Texte intégral
M. le président Éric Coquerel. L'ordre du jour de notre réunion appelle l'examen des politiques publiques relatées à la mission Outre-mer. Je cède immédiatement la parole à M. Manuel Valls, ministre d'État, ministre des outre-mer.
M. Manuel Valls, ministre des outre-mer. Je suis très heureux d'être avec vous aujourd'hui, car je sais qu'évaluer la mise en œuvre effective d'une mission budgétaire représente un exercice technique, financier, mais aussi un acte éminemment politique.
Je souhaite que nous puissions préparer le budget pour l'exercice 2026 selon une méthode différente de celle qui a prévalu ces dernières années. Cette demande d'anticipation a été formulée notamment par les rapporteurs spéciaux à l'Assemblée et au Sénat ; je l'ai entendue. Nous avons d'ailleurs commencé un travail de concertation sur la réforme des exonérations dites Lodeom, qui n'avait pu aboutir fin 2024. Nous poursuivrons le travail sur ce dossier spécifique et nous l'élargissons également au reste du budget de la mission Outre-mer.
Comme vous le savez, les contours de la mission Outre-mer ne retracent qu'une partie des engagements de l'État dans les territoires ultramarins. Le caractère par définition transversal de l'action de l'État en direction des outre-mer se concrétise dans un double constat. D'une part, la mission intervient dans de nombreux champs des politiques publiques, et d'autre part, de très nombreux programmes d'autres missions, d'autres ministères, interviennent spécifiquement dans les outre-mer.
Il existe bien un document de politique transversale spécifique aux outre-mer, qui est annexé au projet de loi de finances. Mais reconnaissons que la maquette budgétaire pourrait être sensiblement améliorée. L'action de l'État en outre-mer est portée par 105 programmes relevant de 32 missions du budget général, auxquelles s'ajoutent 9 prélèvements sur recettes. Les crédits de la mission Outre-mer ne représentent ainsi qu'une part limitée de l'effort budgétaire total de l'État dans ces territoires. La dépense totale de l'État en faveur de l'outre-mer s'élève en 2024 à 21,2 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 22,8 milliards d'euros en crédits de paiement (CP), auxquels il faut ajouter 5,61 milliards d'euros de dépenses fiscales. En 2024, la dépense totale portée par la mission Outre-mer s'est élevée à 3,12 milliards d'euros en AE et 2,92 milliards d'euros en crédits de paiement, soit une part marginale du financement des politiques publiques ultramarines.
Cette nomenclature engendre de la complexité dans l'évaluation des politiques publiques et une absence de lisibilité. Avec mon cabinet et l'administration, nous réfléchissons à apporter des améliorations en vue du projet de loi de finances (PLF) de 2026, mais cette complexité est aussi le reflet de l'enchevêtrement des réalités ultramarines, de l'étendue des domaines d'intervention de l'État en outre-mer et de la dimension évidemment partenariale de l'action de l'État, qui implique aussi très largement les collectivités locales. Cette dernière dimension doit être cultivée et renforcée. Pour ces raisons, on ne peut analyser le budget de la mission Outre-mer sans porter un regard plus englobant, plus large, sur l'ensemble des budgets des autres missions.
Le premier exemple marquant pour l'année 2024 concerne la gestion de crise en Nouvelle-Calédonie. En 2024, 70 millions d'euros de mesures d'urgence ont été portés par la mission Outre-mer, dont 40 millions d'euros dans le cadre du dispositif de prêts garantis porté par la société de gestion de fonds de garantie outre-mer (SOGEFOM) ; 7 millions d'euros pour la prise en charge partielle du coût des navettes maritimes entre Le Mont-Dore et Nouméa et 23,2 millions d'euros pour le cofinancement du chômage partiel, qui s'achèvera fin juin.
Mais au total, l'État a apporté un soutien bien plus massif aux acteurs publics et privés, c'est-à-dire 580 millions d'euros, dont 190 millions d'euros de subventions, et 390 millions d'euros en avances remboursables. Le soutien aux entreprises de la filière nickel a mobilisé 350 millions d'euros cette année encore. Les dépenses de crise liées à la mobilisation des forces de sécurité intérieure et l'armée, notamment pour établir un pont aérien, sont estimées à environ 350 millions d'euros. Si l'on ajoute les transferts standards d'environ 1,7 milliard d'euros en 2024, comme tous les ans, l'État a apporté à la Nouvelle-Calédonie un soutien de 3 milliards d'euros, soit 30 % de son produit intérieur brut.
Nous poursuivons l'effort en 2025 avec les transferts standards pour 1,7 milliard d'euros, 200 millions d'euros inscrits à la loi de finances pour la reconstruction des bâtiments publics, 15 millions d'euros pour la prolongation du dispositif dit "au cas par cas" pour les entreprises, 25 millions d'euros pour la prolongation des contrats de développement 2017-2023, 29 millions d'euros de dotations exceptionnelles pour les prêts garantis de la SOGEFOM, et un prêt garanti par l'État de 1 milliard d'euros pour la Nouvelle-Calédonie, dont le total net utilisable en 2025 s'élève déjà à 400 millions d'euros.
Un autre exemple marquant concerne le plan eau Mayotte. Pour 2024, les dépenses prises en charge par l'État s'élèvent à 75 millions d'euros en AE et 64,5 millions d'euros de CP, qui se décomposent de la manière suivante : 38 millions d'euros d'AE et 32,1 millions d'euros de CP pris en charge par le ministère des outre-mer ; 18 millions d'euros d'AE et 16,1 millions d'euros de CP pris en charge par le ministère de la transition écologique, le fonds Vert et l'Office français de la biodiversité (OFB) ; et 18,3 millions d'euros d'AE et 16,1 millions d'euros de CP pris en charge par le ministère du travail et de la santé.
Ces deux exemples illustrent le caractère interministériel de l'action du Gouvernement et le caractère partenarial avec les collectivités locales. Mais il en existe beaucoup d'autres, ne serait-ce que les actions portées par le programme des interventions territoriales de l'État (PITE) sur le programme 162 concernant le plan chlordécone pour la Guadeloupe et la Martinique ou le plan Sargasses II.
J'en viens maintenant au grand repère de l'exécution budgétaire 2024 de la mission. Celle-ci vise d'une part à assurer le développement économique, la création d'emplois en outre-mer, et d'autre part à améliorer la cohésion sociale et les conditions de vie des populations par des actions spécifiques ne relevant pas des crédits de droit commun des autres ministères.
