Déclaration de M. Laurent Marcangeli, ministre de l'action publique, de la fonction publique et de la simplification, sur les agences, les opérateurs et les organismes consultatifs de l'État, au Sénat le 7 mai 2025.

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  • Laurent Marcangeli - Ministre de l'action publique, de la fonction publique et de la simplification

Circonstance : Audition au Sénat devant la Commission d'enquête Mission des agences de l'Etat

Texte intégral

M. Pierre Barros, président. - Nous recevons cet après-midi M. Laurent Marcangeli, ministre de l'action publique, de la fonction publique et de la simplification. C'est la première des auditions de membres du Gouvernement auxquelles nous procéderons. En effet, nous recevrons, le jeudi 15 mai, Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics, puis, le 5 juin, M. François Rebsamen, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. Nous prévoyons enfin de recevoir Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité, à une date non encore déterminée.

Monsieur le ministre, votre audition est particulièrement importante pour nous, car vos trois attributions ont fait l'objet de débats dans le cadre de nos travaux :

- si nous étudions les agences, les opérateurs et les organismes consultatifs de l'État, c'est bien pour trouver la meilleure manière d'assurer la mise en oeuvre de l'action publique, soit par l'administration centrale et décentralisée, soit par des organismes plus autonomes ;

- dans ce cadre, nous avons vite identifié la question de la fonction publique comme très importante, car les agences, c'est d'abord du personnel, de droit public ou privé, qu'il faut réorienter ou reclasser lors de toute opération de fusion ou de transformation ;

- enfin, le thème de la simplification revient dans presque toutes nos auditions, car la complexité du paysage des opérateurs, qui s'ajoute à celle de l'organisation administrative nationale, suscite incompréhension et méfiance chez les citoyens, les entreprises et les élus locaux ; nous l'avons constaté lors de nos deux déplacements dans le Val-d'Oise et dans le Loiret.

En outre, le Premier ministre a lancé le 21 février dernier, avec Mme de Montchalin et vous-même, un processus de revue des missions des ministères et de leurs opérateurs. Ceux-ci devaient recenser leurs missions, puis soumettre à la mi-avril un " projet de contrat de simplification et d'efficience ". Ce calendrier a-t-il été respecté ? Quelles conclusions en avez-vous tirées pour ce qui concerne les agences et opérateurs de l'État ?

Vous représentez également le Gouvernement pour l'examen en séance publique du projet de loi de simplification de la vie économique, qui a été interrompu à l'Assemblée nationale, mais qui doit reprendre à la fin du mois. Quelles leçons en tirez-vous pour les pistes de réforme de l'action publique, notamment en ce qui concerne les commissions consultatives ?

Enfin, je ne peux pas ne pas évoquer les propos de votre collègue, Mme de Montchalin, qui a annoncé, le dimanche 27 avril dernier, que le Gouvernement supprimerait, d'ici à la fin de l'année, un tiers des agences et des opérateurs de l'État qui ne sont pas des universités, en vue d'une économie de 2 à 3 milliards d'euros. Puisque vous êtes les deux ministres paraissant chargés du dossier, pouvez-vous nous confirmer qu'il s'agit bien d'un objectif partagé au sein du Gouvernement et nous donner plus de détails sur les organismes concernés et sur la manière dont vous comptez arriver à un tel montant d'économies ?

Avant de passer la parole à Mme le rapporteur, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.

Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : " Je le jure. "

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Laurent Marcangeli prête serment.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je vais commencer par une question simple : lors de l'examen du projet de loi de simplification de la vie économique, au début du mois d'avril, vous avez déclaré que le Gouvernement serait " défavorable, par principe, à toute suppression d'opérateur ou d'agence " ; pouvez-vous nous expliquer ces propos ?

M. Laurent Marcangeli, ministre de l'action publique, de la fonction publique et de la simplification. - J'ai dit dans le cadre de l'examen du projet de loi de simplification de la vie économique que nous ne procéderions à aucune suppression, pour une bonne et simple raison : nous respectons votre travail et nous respectons la parole donnée. Le 21 février dernier, lorsque le Premier ministre a réuni l'ensemble des directeurs de service et des directeurs de cabinet des ministres, pour lancer le processus de refondation de l'action publique, nous avons demandé que l'État fasse le point sur son fonctionnement, sur ses missions et sur l'efficience et l'éventuelle redondance de celles-ci. Dans le cadre de cette mission, nous avons souhaité nous interroger sur nos agences et autres opérateurs.

Parallèlement à cela, à l'Assemblée nationale, j'ai indiqué en commentaire de chaque amendement de suppression d'une agence ou d'un opérateur qu'il fallait attendre le rapport de votre commission d'enquête, qui constituera pour nous une aide à la décision. Or, comme les conclusions de la mission lancée le 21 février devraient concorder, peu ou prou, avec le contenu de votre rapport, madame le rapporteur, je pense que nous pourrons unir nos forces, travailler de concert pour y voir plus clair.

Je commence ce travail avec une méthode, fondée sur l'écoute et sur l'attente de vos conclusions. Je veux suivre une démarche, non de bloc contre bloc, mais de bon sens et qui transcende les clivages politiques. Je souhaite que l'on se réinterroge objectivement sur la performance de notre système. Je ne veux pas que l'on se fixe un objectif chiffré, comptable. Je ne veux pas non plus décider au doigt mouillé, ce qui ne serait pas responsable, et je souhaite travailler dans la précision et le respect de la réalité. En effet, nos compatriotes, qui entendent parler depuis des mois ou des années des opérateurs, savent-ils que, parmi ces derniers, se trouvent les universités ou encore l'École polytechnique, ce centre de formation des élites dont notre pays a tant besoin ? Je serai donc totalement étranger à toute forme de caricature dans le cadre de mes travaux sur cette mission, chère au Sénat.

