Texte intégral
M. Olivier Henno, président. - Dans le cadre de nos travaux sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2026, nous accueillons ce matin Mme Amélie de Montchalin, ministre de l'action et des comptes publics.
Madame la ministre, vous sortez tout juste de l'Élysée, où le conseil des ministres devait adopter la lettre rectificative du PLFSS pour 2026. Vous pourrez donc nous présenter le contenu définitif du texte.
Au-delà des modalités précises de la suspension de la réforme des retraites qu'avait annoncée le Premier ministre, vous pourrez également nous préciser les conséquences que le Gouvernement en tire, d'une part, pour les comptes de la sécurité sociale en 2026 et, d'autre part, sur la révision de la trajectoire financière jusqu'en 2029. Cette année 2029 constitue-t-elle encore un horizon réaliste pour un retour à l'équilibre des comptes sociaux, envisagé avec confiance par le précédent gouvernement ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre de l'action et des comptes publics. - Nous sommes aujourd'hui dans un moment à la fois habituel et particulier. Habituel, puisqu'il s'agit du lancement des travaux sur le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Particulier, car il se tient alors que le Gouvernement n'a pas de majorité absolue et que le Premier ministre a annoncé ne pas souhaiter recourir à l'article 49, alinéa 3 de la Constitution.
Au fond, il s'agit d'un passage de relais entre une proposition du Gouvernement et ce qui deviendra le budget de la Nation. D'ailleurs, les mots ont un sens : nous parlons bien d'un projet de loi. À ce titre, nous avons matière à travailler ensemble, le Gouvernement jouant davantage le rôle d'un intermédiaire que celui d'un négociateur. Ce sont bien les parlementaires qui ont le pouvoir de définir les équilibres, avec des objectifs dépassant nos différences partisanes : donner de la stabilité à notre pays, sortir d'une forme d'incertitude et reprendre en main nos comptes publics, non pas par obsession des chiffres, mais parce qu'il y a là un enjeu de souveraineté et de durabilité de notre système social et économique, donc de nos équilibres nationaux.
Deux éléments sont centraux dans ma position. Le premier est l'humilité, puisque, comme je le disais, l'exercice de cette année différera des précédents. J'entends vous présenter nos propositions, et non vous convaincre : le Gouvernement a fait des choix, nous posons des options sur la table, mais il peut y en avoir d'autres. D'ailleurs, nous pourrions avancer à partir de nouvelles idées ou de nouveaux équilibres.
Le second élément est la responsabilité. La situation des comptes sociaux nous place dans une situation très fragile, avec un déficit de 23 milliards d'euros pour la sécurité sociale en 2025, c'est-à-dire plus que les 15 milliards d'euros de l'année dernière et que les 10 milliards d'euros de 2023. Or historiquement, nous n'avons jamais connu une telle dégradation des comptes sociaux, hors covid ou crise macroéconomique mondiale des années 2008 à 2010.
La part de la dette publique dans le PIB atteindrait 116 % en 2025, tandis que la charge de la dette, en 2026, devrait s'élever à 74 milliards d'euros, soit plus que les dépenses de la branche famille et de la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) réunies.
S'agissant de la sécurité sociale, outre le déficit de 23 milliards d'euros que j'ai mentionné, nous avons déjà reconstitué une forme de dette sociale, malgré la reprise de dette effectuée après le covid, c'est-à-dire la " remise à zéro " des compteurs à la fin de l'année 2023. Aujourd'hui, Urssaf Caisse nationale - l'ancienne Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) - finira l'année avec près de 65 milliards d'euros de dette. Pour 2026 le plafond d'encours serait relevé à 83 milliards d'euros, corollaire du déficit que nous prévoyons, dans ce projet, à 17 milliards d'euros. Ainsi, à chaque fois que le déficit augmentera, il nous faudra revoir ce plafond à la hausse, et inversement en cas de baisse.
Néanmoins, je ne veux faire preuve ni de catastrophisme ni de fatalisme. D'abord, parce que nous avons beaucoup d'outils pour reprendre en main nos comptes. La première preuve en est que, en 2025, pour la première fois depuis la crise sanitaire, nous sommes en passe de tenir nos objectifs. Ainsi, un déficit public global de 5,4% du PIB en 2025 n'était pas la cible du seul Gouvernement, mais de nous tous, collectivement, puisque le budget 2025 est le fruit d'un compromis parlementaire trouvé lors des commissions mixtes paritaires. Le Gouvernement a essayé d'être, avec vous, le garant de ces objectifs.
La sécurité sociale contribue à cette maîtrise des comptes. Ainsi, la cible de recettes serait réalisée cette année à 0,2% près, tandis que la cible de dépenses devrait être tenue, et que les dépenses pourraient même lui être légèrement inférieures. La raison en est que, pour la première fois depuis la crise sanitaire, nous sommes en passe de tenir le niveau de dépenses de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam). L'Ondam avait été dépassé de 3,5 milliards d'euros en 2023, et de 1,5 milliard d'euros en 2024. Je rappelle néanmoins que l'Ondam respecté cette année est dynamique, puisqu'il a été voté en hausse de 3,4%, et que l'Ondam exécuté correspond à une augmentation de 3,6%. Il n'en reste pas moins que nous avons tenu nos comptes et montré que, si les montants de déficit sont certes très élevés, il n'y a pas eu de dérive supplémentaire.
Quels sont nos objectifs pour 2026 ? Comme vous l'avez très bien dit, monsieur Henno, la France ne va pas s'arrêter de tourner au 31 décembre 2026. Nous devons positionner ce budget dans le temps de l'année prochaine, mais aussi dans le temps plus long d'un retour à une forme d'équilibre de la sécurité sociale et, plus généralement, des finances publiques. Cela signifie que le déficit doit être équivalent au maximum à 3% du PIB en 2029. Pour cela, il nous faut une sécurité sociale à l'équilibre. En effet, la sécurité sociale représentant presque 50% de la dépense publique, les collectivités et l'État ne pourraient pas, avec leurs contraintes, compenser un déficit majeur.
Selon certains, le déficit de la sécurité sociale viendrait d'un manque de recettes. Cependant, en 2026, le projet que nous vous présentons prévoit une évolution des recettes de 2,5%, soit 16 milliards d'euros de hausse, pour 11 milliards d'euros de dépenses supplémentaires. On entend qu'il n'y aurait que des coupes : c'est faux. Ainsi, les dépenses augmentent de 4 milliards d'euros pour la branche santé, de 1,5 milliard d'euros pour l'autonomie, de 500 millions d'euros pour la branche AT-MP et d'à peu près 4 milliards d'euros pour la seule branche vieillesse. Les dépenses, dont nous entendons contenir la hausse, augmentent donc de 11 milliards d'euros supplémentaires pour les Français, pour notre modèle social, tout comme les recettes. Autrement dit, le retour à un déficit de 17,5 milliards d'euros est le fruit d'une limitation de la croissance des dépenses, mais aussi de recettes augmentant plus vite.
Pour arriver à remettre la sécurité sociale à l'équilibre en 2029, le paramètre clé est celui de la stabilisation de la part des dépenses de santé dans le PIB. L'Ondam 2024 représentait 8,8% du PIB, contre 8,9% en 2025. Ainsi les dépenses d'assurance maladie augmentent en 2025 deux fois plus vite que le PIB, à 3,6%, contre une hausse du PIB de 1,8%, avec 0,7% de croissance et 1,1% d'inflation.
Nous continuons donc à faire augmenter le poids de la santé dans le PIB, alors qu'en 2019, juste avant la covid, sa proportion s'élevait à 8,2%. La clé est donc la stabilisation de la part de ces dépenses dans le PIB. Cela signifie, en creux, que plus de croissance, plus d'emplois, plus de richesses créées nous permettraient de dépenser plus pour la santé, dans un parallèle entre ce qu'était la sécurité sociale il y a quatre-vingts ans et ce que nous vivons aujourd'hui. Ainsi, c'est bien la richesse collective qui finance le modèle social. Stabiliser la dépense de santé à 8,8 % du PIB nous placerait toujours parmi les pays qui investissent le plus collectivement dans la santé.