Cette mission est composée de deux programmes : le programme 138 Emploi outre-mer, et le programme 123, Conditions de vie outre-mer. En 2024, 87,9 % des dépenses de la mission sont des dépenses d'intervention, ce qui montre bien le caractère très spécifique et la dimension partenariale de la mission. Elle a vu ses moyens augmenter sensiblement dès la loi de finances initiale (LFI) pour 2024 à hauteur de plus de 17 % en AE et 10,3 % en CP par rapport à 2023. Cette progression notable est la traduction budgétaire des engagements pris dans le cadre du comité interministériel des outre-mer (CIOM) de juillet 2023. Le montant des reports de 2023 sur 2024 s'élève à 102 millions d'euros en AE et 34,2 millions d'euros en CP. Il résulte pour l'essentiel des crédits ouverts en fin d'année 2023 pour la crise de l'eau à Mayotte, dont la gestion s'est poursuivie début 2024.
La mission a connu des ajustements en cours de gestion conduisant à l'annulation de 170 millions d'euros en AE et 80 millions d'euros en CP sur l'ensemble de l'exercice. Les aléas de gestion sont principalement liés aux crises, comme la prise en charge des conséquences des émeutes en Nouvelle-Calédonie, ainsi qu'à la contribution de la mission à la maîtrise des comptes publics à hauteur de 70 millions d'euros en AE et en CP, à travers le décret du 21 février 2024. Les postes sur lesquels les difficultés de prévision ont été les plus importantes concernent les dépenses fondées sur la contractualisation et les appels à projets auprès des collectivités locales, ainsi que les prévisions des compensations, des exonérations des cotisations sociales relevant de l'action 1 du programme 138, c'est-à-dire le dispositif LODEOM.
Les restes à payer de la mission atteignent 2,45 milliards d'euros au 31 décembre 2024, en progression de 250 millions d'euros. Ces restes à payer sont la conséquence de l'écart systémique entre les autorisations d'engagement et les crédits de paiement chaque année sur le programme 123. Nous travaillons à réduire cet écart, notamment en apurant les engagements juridiques devenus inactifs, et en améliorant la manière dont nous calibrons les projets et gérons les opérations pluriannuelles d'investissement.
J'en viens enfin aux grands repères par politique publique. La politique du logement est particulièrement importante en outre-mer. Ainsi, 80 % des ménages sont éligibles au logement social et 70 % le sont au logement très social, contre 29 % dans l'Hexagone. S'agissant du logement, 239 millions d'euros ont été engagés en AE et 72 millions d'euros exécutés en CP. Les faits marquants de 2024 ont porté sur la révision de l'aide à la réhabilitation des logements locatifs sociaux et la création du dispositif "Seconde Vie" pour les opérations de rénovation des logements sociaux. En 2024, 4 737 logements sociaux neufs ont été financés et 3 689 réhabilités.
S'agissant de l'aménagement du territoire, qui recouvre pour l'essentiel les contrats de convergence et de transformation (CCT) et le contrat de développement de la Nouvelle-Calédonie, la consommation en CP est conforme à la programmation initiale. En revanche, la consommation en AE est inférieure à hauteur de 36,8 millions d'euros, en raison de retraits d'engagements juridiques d'années antérieures pour 12,7 millions d'euros et de retards d'engagements liés à la situation en Nouvelle-Calédonie. L'année 2024 a été caractérisée par la conclusion de la nouvelle génération des CCT pour la période 2024-2027, dont le montant total s'élève à 2,2 milliards d'euros, dont 832 millions d'euros sur le programme 123.
Le soutien aux collectivités se traduit aussi par la poursuite de la démarche d'accompagnement, à travers les contrats de redressement outre-mer (COROM). Ainsi, neuf nouveaux contrats ont été signés en 2024 pour 31 millions d'euros en AE et 13 millions d'euros en CP. Au titre du fonds exceptionnel d'investissement (FEI), 126 nouveaux projets ont été engagés en 2024. L'eau et les déchets ont constitué les principales orientations.
S'agissant de la continuité territoriale, la dépense a augmenté de plus de 50 % entre 2023 et 2024. Le coût des mesures postérieures au CIOM de juillet 2023 était chiffré à 30 millions d'euros. Ces mesures ont finalement été exécutées à hauteur de 19 millions d'euros : 9 millions d'euros au titre des mesures de continuité territoriale et 10 millions d'euros au titre du rebasage de l'aide à la continuité territoriale pour La Réunion. L'augmentation de 9 millions d'euros s'explique par le rehaussement du seuil du quotient familial de 11 991 euros à 18 000 euros.
En 2024, l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (LADOM) a délivré 67 838 bons d'aide à la continuité territoriale, dont 35 811 bons pour La Réunion, en augmentation de 14 %. Nous allons poursuivre cette dynamique en finalisant cette année la mise en œuvre des mesures des engagements du CIOM et notamment le passeport pour le retour qui permettra à des ultramarins de bénéficier d'une aide pour s'installer en outre-mer dans le cadre d'un projet professionnel. La mission a participé à la lutte contre la cherté de vie au travers de l'aide au fret, à hauteur de 7,8 millions d'euros en AE et 5,6 millions d'euros en CP, et le financement des observatoires des prix, des marges et des revenus, les OPMR.
S'agissant du programme 138, je souhaite enfin porter un éclairage particulier sur deux points essentiels. Le premier concerne l'action 1 relative au soutien aux entreprises, qui représente 82 % des crédits de ce programme. Les prévisions budgétaires se sont révélées insuffisantes, nécessitant un abondement en cours d'exercice. Au total, ces dépenses qui incluent pour l'essentiel les exonérations de cotisations sociales se sont élevées à 1,6 milliard d'euros en AE et en CP.
Le dernier point important concerne le dispositif du service militaire adapté (SMA), qui a fait ses preuves dans l'accompagnement des jeunes ultramarins. En 2024, pour un budget alloué de 71,8 millions d'euros en AE et 67,6 millions d'euros en CP, le SMA a accompagné 5 843 jeunes, dont 35 % des stagiaires en situation d'illettrisme de niveau 1 (très lourd) et de niveau 2 (lourd). Le taux d'insertion des volontaires en fin de contrat s'élève à 81 % en 2024. Le SMA est incontestablement une réussite ; il faut continuer à le développer, à l'implanter. C'est le cas en Nouvelle-Calédonie, mais aussi à travers une nouvelle antenne à Saint-Martin.