Chaque projet de transformation devra être rigoureusement justifié par trois éléments : d'abord, la lisibilité de l'action publique ; ensuite, la compatibilité culturelle et organisationnelle entre les structures concernées ; enfin, un plan de ressources humaines clair, car, lorsque l'on parle d'opérateurs ou d'organismes, on parle avant tout de femmes et d'hommes. Je suis certes le ministre de la simplification, mais je suis aussi le ministre de la fonction publique, des agents publics. Or, au sein de ces opérateurs, de nombreux agents publics sont présents.

J'ai proposé au Premier ministre une approche différenciée selon la typologie des opérateurs. J'en évoque ici rapidement les grandes lignes, car nous aurons certainement l'occasion d'y revenir.

Il existe d'abord les opérateurs performants, la catégorie A : je pense, par exemple, que personne ne remettra en question l'existence et l'organisation actuelle de Polytechnique.

Viennent ensuite les opérateurs redondants, la catégorie B : ce sont ceux qui contribuent à la perte de lisibilité que j'évoquais à l'instant.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je me permets de vous couper : quelle est la définition d'un opérateur performant ? d'un opérateur redonnant ? d'un opérateur de catégorie C ? En outre, quels sont les critères utilisés pour classer les opérateurs entre ces trois catégories ?

M. Laurent Marcangeli, ministre. - Les opérateurs performants seront ceux qui seront considérés, par votre commission d'enquête et par le Gouvernement, comme remplissant leur mission et apportant une véritable valeur ajoutée à la fonction publique.

Les opérateurs redondants sont ceux qui contribuent, disais-je, à une perte de lisibilité de l'action publique, du fait de compétences qui se recoupent ou de synergies demeurées inexploitées. Dans ce cas, des fusions ou des rapprochements peuvent avoir du sens, même si ce n'est pas une solution miracle, puisque les fusions ne divisent pas les effectifs par deux ; il faut en effet avoir à la fois une vision en matière de ressources humaines et une vision comptable.

Enfin, il y a les opérateurs qui ont été créés pour l'agilité ; c'est la catégorie C. Or, même lorsqu'une activité a été externalisée au sein d'un opérateur pour contourner certaines rigidités, il faut aussi, je le pense, se poser la question de sa réinternalisation, car celle-ci peut permettre de renforcer la prise directe des autorités politiques sur ces opérateurs. Les ministères ne doivent pas se déposséder de leurs talents et de leurs compétences.

Toutefois, tout cela doit être examiné au cas par cas. Je le répète, je souhaite disposer d'une vision minutieuse de chacun des opérateurs, de chacune des entités. En effet, si l'on se lançait dans une opération purement chiffrée, fondée sur des pourcentages, on n'irait pas véritablement au fond des choses. La gestion des opérateurs doit donc se faire ainsi : si l'externalisation demeure justifiée, conservons ce mode de fonctionnement ; en revanche, si telle ou telle activité doit revenir sous l'autorité du ministre, il ne faudra pas s'interdire de la réinternaliser. Il y existe aussi des opérateurs dont les missions sont identiques ou proches ; il faudra alors les mettre en réseau.

Telle est la méthode que je souhaite appliquer dans le cadre de ma mission, afin d'atteindre un objectif que nous devons tous partager : parvenir à plus de lisibilité dans notre action publique, dans le fonctionnement de nos institutions et dans les dépenses qui y sont associées, afin que nous puissions rendre des comptes à nos concitoyens.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous avez évoqué la réunion du 21 février dernier, au cours de laquelle on a demandé aux ministres et aux directeurs d'administration centrale d'examiner les actions de leurs directions respectives et des opérateurs placés sous leur tutelle. À cet effet, des tableaux leur ont été transmis qui, si j'ai bien compris, ont depuis lors été restitués. Une partie des documents a été communiquée aux présidents et rapporteurs généraux des commissions des finances des deux chambres.

J'ai cru comprendre que vous disposiez d'autres tableaux, notamment la classification des opérateurs en trois catégories ; est-ce bien le cas ?

M. Laurent Marcangeli, ministre. - Oui.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je vous serai reconnaissante de bien vouloir les transmettre à la commission d'enquête.

Quelle sera la suite de la démarche ? Est-il prévu une analyse critique des tableaux, qui sont remplis par les parties prenantes elles-mêmes ? On peut légitimement se demander si ces dernières ne chercheront pas à défendre leur propre cause... Dès lors, une procédure d'audit externe est-elle prévue ? Existe-t-il en outre une forme d'harmonisation ? En effet, un ministère au périmètre très large est susceptible d'avoir un regard plus sévère sur ses opérateurs qu'un ministère doté d'un petit périmètre.

Par ailleurs, quels sont les services transversaux du Gouvernement qui sont mis à contribution ? Nous avons compris que la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) était au coeur de la réflexion ; est-ce bien le cas ?

Enfin, quelles sont les prochaines étapes ? Vous avez évoqué un rapport pour fin juin ou début juillet ; est-il prévu des réunions d'étape, par exemple du Comité interministériel de la transformation publique (CITP) ?

M. Laurent Marcangeli, ministre. - J'ai adressé, le 21 mars dernier, un courrier à l'ensemble de mes collègues en tant que ministre de la simplification, dans lequel j'évoque ce sujet, mais aussi, plus largement, l'ensemble des questions susceptibles d'être portées en binôme avec moi en matière de simplification de la vie de nos concitoyens. Ainsi, la semaine dernière, par exemple, j'étais à l'hôtel de Roquelaure, où siège le ministre François Rebsamen, pour annoncer des mesures de simplification relatives aux élus locaux. Nous avons participé à une réunion en binôme, dans cet état d'esprit.

