Déclaration de M. Manuel Valls, ministre d'État, ministre des outre-mer, sur la proposition de loi organique tendant à modifier le II de l'article 43 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, présentée par Mme Lana Tetuanui et M. Teva Rohfritsch, au Sénat le 14 mai 2025.

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Texte intégral

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi organique tendant à modifier le II de l'article 43 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, présentée par Mme Lana Tetuanui et M. Teva Rohfritsch (proposition n° 223, texte de la commission n° 581, rapport n° 580).

Ce texte a fait l'objet d'une consultation de l'Assemblée de la Polynésie française, qui a émis un avis défavorable le 24 avril 2025.

(…)

M. le président. La parole est à M. le ministre d'État.

M. Manuel Valls, ministre d'État, ministre des outre-mer. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des lois, monsieur le rapporteur, madame, monsieur les auteurs de la proposition de loi organique, mesdames, messieurs les sénateurs, la Polynésie française est un territoire unique au sein de la République.

Elle abrite plus de 280 000 habitants, répartis sur 48 communes, elles-mêmes disséminées dans 5 archipels, comptant 118 îles, dont 76 sont habitées. Elle s'étend sur 4 000 kilomètres carrés de terres émergées, dispersées sur 5 millions de kilomètres carrés d'océan, soit – rappelons-le – la superficie de l'Union européenne. On conçoit que, dans ces conditions, les enjeux et les attentes ne soient pas forcément les mêmes selon que l'on habite aux Marquises, dans les îles du Vent ou dans les Australes.

Ces quelques chiffres permettent de mieux appréhender le contexte dans lequel intervient cette initiative.

Le cadre institutionnel qui est celui de la Polynésie est également unique. Il est le fruit de la géographie, vous l'avez compris, mais aussi de l'histoire. Et il se caractérise aujourd'hui par une grande autonomie, tant les transferts de compétences vers le pays sont nombreux.

Auditionné hier par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur les conséquences des près de 200 essais nucléaires qui ont été menés en Polynésie française entre 1966 et 1996, j'ai eu l'occasion de rappeler que la France était redevable à la Polynésie et aux Polynésiens.

Il en résulte aujourd'hui qu'il n'en va pas en Polynésie française comme il en va ailleurs. Il faut parfois des règles singulières pour adapter la manière d'exercer les politiques publiques, afin de mieux répondre aux besoins de nos concitoyens.

Je veux saluer le travail et la détermination, chacun dans un style différent, des auteurs de la proposition de loi, Lana Tetuanui et Teva Rohfritsch, deux sénateurs à l'écoute des maires polynésiens et engagés pour l'amélioration des dispositifs juridiques et normatifs. Et nous savons à quel point l'exercice du droit, en Polynésie française, requiert ambition et approfondissement.

Je veux aussi saluer l'apport du rapporteur, qui a permis d'améliorer le dispositif du texte. Cher Mathieu Darnaud, vous avez réussi une synthèse dont d'autres n'auraient pas été capables et qui n'était pas évidente concernant la Polynésie – j'y reviendrai.

Le point de départ de cette initiative est, comme l'ont expliqué les auteurs de la proposition de loi, la situation et les compétences des communes polynésiennes, de création relativement récente : la majorité d'entre elles a vu le jour en 1971.

Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, la loi organique du 27 février 2004 définit le statut de l'autonomie et la répartition des compétences. La Polynésie est unique, je le répète, en ce que les communes ne disposent pas de la clause générale de compétence, qui est réservée au pays. Leurs domaines d'interventions sont définis à l'article 43 de la loi organique.

Le I de cet article énumère le champ des compétences des communes. Il énumère neuf items, dont la voirie communale, la collecte et le traitement des déchets ménagers, la gestion des eaux usées, les écoles du premier degré…

Le II, qui fait l'objet de la présente proposition de loi, prévoit un mécanisme permettant l'exercice par les communes d'autres compétences, mais après le vote d'une loi du pays. Or force est de constater que ce mécanisme ne fonctionne pas, sans doute parce qu'il est trop complexe.

J'en veux pour preuve qu'il n'a été utilisé que trois fois en vingt ans, dont une fois pendant la pandémie de covid-19, alors même qu'il permet des actions de proximité dans des domaines comme l'aide sociale, l'économie, la culture, le patrimoine local ou le sport.

Dans cet hémicycle, sans doute encore plus qu'ailleurs, on sait que l'échelon communal est celui de la proximité. Et quiconque a exercé des fonctions de maire sait que les administrés attendent que ce dernier réponde à leurs besoins spécifiques quand les autres échelons ne peuvent y pourvoir ! Qui mieux que le maire est en prise avec les besoins des populations, leurs aspirations, leur détresse parfois ?

Vous me l'avez expliqué, madame la sénatrice, monsieur le sénateur, notamment à l'occasion d'une rencontre avec les maires du pays : le contexte actuel, en Polynésie, n'y déroge pas. Et que font les maires, compte tenu de la rigidité du cadre législatif ? Ils exercent déjà de facto certaines compétences qui relèvent pourtant du pays.