En 2026, les collectivités, l'État et la sécurité sociale seront mis à contribution du rééquilibrage, mais leurs efforts seront différenciés. L'État, dans le projet que nous proposons, car c'est un projet, suivrait le principe du " zéro valeur ", c'est-à-dire une stabilité des crédits en euros courants hors défense, avec une baisse des crédits des autres ministères de 1,5 milliard d'euros. Cela représente une baisse en valeur absolue. Pour les collectivités, nous proposons le " zéro volume ", c'est-à-dire que les dépenses de fonctionnement des collectivités augmenteraient de 2,4 milliards d'euros l'année prochaine, donc au rythme de l'inflation. Pour la sécurité sociale, enfin, l'objectif serait celui de la stabilité en proportion du PIB, c'est-à-dire que ses dépenses augmenteraient à un rythme cumulant ceux de la croissance et de l'inflation. Ainsi, chacun contribue, mais de manière différenciée en ampleur et en taux d'effort.
Je souhaite conclure sur les principes nous ayant guidés dans la construction du PLFSS.
Le premier est qu'il n'y a pas de rabot généralisé, mais des efforts différenciés. Par exemple, le sous-objectif hospitalier de l'Ondam augmenterait de 2,4%. Des débats auront lieu pour savoir s'il faut le rehausser davantage. En revanche, nous proposons 1,6 milliard d'euros de baisse de prix des médicaments et des dispositifs médicaux. De même, nous distinguons le champ médico-social - qui bénéficierait d'une hausse de 1 milliard d'euros, soit 2,4% - de la régulation des arrêts de travail ou de lutte contre la fraude. Nous avons donc cherché à faire le choix des moyens pour les enjeux prioritaires et, inversement, à faire des économies sur d'autres éléments.
Le deuxième principe est de mieux cibler les incitations, par exemple pour les dépassements d'honoraires, que nous souhaitons réduire. De même, sur les ruptures conventionnelles, nous voulons reprendre une forme de contrôle sur des éléments très coûteux pour la puissance publique et pas forcément pertinents pour le marché du travail.
Le troisième principe est une contribution différenciée des acteurs de la santé, à commencer par les patients et citoyens que nous sommes, avec une hausse des forfaits de responsabilité. Je rappelle que 18 millions de Français en sont complètement exonérés, dont les mineurs, les femmes enceintes et les 8 millions de bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire, la C2S, dont de nombreux jeunes et personnes âgées, mais aussi les bénéficiaires des minima sociaux, comme le revenu de solidarité active (RSA) ou le minimum vieillesse. Nous proposons une hausse moyenne de 42 euros par Français de reste à payer pour leur santé, tout en prévoyant la protection absolue des 18 millions de Français exonérés. Faudrait-il augmenter le nombre de ces derniers ? C'est un sain débat. Cela étant, nous sommes nombreux, sur bien des bancs, à considérer que le tout gratuit est une illusion, voire un danger pour notre système.
Ensuite, même sans tenir compte de la lettre rectificative de ce jour, nous mettons à contribution les organismes complémentaires, ainsi que les professionnels et l'industrie du médicament. Pour ces derniers, l'effort, certes inédit, serait proportionné au regard de la hausse tendancielle de 7% de croissance des dépenses en matière de médicament par an, bien plus que les 1% de croissance et 1,3 % d'inflation prévus. Un tel rythme soulève un immense enjeu de soutenabilité.
Le dernier principe est celui de la prévention. Pendant des années, il m'a été dit que Bercy était contre la prévention, parce que cela coûtait cher et ne rapportait jamais. J'ai pris le parti inverse. Investir dans la prévention est utile au système, à court terme, par exemple avec la vaccination, mais surtout à moyen terme. Ainsi, la dynamique des affections de longue durée (ALD) reste forte, alors que, dans de très nombreux cas, des actions anticipées permettent d'éviter des maladies chroniques. Par conséquent, la prévention, de la pré-identification de personnes à risque à l'accompagnement pour éviter la dégradation de situations chroniques, est pour moi un élément essentiel.
Je souhaite conclure sur les enjeux de fraude, qui préoccupent nombre d'entre vous. Voilà pourquoi, la semaine dernière, sur la table du Conseil des ministres, à côté du projet de loi de finances et du PLFSS, était présenté le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales. En effet, le Conseil constitutionnel, depuis quelques années, censure comme cavaliers législatifs de nombreux dispositifs, proposés dans les textes financiers, de lutte contre la fraude. Nous avons donc repris de multiples éléments ainsi censurés, dont certains avaient été adoptés par le Sénat, en ayant trois objectifs.
Premièrement, il s'agit de mieux repérer la fraude, notamment autour des données. Deuxièmement, il faut mieux sanctionner. Par exemple, s'agissant de fraudes très organisées dans le champ social par des professionnels de santé ou des réseaux organisés, les sanctions sont assez faibles. Troisièmement, et surtout, il faut mieux recouvrer les sommes dues. Nous devons mettre en place dans la sphère sociale les mêmes outils de gel, de saisie et de flagrance pour éviter que les entreprises éphémères qui participant à la fraude ou au blanchiment n'organisent leur propre insolvabilité. En effet, il arrive que, au moment où les Urssaf interviennent, l'argent lié à la fraude détectée soit déjà à l'étranger.
J'exerce la tutelle de Tracfin, qui suit les flux financiers. Or il est désespérant de comparer les montants détectés, par exemple 1,6 milliard d'euros l'année dernière sur le travail dissimulé, et recouvrés, qui se chiffrent en centaines de millions d'euros. En effet, la procédure actuelle laisse largement aux fraudeurs le temps de comprendre qu'ils ont été repérés et d'envoyer l'argent très loin. Ainsi, le contrôleur n'a plus d'argent à saisir. Vous aurez, bien évidemment, à étudier ce projet de loi, pour lequel le Premier ministre a souhaité un examen concomitant à celui des textes financiers.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Vous l'avez bien précisé, le PLFSS est un projet. De notre côté, nous ferons des propositions, nous amenderons, nous voterons.
Je voudrais rappeler l'existence du rapport que nous avons réalisé avec Raymonde Poncet Monge sur les évolutions envisageables du financement de la protection sociale. Sans chercher à imposer ou à empêcher des mesures envisagées par tel ou tel groupe politique, il était très intéressant de travailler sur l'histoire, le présent et le devenir de cette sécurité sociale. Nous avions alors mis en évidence la nécessité de beaucoup travailler, notamment, sur la prévention et sur l'efficience. Or je me dois de reconnaître dans votre projet de loi un certain nombre d'éléments en ce sens, particulièrement sur l'efficience. Tout comme pour la fraude, nous devrions accorder une grande attention à l'inefficience, à l'instar de nombreux autres pays. L'OCDE estime à 20 % les dépenses que l'on pourrait ainsi économiser.
Le texte comprend quelques articles sur la prévention, mais reste lacunaire. Il est vrai que, au Sénat, l'année dernière, nous avions présenté quelques amendements sur ce sujet, par exemple sur les boissons sucrées. Nous pourrions donc nous pencher sur l'alimentation, notamment les produits transformés, mais aussi sur les allégements généraux. En effet, ces derniers ne pourraient-ils pas être retirés à certaines entreprises, qui en bénéficient largement, car employant de nombreux salariés peu payés, à l'origine de produits nocifs à la santé ?
Pour en revenir aux comptes de la sécurité sociale, j'ai trois questions.
Premièrement, dans son avis sur le PLF et le PLFSS, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) considère que la prévision de croissance de 1% du Gouvernement pour 2026 est optimiste, car il " retient une orientation plus restrictive des finances publiques, qui pèserait donc davantage à court terme sur l'activité ". Quelle appréciation portez-vous sur cette analyse ?
Deuxièmement, il ressortait de notre rapport l'impression d'une politique d'à-coups, qui rend plus nécessaire encore une programmation pluriannuelle. Or les lois de programmation des finances publiques étant dépassées à peine votées, il n'existe de fait pas de programmation des finances sociales. En particulier, contrairement aux anciens programmes de stabilité, le plan budgétaire et structurel de moyen terme (PSMT) ne comprend pas de programmation dans le cas des administrations de sécurité sociale, tandis que les tableaux pluriannuels annexés aux LFSS ne sont que des prévisions à droit constant, et en supposant que l'Ondam est respecté. Paradoxalement, l'objectif de retour de la sécurité sociale à l'équilibre n'est donc pas clairement affiché.