Parmi les requêtes que j'ai adressées aux ministres dans le courrier du 21 mars dernier, j'ai demandé que chacun fasse le point sur l'ensemble des agences et opérateurs dépendant de son ministère, au titre des politiques publiques dont ils ont la charge. Je dois bien avouer que, pour l'instant, la présentation de certains plans ministériels demeure incomplète. Je ne citerai pas de noms, mais, pour quelques ministères, une seconde réunion devrait avoir lieu au cours de ce mois.

Comme toujours, les arbitrages seront rendus in fine par le Premier ministre, avec, très vraisemblablement, une validation des plans à la mi-juin. Cette validation serait probablement actée par le comité interministériel de la transformation publique, qui se réunirait à ce moment-là. Cela reste toutefois à confirmer, compte tenu du grand nombre de comités interministériels à organiser d'ici à la fin de l'été. Ce CITP intégrerait les plans de transformation ministérielle, en lien avec les plans ministériels du numérique attendus d'ici à la tenue du salon VivaTech, au cours de la deuxième semaine de juin.

Je vous transmettrai naturellement copie du courrier adressé à l'ensemble de mes collègues du Gouvernement le 21 mars dernier.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je souhaite revenir sur la question des ressources humaines. Lors de nos auditions, nous avons entendu deux messages contradictoires.

D'une part, certains nous ont expliqué que l'une des causes de la création des agences avait été la volonté de contourner le cadre statutaire de la fonction publique, en permettant le recrutement d'agents contractuels ou d'agents publics en détachement avec des rémunérations plus élevées, afin d'attirer des compétences spécifiques.

D'autre part, d'autres intervenants nous ont affirmé que tout cela n'était plus d'actualité, que l'on percevait maintenant la même rémunération, qu'on soit placé en position normale d'activité (PNA) dans son administration d'origine ou détaché auprès d'un opérateur.

Qui croire ?

M. Laurent Marcangeli, ministre. - Il faut d'abord veiller à un point essentiel, c'est en tout cas ma position : ces opérateurs, ces agences, ne doivent pas déposséder les ministères de leurs meilleurs talents. Selon moi, les meilleurs profils des administrations centrales n'ont pas vocation à être systématiquement captés, attirés par les avantages que peuvent offrir, notamment en matière salariale et statutaire, ces opérateurs. Bien sûr, passer par ces structures peut constituer une étape enrichissante dans la carrière d'un haut fonctionnaire, mais, je le répète, je préfère que les meilleurs soient au service de l'État central.

Par ailleurs, il faut le dire, il y a eu, dans la recherche d'agilité - puisque nous parlons ici de ressources humaines -, une certaine forme de dérive. Il devient nécessaire de mieux encadrer les régimes indemnitaires et les avantages spécifiques parfois accordés, parce que nous le devons à nos concitoyens, à nos compatriotes. Il conviendra donc sans doute de faire évoluer le processus d'identification, d'audition et de nomination des dirigeants de tutelle, en s'inspirant d'un schéma analogue à celui qui est actuellement en vigueur pour les directeurs d'administration centrale.

L'emploi de contractuels doit faire l'objet d'un examen tant au sein des opérateurs que de l'État, en s'appuyant sur le cadre posé par la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique. Même s'il offre de plus importantes marges de manoeuvre en matière de gestion, le recours à ces contrats n'enlève rien au constat : un opérateur doit piloter sa masse salariale et se tenir à un plafond d'emploi.

Le Gouvernement n'est pas opposé à cette forme de recrutement, mais il est nécessaire de veiller à un équilibre entre fonctionnaires et contractuels. Les proportions doivent être comparables à celles qui sont constatées dans les ministères.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - D'abord, vous n'avez pas vraiment répondu : qui dois-je croire ? La situation a-t-elle changé ?

Ensuite, j'entends que tous les meilleurs profils ne doivent pas aller dans les agences. Toutefois, ils regardent les rémunérations proposées selon les missions, ces dernières étant parfois très similaires entre les directeurs d'administration centrale, d'agence ou d'opérateur. La feuille de paie à la fin du mois fait la différence !

Enfin, vous évoquiez le cadre instauré par la loi de 2019 et l'équilibre qui doit s'observer. Comment pouvez-vous dès lors expliquer que l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) compte seulement 4% d'agents publics, le reste de l'effectif étant constitué de contractuels ? Il ne semble pas que le ratio soit le même pour le ministère de la transition énergétique (MTE).

M. Laurent Marcangeli, ministre. - Je vous demande en toute logique de me croire, puisque vous avez rappelé tout à l'heure à quel point je pourrais, en cas de mensonge, avoir des difficultés !

Comment réaliser un suivi ? C'est le ministre de la simplification qui vous l'assure : le système est très complexe. L'État, par l'intermédiaire des ministères de tutelle, exerce déjà un contrôle rigoureux, même si je pense - une fois encore, je n'engage pas la parole du Gouvernement - qu'il faut faire mieux. En effet, il est attesté que des dérives existent dans certains organismes. En cohérence avec le discours du Gouvernement sur les finances publiques, que vous avez pu encore entendre lors de la séance de questions au Gouvernement de cet après-midi, le contrôle doit s'effectuer à tous les étages.

