Interview de Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi, à TF1 le 5 juin 2025, sur la journée d'action contre la réforme des retraites et la préparation du budget 2026.

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Média : TF1

Texte intégral

BRUCE TOUSSAINT
7 h 37, bonjour Adrien GINDRE.

ADRIEN GINDRE
Bonjour Bruce.

BRUCE TOUSSAINT
Votre invité ce matin, Astrid PANOSYAN-BOUVET, ministre chargée du Travail et de l'Emploi.

ADRIEN GINDRE
Bonjour Astrid PANOSYAN -BOUVET.

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Bonjour.

ADRIEN GINDRE
Une double actualité retraite aujourd'hui, puisque la CGT appelle à une journée d'action contre la dernière réforme, et puisque le parti communiste, à l'Assemblée, soumet une résolution pour proposer de l'abroger. Si cette résolution est adoptée tout à l'heure, qu'est-ce que vous ferez ? Vous écouterez le Parlement ? Vous abrogerez la réforme des retraites ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Moi, ce que j'écoute, ce sont les partenaires sociaux qui ont décidé de rester autour de ce qu'on appelle le conclave. Et comme le dit Marylise LÉON, la leader de la principale centrale syndicale de notre pays, un accord peut être possible si tout le monde se met et que les bonnes volontés se rassemblent.

ADRIEN GINDRE
Mais donc s'il y a une résolution qui est votée tout à l'heure à l'Assemblée, vous n'écouterez pas le Parlement ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
D'abord, ce que j'écoute aujourd'hui, c'est ceux qui sont autour de la table, qui ont fait le choix de rester autour de la table. C'est 57 % des syndicats et près de 95 % du patronat. Et ensuite, ce qui va être discuté tout à l'heure à l'Assemblée nationale, le groupe communiste, c'est un projet de résolution, ce n'est pas une proposition de loi, ça n'a aucune valeur contraignante. Donc moi, ce que j'écoute aujourd'hui, ce sont les partenaires sociaux.

ADRIEN GINDRE
Donc, vous ne vous sentirez pas lié par ce vote.

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Exactement.

ADRIEN GINDRE
Je voudrais également qu'on parle des impôts ce matin, puisque je vais vous citer ce que disent nos confrères du Monde à propos de la préparation du budget 2026. Ils nous expliquent que le Gouvernement admet que les coupes de dépenses qui constitueront l'essentiel de l'effort financier devront se combiner à un effort fiscal, autrement dit, donc, une hausse d'impôts. Est-ce que vous admettez effectivement qu'il faudra dans ce budget 2026 un effort fiscal ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Ça fait partie des sujets dont le Premier ministre a dit qu'il proposerait un plan global à partir de la mi-juillet.

ADRIEN GINDRE
Donc il n'y a pas de tabou sur la hausse d'impôts ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Pour l'instant, on est en train d'investiguer. On a 58 % de nos richesses nationales, plus de la moitié de nos richesses nationales, qui sont consacrées à la dépense publique. C'est un record, en tout cas dans l'Union européenne et peut-être probablement dans les pays industrialisés. Donc il y a un vrai sujet de dépenses publiques, y compris dans la sphère sociale. Mais aujourd'hui, on y travaille pour pouvoir avoir un plan d'ensemble. Parce que si on ne communique que sur des mesures ponctuelles, ça ne va pas. Il faut un plan ensemble pour montrer que l'effort est absolument partagé partout et partout dans notre pays.

ADRIEN GINDRE
Justement, il a aussi ouvert la voie à une augmentation de la TVA, notamment pour financer notre protection sociale. Est-ce qu'une augmentation de la TVA serait un outil qui pourrait servir à la réduction des déficits ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Le Premier ministre s'est exprimé. Je pense qu'aujourd'hui, il y a une anomalie française, dans le sens que le travail finance trop la protection sociale de notre pays. 65 % de la protection sociale est financée par le travail, c'est-à-dire par vous, là, c'est précisément le différentiel que vous avez entre la super brut de votre employeur et le net dans la poche.