Faut-il, selon vous, se doter d'une programmation explicite pour la sécurité sociale, ou pour les administrations de sécurité sociale dans leur ensemble ? Si oui, quel serait le bon véhicule ? À tout le moins, pourrait-on par exemple, mentionner l'objectif de retour à l'équilibre de la sécurité sociale à moyen terme dans l'annexe à la LFSS pour 2026, le cas échéant en indiquant le montant des mesures de redressement prévu chaque année ?
Troisièmement, dans le cadre de la LFSS pour 2025, nous avions réduit les allégements généraux de cotisations sociales patronales de 2 milliards d'euros, les recettes supplémentaires ayant bénéficié pour 1,6 milliard d'euros à la sécurité sociale. Or le Gouvernement prévoirait de réduire ces allégements, par voie réglementaire, de 1,9 milliard d'euros de plus en 2026, tout en réduisant la TVA transférée à la sécurité sociale, à l'Agirc-Arrco et à l'Unédic de 3,5 milliards d'euros. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Notre prévision de croissance s'élève à 1% pour 2026, quand le consensus est à 0,9%. Néanmoins, sur l'inflation, nous prévoyons 1,3 %, alors que le consensus est à 1,5%. Or c'est la somme des deux qui compte pour les finances publiques. Par conséquent, nous pouvons considérer que nous sommes globalement cohérents.
La principale observation du HCFP porte sur le coût de l'incertitude et sur les effets de ce budget sur un retour de la stabilité. Un élément majeur est le taux d'épargne, qui atteint 19% dans notre pays, au plus haut depuis les années 1970. Cela veut dire que les Français doutent, donc que nous devons arriver à nous mettre d'accord, collectivement, car ce doute a des conséquences très concrètes sur l'économie.
Nous avons, dans ce projet, imaginé que le taux d'épargne pourrait descendre à 17,4%. Or 1,5 point d'épargne de moins correspond à 1,5 point de plus de consommation. Le taux ainsi atteint resterait encore très élevé par rapport à une moyenne historique de 14%. Il est donc évident que tous les économistes de France et d'Europe se demandent comment va évoluer l'épargne, elle-même très liée à l'incertitude. Ce facteur n'est donc pas seulement macroéconomique, puisqu'il se base sur les signaux que nous envoyons au pays, au-delà même des mesures que nous pourrions prendre.
À la page 160 du PLFSS pour 2026, les paragraphes 27, 28 et 29 sont très explicites quant à la nécessité du retour à l'équilibre des comptes de la sécurité sociale, en des termes assez inédits. Le tableau du paragraphe 26 détaille l'estimation de l'effort annuel supplémentaire nécessaire. Le chiffre à retenir est 18 milliards d'euros : d'ici à 2029, il nous faut prendre des mesures de cet ordre pour ramener la sécurité sociale à l'équilibre.
Je suis très favorable à des amendements au PLFSS prévoyant des mesures de résorption de cet écart dangereux. Nous pouvons y travailler ensemble. Même si ces mesures ne sont pas votées dans les prochaines semaines, il n'est pas inintéressant pour nos successeurs que nous ayons déjà réfléchi au type de décisions à prendre pour retrouver l'équilibre.
En 2025, une économie sur les allégements généraux de 2 milliards d'euros brut, soit 1,6 milliards d'euros net a été proposée, tout comme une modification de la courbe pour la rendre plus viable économiquement. C'est ce qui a été fait. En 2026, le Gouvernement propose une économie de 1,9 milliard d'euros brut, soit 1,5 milliard d'euros net. Cette année blanche sur les allégements généraux a pour but de stabiliser leur volume à 80 milliards d'euros. C'est un souhait émanant du Sénat. Certains demandent pourquoi cette économie ne revient pas à la sécurité sociale. Mais les allégements généraux sont compensés par un transfert de TVA de l'État vers la sécurité sociale. Par conséquent, s'il y a moins d'allégements généraux, il y a moins de compensation.
Ces soldes relèvent de normes comptables. Pour nos concitoyens, l'essentiel est bien de savoir ce que nous voulons dépenser. Les soldes des différents secteurs de la sécurité sociale dépendent d'éléments sur lesquels nous pouvons agir. Il est assez facile de rendre la branche famille déficitaire ou la branche AT-MP super-excédentaire.
Cessons de considérer la sécurité sociale comme totalement autonome financièrement. En effet, plus de 20% de la branche maladie est actuellement financée par la TVA et la fiscalité.
Mme Corinne Imbert, rapporteure pour la branche assurance maladie. - La situation de la branche maladie est extrêmement préoccupante. Elle pèse, en 2025, plus de 260 milliards d'euros de dépenses contre 200 milliards d'euros en 2019. Elle représente l'essentiel du déficit des comptes de la sécurité sociale, à hauteur de 17,2 milliards d'euros en 2025. Elle assumera donc une large part des économies envisagées.
Vous prévoyez de maintenir la hausse de l'Ondam à 1,6% en 2026, et faites reposer cette projection sur des économies significatives, évaluées à 7,1 milliards d'euros. Comment pouvez-vous vous engager sur la crédibilité de ces projections alors que depuis 2019 l'Ondam, hors covid, a augmenté de 4,8% en moyenne chaque année ? D'autre part, l'atteinte d'un Ondam aussi contenu permettrait-elle de répondre aux besoins effectifs de notre système de santé, notamment aux besoins d'investissement des hôpitaux publics, dont la situation financière est très dégradée aujourd'hui ?
J'aimerais parler de la dette sociale et fiscale des hôpitaux que vous aviez évoquée, en juin dernier, lors de votre audition à la suite de l'avis du comité d'alerte sur les dépenses de l'assurance maladie. Vous aviez mentionné 2,2 milliards d'euros pour la dette sociale et 800 millions d'euros pour la dette fiscale. Disposez-vous désormais, comme vous l'avez demandé, d'un panorama plus précis et conforme à la réalité de l'état financier de nos hôpitaux sur cette question ? Pouvez-vous nous éclairer sur ce sujet ?
Comme chaque année, l'Ondam est uniquement subdivisé en six sous-objectifs, dont les deux principaux - soins de ville et établissements de santé - représentent chacun plus de 110 milliards d'euros de dépenses. Comment pouvons-nous effectuer un réel contrôle de l'autorisation des dépenses publiques dans ces conditions ? Pourrions-nous disposer d'une vision plus fine des dépenses de santé ? Cela manque de lisibilité.
Nous nous rappelons tous que le montant des franchises et des participations forfaitaires a déjà doublé à la suite de la LFSS pour 2024, mais leur plafond était resté, au total, à 100 euros afin de préserver les assurés en affections de longue durée. Le Gouvernement entend maintenant, par décret, doubler à nouveau les montants concernés en 2026, mais également les plafonds et, par la loi, étendre le champ de ces contributions et créer un nouveau plafond spécifique au transport sanitaire.
À l'échelle collective, le rendement attendu quadruplerait en trois ans, passant de 1,2 milliard d'euros en 2023 à 4,9 milliards d'euros en 2026. Sur la période, près de 3 milliards d'euros de hausse proviendraient de mesures réglementaires. À cette enseigne, les participations et franchises sont-elles toujours, comme à leurs débuts, un mécanisme de responsabilisation des assurés ou bien ne seraient-elles pas en train de devenir un levier de rendement bien utile pour le Gouvernement ? Hier, on nous expliquait que la hausse de l'Ondam pouvait être limitée à 1,6% en raison des transferts de charges, notamment la hausse des franchises et participations forfaitaires.
À l'échelle individuelle, le coût maximal supporté par un assuré pour les participations et franchises passerait de 100 euros à 250 euros voire 300 euros d'ici à 2027. Comment calculez-vous la hausse moyenne de 42 euros par personne ? Le coût, pour des patients en ALD parfois précaires, ne sera pas simple à assumer. Il devra pourtant l'être, parce que la loi exclut toute prise en charge par les complémentaires santé dans le cadre d'un contrat responsable. N'est-il pas temps de revenir sur cette interdiction ? Sans rendre obligatoire la prise en charge de ces montants, il pourrait être opportun de la rendre possible pour les complémentaires santé qui le souhaiteraient, le cas échéant sous conditions.