L'idée est d'unifier davantage le suivi et la gestion des ressources humaines à l'échelle de l'administration centrale et des agences. Cet objectif pertinent soulève des enjeux de mise en oeuvre complexes. À ce titre, la commission interministérielle d'audit salarial du secteur public (CIASSP) suit l'évolution de la rémunération moyenne des personnes en place (RMPP) de quatre-vingt-cinq organismes, fournissant des comparaisons utiles aux tutelles. Il serait souhaitable, de mon point de vue, d'élargir ce dispositif et de lui conférer de réels leviers pour renforcer son efficacité. Si l'arbitrage du Premier ministre suit la position de mon ministère, le Gouvernement sera amené à agir de la sorte.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - À ce stade, il reste des actions à mener, étant donné - vous semblez aller en ce sens - qu'il existe des écarts de rémunération entre l'administration centrale et les opérateurs.

Le Gouvernement, par votre intermédiaire, a déposé un amendement au projet de loi de simplification de la vie économique visant à créer une clause d'extinction automatique des comités consultatifs. Estimez-vous que la même clause devrait être mise en place pour les structures plus pérennes ou en tout cas bénéficiant d'un statut juridique, tels les opérateurs et agences ?

M. Laurent Marcangeli, ministre. - La clause d'extinction est adaptée aux instances consultatives : il est normal de questionner, à échéances régulières, leur utilité et bien-fondé. Pour les opérateurs qui gèrent une politique publique, une approche identique n'a pas de sens, car, par la nature même de leur mission d'intérêt général, leur action s'inscrit dans le temps long.

Toutefois, l'approche du Gouvernement est analogue dans sa finalité : nous demanderons à l'ensemble des opérateurs qui seront maintenus de produire dans les trois ans un bilan formel d'activité. Si un opérateur ne satisfait pas aux obligations de performance, l'idée est que, automatiquement, le dirigeant ne soit pas reconduit : il aura des comptes à rendre. Si, à l'avenir, nous faisons planer cette menace, le compte rendu d'activité sera fait et il sera fait correctement.

L'introduction d'un moratoire sur la création de comités et de commissions consultatives, et/ou sur celle d'agences peut être étudiée. Quoi qu'il en soit, sans être formalisé, le moratoire, de fait, existe. Le Gouvernement sera vigilant concernant les demandes de création d'organismes et gardera tout à la fois une capacité d'adaptation en cas de besoin exceptionnel ; je pense aux organismes créés spécifiquement pour faire face aux crises.

À ce titre, même s'il ne s'agit pas d'une agence ou d'un opérateur, j'ai eu toutes les peines du monde à convaincre certains députés de supprimer le Comité d'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, voilà quelques semaines, à l'Assemblée nationale. J'ai même eu quelques difficultés à supprimer le comité de contrôle et de liaison covid-19 ! Puisque beaucoup de députés ont affirmé que c'était folie de ma part, vous imaginez bien les résistances quand il s'agira des opérateurs et agences.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Précisément pour cette raison, nous pourrions inverser la logique. Si, d'après vous, la limitation de la durée de vie des organismes est justifiée pour les comités consultatifs sans l'être forcément pour les autres structures, comment expliquer que soit créé l'établissement chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris et la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo) sans clause d'extinction ? Leur objet est pourtant limité dans le temps. Maintenez-vous que l'idée d'une clause d'extinction n'est pas pertinente ?

M. Laurent Marcangeli, ministre. - Il faut procéder au cas par cas. Lorsqu'un opérateur est créé en fonction d'un objet précis - ceux que vous citiez ne sont pas totalement inadaptés à la démonstration -, une clause d'extinction doit figurer dans l'acte de naissance de la structure pour y mettre un terme à la fin des travaux ou à la disparition de la menace.

En revanche, puisque certains problèmes se poseront toujours, certaines politiques publiques devront toujours être menées. Peut-être vos travaux et ceux du Gouvernement se rencontreront-ils et mèneront-ils à des fusions d'agences ou d'opérateurs qui font peu ou prou la même chose ou qui ont le même périmètre ? Quoi qu'il en soit, il ne me semble pas de bonne politique de prévoir une clause d'extinction pour toute nouvelle structure.

En effet, si une telle clause existe, il faudra créer, après l'extinction de l'ancien organisme, dont les missions s'inscrivent dans le temps long, un nouveau. Par conséquent, il faudrait plutôt mettre en place un mécanisme permettant de séparer le bon grain de l'ivraie.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous venez de parler de politiques publiques, enjeu central de toutes nos auditions et de nos travaux. Au travers des agences, il est question en creux de simplification administrative : quel interlocuteur étatique pour les citoyens, les entreprises ou les collectivités ? En décembre dernier, Véronique Louwagie s'était vu confier une mission temporaire ayant pour objet la simplification administrative comme source de réduction des dépenses de l'État. Quelle suite a été donnée à cette mission, étant donné qu'elle n'a pas pu la mener à bien ?

M. Laurent Marcangeli, ministre. - En effet, ma collègue Louwagie a été nommée au Gouvernement alors qu'elle était chargée de cette mission.

D'abord, le Premier ministre a parlé de simplification dans son discours de politique générale et ce week-end encore dans un hebdomadaire, dans le cadre d'une interview qui a fait parler, signe d'une attention particulière du Gouvernement au sujet.

Ensuite, j'ai moi-même communiqué sur la simplification en marge du conseil des ministres et défini une feuille de route, mon ministère travaillant en binôme avec les autres, dans le cadre de la mission de refondation de l'action publique, lancée le 21 février dernier.

En outre, Boris Ravignon, le maire de Charleville-Mézières, a été nommé pour une nouvelle mission de recherche de simplification.