ADRIEN GINDRE
Donc c'est un outil qu'il faut regarder, vous confirmez, qu'il faut regarder cette idée ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Je pense que le travail doit financer les risques associés au travail. C'est les retraites, c'est l'assurance-chômage, c'est les accidents du travail, bien entendu. Mais le travail n'a pas à vocation à financer des risques qui sont universels, qui ne concernent d'ailleurs bien heureusement pas que les travailleurs.

ADRIEN GINDRE
En nous disant ça, vous dites qu'on peut donc explorer la piste d'une augmentation de la TVA pour financer le travail.

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Je dis qu'il faut regarder, il faut maintenant élargir aujourd'hui les pistes. C'est-à-dire que ce n'est pas simplement aux cotisations salariales, employeurs et la CSG Activité de financer des protections qui sont universelles.

ADRIEN GINDRE
Et donc, vous serez à l'aise avec cette idée ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Je dis que c'est une anomalie française qui n'existe pas dans d'autres pays européens qui arrivent à concilier compétitivité économique et cohésion sociale. Il est temps de regarder ce sujet.

BRUCE TOUSSAINT
Dans ce Gouvernement où le débat est autorisé, où les propositions sont même parfois bienvenues, on a pu l'entendre, quelle est selon vous la solution, la bonne solution ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Moi, je partage ce constat, comme je vous l'ai dit aujourd'hui. On a plus de 65 % de la protection sociale qui est financée par les salaires et la CSG Activité. Ça nuit au recrutement, ça nuit au maintien en emploi et ça nuit également au pouvoir d'achat, au fait que les gens ont l'impression que le travail paye dans notre pays. Et donc je pense qu'il va falloir regarder, mais ça fait partie des sujets que le Premier ministre veut explorer, mais dans des annonces qui seront un cadre global. Parce que sinon, on n'a pas l'impression que les efforts…

ADRIEN GINDRE
Mais le cadre, Astrid PANOSYAN, il faut quand même qu'on comprenne parce que ça fait des semaines qu'on nous dit qu'il y aura un cadre dans votre majorité, dans vos soutiens.

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Oui, mais le cadre ce sera le 15 juillet, il faut attendre, c'est les choses qui sont instruites actuellement.

ADRIEN GINDRE
Oui, mais il n'est pas interdit de réfléchir avant le 15 juillet.

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Je ne réfléchirai pas, ici, publiquement devant vous.

ADRIEN GINDRE
Alors je vais quand même vous interroger sur ce que dit…

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Par contre, moi je pense qu'il y a une anomalie française, je le dis, ici,

ADRIEN GINDRE
Sur le travail.

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Tout à fait.

ADRIEN GINDRE
On a bien vu votre position. L'un des députés de votre majorité, il n'est pas le seul, d'ailleurs Mathieu LEFEBVRE, qui est un député Renaissance, plaît lui pour qu'on fasse ce qu'on appelle une année blanche. C'est-à-dire dire, on fiche les dépenses au niveau de l'année précédente, ça permet de ne pas faire d'augmentation en euros, et ça pourrait, de son point de vue, concerner également certaines prestations sociales. Est-ce que ça, pour le coup, puisqu'on en est à savoir quelles pistes on peut travailler ou pas travailler, est-ce que ça c'est une piste qu'il faut travailler ? Est-ce que c'est une piste qui est sur la table ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Il y a plein de pistes qui sont sur la table. Et donc, c'est très bien d'ailleurs que les parlementaires, et qu'un parlementaire aguerri de la Commission des Finances comme Mathieu LEFEBVRE puisse faire ses propositions. Et c'est peut-être encore une fois, investiguer et instruire dans un cadre global. Parce que dès que l'on part sur une seule annonce, on a le sentiment que l'effort ne sera pas partagé.

ADRIEN GINDRE
Donc il n'y a aucun tabou, il n'y a pas de tabou non plus sur l'idée d'une année blanche. C'est quelque chose qu'on pourrait envisager, qu'il n'y ait aucune augmentation en euros.

