.
BENJAMIN FONTAINE
Donc il ne le fait pas quand il parle de juges rouges ?
MANUEL VALL
Il y a longtemps, le fameux mur dit des cons du syndicat de la magistrature, ça ne fait pas plaisir. Bruno RETAILLEAU parle d'un syndicat, il ne parle pas des magistrats. Mais attention, il y a des juges, les juges ont des opinions. Il y a des juges de gauche, il y a des juges de droite, il y a des constatants. Mais ils appliquent la loi. C'est ça qu'il faut rappeler. Et vous savez, la justice ce n'est pas uniquement celle qui concerne les politiques. La lutte contre la corruption est indispensable dans une démocratie. Donnons pas en plus le système en voulant changer, donnons pas le sentiment, pardon, en voulant éventuellement changer la loi, que cela devrait profiter d'abord aux politiques. Alors que nos compatriotes, ils sont aux prises de la justice, notamment civile ou administrative, tous les jours.
BERENGERE BONTE
D'autant que cette expression de juges rouges, précisément, c'était dans les années 70, on l'a un peu oublié.
MANUEL VALLS
C'est un peu vintage.
BERENGERE BONTE
Non mais c'était des juges qui étaient qualifiés de rouges, parce qu'ils s'en prenaient, qu'ils avaient condamné un patron qui s'en était pris au droit syndical.
MANUEL VALLS
Vous avez raison, et reconnaissons que depuis les années 90, et tous les gouvernements y ont contribué, nous avons renforcé les moyens de lutter contre la corruption. La fameuse loi SAPIN de 2016, j'étais Premier ministre, visait à lutter d'abord contre la corruption dans le monde économique. Il faut toujours le rappeler. J'ai voté la loi de 2017, qui renforçait les moyens de lutter contre la corruption ou les fautes des élus. C'est une minorité, il faut toujours le rappeler. L'immense majorité des élus de ce pays, les élus locaux notamment, font un travail tout à fait exceptionnel. Ne mettons pas à mal, parce qu'il y a une actualité, parce qu'il y a des tensions, cet édifice. Nous devons défendre plus que jamais nos principes démocratiques.
BENJAMIN FONTAINE
Manuel VALLS, vous rentrez de Nouvelle-Calédonie. Vous avez passé quatre jours à discuter avec toutes les parties qui se regardent, c'est vrai, un peu en chien de faïence depuis les émeutes du printemps dernier. Objectif, un accord sur l'avenir institutionnel de Lille à la fin du mois. Est-ce que c'est possible ?
MANUEL VALLS
C'est indispensable surtout. La Calédonie va très mal, son économie est à terre. Les inégalités sociales, les fractures sociales sont là. Il y a eu des morts, le sang a coulé. Les braises sont toujours là, et donc, il y a toujours des risques d'explosion politique ou sociale. Nous avons réussi à ce que tout le monde se parle de nouveau, il y a quelques semaines, de nouveau il y a quelques jours. J'y retourne à la fin des mois. Oui, moi je souhaite un accord, pas pour moi, mais d'abord pour la Nouvelle-Calédonie. Un accord qui permette d'abord de la stabilité, pour permettre à l'économie de repartir, aux investisseurs de revenir.
BERENGERE BONTE
Donc, sur un calendrier long, sur une dizaine d'année.
MANUEL VALLS
Nous nous verrons bien, précisément, il y a beaucoup de discrétion dans les débats, et chacun le respecte, parce qu'il faut réussir cet accord. L'une de mes priorités, c'est, par exemple, la relance du secteur du nickel. C'est stratégique aujourd'hui, notamment par rapport au débat que nous venons d'avoir, la Commission européenne s'y intéresse, notamment à travers le commissaire SEJOURNE. Mais pour cela, pour permettre aux investisseurs des reprises des entreprises qui sont en difficulté là-bas, il faut de la stabilité. Et donc, je pense qu'on doit pouvoir progresser ensemble, d'où la nécessité d'engager des négociations, que j'espère faire aboutir dans quelques semaines.
BENJAMIN FONTAINE
Jusqu'où l'État est prêt à aller ?
MANUEL VALLS
Mais il faut un accord global. La France a des intérêts stratégiques en Nouvelle-Calédonie et dans le Pacifique. L'État continuera à assurer, bien sûr, ses responsabilités en matière de sécurité extérieure ou intérieure. Les Calédoniens ont voté pour que la Calédonie reste française, mais il y a aussi une aspiration à l'émancipation, à avoir plus de responsabilités, et aussi une aspiration à écouter la revendication du peuple premier, du peuple autochtone, des Canaques. Donc tout cela…
BERENGERE BONTE
Le jeu du corps électoral, qui est toujours un symbole pour les Canaques.