Mme Pascale Gruny, rapporteur pour la branche vieillesse. - Ce projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 contient des mesures d'ampleur sur les retraites. Je me félicite de l'article 43 qui prévoit de réformer le cumul emploi-retraite selon certaines préconisations de la Cour des comptes, et de l'article 45 qui inclut les trimestres majorés pour enfants en tant que périodes cotisées pour réduire les inégalités de pension entre les hommes et les femmes, préoccupation de longue date. Je pense également qu'il est juste de ne pas revaloriser les pensions de retraite sur l'inflation au titre de l'année 2026 et de réduire le coefficient de revalorisation à 0,4% au titre de l'année 2027, après que les pensions de retraite ont été revalorisées de 5,3% au 1er janvier 2024, comme le permettrait l'article 44. Cette dernière mesure améliore nettement les prévisions d'évolution du solde de la branche vieillesse d'ici à 2028.
Disposez-vous du chiffrage de l'impact de la suspension des effets de la réforme des retraites, autres que ceux annoncés par le Premier ministre lors de sa déclaration de politique générale ?
Sans mesures correctrices, le déficit de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) devait atteindre, selon le rapport de mai 2024 de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l'inspection générale des finances (IGF), 11 milliards d'euros en 2030. La LFSS pour 2025 a entériné le principe d'une hausse de trois points par an pendant quatre ans du taux de cotisations vieillesse des employeurs à la CNRACL. L'annexe au PLFSS 2026 fait état des économies engendrées par la hausse du taux de cotisations employeur à la CNRACL à 40,65% en 2027, et à 43,65% en 2028. Pouvez-vous nous apporter des éléments complémentaires ?
Nous limitons actuellement les dépenses du système de retraites en utilisant des leviers conjoncturels, comme la non-revalorisation sur l'inflation et la hausse des taux de contribution employeur, mais comment réduire à long terme le déficit du système de retraites, qui devrait s'élever, selon la Cour des comptes, à 15 milliards d'euros en 2035 et à 30 milliards d'euros en 2045 ? Je précise que ces chiffres ne prennent pas en compte une éventuelle suspension de la réforme des retraites. Quid de la solidarité intergénérationnelle et du maintien de notre système par répartition ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - L'Ondam est une construction étrange au sein de laquelle tout est entremêlé.
Prenons l'exemple du médicament, sur lequel les dépenses croissent de 7% : une part de la dépense est incluse dans le sous-Ondam ville et une autre dans le sous-Ondam hôpital, dans lequel la partie médicaments rassemble à la fois les médicaments utilisés à l'hôpital et les médicaments prescrits à la sortie.
Autre exemple : les arrêts maladie sont en très forte augmentation, sans corrélation avec les observations sanitaires - il n'y a pas d'épidémie qui les explique. Les enjeux sont potentiellement davantage liés au monde du travail qu'au monde de la santé, pourtant, ces dépenses sont incluses dans l'Ondam. La réduction du nombre d'arrêts maladie fait baisser l'Ondam.
Mon intuition est qu'il faudrait modifier la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale (Lolfss) afin de mieux distinguer un sous-Ondam ville relatif aux consultations, un sous-Ondam hôpital davantage consacré aux coûts de ressources humaines et de gestion des hôpitaux, un sous-Ondam médicaments qui inclue les médicaments de ville, les médicaments à l'hôpital et les prescriptions en sortie d'hospitalisation, un sous-Ondam indemnités journalières des arrêts maladie pour les exclure du sous-Ondam ville, et un sous-Ondam transport sanitaire, là encore pour l'exclure du sous-Ondam ville, d'autant que le transport sanitaire est massivement prescrit par des établissements de santé. Bref, l'Ondam, cette espèce de moyenne pondérée d'éléments dissemblables, où dépenses d'investissement et de fonctionnement sont mêlées, est illisible et rend le pilotage ainsi que le suivi démocratique très difficiles. Ma proposition pourrait faire consensus. Nous cacher derrière des constructions statistiques qui ne veulent rien dire ne résorbera pas le déficit et n'aidera pas les soignants à mieux travailler.
Vous avez évoqué les forfaits de responsabilité : on aimerait les nommer ainsi, bien qu'il ne s'agisse nullement de culpabiliser les patients. Actuellement, une visite chez un professionnel de santé coûte 2 euros. Le Gouvernement pense qu'elle pourrait coûter 4 euros, le plafond étant fixé à 100 euros. Actuellement, la participation de 2 euros va de pair avec un plafond annuel de 50 euros, soit 25 consultations par an. Si l'on augmente uniquement la participation forfaitaire, on divise par deux le nombre annuel de consultations. En doublant le plafond, la proportion est donc conservée.
Il faut également songer à l'extension du périmètre des franchises. Si, comme avant le covid, la part des dépenses financées par les patients eux-mêmes, le reste à payer, était restée constante, à 10% des dépenses de la sécurité sociale et non 7,5% comme actuellement, la branche maladie disposerait de 9 milliards d'euros de plus. Même en tenant compte de notre proposition, nous restons le pays de l'OCDE dans lequel le reste à payer demeure le plus bas. Cette déformation du reste à payer en cinq à six ans est due aux ALD, mais aussi à une dynamique assez forte des dépenses hors franchises.
L'enjeu, pour nos concitoyens, est que nous nous assurions que ceux qui n'ont pas du tout les moyens de payer ces forfaits en soient exonérés. En moyenne, pour les personnes en ALD, la hausse du reste à payer représenterait 70 euros par an. Pour un patient moyen, hors enfant, femme enceinte et bénéficiaire de la complémentaire santé solidaire, la moyenne s'élèverait à 42 euros par an. Nous pouvons débattre des catégories de personnes à exonérer. Doit-on élargir l'accès à la C2S ? Peut-être. Actuellement, les bénéficiaires du RSA, de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) et du minimum vieillesse y sont mécaniquement éligibles. À l'inverse, je suis parfois étonnée du haut niveau de remboursement proposé à des personnes aisées qui pourraient payer davantage.
Nous débattrons du niveau du sous-Ondam hôpital, dont la hausse est fixée à 2,4%. Nous devons conserver un équilibre.
Je vous répondrai prochainement sur la dette fiscale et sociale.
Le Gouvernement s'est engagé à ce que le débat sur la branche vieillesse ait lieu, quelles que soient les conditions d'examen du PLFSS. Celui-ci traduit strictement la déclaration de politique générale du Premier ministre : nous stoppons les mesures d'âge et d'augmentation du nombre de trimestres requis pour obtenir le taux plein, jusqu'au 1er janvier 2028. Sont suspendues l'augmentation d'un trimestre par génération pour avoir le droit de partir à la retraite et la dynamique dite " Touraine ". Cela signifie que la génération 1964 pourra partir à la retraite à partir de 62 ans et 9 mois. Cet effet de décalage d'un trimestre touchera toutes les générations jusqu'à 1968 incluse, ce qui explique qu'il y ait 3,5 millions de bénéficiaires. La lettre rectificative propose de ralentir la progression vers l'âge de départ à 64 ans. C'est la génération 1966 qui sera concernée par les 172 trimestres et la génération 1969 qui le sera par les 64 ans, si, au 1er janvier 2028, il n'y a pas eu de réforme des retraites. En effet, on ne suspend pas pour suspendre. Ce n'est pas une pause, mais une occasion de discuter de ce sujet très profond, et c'est pourquoi le Premier ministre et le ministre Farandou ont annoncé une conférence sur le travail et les retraites. L'enjeu est d'aménager un système qui évite le déni démographique.
Pour la branche retraite, le coût s'élève à 100 millions d'euros pour 2026 et à 1,4 milliard d'euros pour 2027. L'effet annuel est d'environ 1,3 à 1,5 milliard d'euros net. Demeurent des éléments d'incertitude sur ce chiffrage, tels que les choix comportementaux des Français. Certains pourront choisir de partir un trimestre plus tôt que ce qu'ils avaient envisagé, quand d'autres préféreront travailler pendant ce trimestre pour obtenir une petite bonification de leur niveau de pension. Le coût pour la collectivité s'en trouverait renchéri, les chiffrages actuels étant basés sur des comportements inchangés.