Enfin, le Gouvernement partage pleinement le double enjeu décrit dans le rapport d'information La rationalisation de notre administration comme source d'économies budgétaires, corédigé par les députés Véronique Louwagie et Robin Reda.

Le Premier ministre indiquera l'agenda de la mission de transformation de l'action publique. Par ailleurs, la mission de Mme Louwagie est susceptible d'être reprise. J'ai entendu quelques rumeurs - je ne peux attester de leur véracité aujourd'hui - selon lesquelles le suppléant de la ministre pourrait éventuellement en être chargé. À ce stade, le Gouvernement s'appuie sur la méthode définie le 21 février en la matière et sur les travaux de M. Ravignon, que j'ai rencontré personnellement. Ce dernier a d'ailleurs été le premier à prendre la parole lors du Roquelaure de la simplification de l'action des collectivités, avant même M. Rebsamen et moi-même.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je comprends que vous avez pris connaissance du rapport parlementaire de nos collègues de l'Assemblée nationale, mais que rien n'a été acté dans un sens ou dans un autre concernant la mise en oeuvre des préconisations qui y figuraient.

La mission temporaire de simplification, telle qu'elle était initialement prévue à la fin de l'année 2024, est pour l'instant abandonnée, mais Boris Ravignon, qui a déjà remis un rapport l'année dernière sur la question, est chargé de poursuivre des travaux en la matière.

M. Laurent Marcangeli, ministre. - Ses précédents travaux portaient surtout sur les collectivités.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Quand il est question des collectivités, il est aussi question de simplification.

Dans le cadre de vos travaux, vous êtes-vous interrogé sur la taille critique ou la taille opportune d'une structure oeuvrant en dehors du giron de l'État ?

M. Laurent Marcangeli, ministre. - De toute manière, il faudra se poser la question. Durant l'examen à l'Assemblée nationale du projet de loi de simplification de la vie économique, des parlementaires en faveur de la suppression de diverses structures ont parlé, en commission et dans l'hémicycle, de recréer la grande délégation à l'aménagement du territoire et à l'attractivité des régions (Datar). Il s'agirait ainsi d'arrêter la multiplication à tous les étages des agences et des opérateurs. Je ne citerai pas les vilains petits canards, que je ne considère pas comme tels, mais certains organismes reviennent souvent dans la bouche des élus, notamment locaux. Face au nombre de structures, on aimerait avoir le bon numéro de téléphone pour savoir à qui s'adresser ! Aussi, il serait bon de disposer d'un organisme regroupant la crème de la crème.

La taille critique d'un organisme dépend du nombre d'agents dans son service. Il ne faudrait pas créer des États dans l'État : si une agence devait compter à l'avenir un effectif tel qu'elle en deviendrait plus puissante qu'un ministère, cela affaiblirait le politique. Il faut faire particulièrement attention. Parallèlement, avoir toute une constellation d'agences et d'opérateurs destinés à réfléchir sur un sujet n'est pas non plus la solution : le saucissonnage risque d'entraîner la dilution.

Il faut trouver le juste équilibre. C'est là tout l'objectif de la remontée d'informations que le Gouvernement a demandé à l'ensemble des services de l'État, centralisés et déconcentrés, au mois de février dernier. De même, je suivrai de très près les conclusions qui seront rendues par votre commission d'enquête.

Je ne citerai aucun nom de structure car cette pratique provoque le désordre : dès que vous prononcez le nom d'un organisme, des anticorps se forment ! Pas plus tard qu'hier, je discutais avec un haut commis de l'État qui avait, en son temps, essayé d'impulser de grandes fusions et rapprochements. Il a échoué parce qu'un organisme, qui s'est vraiment senti dans le viseur, a réussi à sauver sa peau - je vous prie de m'excuser pour l'expression -, entraînant une contagion : les autres se sont demandé pourquoi ils seraient visés. Il est donc de bonne méthode de ne pas créer de résistances. Pour ce faire, il faut ne montrer personne du doigt.

Le travail que vous menez sera une source d'inspiration. J'irai même plus loin, madame la rapporteure, messieurs les sénateurs : vous vous êtes bien aperçus que le Gouvernement est toujours enclin à donner la main aux parlementaires, notamment dans la production législative. Il ne me paraît pas totalement infondé qu'une proposition de loi, plutôt qu'un projet, donne le " la " et permette, en coconstruction avec le Gouvernement, d'avancer sur le sujet.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Envisagez-vous de faire évoluer le cadre d'emploi de la fonction publique ? Fusions et suppressions ne signifient pas automatiquement économies, notamment dans les structures employant des agents publics. Quelles pistes avez-vous identifiées ?

M. Laurent Marcangeli, ministre. Au bout de quatre mois et demi de présence au Gouvernement, j'ai constaté que chaque ministère avait son propre climat et que le cadre d'emploi pouvait varier en fonction des directions. Il n'y a pas d'unité de ce point de vue : cela manque de lisibilité. Je le mesure, d'ailleurs, pour une autre réforme, celle des complémentaires santé et prévoyance.

Je ferai une première proposition de regroupement. Il existe à l'heure actuelle cinq instituts régionaux d'administration (IRA) : j'en demanderai la fusion en un seul établissement, ils sont prévenus. Voilà l'état d'esprit qui sera le mien dans le cadre des travaux que nous mènerons.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous vous attaquez à un sujet facile : la diversité des cadres d'emplois dans les IRA est extrêmement faible. Vous ne risquez pas de vous heurter à l'alignement par le haut des rémunérations, ce qui a toujours été le problème des fusions antérieures.