MANUEL VALLS
Non, pas que pour les Canaques, parce qu'il y a des Calédoniens qui sont là depuis pas longtemps et qui ne peuvent pas voter, mais pour tout le monde. S'il y a un accord global, nous pouvons aussi…
BERENGERE BONTE
En gros, les indépendantistes ne veulent pas que les habitants qui sont arrivés après 1998 puissent voter.
MANUEL VALLS
Oui, mais il y a les natifs, il y a les conjoints, mais je rentre déjà trop dans les détails. S'il y a un accord global, eh bien il y aura aussi un accord sur la question de la citoyenneté et du corps électoral. Il y aura aussi un accord sur de nouvelles compétences pour les provinces, et notamment en termes de fiscalité. Mon souhait, c'est qu'il y ait un accord global.
BERENGERE BONTE
Sur le gel du corps électoral.
MANUEL VALLS
On ne peut avancer qu'avec un accord global. Et sur tous les sujets. Sur tous les sujets, nous pouvons avancer, y compris sur la question du gel électoral.
BENJAMIN FONTAINE
Vous partez demain à La Réunion et à Mayotte. Un mot de La Réunion, qui est en proie à une nouvelle crise de chikungunya, avec un pic de l'épidémie prévue mi-avril, des hôpitaux saturés, une activité économique touchée, selon le président de la CCI. Est-ce que tout est sous contrôle ?
MANUEL VALLS
L'activité économique est touchée déjà depuis plusieurs semaines, notamment à cause du cyclone Garance. Il y a déjà un énorme travail qui a été fait pour lutter contre les effets du chikungunya. C'est vrai que les semaines les plus délicates aujourd'hui se profilent. Le pic est attendu pour la mi-avril. 40 000 doses sont arrivées hier de vaccins, notamment parce qu'il y a une campagne de vaccination, il faut toujours le rappeler, ciblée sur les personnes fragiles, personnes âgées.
BERENGERE BONTE
40 000 doses pour des contaminations qui sont évaluées, au moment du pic, entre 13 000 et 29 000, presque 30 000 contaminations par semaine.
MANUEL VALLS
Les vaccinations, ce sont pour les personnes âgées, pour la comorbidité.
BENJAMIN FONTAINE
Et donc, 65 ans.
MANUEL VALLS
On a, depuis la mi-août de l'année dernière, 2024, un peu plus de 20 000 cas. Donc oui, c'est une situation qui met sous tension tout le système de santé. J'irai d'ailleurs rencontrer les professionnels de santé. Il y a 6 000 cas par semaine. Il y a déjà eu de décès des personnes âgées. Donc tout le système de santé est mobilisé.
BENJAMIN FONTAINE
Mais ça va venir, vous faites ce qu'il faut ?
MANUEL VALLS
Tout est fait, évidemment. L'ARS est mobilisé. Et l'une des raisons pour lesquelles je me rends aussi à La Réunion, c'est pour marquer notre engagement sur ce dossier qui inquiète évidemment des populations qui sont déjà touchées par les effets du cyclone Garance ou par des problématiques économiques et sociales qui restent plus lourdes à La Réunion qu'ailleurs.
BERENGERE BONTE
Un très rapide mot de Mayotte, puisque vous enchaînez ensuite avec Mayotte quatre mois après le passage du cyclone, justement. Dans quel état vous vous attendez-vous à trouver l'île en termes d'eau, d'électricité, de reconstruction ?
MANUEL VALLS
J'étais il y a quelques semaines et je m'y rends régulièrement. Nous sommes dans un moment qui reste très difficile. Je pense notamment à la question de l'eau, parce que tous les cycles de l'eau ont été aussi détruits par la disparition d'une grande partie de la forêt. On met le paquet. On a déjà voté un texte de loi d'urgence pour permettre vite la reconstruction. Il y a un autre texte de loi qui va arriver en mai au Sénat. On met le paquet, mais c'est difficile parce que la réalité, la vie quotidienne des Mahorais, cette vie quotidienne reste très difficile. Donc, j'y vais aussi pour faire le point sur cette mobilisation. Nous leur donnons ça aux Mahorais qui sont tellement attachés à la France.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 4 avril 2025