Nous devons trouver la manière de financer cette nouvelle dépense. Le Gouvernement proposera une hausse marginale supplémentaire de la taxe sur les organismes complémentaires, et un renforcement de la proposition du conclave de sous-indexation des retraites sur l'inflation, c'est-à-dire de moindre revalorisation, à 0,4% en 2027 au lieu de 1,3%.
Comment résorber le déficit ? Le taux d'emploi des 55-64 ans est, au deuxième trimestre 2025, de 61,8%. C'est un record absolu. On enregistre une augmentation de 1,7 point en un an, mais surtout de 30 points depuis l'an 2000. En 2000, moins de 30% des 55-64 ans étaient actifs. En 25 ans, leur taux d'emploi a doublé. Nous voulons que les seniors soient plus nombreux à pouvoir rester en emploi, ce qui impose de mieux gérer les enjeux d'invalidité, d'usure au travail et de pénibilité. Plus il y a de cotisants, plus il y a de financements, dans un système par répartition. Le taux d'emploi des 55-64 ans doit pouvoir rejoindre celui de la population générale, qui est de 72% environ.
De l'autre côté du spectre, malgré des progrès, le taux d'emploi des moins de 25 ans reste bien plus faible que chez nos voisins. L'insertion professionnelle est lente. Nous perdons une richesse collective : le financement d'un modèle social qui repose sur l'activité, c'est-à-dire les cotisations et les ressources fiscales.
La question clé est : comment créer des richesses, soutenir les entreprises et l'emploi et surtout permettre aux hommes et aux femmes qui le souhaitent de travailler en bonne santé ?
Mme Raymonde Poncet Monge. - Pour retrouver l'équilibre budgétaire, il faut combiner les mesures portant sur les recettes et sur les dépenses. Mais vos choix politiques ne sont pas les nôtres.
Il faut aussi augmenter la quantité de travail, mais plutôt en créant des emplois qu'en faisant travailler plus longtemps les actifs. En matière d'écologie, par exemple, si nous respections le périmètre de l'accord de Paris, nous pourrions créer beaucoup d'emplois, notamment pour les jeunes - s'ils ne travaillent pas, ce n'est pas pour toucher les prestations sociales, puisqu'ils n'ont pas droit au RSA.
En tant que spécialiste des finances publiques, j'aimerais que vous me disiez à combien vous estimez l'effet récessif des budgets de l'État, des collectivités et de la sécurité sociale, qui réduisent fortement les dépenses, et donc la consommation. L'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) estime en général le multiplicateur budgétaire à 0,4 ou 0,5 - certains disent qu'il peut même aller jusqu'à 0,8.
Vous vous alarmez que les dépenses de santé passent de 8,8% à 8,9% du PIB. Mais ce même dynamisme existe partout en Europe. Ce qui nous différencie, c'est notre modèle de socialisation des dépenses.
En l'absence de mesures, on sait que l'Ondam augmente mécaniquement de 4% à 4,5% par an. Vous fixez son augmentation à 1,6%, alors que vos prévisions de croissance sont de 1% et celles d'inflation de 1,3%. Volontairement, vous faites donc baisser la part de des dépenses d'assurance maladie dans le PIB, alors que la tendance mécanique est à l'augmentation. Avec un tel Ondam, on peut commencer à prendre les paris sur la date à laquelle le comité d'alerte se manifestera en 2026...
Concernant les mesures sur les dépenses, vous disposez de très bons rapports de l'Igas sur la financiarisation de la santé et les gains d'efficience possibles. Si l'on veut respecter les objectifs sociaux et de solidarité de la sécurité sociale, on ne peut pas proposer n'importe quelle économie budgétaire.
Avez-vous calculé combien de personnes allaient basculer sous le seuil de pauvreté à cause du gel des prestations sociales ? La pauvreté monétaire est déjà au plus haut depuis trente ans : près de 10 millions de personnes sont concernées, et plus d'un enfant sur cinq vit dans un ménage pauvre.
Vous semblez vouloir augmenter la taxe sur les complémentaires santé pour compenser le décalage dans le temps de la réforme des retraites, mais quel est le rapport entre ces deux mesures ?
Un autre gel dont vous parlez peu est celui des seuils de revenus ouvrant droit à l'application des taux réduits de CSG, qui touchera les foyers les plus modestes. Combien seront concernés ?
Il s'agit bien de mesures politiques, car d'autres solutions étaient possibles. Vous auriez pu, par exemple, pour le même rendement, augmenter d'un point la CSG sur le patrimoine ou augmenter la taxation des revenus de placement. Pourquoi avoir évacué ces solutions, qui me semblent plus justes ?
Sur la TVA, ne craignez-vous pas, de nouveau, une surestimation des recettes, et donc une sous-compensation pour la sécurité sociale ? Selon la Cour des comptes, elle a coûté 18 milliards d'euros à la sécurité sociale depuis 2019.
La Cour pointe aussi l'explosion des compléments de salaire : les niches fiscales les concernant nous coûtent 8 milliards d'euros. Votre décision de diminuer les forfaits sociaux sur l'intéressement et la participation de 20% à 16% a grevé les comptes de la sécurité sociale. Pourquoi ne revenez-vous pas sur ces avantages plutôt que de vous attaquer aux tickets-restaurant, dont vous avez au préalable déformé le sens en les étendant aux achats en supermarché.
Les mesures que vous prenez par ailleurs sur les allégements généraux de charges sont minimales. Nous pourrions récupérer 8 milliards d'euros si nous les bloquions à deux Smic. Tout le monde s'accorde à dire qu'au-delà de ce seuil, ces allégements n'ont aucun effet sur l'emploi ou la compétitivité.
Mme Jocelyne Guidez. - Je souhaite vous poser deux questions.
Aujourd'hui, la psychanalyse est remboursée à 100% pour traiter les troubles du neurodéveloppement, alors que la Haute Autorité de santé et le docteur Étienne Pot, délégué interministériel sur cette question, estiment qu'elle ne sert absolument à rien. Avez-vous des informations à ce sujet ?
Les congés de naissance supplémentaires qui ont été accordés ont coûté environ 300 millions d'euros. Or les expériences étrangères montrent que l'allongement des congés parentaux de naissance, même bien indemnisés - en Italie, ils sont désormais de cinq mois -, n'a pas enrayé le déclin de la natalité. Est-ce une bonne solution de dépenser plus pour ce type de mesures ?
M. Martin Lévrier. - Je souhaite vous poser trois questions rapides.
La première porte sur l'apprentissage et la fameuse réforme de 2017-2019, qui a été un énorme succès et a permis la création de près d'un million de contrats. Dans le rapport que j'ai rédigé avec mes collègues Corinne Imbert et Frédérique Puissat, nous notions une très forte augmentation des apprentis en post-bac, surtout au niveau master, mais une augmentation bien plus faible en pré-bac. Je ne voudrais surtout pas que l'apprentissage soit une variable d'ajustement, mais les aides accordées aux entreprises me semblent de plus en plus mal ciblées. Il serait plus pertinent de diminuer drastiquement les aides au-delà de bac+ 3, de les diminuer un peu pour les niveaux bac à bac+ 3, et de les augmenter significativement en pré-bac afin de développer des filières dont les entreprises françaises ont absolument besoin. Il me semble que nous pourrions ainsi réaliser d'importantes économies tout en réorientant cette réforme dans le bon sens. Je soumets cette question à votre sagacité.
La deuxième concerne les arrêts de travail. Ne pourrait-on pas imaginer un système de médecins agréés, qui auraient les mêmes responsabilités que les commissaires aux comptes ? Pénalement responsables selon un certain nombre de critères, ils pourraient être mandatés par les entreprises, là aussi selon certains critères, pour contrôler les arrêts lorsque la situation le justifie.
Enfin, la troisième porte sur l'Ondam. Pourriez-vous nous indiquer l'évolution en pourcentage et en volume de la masse salariale ?
Mme Anne Souyris. - Ma première question porte sur l'augmentation des complémentaires santé. On ne peut pas dire que l'on n'augmente pas les taxes pour les assurés et, dans le même temps, augmenter la taxation des organismes complémentaires d'assurance maladie, ce qui aboutit, de fait, au même résultat. La différence entre une cotisation de sécurité sociale et une cotisation de complémentaire santé, c'est que la première est indexée sur le salaire, tandis que la seconde ne l'est pas.