M. Laurent Marcangeli, ministre. On gravit toujours la montagne par le début, puis on monte ensuite vers les cieux.

M. Hervé Reynaud. - L'objectif de cette commission d'enquête est de rechercher des économies, mais aussi et surtout de trouver de l'efficacité dans l'action publique. Le 28 avril dernier s'est tenu le Roquelaure de la simplification. Les sources de complexité dans l'action publique résident dans l'empilement des strates. Il existe plusieurs catégories d'instances. Nous sommes tombés d'accord sur les comités Théodule : il faut prévoir une clause d'extinction ou d'obsolescence, avec une revue d'effectifs régulière qui nous permettrait de mettre à jour l'ensemble de ces instances pour les laisser s'éteindre lorsqu'elles ont fait leur oeuvre.

Dans le cadre de la démarche de simplification, vous avez également déclaré : " Notre pays est obèse de sa bureaucratie. Pendant des années, nous avons essayé les régimes minceur et la médecine douce. Il nous faut désormais passer à une étape supérieure. " Pouvez- vous nous en dire plus sur cette démarche, qui me paraît plus brutale et ambitieuse ?

M. Laurent Marcangeli, ministre. En ce qui concerne la clause d'extinction pour les comités Théodule, la rédaction législative qui a été retenue me pose un problème en tant que juriste. Je vous invite à la revoir. En interministériel, nous avions proposé d'autres rédactions, notamment issues de mon cabinet, mais ce n'est pas la version qui a été retenue. Cependant, le principe, pour moi, est le bon. Il existe des travaux redondants, il faut trouver une formule qui nous permette de mettre en place une clause d'extinction. Nous pourrions parvenir à une écriture plus performante en commission mixte paritaire.

L'administration comporte des personnes formidables que je croise dans chaque déplacement, dans nos hôpitaux, dans nos prisons, dans nos établissements scolaires, dans nos collectivités territoriales. Ici, au Sénat, vous savez très bien le trésor que représentent des agents publics communaux, intercommunaux, départementaux ou régionaux.

Cela étant, notre manière de fonctionner provoque parfois des excès. C'est un peu comme le cholestérol : il y a le bon et il y a le mauvais. Le mauvais cholestérol de la fonction publique consiste en une forme de bureaucratie, avec des normes qui se contredisent et qui rendent dingues nos concitoyens, nos entreprises, nos associations, nos élus locaux, leur enlevant parfois l'envie d'avancer sur leur projet, voire même de commencer l'ébauche d'une réflexion de projet. Les agents publics de ce pays ne sont pas non plus les premiers supporters de cette manière de fonctionner. Ils appliquent la réglementation pour éviter la faute professionnelle, mais dans 95 % des cas, ils aimeraient bien, eux aussi, faciliter la vie des gens qu'ils reçoivent à leurs guichets. L'obésité bureaucratique, c'est aussi cela.

J'ai défini une méthode. D'abord, il y a ce que le Gouvernement doit faire. Charité bien ordonnée commence par soi-même : nous avons du travail au niveau réglementaire. Je suis issu de la tradition parlementaire. Les parlementaires ont un examen de conscience à réaliser sur chaque texte pour mieux rédiger les textes. J'ai cité tout à l'heure la clause d'extinction : elle m'interroge réellement en tant que juriste.

Nous procédons aussi souvent à diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne (Ddadue), dont le périmètre est très large. Je proposerai qu'on le fasse aussi pour des éléments de simplification à intervalles réguliers. Cela aurait du sens, car je vous le dis franchement : il n'y aura pas de grand soir. À quelqu'un qui me demandait si un jour la simplification s'arrêtera, j'ai répondu : " jamais ! " La simplification ne peut pas s'arrêter, parce qu'il s'agit d'un examen de conscience permanent. C'est une forme de revue des politiques publiques existantes et des productions législatives.

Je pense qu'on peut aussi envisager de saisir les Français par référendum sur des éléments de simplification. Le référendum est un outil dont nous n'usons pas véritablement. Le dernier s'est déroulé voilà vingt ans. En matière de simplification, la saisine du peuple est une piste, à mon sens, à ne pas balayer d'un revers de main.

Il existe également un problème en matière de surtransposition. J'ai participé à trois salons de l'agriculture, deux en tant que président de groupe parlementaire à l'Assemblée nationale et le dernier en tant que ministre. Nous sommes tous attachés à nos terres agricoles et au travail effectué par celles et ceux qui en vivent et nous font vivre. La colère qui s'exprime est souvent due à notre tendance à surtransposer des normes européennes et à les rendre encore plus compliquées qu'elles ne le sont déjà.

Préventivement, sur la production normative, tant au niveau gouvernemental qu'au niveau parlementaire, il faut donc faire attention à être le moins bavard possible. Par ailleurs, les décrets d'application doivent être publiés dans les temps et rédigés correctement. Nous pourrions aussi envisager de grands moments annuels à travers des textes suffisamment larges. Enfin, comme s'il s'agit d'un sujet d'importance pour la Nation, pourquoi ne pas en appeler au peuple par voie référendaire ?

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous êtes ministre de la fonction publique : êtes-vous en mesure de nous dire où se trouvent l'ensemble des agents publics ?

M. Laurent Marcangeli, ministre. Bien sûr que non. Je ne dispose pas de chiffres exacts, mais il existe un nombre suffisamment important d'agents publics sans affectation pour que cela m'interpelle en tant que ministre. Il s'agit souvent de personnalités dotées du statut de haut fonctionnaire : ils pourraient être beaucoup plus utiles s'ils avaient une affectation.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Avez-vous l'intention de prendre des mesures pour mieux connaître l'emplacement des agents publics et leur statut ?