En conclusion, outre les chantiers calédoniens et mahorais, le CIOM du 10 juillet prochain organisé sous l'égide du Premier ministre permettra de tracer les priorités du Gouvernement pour les prochains mois : la lutte contre la vie chère – un projet de loi sera présenté cet été – et la transformation économique des territoires ultramarins.
M. Christian Baptiste, rapporteur spécial (Outre-mer). En mes qualités de rapporteur spécial des crédits de la mission Outre-mer, et par ailleurs, élu de l'un de ces territoires, j'aurais souhaité évoquer la manière dont l'État a utilisé l'argent public sur l'ensemble des sujets qui tiennent à cœur à nos concitoyens ultramarins, dont la lutte contre le chlordécone, l'échouement des sargasses, ou encore le recul du trait de côte. Ces sujets sont noyés dans d'autres missions budgétaires et ne sont pas débattus globalement lors de l'examen de la mission Outre-mer, ce qui est une erreur. C'est pourquoi il devient indispensable, au-delà du seul volume des crédits, de s'interroger sur l'architecture de la mission Outre-mer.
Son périmètre actuel ne permet pas de saisir pleinement les enjeux contemporains et structurants de nos territoires, tels la souveraineté alimentaire, l'accès à l'eau, la transition énergétique, la multiplication des risques naturels. Cette thématique, désormais centrale, devrait pouvoir être appréhendée dans une vision transversale, mais lisible, articulée autour d'une mission rénovée, mieux adaptée à la réalité de nos territoires. Est-il envisageable de revoir la maquette budgétaire de la mission Outre-mer afin de permettre, enfin, une discussion unifiée, cohérente et éclairée au Parlement sur l'ensemble des dispositifs que l'État met en œuvre dans nos outre-mer ?
Pour revenir sur l'exécution budgétaire de la mission Outre-mer en 2024, je regrette la très importante annulation des crédits, intervenue en février 2024, de près de 79 millions d'euros, dont la quasi-totalité a concerné le programme 123. Ces annulations ont porté directement préjudice au développement de nos territoires. Elles ont compromis tout particulièrement l'appui aux collectivités territoriales, l'aménagement du territoire, le soutien au logement décent ou encore le FEI ; qui vise à pallier l'insuffisance des infrastructures dans les territoires ultramarins.
Sur la Nouvelle-Calédonie, je relève l'effort financier de la mission, s'élevant à 180 millions d'euros, même si ce montant est éloigné du chiffre de 2 milliards d'euros avancés pour la reconstruction. Je regrette à nouveau de ne pas disposer d'une vision globale sur l'ensemble des financements apportés par l'État à la Nouvelle-Calédonie du fait de l'étroitesse de la mission budgétaire. Vous avez apporté un certain nombre d'éléments tout à l'heure dans votre discours, mais en tant que parlementaires, il est important pour nous de disposer d'une vision des éléments en amont, et en toute transparence.
Par ailleurs, 60 millions d'euros de la mission ont été versés au conseil départemental de Mayotte sans que l'on sache à combien s'élève le montant total du soutien apporté à ce territoire durement touché par de multiples crises. Vous avez certes apporté des réponses, mais il nous appartient là aussi d'obtenir bien en amont des éléments lisibles, pour pouvoir véritablement en débattre. Monsieur le ministre, pouvez-vous remédier à ce déficit d'informations devant cette commission et nous informer de l'effort financier global de l'État sur toutes les missions confondues en faveur de la reconstruction de la Nouvelle-Calédonie et de Mayotte en 2024 et 2027 ?
S'agissant du programme 138 dédié au soutien de l'emploi outre-mer, je souhaite évoquer le dispositif de compensation des exonérations de cotisation sociale des entreprises spécifique aux outre-mer, dit LODEOM. Avec une exécution de 1,6 milliard d'euros en AE et en CP en 2024, en hausse de 30 % depuis 2019, ce dispositif représentait 55 % des crédits consommés de la mission. Au regard de cet important soutien financier aux entreprises, des annonces de réformes réalisées dès le PLF 2024 et du rapport de l'Inspection générale des finances (IGF) et de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) rendu public la semaine dernière, j'ai commencé un travail d'évaluation de cette politique publique afin de me faire mon propre avis en prévision des discussions qui interviendraient dans les prochains projets de loi de finances (PLF) et projet de loi de financement de la sécurité sociale PLFSS. En effet, je refuse qu'une réforme de ce dispositif intervienne en catimini, sans véritable débat au Parlement et sans tenir compte de la réalité de nos territoires.
Enfin, mon dernier point porte sur le dispositif d'aide au fret : près de 7 millions d'euros ont été consommés en 2024 en CP, soit 1 million d'euros de plus que la prévision de la LFI. Ce dispositif participe à la formation des prix et devrait en principe limiter la cherté des produits importés dans les territoires dits d'outre-mer. Au regard de son lien avec la crise de la vie chère, une évaluation poussée pourrait-elle être menée par votre administration ? Je souhaiterais par ailleurs être associé à ces travaux afin de m'assurer que cet argent public est utilisé pour soutenir efficacement la compétitivité des productions locales.
M. Manuel Valls, ministre d'État. Il est effectivement dommageable que la mission ne reflète pas la réalité de l'action du ministère des outre-mer et le leadership qu'il exerce sur un certain nombre de politiques publiques. Comme vous l'avez indiqué, certaines questions débordent du périmètre de la mission Outre-mer. La maquette budgétaire devrait donc nous renseigner le mieux possible sur la conduite des politiques publiques.
Nous devons nous poser différentes questions. En quoi les besoins dans les outre-mer sont-ils si spécifiques qu'il faille les différencier des besoins des autres territoires de la République ? La réponse, d'une certaine manière, est dans la question. Est-il toujours bénéfique pour les outre-mer de prévoir des règles spécifiques ? N'est-il pas parfois plus protecteur pour la population d'appliquer les mêmes règles que dans l'Hexagone ? Enfin, qui est le plus compétent au sein des services de l'État pour mettre en œuvre les politiques publiques ?