Ma deuxième question porte sur la financiarisation. Vous dites que les soins ne doivent pas être gratuits, afin que les gens réalisent qu'ils ont un coût. Mais, de fait, même sans les franchises, la maladie n'est pas gratuite. Il y a des choses que l'on ne peut plus faire et que l'on doit faire faire ; parfois l'on ne peut plus travailler. On sait en outre que les franchises constituent un frein à l'accès aux soins. Même si vous avez prêté attention aux plus bas salaires, c'est un mécanisme qui accentue le renoncement aux soins, bien au-delà des seuls bénéficiaires du RSA.
Avez-vous envisagé d'instaurer une taxe, sur le modèle de la clause de sauvegarde, sur les secteurs très rentables et financiarisés ? Car la baisse des remboursements des soins réalisés par les secteurs rentables ne garantit pas que des économies seront réalisées. La sécurité sociale en fera peut-être, mais certainement pas les patients, qui risquent simplement de voir leur reste à charge augmenter.
Ma dernière question concerne la prévention. Vous prétendez faire un effort en la matière, mais je ne vois rien sur l'alcool, le tabac, l'alimentation ou la réduction des risques. Par exemple, l'expérimentation sur les haltes soins addictions (HSA), qui se termine à la fin de l'année, disparaît de ce PLFSS. Pourquoi ?
Mme Nadia Sollogoub. - Est-il pertinent de maintenir les exonérations fiscales des professionnels de santé qui s'installent en zones de revitalisation rurale, désormais rebaptisées France Ruralités Revitalisation (FRR), sachant qu'un professionnel de santé qui s'installe n'importe où en France a son carnet de rendez-vous plein dès le premier jour ?
Aujourd'hui, ce système déséquilibre artificiellement les installations de professionnels de santé, car ils ne veulent plus s'installer qu'en FRR, et toute la France se bat pour être classée en FRR... Ne serait-il pas plus logique d'augmenter la tarification des actes en zones sous-dotées, mais de revenir sur les avantages fiscaux ? On demande des efforts à tout le monde, et le système est très injuste pour les médecins plus anciens qui n'en bénéficient pas.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Je le signale depuis longtemps. C'est en effet aberrant !
Mme Nadia Sollogoub. - Je dépose un amendement chaque année sur le sujet, et Bercy m'avait parlé d'un coût de 700 millions d'euros. Ne faudrait-il pas exclure les professionnels de santé du dispositif FRR, au même titre que les assureurs ou les agences immobilières ?
M. Olivier Henno, président. - La commission a demandé un rapport à la Cour des comptes sur ce sujet ; il nous sera rendu le 12 novembre prochain.
Mme Annie Le Houerou. - Nous partageons l'objectif de maîtrise des déficits et le souhait de ramener la sécurité sociale à l'équilibre à l'horizon 2029-2030. Cela suppose de maîtriser la dynamique des dépenses et d'intervenir sur les recettes, où des efforts supplémentaires sont à accomplir.
Pour autant, ce PLFSS est absolument insupportable, car il met en péril le principe selon lequel chacun contribue selon ses moyens et bénéficie selon ses besoins. En l'occurrence, ce sont surtout les malades qui sont mis à contribution.
Nous nous interrogeons aussi sur la sincérité d'une progression de 1,6% de l'Ondam. Même si cette moyenne cache de fortes disparités selon les secteurs, cet objectif nous semble irréaliste.
Au lieu de faire culpabiliser les malades, notamment ceux qui sont en affection de longue durée, pourquoi ne pas réduire plus franchement les allégements généraux de charges ? Ne serait-il pas possible non plus de rendre la CSG plus progressive par rapport aux revenus ?
Concernant la fiscalité comportementale, il n'y a rien en effet dans le PLFSS sur les sucres ajoutés ou les publicités alimentaires. Pourquoi faire l'impasse sur ce sujet important ?
Les tarifs des complémentaires santé ont déjà connu des augmentations significatives au cours des dernières années, au point que de nombreuses personnes, notamment les retraités, ont des difficultés à les payer. Et vous voulez encore en remettre une couche cette année...
Il existe pourtant des leviers de maîtrise des dépenses de santé, notamment la prévention, sur laquelle ce PLFSS fait en grande partie l'impasse. Vous avez cité la systématisation des dépistages pour certaines pathologies ou polypathologies, mais, sauf erreur de ma part, je n'ai rien vu dans le texte. De la même manière, les rendez-vous de prévention, qui ont été créés pour prévenir et anticiper le développement des maladies chroniques, sont finalement très peu mis en oeuvre, faute de médecins disponibles pour les assurer.
Comme vous l'avez souligné, ce projet va donner lieu à discussion. Pour notre part, nous serons très attentifs à ce que les plus vulnérables ne soient pas les seuls à contribuer au rétablissement des comptes. Nous devons répartir les efforts de la manière la plus équitable et la plus juste possible.
Mme Corinne Féret. - Nos interventions respectives montrent que le débat sur le PLFSS sera nourri, car nous avons des approches et des sensibilités différentes, pour ne pas dire divergentes. Ce texte sera discuté alors que nous célébrons les 80 ans de la sécurité sociale, fondement de notre modèle social, pour lequel nos aînés se sont battus.
Or, pour nous, ce PLFSS contrevient aux principes fondamentaux de notre modèle social, qui s'articulent autour de l'égalité d'accès aux soins, de la qualité des soins et de la solidarité.
Le " forfait responsabilité " me choque tout particulièrement, comme si les Français n'avaient pas conscience que notre système de santé est basé sur la solidarité et qu'il ne faut pas en abuser. Pour beaucoup de nos concitoyens, les franchises médicales ne sont pas négligeables. Passer de 1 à 2 euros sur une boîte de médicaments ou de 2 à 4 euros pour une consultation, ce n'est pas rien, d'autant que le montant du plafond n'est pour l'instant pas précisé. De même, la limitation des arrêts maladie s'apparente à une double peine pour les malades. Et je ne parle pas des patients en ALD, dont le reste à charge pourrait augmenter de 70 euros en moyenne par an selon vos déclarations.
Il me semble également totalement inacceptable de considérer que les pensions et les prestations sociales ne devraient pas progresser sous prétexte que l'inflation est moins élevée. On peut trouver des recettes ailleurs, et nous aurons l'occasion d'y revenir lors du débat sur le PLFSS.
Mme Émilienne Poumirol. - Ma question porte sur le prix des médicaments. Les pharmaciens ont récemment protesté contre l'idée, il est vrai paradoxale, de diminuer leurs marges sur les médicaments génériques, alors qu'on les incite depuis plusieurs années à en délivrer le plus possible...
Dans le même temps, on ne peut pas discuter du prix des médicaments, le Comité économique des produits de santé (CEPS) mettant systématiquement en avant le secret des affaires. Le prix de certains médicaments reste exorbitant. C'est le cas des médicaments « innovants », qui ne le sont pas tous, car il suffit parfois de modifier à la marge la formule d'un ancien médicament pour qu'il devienne innovant. C'est le cas aussi, dans certaines disciplines comme la cancérologie, de médicaments amortis depuis longtemps, mais dont le prix ne diminue pas. Certains laboratoires connaissent certainement des difficultés, mais le rendement des Big Pharma continue de tourner autour de 8%.
J'aimerais que l'on puisse travailler sur ce sujet.
M. Olivier Henno, président. - Madame la ministre, vous attendez du projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales un rendement de 1,5 milliard d'euros, ce que le Haut Conseil des finances publiques ne juge pas crédible. D'où vient cet optimisme ? Pourriez-vous également nous transmettre un chiffrage détaillé de chaque mesure du projet de loi ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je vais essayer de répondre par thème et d'être exhaustive.
Si nous construisions ce PLFSS uniquement pour faire rentrer de l'argent dans les caisses, cela n'aurait aucun sens. Nous cherchons en corollaire à déployer une offre de soins adaptée aux besoins des Français sur tout le territoire.
Notre système de santé était centré sur le traitement des pathologies aiguës, avec des centres hospitaliers universitaires (CHU) de pointe et de très grands centres d'excellence, mais notre réseau territorial n'est plus adapté au vieillissement de la population, aux maladies chroniques et aux nouveaux enjeux de déplacement.