M. Laurent Marcangeli, ministre. Je ne suis pas frileux, mais il convient de faire preuve de méthode. Ne mettons pas le feu à tout. Il s'avère que les ministres vont et viennent assez rapidement ces derniers mois. Or j'ai besoin de temps : la question doit être traitée ministère par ministère. Je ne vous dis pas que nous sommes dans une anarchie complète et que plus rien n'est piloté - ce serait gravissime. Mais il est vrai qu'un certain nombre de choses ne sauraient être comprises par nos compatriotes, car elles ne sont pas non plus totalement bien comprises par les ministres. Différentes strates se sont superposées les unes aux autres : rationaliser prendra du temps. J'ai demandé à la délégation interministérielle à l'encadrement supérieur de l'État (Diese) de réaliser une cartographie RH. Il n'est pas acceptable que certains de nos agents soient en sommeil et passent sous les radars alors qu'ils doivent encore des années de service à la collectivité.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - La Diese, qui a été créée il n'y a pas si longtemps, ne remplit donc pas encore parfaitement ses missions ?

M. Laurent Marcangeli, ministre. Les outils qui souffrent le plus sont ceux dont nous ne nous servons pas. La création de la Diese est récente : il faut la solliciter et lui confiant des missions.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - On a créé la direction interministérielle de la transformation publique (DITP). Force est de constater qu'un grand nombre de structures publiques sont obligées de faire appel à de l'expertise privée, alors même que nous avons la Diese pour les grands projets de transformation, la direction interministérielle du numérique (Dinum) pour les grands projets informatiques, le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) pour l'expertise technique, etc. Comment expliquez-vous que les structures publiques n'arrivent pas à trouver l'expertise dont elles ont besoin parmi les autres structures publiques, et que nous continuons à recourir à des cabinets de nature privée ?

M. Laurent Marcangeli, ministre. Je commencerai par un exemple précis. La semaine dernière, à Marseille, le Premier ministre, en compagnie de votre ancien collègue, le ministre des transports, Philippe Tabarot, a annoncé un plan structurel en matière de transports. La méthode organisationnelle aurait pu être confiée à une entreprise externe. Cependant, ce sont mes services, notamment la DITP, qui ont été mandatés en tant qu'agence de conseil interne pour mener à bien cette mission confiée par le Premier ministre au ministère des transports. Cela implique, notamment, l'organisation de nombreuses consultations d'élus locaux et d'entreprises.

Depuis un certain temps, nous avons divisé par trois les dépenses liées à l'utilisation de cabinets externes. Personnellement, je suis convaincu qu'il faut privilégier l'action interne chaque fois que possible. Je ne sais pas si nous parviendrons à internaliser entièrement la production, mais la DITP - que je cite à titre d'exemple - a produit des résultats notables. C'est une direction qui a fait preuve d'efficacité, notamment dans le cadre de la revue d'effectifs demandée par le Premier ministre le 21 février dernier. La DITP a respecté les délais et a coordonné l'ensemble des missions.

De plus, France Simplification, placée sous l'égide de la DITP, devrait commencer à prendre son essor. À terme, notre objectif est de réduire au maximum les coûts liés au recours à des opérateurs extérieurs.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Merci d'avoir évoqué la question de l'usage du français. Je vous ai interpellé sur le sujet : je suis toujours en attente de la réponse sur la réforme du concours de l'Institut national du service public (INSP) et de la note éliminatoire de l'anglais, ce qui est assez absurde pour des hauts fonctionnaires censés promouvoir la pratique du français, notamment à Bruxelles !

On observe un éclatement des structures qui versent de l'argent aux citoyens, aux entreprises, aux collectivités. Ce gouvernement, dans la continuité des derniers gouvernements, a fait de la lutte contre la fraude une priorité. En tant que ministre de la transformation publique, vous semblerait-il judicieux de regrouper ces structures de paiement ? Je ne parle pas de l'instruction, car il y aura ensuite des questions techniques à vérifier, notamment pour s'assurer que l'on verse bien de l'argent à un citoyen qui a le droit de le percevoir. Il faudra également une version consolidée pour savoir combien l'État a versé à chacun au terme d'un exercice budgétaire.

M. Laurent Marcangeli, ministre. - La remontée d'informations nous permettra d'y voir un peu plus clair. L'évaluation, qui va évoluer dans le cadre de la refondation de l'action publique, a en effet pour objectif de déterminer qui verse quoi, comment les dispositifs fonctionnent, et s'ils sont efficaces et propres. Il s'agit d'avoir la vision la plus claire possible.

Ma position est la suivante : lorsqu'il y a des soupçons de fraude ou lorsque les informations qui nous sont transmises, et dont votre commission d'enquête sera également destinataire, font état d'une mauvaise utilisation de l'argent public, alors il ne faut pas hésiter à agir. Il existe, en revanche, des organismes payeurs qui font bien leur travail.

Je considère, à titre personnel, qu'en matière d'argent public le Gouvernement doit avoir la main. Bien sûr, des garde-fous doivent exister afin d'éviter le fait du prince. Mais quand des montants importants sont susceptibles d'être utilisés, chacun doit assumer sa responsabilité et celle-ci ne doit pas être diluée.

M. Pierre Barros, président. - Depuis février, nous avons auditionné de nombreux acteurs - chercheurs, représentants du corps préfectoral et des administrations, opérateurs -, ce qui nous a donné une vision globale de l'organisation de l'État : celui-ci s'est organisé depuis une bonne trentaine d'années en tant qu'État stratège, tandis que la mise en oeuvre relève des opérateurs, lesquels ont parfois du mal à trouver des relais locaux. Ou plutôt, les relais locaux ont des difficultés à trouver un interlocuteur opérationnel du côté de l'État, qui s'est désinvesti de l'opérationnalité au profit des opérateurs. Il existe donc un dysfonctionnement dans la mise en oeuvre des politiques publiques conçues stratégiquement par l'?État.