À titre d'exemple, dans le dernier document de politique transversale, 6,7 milliards d'euros sont prévus dans le PLF pour 2024 au titre de l'enseignement scolaire, l'enseignement public scolaire du premier et du second degré, l'enseignement agricole, l'enseignement privé du premier et du second degré, la vie de l'élève et le soutien à la politique de l'éducation nationale. Il est préférable pour conduire la politique de l'éducation nationale, y compris en outre-mer, de s'appuyer sur le ministère de l'éducation nationale. Pour autant, il nous faut progresser dans la maquette budgétaire et en totale transparence.
Nous y réfléchissons dans le cadre de la préparation du CIOM, pour proposer des inflexions dans la maquette budgétaire, lesquelles consistent à ce stade à choisir la meilleure manière de retranscrire et de suivre budgétairement la reconstruction et la refondation de Mayotte. Trois options sont ainsi envisageables : flécher dans le corpus les dépenses de chacun des programmes budgétaires, créer une nouvelle action au sein du programme 162 et créer un nouveau programme à vocation interministérielle. Une autre possibilité consiste à rapatrier les actions du programme 162 qui relèvent de l'outre-mer au sein de la mission Outre-mer, notamment les sargasses et le chlordécone.
Évidemment, je regrette l'annulation de 70 millions d'euros de crédits intervenue dès le 21 février 2024. Cette décision a été justifiée au regard de la rapide dégradation des indicateurs. Toutes les actions du programme 123, le plus touché, ont été mises à contribution. Les actions 2, 6 et 8 qui concernent les collectivités locales ont effectivement été les plus affectées en valeur absolue, en raison de leur poids relatif au sein du programme.
J'ai déjà répondu sur la Nouvelle-Calédonie. Tout au long de cette année, nous pourrons suivre de manière très attentive les engagements de l'État. Ensuite, j'ai déjà donné un certain nombre d'éléments concernant les crédits pour Mayotte en 2024. Une aide de 100 millions d'euros en AE et en CP a été attribuée au conseil départemental pour soutenir les politiques publiques relatives à l'aide sociale à l'enfance, la protection matérielle et infantile et le transport scolaire, au-delà de ce qui avait été prévu en LFI (60 millions d'euros en CP). Au titre du plan Mayotte, 75 millions d'euros ont été engagés et 64,5 millions d'euros dépensés en 2024. Nous poursuivrons l'effort en 2025 et aurons l'occasion de revenir fin juin en commission. Nous présenterons le projet de loi d'orientation et de refondation pour Mayotte, qui vient d'être adopté en première lecture par le Sénat, avec une programmation pluriannuelle de 4 milliards d'euros.
L'exonération de cotisations sociales ultramarines représente des dépenses de guichet très dépendantes de la conjoncture économique. Les dépenses de l'action 1 du programme 138 ne sont pas pilotables par le responsable de programme (RPROG). La fiabilisation des prévisions dépend de la Caisse nationale de l'Urssaf. Les réalisations reflètent le dynamisme de l'économie ultramarine, mais ce dispositif devra incontestablement être réformé. Le rapport remis par les inspections permet d'objectiver et d'apporter des informations intéressantes sur le dispositif et ses pistes d'amélioration. Il a été rendu public et transmis en amont aux rapporteurs spéciaux. Nous allons poursuivre la concertation avec les parlementaires et les représentants des entreprises pour voir comment, dans le cadre des projets de PLF et PLFSS pour 2026, nous pouvons optimiser le dispositif, c'est-à-dire le rendre plus efficace et plus ciblé.
L'aide au fret fera partie des points qui seront examinés par la mission que nous avons confiée avec Éric Lombard au Conseil général de l'économie, pour mettre en place un mécanisme de réduction des frais d'approche pour les produits de première nécessité. M. le rapporteur, nous pouvons nous rapprocher et voir comment nous pouvons travailler ensemble. Cet aspect sera l'un des sujets évoqués dans le projet de loi concernant la vie chère.
M. le président Éric Coquerel. Comme le rapporteur spécial, je regrette que la mission Outre-mer ne représente qu'une fraction minime des moyens en faveur des territoires ultramarins. Cette organisation dilue les informations et complique l'appréciation de l'exécution budgétaire. Néanmoins, nous pouvons observer une diminution des crédits exécutés : - 6,7 % entre 2023 et 2024 en tenant compte de l'inflation de 1,8 %. Encore convient-il de préciser que l'inflation est plus élevée dans les territoires ultramarins (+ 2 % à La Réunion, en Guyane, à la Martinique et Mayotte et + 3 % en Guadeloupe).
Cette baisse est d'autant plus préoccupante que les besoins de la mission ont fortement évolué en 2024 en raison de la crise sociale, plus particulièrement en Kanaky Nouvelle-Calédonie. J'en profite, M. le ministre, pour rendre hommage à votre action récente en Kanaky Nouvelle-Calédonie, même si, malheureusement, elle n'a pas été couronnée du succès que l'on aurait pu espérer.
Je rappelle que le PLF 2025 prévoyait une baisse de 12 % des crédits et même de 35 % sur le programme Conditions de vie outre-mer. Malheureusement, le texte imposé par 49.3 n'est pas réellement revenu sur ces baisses puisque les crédits supplémentaires ont été prévus pour répondre aux crises et non pour revenir sur les baisses prévues initialement. Cette méthode de gestion est assez symptomatique sur la mission Outre-mer, comme le relève d'ailleurs la Cour des comptes dans sa note d'exécution budgétaire.
Je souhaite prendre l'exemple de l'eau pour illustrer cette pratique qui consiste à prendre des moyens d'un territoire ultramarin pour les accorder à un autre. Depuis plusieurs années, la situation de l'eau dans les territoires ultramarins est extrêmement préoccupante. En Guadeloupe, en ce moment même, jusqu'à 70 % de la population sont affectés par les coupures d'eau. Les besoins en financement sont très importants et les ressources manquent. En conséquence, le syndicat mixte de gestion de l'eau et de l'assainissement en Guadeloupe (SMGEAG) se trouve aujourd'hui dans une situation critique. La subvention versée en 2024 a subi une mesure d'économie de 7 millions d'euros pour compenser d'autres dépenses en hausse, alors même que cette subvention n'a pas permis d'assurer son équilibre financier. Son président en a appelé jeudi dernier à la solidarité financière de l'État et des collectivités territoriales face à un déficit qui a atteint 40 millions d'euros.