Il faut donc des investissements et une réforme en profondeur. La question est bien de savoir quel système de santé nous voulons déployer. Le précédent gouvernement a agi pour que des médecins quittent les CHU et s'installent dans les territoires. Il existe des exemples probants d'exercice mi-hôpital, mi-ville. Dans beaucoup de territoires, on assiste au déploiement de réseaux de médecins qui se déplacent à domicile. Tous ces projets coûtent de l'argent. Or cet argent, de facto, nous ne l'avons pas. On peut donc aussi voir l'augmentation des forfaits comme une forme de compromis avec les Français, avec une participation supplémentaire moyenne de 42 euros par an, et 18 millions de nos concitoyens totalement exonérés.
L'idée de France Santé, c'est que chaque Français ait un premier accès aux soins à moins de trente minutes de chez lui. France Services, construit avec la même ambition, suscitait beaucoup de méfiance au départ, mais, aujourd'hui, le système fonctionne. C'est à peu près le même réseau qu'il nous faut déployer pour la santé. Ensuite, comment avoir un rendez-vous de suivi avec un médecin dans les 48 heures ? Nous devons travailler sur tous ces sujets. Évidemment, si nous tenons un discours exclusivement budgétaire, en oubliant de dire à quoi ces efforts peuvent servir, nous passons à côté de l'essentiel. Nous voulons continuer d'être le pays avec l'une des espérances de vie en bonne santé les plus longues au monde, et qui augmente encore, selon une enquête récente de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).
Concernant l'Ondam, beaucoup d'entre vous ont évoqué sa progression fixée à 1,6%. Sans la mesure du « forfait de responsabilité », l'Ondam serait à 2,3%, soit précisément la somme de la croissance et de l'inflation. L'Ondam constitue certes un totem, mais il s'agit d'une moyenne pondérée d'éléments disparates qui nous apprend peu de choses en réalité sur ce que nous faisons pour l'hôpital, les parcours de soins, l'accès aux soins, les établissements médico-sociaux ou les transports sanitaires.
Madame Poncet Monge, vous avez évoqué l'impact du gel et les enjeux de pauvreté. Je vous le dis sans détour : geler les barèmes de l'impôt sur le revenu et de la CSG fonctionne moins bien si vous ne gelez pas dans le même temps les prestations et les retraites. Si vous avez une stabilité de revenus, la stabilité des barèmes de l'impôt n'emportera pas de conséquences négatives pour les gens. Il faut donc bien voir ces deux mesures comme étant corrélées.
Si l'on revalorise la première tranche de l'impôt sur le revenu tout en gelant les prestations et les pensions, la conséquence est qu'il y aura moins de Français qui paieront cet impôt. Il peut certes s'agir d'un choix politique, mais il faut l'expliquer clairement.
Concernant la CSG sur les revenus du patrimoine, elle ne touche pas que les hauts patrimoines. Il ne faut pas faire croire que l'augmentation de certains impôts serait sans impact sur la vie des classes moyennes ou populaires. On pourra vous communiquer la répartition du rendement d'une hausse d'un point de la CSG sur les revenus du capital. La fiscalité des plans d'épargne entreprise (PEE), des plans d'épargne logement (PEL), des plans d'épargne pour la retraite collectifs (Perco) et des comptes épargne logement (CEL), autant de dispositifs d'épargne plutôt sociaux, en serait affectée. En augmentant un impôt comme la CSG, dont la base est très large, on touche aussi les classes moyennes.
Sur la TVA, le Haut Conseil des finances publiques juge notre prévision cohérente avec notre estimation de croissance. Il n'en demeure pas moins que nous avons un vrai enjeu sur cet impôt, je ne vous le cache pas. Depuis plusieurs années, il y a un écart entre l'évolution des recettes de TVA et l'évolution du PIB. Il se passe quelque chose que nous n'arrivons pas à comprendre. Est-ce dû à une augmentation de l'économie parallèle, à une déformation de notre modèle économique entre les exportations et la production ? Rassurez-vous, nous ne parlons pas cette année de dizaines de milliards d'euros manquants, mais nous n'arrivons pas à obtenir les rentrées espérées. Ce n'est pas une question de surestimation des prévisions économiques, mais nous constatons que les rentrées de TVA ne sont plus parfaitement corrélées aux simulations faites par nos modèles à partir des observations économiques. Pour une consommation donnée, nous n'avons pas la TVA attendue. J'ai donc lancé une mission d'urgence, et je vous ferai bien entendu part de ses résultats, la TVA étant aussi devenue une ressource pour les collectivités et la sécurité sociale.
Un grand débat portera aussi sur les compléments de salaires, dont les tickets-restaurant font partie. Jean-Pierre Farandou dit souvent que tous les revenus devraient porter une part de cotisation et de fiscalité, quitte à moduler ensuite leur application. Créer des revenus sans aucune fiscalité ni charge sociale peut en effet poser question. Entre les tickets-restaurant, qui sont devenus des tickets « caddie », et les chèques culture ou les chèques vacances, qui sont devenus une quasi-monnaie, il y a sans doute des choses que l'on peut moduler.
Vous avez été nombreux également à m'interroger sur la fiscalité comportementale. C'est en effet un élément que le Gouvernement ne verse pas au débat, mais rien ne vous interdit de déposer des amendements en la matière.
Madame la sénatrice Guidez, votre question sur ce que l'on rembourse est intéressante. Je ne suis pas ministre de la santé, mais je constate que beaucoup de recommandations de la Haute Autorité de santé ne sont pas suivies. Par exemple, près de la moitié des arrêts maladie sont prescrits pour des durées atteignant parfois le double de ses préconisations. Quand la Haute Autorité de santé émet des recommandations, nous pourrions considérer que c'est sur cette base que le remboursement à 100 % s'applique.
Le fait que la durée des arrêts maladie ne corresponde pas aux préconisations pose problème. Les données de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) montrent que des patients en arrêt ne voient aucun médecin. Par exemple, 30 % à 40 % des personnes en arrêt pour des troubles musculo-squelettiques ne voient pas de kinésithérapeute...
Mme Annie Le Houerou. - Il faut parfois attendre trois mois pour voir un kiné !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - L'arrêt ne va donc pas résoudre le problème, il va simplement le mettre en pause. Les médecins n'assurent pas toujours le suivi que l'on pourrait attendre, d'où notre préconisation que les arrêts en première intention soient de quinze jours, afin de vérifier que le parcours de soins nécessaire a bien eu lieu.
Ensuite, bien entendu, il faut que l'offre de soins soit disponible, et l'on en revient aux enjeux d'installation et de répartition. Car dans certains territoires, l'offre de soins existe.
Sur la démographie, vous avez parlé de l'Italie, madame Guidez, et je voudrais préciser ce que cela signifie pour un pays d'avoir 1,2 enfant par femme. Cela veut dire que chaque femme a en moyenne 0,6 fille. Si ces filles ont à leur tour 0,6 fille, en deux générations, la population italienne aura baissé de 60%. Présentés ainsi, ces chiffres prennent une tout autre signification. C'est donc un enjeu qui va bien au-delà des questions budgétaires, et qui intéresse tous les démographes et sociologues.
Nous investissons beaucoup de moyens pour créer des places de crèche. La convention d'objectifs et de gestion de la Caisse nationale des allocations familiales prévoit jusqu'à 20 000 euros de soutien par place de crèche construite. Pourtant, nous avons toujours un problème de mode de garde, alors même qu'il y a de moins en moins d'enfants. Aujourd'hui encore, plus de 30% des familles n'ont pas de solution de garde. Le congé de naissance est proposé tel quel et sera débattu. Son coût dépendra bien évidemment du taux de recours.
Monsieur Lévrier, la politique d'apprentissage a été un succès en favorisant l'insertion. Elle a cependant entraîné des dépenses d'un montant total de 19 milliards d'euros - 15 milliards d'euros de dépenses budgétaires et 4 milliards d'euros de réductions de cotisations et de fiscalité - pour environ 900 000 jeunes en apprentissage. Il est vrai que 61% des apprentis ont une qualification supérieure à bac+ 2, et je ne doute pas que Jean-Claude Farandou sera attentif à améliorer l'efficacité de cette politique.