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Encore une fois, je dis que, où les sujets sont sur la table, nous sommes aujourd'hui dans une situation grave, à la fois de crise des finances publiques, et également dans un monde qui est quand même très imprévisible. Et donc, il faut ne pas s'interdire à regarder aujourd'hui, sachant qu'on est en train, je le dis pour une dernière fois, d'instruire, pour qu'il y ait ensuite une annonce globale à partir de mi-juillet, pour qu'enfin, parce que la méthode sera tout aussi importante.

ADRIEN GINDRE
Mais vous, vous avez fait ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
La méthode sera tout aussi importante. Il faut que les gens aient l'impression que l'effort est partagé.

ADRIEN GINDRE
Vous avez fait, vous, des propositions dans votre périmètre d'économie possible, par exemple, je ne sais pas, sur France Travail, sur les agences et les opérateurs de l'État ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Tout à fait, tout à fait. Mais c'est ce qu'on est en train d'instruire. Déjà, j'en ai fait l'année dernière. Moi, je n'ai aucun problème à dire qu'un bon ministre, ce n'est pas quelqu'un qui a un budget qui augmente.

ADRIEN GINDRE
Donc, il y a encore du gras et des économies possibles cette année ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Je dis simplement qu'il y a, j'ai déjà fait pas mal d'efforts, notamment sur l'apprentissage, parce que je pense que, précisément, on peut faire des économies tout en orientant mieux l'apprentissage vers les formations qui sont demandées et en luttant contre la fraude. Donc, on ne va pas nuire à la qualité de la politique publique. Et je pense qu'on peut tout à fait poursuivre, oui, tout à fait. Quand on a 58 % de notre revenu en dépenses publiques, alors qu'il y a des pays qui se portent tout aussi bien, voire mieux avec moins de dépenses publiques, ça veut dire qu'on peut faire des efforts.

ADRIEN GINDRE
Pour faire adopter ce budget, parce qu'à la fin, il faut quand même qu'il soit adopté, il y a une présentation du Gouvernement, et puis après, il y a le Parlement. Vous pourriez, vous, imaginer de dire, on fait une nouvelle coalition qui ira jusqu'au PS ? C'est ce que disait Roland LESCURE, l'ancien ministre, cette semaine, de LR au PS.

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Écoutez, moi, je l'ai dit en juillet dernier, au lendemain des élections législatives suite à la dissolution, où j'appelais effectivement une grande coalition, comme nous l'avons en Allemagne, allant des républicains aux socio-démocrates. Je pense que c'est aujourd'hui une des configurations possibles, parce que les partis modérés du centre ont quand même plus de points communs entre eux qu'avec leurs extrêmes respectives. En tout cas, c'est quelque chose que je veux croire.

ADRIEN GINDRE
Un dernier commentaire sur votre collègue Bruno RETAILLEAU. En début de semaine, il a indiqué qu'il refuserait de porter le texte sur la proportionnelle. Et quand on l'a interrogé sur une éventuelle démission, il a dit que toutes les options étaient ouvertes. Est-ce que vous, vous pourriez refuser de porter un texte du Gouvernement et nous dire que, le cas échéant, la porte à une démission serait ouverte pour vous ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Non, moi, je ne vais pas à la course à la démission et je pense que c'est aussi d'apprendre à travailler dans des contextes de bloc central ou de coalition. C'est un exercice totalement nouveau en France.

ADRIEN GINDRE
Un ministre peut dire ça ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
C'est un exercice qui est totalement nouveau. Ce qu'il a dit aujourd'hui, ce qu'il a dit en début de semaine, et je ne suis pas la porte-parole de mon collègue de l'Intérieur, c'est qu'il ne croyait pas dans la proportionnelle et dans sa capacité à apporter selon le pays à besoin aujourd'hui, qui est de la stabilité gouvernementale. Moi, j'ai une lecture un petit peu différente, parce que là encore, la France est le seul pays de l'Union européenne qui n'a pas la proportionnelle aujourd'hui, alors qu'on a des pays européens…

ADRIEN GINDRE
Mais ça ne vous choque pas quand un ministre refuse de porter un texte ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Je pense que ça fait partie des sujets de coalition et du compromis. C'est une culture différente. Et je pense que ça fait partie des choses qu'il faut construire aujourd'hui.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 6 juin 2025