Je comprends que vous allez proposer des mesures, puisque vous avez fixé la date du 30 juin comme échéance pour traiter l'ensemble des problématiques du SMGEAG, mais je voudrais savoir pourquoi nous nous trouvons dans cette situation. Quels ont été les montants dédiés au SMGEAG en 2024 ? Les 7 millions d'euros d'économies ont-ils été compensés par des crédits, une autre mission ? Quelles seront les évolutions en 2025 avec une mission dont les crédits ont baissé ?
Un autre exemple de coupe budgétaire concerne les économies réalisées sur le plan séisme Antilles (PSA). Le rapporteur Christian Baptiste s'émeut de la faiblesse des crédits dédiés. Il indique effectivement que sur les 2 millions d'euros de crédits prévus en 2024, seuls 100 000 euros ont été décaissés. Comment expliquez-vous que des moyens disponibles n'ont pas pu être dépensés pour remettre aux normes des établissements scolaires alors même que les phénomènes sismiques ne cessent de s'amplifier en fréquence et en puissance ? Cela me paraît irresponsable.
Enfin, je souhaite vous interroger sur les mesures en faveur de l'emploi dans les territoires ultramarins. Comment expliquez-vous la baisse en exécution de 12 % des crédits dédiés à la compensation des exonérations de cotisations sociales des entreprises en outre-mer ? Comme vous vous en doutez, je m'oppose aux exonérations de cotisations.
L'évaluation de leurs effets vient d'être rendue publique. Le bilan est critique : le dispositif permet surtout d'augmenter les marges des entreprises. Comment comptez-vous suivre les recommandations de ce rapport ? La réforme du dispositif ne doit pas s'effectuer au détriment des salariés. Les économies attendues doivent leur revenir.
M. Manuel Valls, ministre d'État. Vous avez raison de relever l'absence de lisibilité affectant cette mission. D'une manière générale, nous devons être capables d'anticiper notamment les crises. Nous savons que nos territoires ultramarins seront, plus que d'autres, frappés par les phénomènes naturels et à répétition à cause du réchauffement climatique. Nous nous retrouvons souvent à agir dans l'urgence. C'était le cas de manière spectaculaire avec Chido à Mayotte, mais aussi deux fois en un an à La Réunion. Au-delà des questions structurantes d'anticipation, des fonds doivent être immédiatement disponibles pour venir en aide aux communes ou à telle ou telle filière, notamment du monde agricole. Je pense à la canne à sucre ou aux fruits et légumes, à La Réunion. Il est vrai qu'en 2024 est intervenue une baisse des crédits en exécution, compte tenu de l'annulation de février 2024. En 2025, dans le cadre du PLF, les efforts importants sur la gestion de crise permettent de préserver un certain nombre de moyens, mais il faut incontestablement être vigilant.
Ensuite, l'État a soutenu de manière importante le SMGEAG depuis sa création en 2021, notamment à travers un programme pluriannuel d'investissement de 320 millions d'euros pour 2024-2027. Ce soutien s'est effectué de manière financière et technique, en contrepartie d'efforts sur l'amélioration de la gestion, dont les résultats n'ont pas été à la hauteur de ce qui était attendu et des engagements pris. Un nouvel élu préside désormais ce syndicat ; je l'ai rencontré en compagnie du président du conseil départemental et de celui de la région il y a quelques semaines. Je serai donc très attentif. Il m'a formulé une demande d'aide il y a encore quelques jours, mais j'en appelle aussi à la responsabilité des acteurs, responsables, salariés, élus locaux. Il appartient aux collectivités territoriales d'assumer leurs responsabilités. De son côté, l'État doit être présent pour les aider en termes d'ingénierie et de recrutement.
Sur le PSA, vous avez raison de vous inquiéter de la mise aux normes parasismiques dans les Antilles. Le principal levier de financement des actions parasismiques est les CCT déjà évoqués, financés essentiellement par le Fonds de prévention des risques naturels majeurs. En 2024, le ministère des outre-mer a dépensé 9,13 millions d'euros en AE et au moins 5,28 millions d'euros en CP sur le plan séisme. Ces montants sont répartis entre les actions LBU, plan séisme Antilles, FEI et fonds outre-mer. Le ministère de la transition écologique a engagé 27,8 millions d'euros en AE et 20,8 millions d'euros en CP, au titre du plan séisme. Au total, en 2024, 37 millions d'euros en AE, 26 millions d'euros en CP ont été mobilisés.
Il est nécessaire de mener une grande concertation sur le dispositif LODEOM, afin de l'optimiser et le rendre plus efficace pour l'emploi. Il faut agir avec méthode, en ciblant sans doute davantage. Je pense au financement de l'économie, c'est-à-dire l'aide au fret, les prêts de développement outre-mer, les infrastructures co-financées par l'État et les collectivités locales. Il s'agit au fond de favoriser l'investissement et le développement économique.
M. le président Éric Coquerel. Je cède la parole aux représentants des groupes, en commençant par M. Philippe Naillet, pour le groupe Socialiste, qui est également rapporteur pour avis.
M. Philippe Naillet (SOC). Alors que le printemps de l'évaluation occupe nos travaux de cet après-midi, je forme le vœu qu'il ne soit pas le présage d'un automne de l'austérité pour nos territoires ultramarins. Si l'audition de ce jour vise à revenir sur l'exécution des crédits de la mission Outre-mer dans le budget 2024, se joue avant tout derrière les lignes budgétaires la vie de femmes et d'hommes, qui trop souvent encore sont tenus à l'écart de l'égalité républicaine.
Les Ultramarins doivent faire face à des défis économiques, sociaux, environnementaux, qui nécessitent une action vigoureuse de l'État, mais avec des réponses différenciées. La mission Outre-mer ne représente qu'une fraction, autour de 13 % de l'action budgétaire de l'État destinée à nos territoires. Elle n'en est pas moins essentielle. Si la loi de finances pour 2024 présentait une augmentation des crédits en AE et CP par rapport à 2023 et a connu un taux d'exécution satisfaisant, ce constat ne peut être déconnecté des débats difficiles pour le budget 2025. Il a fallu sauver la mission de coupes draconiennes et elle reste encore sous la menace pour 2026.