Les représentants de la Diese nous ont expliqué qu'il était conseillé aux agents d'administration centrale de passer, dans le cadre de leur parcours professionnel, par les opérateurs pour redonner du sens à leur travail. Cela m'interpelle très fortement, et je mets ceci en relation avec le déficit d'attractivité des administrations centrales. La création d'opérateurs ne permet-elle pas de répondre au problème du manque d'intérêt de certaines tâches et de sortir de la stratégie pour participer à l'opérationnalité, qui redonne du sens à diverses fonctions ?

Quant au corps préfectoral, il souhaite non pas tant reprendre la main que savoir ce qui se passe réellement sur leur territoire. Il arrive en effet souvent que des projets se mettent en place sans qu'ils y soient complètement associés - ils ne siègent pas forcément dans les conseils d'administration des opérateurs. Pourtant, lorsque lesdits projets se heurtent à des difficultés, ce sont eux qui se font critiquer sur le terrain. On sait bien qu'un maire ou un préfet sont à portée de critique, mais ce n'est légitime que s'ils sont associés aux projets.

Les collectivités ont aujourd'hui de grandes difficultés à récupérer l'ingénierie locale de mise en oeuvre des politiques publiques édictées par l'administration centrale, l'État, les préfectures, les sous-préfectures et les collectivités elles-mêmes. Les comités d'agglomération sont presque devenus des opérateurs de l'État en vue de cette mise en oeuvre et les préfectures sont complètement dépouillées de leurs capacités opérationnelles. Cela nous a été confirmé lors des auditions que nous avons menées et nous l'avons vécu en tant qu'élus locaux. Au-delà de la question de la simplification, et même s'il est satisfaisant de réfléchir de façon stratégique sur le temps long, il convient aussi de redéployer les moyens dans les territoires, là où l'on a besoin de faire le travail.

M. Laurent Marcangeli, ministre. - Monsieur le président, je m'intéresse depuis longtemps à ces sujets, car je connais le terrain : j'ai siégé dans un conseil départemental, présidé une agglomération, été maire d'une commune de 75 000 habitants et conseiller régional. Je connais donc ce schéma, notamment dans une zone périphérique qui est de surcroît une île, la Corse, et je sais comment les choses fonctionnent.

Le modèle que je défends est départementaliste : le bon échelon est, selon moi, le préfet de département, auquel beaucoup de clés doivent être remises dans le cadre de la politique de déconcentration. Ainsi, l'amélioration de la simplification est le résultat d'une expérimentation. Celle-ci peut être menée au niveau régional, ce qui a du sens dans la région Corse, par exemple. Mais c'est moins simple dans les régions de grande taille, dont certaines ont été créées par la loi du 16 janvier 2015, et ce même si nous avons d'excellents préfets de région qui sont de grands serviteurs de l'État.

Le bon échelon dans le cadre de la déconcentration est donc, selon moi, le préfet de département, qui est aussi le représentant de l'État, lorsque le territoire présente une véritable unité opérationnelle. Il convient donc de lui confier de nombreuses missions ; mais pas toutes - je suis ainsi attaché au rôle du recteur d'académie, qui est important. En période de crise, cette question est revenue avec force et prégnance dans les débats.

Je citerai un exemple d'expérimentation sur le terrain : le département du Cher a été choisi pour expérimenter la présence d'agents des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) dans les maisons France services. Ce projet intéressant a pu voir le jour grâce au soutien du président du département, mais aussi au travail mené par le préfet de ce département.

Dans le cadre de France Simplification, ce sont souvent les préfets de département qui font remonter les enjeux du terrain. Je pense notamment à la question du délai pour organiser des funérailles, lequel a été allongé parce qu'un préfet avait été touché par une situation particulière - une personne qui était à l'étranger n'avait pu se rendre aux obsèques d'un proche. On peut aussi citer l'achat de véhicules d'occasion par les collectivités locales ou l'État déconcentré, qui est désormais possible grâce - là encore - à la mobilisation d'un préfet.

Le préfet de département est donc le bon échelon.

Quant aux difficultés rencontrées par les élus locaux, je ne les connais que trop. Et des décisions prises par le passé concernant le corps préfectoral ont ainsi eu des répercussions. Je suis issu d'un territoire à la fois urbain et rural : ma circonscription comprend 49 communes ; la commune-centre, dont j'étais maire, compte 75 000 habitants, mais ma commune d'origine a 50 habitants. En Corse, le fait que la « préfectorale » ne soit plus celle que l'on connaissait il y a quelques années et que les conseils départementaux aient été supprimés, cela « donne le blues ». Le contact avec les élus de proximité qu'étaient les conseillers départementaux, et auparavant les conseillers généraux, n'existe plus. Nombre d'élus sur le terrain ne parviennent plus à obtenir les informations dont ils ont besoin et ne savent plus vers qui se tourner lorsqu'ils ont une difficulté.

Pour ma part, je crois au corps préfectoral au niveau départemental. La préfectorale régionale peut être très utile dans bien des domaines, mais pour ce qui est de la simplification et de la présence de l'État, le département est le niveau idoine.

M. Pierre Barros, président. - Ce dossier est inépuisable pour les élus locaux que nous sommes. Nous vous remercions, monsieur le ministre, pour cet échange.


Source https://www.senat.fr, le 16 mai 2025