L'organisation des festivals culturels et des opérations cartables, les interventions spécifiques pour aider les familles en difficulté à payer la cantine de leurs enfants, l'aménagement des sentiers de randonnée, la gestion des musées ou les interventions en matière de logement : tout cela, les communes et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) de la Polynésie française le font déjà, mais en dehors d'un cadre juridique sécurisé.

Les maires agissent dans un esprit de responsabilité, car, par-dessus tout, ils savent les devoirs que leur fonction implique auprès de leurs administrés.

Néanmoins, les élus locaux aussi ont besoin de sécurité. L'exercice des compétences doit être réalisé dans un cadre organisé et, si possible, serein. Cette sécurité s'obtient d'abord par un cadre juridique adapté à la réalité du terrain et qui permette aux maires de faire ce à quoi la nécessité les oblige déjà.

La présente proposition de loi organique est très courte, puisqu'elle comporte un unique article. Elle vise l'efficacité. Elle a pour objet de faciliter et de sécuriser juridiquement l'exercice des compétences par les communes de la Polynésie française.

Voilà pour l'esprit général. Reste à définir les meilleures modalités d'articulation de l'exercice des compétences entre le pays et les communes, car nous devons évidemment garder également à l'esprit un principe cardinal, celui de la lisibilité et de l'efficacité de l'action publique, au service de l'intérêt général.

La rédaction initiale de la proposition de loi prévoyait la suppression de la condition d'adoption d'une loi du pays comme préalable pour permettre l'intervention de communes ou d'EPCI dans les domaines prévus au II de l'article 43 de la loi organique.

La suppression de cette condition pouvait être vue comme une simplification bienvenue, mais pouvait aussi interroger sur la bonne organisation des compétences entre le pays et le bloc communal – vous en avez d'ailleurs débattu.

De même, nous pouvions douter du recours effectif aux conventions entre le pays et les communes ou les EPCI que prévoyait le texte initial. Par ailleurs, dans l'avis qu'elle a rendu le 24 avril et que le Gouvernement ne peut ignorer, l'assemblée de Polynésie regrettait que celui-ci ne prévoie pas "un mécanisme d'information du président de la Polynésie française".

Le travail en commission mené sous l'égide du rapporteur avec les deux sénateurs polynésiens a permis de trouver une solution de compromis. Le texte qui est soumis au débat cet après-midi prévoit désormais des outils propices au dialogue et à l'articulation entre les différents échelons.

Une commune ou un EPCI qui entend exercer tout ou partie d'une compétence en informera préalablement, par délibération, le président de la Polynésie française, le président de l'assemblée et le haut-commissaire. Cette délibération ouvrira une période minimale de six mois avant la mise en œuvre de l'exercice de la compétence. Six mois, c'est le temps de l'écoute et du partage des points de vue. C'est le temps qu'il faut pour conclure une convention et prévoir les moyens mis à disposition si le besoin s'en fait sentir.

Depuis 2019, l'obligation de transfert de moyens concomitamment au partage de la compétence a été supprimée, afin de faciliter ce partage, mais nous savons que, dans certains cas, un tel transfert sera nécessaire et devra donner lieu à discussion.

Cette nouvelle rédaction est indéniablement une amélioration. Certes, cela créera des différences entre les communes : tout le monde n'exercera pas les compétences de la même manière. Mais n'est-ce pas déjà le cas ?

Les besoins sont différents, car les réalités sont différentes. Les jardins à la française sont d'une grande beauté, mais, selon moi, de bonnes institutions, notamment dans les outre-mer, doivent laisser s'épanouir la diversité des territoires, en conférant à ces derniers un cadre adapté. C'est peut-être cela le jardin à la polynésienne… (Sourires.) En tout état de cause, ce n'est pas la triste uniformité qui nivelle par le bas et qui ne répond à aucune attente ni à aucun besoin.

Nous savons bien que l'exercice des compétences doit parfois être partagé. La présente proposition de loi organique a précisément pour objet de sécuriser ces situations de partage, dans le respect, comme elle le précise bien, de la réglementation du pays.

L'examen des amendements nous permettra sans doute d'aborder les garanties d'action publique partagée, concertée ou, a minima, non contradictoire entre les différents échelons.

Je fais confiance à l'avis du rapporteur et à l'intelligence collective – autrement dit, à la sagesse du Sénat – pour trouver le bon niveau d'intervention, celui qui permet de répondre le mieux possible aux défis sociaux du quotidien. Et je fais confiance aux maires, comme je fais confiance au pays, pour concevoir, avec les élus communaux, les meilleures solutions, adaptées à chaque territoire. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE. – Mme Lana Tetuanui et M. Jérôme Durain applaudissent également.)


Source https://www.senat.fr, le 26 mai 2025