Par ailleurs, l'exercice budgétaire 2024 a été marqué négativement par des annulations de crédits décidées en cours de gestion. Je pense ici à la très importante annulation de 79 millions d'euros décidée en février 2024, qui a touché dans son immense majorité le programme 123, Conditions de vie en outre-mer. Il s'agit ici du quotidien de nos concitoyens ultramarins. Alors que les crédits votés en loi de finances initiales 2024 progressaient de 5 % par rapport à 2023, les mesures d'annulation ont conduit à ce que les crédits dépensés diminuent de 3 %. À La Réunion, nous venons de dépasser les 50 000 demandes de logement non satisfaites. Cela n'est pas tenable.
Pour atteindre l'égalité républicaine que j'évoquais précédemment, la mobilité pour tous est cardinale. À cet égard, le pilotage de LADOM doit être revu. Le CIOM de 2023 a élargi ses missions en augmentant de dix à quinze les dispositifs de mobilité gérés par l'Agence. Pourtant, nous notons une sous-consommation globale de près de 6 millions d'euros des crédits. La Cour des comptes pointe à juste titre l'absence de textes d'application pour le passeport pour le retour, le passeport pour la mobilité des actifs salariés ou bien encore le passeport pour la mobilité des entreprises innovantes. Le Gouvernement doit désormais adopter ces textes sans tarder.
Je termine par la vie chère en outre-mer, qui étrangle près de 3 millions d'habitants. M. le ministre d'État, vous vous êtes engagé et nous attendons la présentation du projet de loi Vie chère annoncé par vos soins avant l'été. Nous attendons surtout qu'il s'attaque véritablement aux causes structurelles de la vie chère.
M. Manuel Valls, ministre d'État. Je partage le sentiment d'abandon ou de mépris que vous avez évoqué, je l'ai souvent relayé. Il nous oblige évidemment à être très mobilisés. Le budget des outre-mer ou de cette mission ne peut pas être établi au coup par coup, en réaction aux crises, qu'elles soient naturelles, sociales ou politiques. Nous devons être capables d'anticiper et de prévenir. Il s'agit par exemple de penser à la manière dont l'État peut se mobiliser auprès des collectivités territoriales à La Réunion sur le sujet extrêmement complexe des ravines. Il en va de même pour tous les phénomènes naturels dans les territoires ultramarins.
Le projet de loi Vie chère, en préparation, fera l'objet d'une réunion avec l'ensemble des élus ultramarins. Je souhaite qu'il puisse être présenté cet automne devant le Parlement. J'ai déjà eu l'occasion d'indiquer que des circulaires seront adressées aux préfets et que des décrets pourront sans doute être pris avant même le vote de la loi.
Monsieur le président, je vous remercie pour vos mots sur la Nouvelle-Calédonie. Du travail reste à accomplir et à ce stade, le fil du dialogue n'est pas rompu.
M. Jean-Hugues Ratenon (LFI-NFP). La France n'est-elle pas dans une logique de ce que nous appelons le "palaèksa" en créole, c'est-à-dire un abandon des outre-mer ? En effet, concernant l'emploi, il suffit de regarder les taux de chômage de masse durables dans les outre-mer pour douter de l'efficacité des orientations du Gouvernement.
Concernant le logement, alors que le budget atteignait 275 millions d'euros en 2010, il s'établit à 261 millions d'euros en 2025. En quinze ans, nous avons perdu près de 15 millions d'euros alors que les coûts des constructions et les demandes explosent partout dans les outre-mer, et encore plus à La Réunion. Je rappelle que trois ultramarins sur dix sont mal logés selon la Fondation pour le logement des défavorisés. Pourquoi cet abandon des mal-logés se poursuit-il ?
S'agissant de la continuité territoriale, les chiffres révèlent une discrimination choquante : 28 euros par habitant en outre-mer contre 526 euros par habitant en Corse. Avez-vous l'intention d'agir ? Vous avez promis une loi contre la vie chère avant l'été et vous avez dit en faire une priorité. Mais nous constatons simultanément la haute décoration de M. Bernard Hayot, l'un des acteurs de la cherté de la vie dans nos territoires ultramarins. Est-ce un mauvais signe, monsieur le ministre ? Un protocole de lutte contre la vie chère a été signé en Martinique avec pour objectif une baisse de 20 % des prix de 6 000 produits. Quelle évaluation en faites-vous ? Alors que les prix continuent d'augmenter sur l'ensemble des outre-mer, pourquoi ne pas avoir tenté d'étendre ce protocole aux autres territoires ? Pouvez-vous préciser le contenu du projet de loi de lutte contre la vie chère et son calendrier ?
Un autre souci majeur dans les outre-mer concerne le phénomène de narcotrafic de drogues dures, qui préoccupe fortement nos territoires et débarque très rapidement à La Réunion. Que compte faire le Gouvernement face aux drames qui se jouent ? Enfin, à quand l'égalité à Mayotte ?
M. Manuel Valls, ministre d'État. Le sentiment d'abandon ou de prise de distance, d'une forme d'infantilisme ou de paternalisme à l'égard des territoires ultramarins est un sentiment réel, qui s'est accru au cours de ces dernières années. Le COVID a représenté sans aucun doute une forme de césure, une crise de confiance. Vous avez également raison de rappeler les chiffres de l'emploi ou du mal-logement. J'ajoute les niveaux de pauvreté : à La Réunion, 37 % de la population vit sous le seuil de pauvreté.
Ces phénomènes dépendent également des projets économiques qui sont portés. La Martinique et la Guadeloupe sont des territoires étroits qui ont du mal à se développer, ayant hérité d'économies de comptoir issues du passé, qui étouffent ces sociétés. La Réunion est un territoire bien plus grand, doté d'une plus grande population et d'un dynamisme économique plus marqué. Pourtant, elle connaît elle aussi ces réalités.
Comment luttons-nous contre ces phénomènes de vie chère ? Comment relancer le logement ? Cette dernière question interroge les Réunionnais, les élus, mais aussi les acteurs du BTP avec lesquels nous nous sommes entretenus. Il faut incontestablement s'attaquer à l'ensemble de ces maux, alors même que nous vivons un moment difficile du point de vue budgétaire. Je ne vous cache pas ma préoccupation, raison pour laquelle je propose aux collectivités territoriales, dont La Réunion, un véritable pacte d'avenir pour déterminer ensemble les moyens financiers qui nous permettront, dans la mesure du possible, de répondre à ces problèmes.
La loi Vie chère est le fruit d'un travail de concertation en phase, me semble-t-il, avec une grande partie des attentes. La proposition de loi Bélim sur le logement offrira une occasion d'avancer sur les questions du logement. Une partie des propositions de Béatrice Bellay et de Victorin Lurel ont été intégrées dans le projet de loi. Je compte également m'appuyer sur l'ensemble des parlementaires, dont Marcellin Nadeau, qui souhaite s'investir sur ces sujets.
Nous devons mettre en œuvre ces outils, en tirant des leçons du protocole "vie chère" de la Martinique avec la baisse de l'octroi de mer et de la TVA. Il a été mis en œuvre sous des formes différentes puisque le choix de cette baisse n'a pas été opéré en Guadeloupe.
Ensuite, les moyens que nous devons déployer pour lutter contre le trafic de drogue et les organisations criminelles sont en hausse, mais il convient de continuer ce travail. La Martinique et la Guadeloupe, notamment Saint-Martin, figurent parmi les objectifs des narcotrafiquants, mais nous devons être très attentifs à la situation de La Réunion ou de la Guyane.
S'agissant de Mayotte, le projet de loi que vous allez bientôt examiner prévoit une convergence sociale progressive avec une fin en 2031. Les précisions figurent dans le rapport annexé. Un rapport sera bientôt remis sur le sujet en application de l'article 36 de la loi d'urgence, précisant le calendrier. Il s'agit d'un engagement majeur et inédit. Nous sortons d'une conférence sociale menée par le préfet de Mayotte et le général Facon, avec l'ensemble des partenaires sociaux, notamment sur le SMIC, les minima sociaux et les retraites, pour une mise en œuvre progressive à partir du 1er janvier 2026.
M. Matthias Renault (RN). Cette mission budgétaire Outre-mer n'offre qu'une vision assez parcellaire de l'effort de l'État sur l'outre-mer, qui me conduit à vous poser trois questions précises.
La première concerne l'opération Harpie. Il est difficile d'obtenir des informations précises de l'engagement financier de l'État. Pouvez-vous m'en dire plus ?
La deuxième question porte sur la Nouvelle-Calédonie. Sans revenir sur les émeutes destructrices qui ont eu lieu, nous aimerions disposer d'un panorama des financements apportés par l'État en 2024 et ceux prévus pour 2025.
Enfin, une loi de programmation sur Mayotte sera étudiée à l'Assemblée, et 4 milliards d'euros sont annoncés d'ici 2031, sans que nous ne connaissions clairement les différentes sources de financement. Est-il envisagé de faire du port de Mayotte un port militaire, éventuellement doté d'un patrouilleur outre-mer (POM) ? Ce sujet est porté depuis de longues années par les députés de Mayotte et le Rassemblement National.
M. Manuel Valls, ministre d'État. J'aurai l'occasion d'évoquer les émeutes en Nouvelle-Calédonie la semaine prochaine devant le groupe de contact sur la Nouvelle-Calédonie, avec la présidente de l'Assemblée nationale et les représentants des groupes. Ces émeutes ont occasionné vingt-quatre morts, plus d'un milliard d'euros de dégâts pour les établissements publics et plus d'un milliard d'euros pour l'économie.
Votre groupe suit attentivement ce sujet. Mme Le Pen est actuellement sur place en Nouvelle-Calédonie et souhaite ériger à juste titre la reconstruction de la Nouvelle-Calédonie au rang de priorité. Il existe un réel risque d'explosion sociale sur l'île. J'ai déjà évoqué les chiffres concernant la Nouvelle-Calédonie. En 2024, les crédits de l'État consacrés à ce territoire se sont élevés à 3 milliards d'euros, soit 30 % du PIB. En 2024, 70 millions d'euros de mesures d'urgence ont été portés par la mission Outre-mer, dont 40 millions d'euros dans le cadre du SOGEFOM ; 7 millions d'euros pour la prise en charge partielle du coût des navettes maritimes entre Le Mont-Dore et Nouméa et 23,2 millions d'euros pour le cofinancement du chômage partiel, qui s'achèvera fin juin.
Au total, l'État a apporté un soutien bien plus massif aux acteurs publics et privés, soit 580 millions d'euros, dont 190 millions d'euros de subventions, et 390 millions d'euros en avances remboursables. Le soutien aux entreprises de la filière nickel a mobilisé 350 millions d'euros cette année encore. Les dépenses de crise liées à la mobilisation des forces de sécurité intérieure et l'armée, notamment pour établir un pont aérien, sont estimées à environ 350 millions d'euros. Je rappelle également que vingt escadrons de gendarmerie sont présents sur place.
Les transferts standards de l'État vers la Nouvelle-Calédonie s'établissent par ailleurs à environ 1,7 milliard d'euros en 2024. Nous poursuivons l'effort en 2025 avec toujours les transferts standards pour 1,7 milliard d'euros, auxquels s'ajoutent 200 millions d'euros pour la reconstruction des bâtiments publics, 15 millions d'euros pour la prolongation du dispositif "au cas par cas" pour les entreprises, 25 millions d'euros pour les contrats de développement 2017-2023, 29 millions d'euros de dotations exceptionnelles pour les prêts garantis de la SOGEFOM, et un prêt garanti par l'État de 1 milliard d'euros pour la Nouvelle-Calédonie, dont le total net utilisable en 2025 s'élève déjà à 400 millions d'euros. Nous sommes en négociation avec le gouvernement calédonien, car des réformes sont également nécessaires. Elles ne doivent pas mettre en cause des politiques sociales, alors qu'une partie de la population, notamment kanak ou wallisienne, dans le Grand Nouméa, souffre énormément et se retrouve dans des situations de très grande détresse.
J'ai déjà eu l'occasion d'indiquer devant la commission de la défense qu'il n'y aura pas de port militaire à Mayotte. En revanche, des moyens militaires existent sur place, ainsi que le Président de la République l'a rappelé à Madagascar, lors de la réunion de la Commission de l'océan Indien. Nous devons renforcer nos capacités de défense, nos capacités militaires, pour protéger nos intérêts à Mayotte. Le port constitue par ailleurs une priorité qui va de pair avec le transfert de l'aéroport de Petite Terre vers Grande Terre.
S'agissant de l'opération Harpie, l'État lutte contre l'orpaillage illégal de trois manières. D'abord, l'activité militaire repose sur le plan Harpie III et mobilise 70 millions d'euros par an. Elle permet en effet de contenir le phénomène et donc d'en interdire le développement industriel, constaté dans les pays limitrophes. Le deuxième levier concerne le développement de la filière d'orpaillage légale. Il faut continuer à produire un effort sur le développement et le soutien aux sites exploités. Enfin, il faut lutter contre les chercheurs d'or clandestins, qui extraient beaucoup plus de tonnes que ceux qui agissent de manière légale. Ce travail nous conduira peut-être à modifier le code minier pour donner plus de chance au projet de la Montagne d'or.
Mme Marina Ferrari (Dem). Je rejoins les observations générales du rapporteur et du président sur le manque de lisibilité des crédits aujourd'hui alloués à la politique que nous conduisons en outre-mer. Cela vaut également pour d'autres missions de l'État malheureusement, comme le tourisme.
Concernant le programme 123, nous avons assisté à un ralentissement de l'exécution du programme : seulement 39 % des AE ont été exécutées au premier semestre 2024. Le stock des restes à payer de la mission atteint désormais 2,45 milliards d'euros. Si le stock historique a commencé à être résorbé à hauteur de presque 482 millions d'euros en cours de gestion, la Cour des comptes estime que ce stock rigidifie l'action publique et compromet la soutenabilité à terme de la mission. Quelles sont donc les pistes envisagées ? Vous avez parlé de l'apurement des engagements juridiques. Pouvez-vous nous donner plus de détails à ce sujet ?
Concernant le programme 138, la Cour des comptes pointe également un défaut régulier de fiabilité, de sous-estimation des prévisions concernant la compensation des exonérations des cotisations de sécurité sociale pour les entreprises et les indépendants ultramarins. Ici aussi, pourriez-vous fournir de plus amples détails ?
Ensuite, les missions de LADOM ont été élargies à l'été 2023. Si certaines mesures qui étaient prévues dans le cadre du PLF 2024 ont pu être progressivement déployées, il manque des textes pour permettre à LADOM de pleinement se saisir de ces nouvelles missions. Quand interviendront-ils ?
Enfin, le plan Mayotte Fibre a été lancé en mars 2025, avec un engagement de l'État à hauteur de 50 millions d'euros. Je vous rappelle que Mayotte est à ce jour le seul département français qui n'est pas équipé de la fibre. Les engagements de l'État seront-ils bien tenus ?
M. Manuel Valls, ministre d'État. Les soutiens à la continuité territoriale attribués par LADOM étaient en forte augmentation entre 2023 et 2024. Cela s'explique notamment par les mesures décidées dans le cadre du CIOM. Le relèvement du seuil du quotient familial a porté la population éligible dans les cinq départements région d'outre-mer de 62 % à 70 %. Il nous reste cependant à finaliser quelques mesures. Le passeport retour favorisera ainsi l'installation des actifs en outre-mer. Ce dispositif est complexe à mettre en place, raison pour laquelle un retard a été pris. Nous y travaillons en interministériel ; les décrets passeport retour seront pris avant la fin de la session parlementaire. Je ferai tout pour qu'ils sortent avant l'été.
La fibre à Mayotte constitue effectivement une priorité. Je reconnais que nous éprouvons quelques difficultés avec Orange, l'opérateur qui avait été choisi. À ce titre, je missionnerai sans doute un sénateur pour traiter de cette question. Très franchement, je souhaite qu'Orange joue enfin le jeu et engage un véritable dialogue avec les collectivités.
Les dépenses de l'action 1 du programme 138 ne sont pas pilotables par le RPROG. La fiabilisation des prévisions dépend de la Caisse nationale de l'Urssaf. Si ces dépenses sont très dépendantes de la conjoncture économique, il convient de fournir un effort de transparence et d'efficacité.
S'agissant du programme 123, ma priorité consiste à réduire l'écart entre les AE et les CP. Sans dédouaner l'État, il faut néanmoins relever que certains projets de collectivité ne sont pas menés à leur terme. Enfin, nous devons être très attentifs à une utilisation plus efficace des fonds européens.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Où en sont les réflexions sur l'octroi de mer ?
Par ailleurs, les dispositifs de la lutte contre la vie chère dans nos outre-mer sont-ils efficaces, notamment à La Réunion ?
M. Manuel Valls, ministre d'État. Nous devons encore travailler pour améliorer l'efficacité des dispositifs de lutte contre l'inflation. Le bouclier qualité prix (BQP) est efficace, mais nous voulons le renforcer dans le cadre du projet de loi Vie chère. Il s'agit de fixer un objectif de réduction différentielle des prix par rapport à l'Hexagone, renforcer les sanctions contre les entreprises qui ne respectent pas les règles et enfin donner plus de pouvoirs aux préfets. L'exemple réunionnais doit servir de base pour les propositions concernant la vie chère.
L'octroi de mer représente effectivement un grand enjeu. Je rappelle que la première mesure du CIOM en 2023 concernait la réforme de l'octroi de mer, qui devait s'achever au plus tard en 2027. Mais nous n'y sommes pas. L'octroi de mer constitue avant tout une recette pour les collectivités locales ultramarines, suscitant à chaque fois des tensions lorsque le sujet est abordé. Les élus des collectivités territoriales peuvent ainsi avoir le sentiment que l'État veut reprendre ce qui constitue une part de leur autonomie fiscale. Il s'agit d'une recette majeure, procyclique, qui représente une part élevée pour les recettes communales (33 % en moyenne), dont le pouvoir de taux est confié à la collectivité unique. L'objectif économique de la protection des productions locales n'est pas inhérent à la taxe, mais une adaptation a été trouvée via la création de l'octroi de mer interne pour justifier le maintien du dispositif et le rendre compatible avec le droit européen. Les enjeux sont tels qu'ils expliquent les réticences des uns ou des autres au fur et à mesure que les travaux d'élaboration d'une réforme ont été engagés par les administrations.
La volonté existe donc, mais elle est confrontée à un certain nombre de freins. Faut-il réfléchir dans le cadre d'un PLF à un dispositif remplaçant l'octroi de mer, par exemple sur la consommation ? Ce sujet doit être approfondi en compagnie des collectivités. Pour le projet de loi de finances pour 2026, mes ambitions seront plus modestes. Ils concerneront les ajustements paramétriques pour améliorer l'efficacité et la transparence de la taxe tout en réduisant ses effets. Mais rien ne s'effectuera sans un temps d'échange et de concertation avec les collectivités et les parlementaires ultramarins organisé par Bercy en juin ou début juillet.
M. le président Éric Coquerel. Je vous remercie.
Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 10 juin 2025