Concernant les arrêts de travail, vous avez décrit un système qui existe déjà dans la mesure où des médecins agréés peuvent être mobilisés pour effectuer des contrôles à partir d'une certaine durée d'arrêt et décider si l'employeur doit continuer à octroyer un complément de salaire.
S'agissant de l'Ondam, une hausse de 2,3% est prévue, avec un taux de chômage en légère hausse. Il convient de rappeler que 35 000 personnes entrent chaque trimestre sur le marché du travail du fait du baby-boom des années 2000.
Pour ce qui est d'une taxe sur les complémentaires santé, madame Souyris, je pense que Stéphanie Rist pourra mieux développer les enjeux liés à la répartition des remboursements et de l'accompagnement lors de son audition à venir.
Une remarque a aussi été formulée sur le coût de la maladie : c'est tout le sens du taux de CSG réduit qui s'applique aux revenus de remplacement, alors que le taux de CSG est de 9,2% pour les revenus d'activité.
Pour ce qui concerne la financiarisation, le PLFSS contient des éléments qui, sans empêcher des secteurs utiles aux Français tels que la biologie et la radiothérapie de fonctionner, permettent d'instaurer une régulation, notamment en privilégiant des forfaits par rapport à la tarification à l'acte.
J'en viens au zonage et aux ZRR, débat qui, comme toute discussion portant sur les exonérations et les niches, est pertinent. Je n'ai pour ma part aucune opposition de principe aux niches, mais encore faut-il être certains de la manière dont nous voulons affecter les moyens publics. Le PLF et le PLFSS prévoient la suppression d'un certain nombre de niches fiscales et sociales, sur la base de différents rapports de la Cour des comptes ou du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO). Je souhaite que nous menions le débat sur tous ces points et que nous fassions des choix, en toute transparence.
Madame Le Houerou, j'ai tendance à avoir la main tremblante dès lors qu'il est question de faire contribuer davantage les entreprises, car cela risque d'entraîner une hausse du chômage, notamment des seniors. Les exonérations de cotisations sont devenues une composante du coût du travail et les 80 milliards d'euros engagés à ce titre ont permis de créer des emplois.
Le taux d'emploi a ainsi augmenté très sensiblement en France ces dernières années, atteignant des niveaux qui n'avaient pas été connus depuis les années 1970. Cela résulte d'une série de décisions qui ont permis à un certain nombre de secteurs de créer des emplois. D'aucuns se sont d'ailleurs interrogés sur cette capacité de notre pays à créer des emplois en ne connaissant qu'une faible croissance : c'est très certainement parce que nous avons créé les conditions le permettant.
Certes, l'État paie lesdits allégements généraux, mais ces derniers ont permis de réduire le chômage, qui n'est désormais plus la principale préoccupation des Français, avant tout soucieux de leur pouvoir d'achat. Ayons un regard juste sur les effets de ces exonérations, qui ont permis de sortir de décennies pendant lesquelles le chômage était vu comme une maladie incurable, même si nous n'avons certes pas tout résolu.
Concernant l'hypothèse d'une CSG plus progressive, je rappelle que le taux dépend des revenus du foyer de l'année n-2 : les revenus totaux et la composition du foyer sont pris en compte pour fixer le taux applicable aux retraités, qui est donc un taux différencié. La même méthode pourrait être appliquée aux actifs, mais cela reviendrait à figer la réalité de la situation familiale existant deux ans avant dans la fiscalité et la cotisation du travail de l'année donnée : il s'agit d'une tâche relativement complexe, mais non pas impossible, ni inconstitutionnelle.
En revanche, il serait inconstitutionnel de lier un taux réduit à la situation d'une personne seule : notre système se base sur une évaluation de la globalité des foyers dans un objectif de justice sociale, et il me semble qu'il faut se montrer très précautionneux si l'on envisage un changement.
J'en arrive à la prévention : l'article 19 porte sur la prise en charge de prestations d'accompagnement préventif à destination des assurés souffrant d'une pathologie à risque d'évolution vers une ALD, afin d'éviter que les personnes atteignent un tel niveau de gravité de leur maladie chronique. Nous aurons donc ce débat que vous appelez de vos voeux.
Je rappelle, par ailleurs, que la révision de la convention médicale prévoit une meilleure rémunération des médecins pour un certain nombre de consultations, à la condition qu'ils pratiquent ces rendez-vous de prévention avec leur patientèle.
Nous avons beaucoup d'outils à notre disposition, mais il reste à voir s'ils sont employés : chacun d'entre nous fait-il sa prise de sang annuellement, ainsi qu'un check-up général de manière régulière ?
Madame Féret, vous tablez sur un débat animé, et c'est tant mieux, car il est question d'une vision et d'une répartition de l'effort au sujet d'un actif qui est né il y a quatre-vingts ans grâce à un consensus historique entre les gaullistes et les communistes, dans le cadre du Conseil national de la Résistance (CNR). Nous devrions avoir le courage de nous montrer dignes de cet héritage, en parvenant à un compromis plus modeste en comparaison de nos prédécesseurs.
Pour en revenir aux forfaits, 16 000 patients ont vu plus de dix médecins généralistes différents l'année dernière. Je suis d'accord avec vous lorsque vous affirmez qu'il faut distinguer responsabilité et culpabilité...
Mme Annie Le Houerou. - Il faut alors cibler ces personnes, mais pas l'ensemble de la population !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - De la même manière, nous sommes le premier pays consommateur de paracétamol remboursé : vous savez très bien que de nombreux Français stockent des médicaments remboursés dans leurs armoires, sans forcément les utiliser, ce qui entraîne parfois des gaspillages.
Je fais le lien avec les pharmaciens, enfermés dans un modèle de rémunération " à la boîte ", d'où l'impossibilité d'aller vers un modèle de délivrance des médicaments à l'unité, ce qui est un peu absurde compte tenu de la variété des boîtes, plus ou moins grandes et plus ou moins chères.
Des études d'économistes transparentes et indépendantes ont montré que la France est le deuxième pays au monde - après les États-Unis - en termes de soutien à l'innovation médicale. Néanmoins, nous, Européens, sommes très faibles sur le médicament, car nous nous faisons concurrence alors que nous devrions, compte tenu la taille de notre marché, d'abord songer à notre souveraineté médicamenteuse et pharmaceutique à l'échelle du continent.
Avec un marché ouvert tel que le nôtre, il n'y a aucun sens à ce que chacun des pays se batte pour obtenir une demi-usine qui n'est jamais rentable, alors que nous pourrions nous répartir les sujets, porter une vision du médicament et négocier collectivement avec les grands laboratoires. Cette mécanique de compétition entre pays européens est assez absurde, tant pour les patients que pour les industriels.
Monsieur Henno, la fraude représente un enjeu majeur. Si le HCFP a jugé notre copie optimiste, je rappelle que nous détectons 16 milliards d'euros de fraudes pour 11 milliards d'euros encaissés sur le plan fiscal ; sur le plan social, nous détectons 3 milliards d'euros à 4 milliards d'euros pour 1 milliard d'euros à 2 milliards d'euros encaissés : la marge de progression est donc considérable et s'explique par un cruel manque d'outils.
Les dispositions relatives aux gels, saisies et flagrances sont ainsi très précieuses, car elles fournissent aux agents publics - engagés pour faire respecter le pacte républicain - les outils adaptés pour agir immédiatement en cas de détection d'une fraude, en gelant le compte en banque, en menant l'enquête et en récupérant l'argent en cas de fraude avérée. Jusqu'à présent, les agents ne pouvaient qu'écrire une lettre, ce qui laissait toute latitude aux sociétés éphémères pour organiser leur insolvabilité et envoyer l'argent issu de la fraude à l'étranger, comme cela m'a été confirmé par Tracfin.
Dans le même ordre d'idées, le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales prévoit un renforcement de la coopération entre les administrations, afin d'accélérer les procédures et de réduire le laps de temps séparant la détection de la fraude du recouvrement. Je soutiens avec ardeur, en lien avec le garde des sceaux, la politique de saisies et de ventes portée par l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc) : au lieu d'assumer des frais de gardiennage de biens - parfois de luxe -, nous procédons à la vente après la saisie.
En conclusion, la fraude est désormais très structurée, les mêmes réseaux de criminalité organisée étant à l'oeuvre derrière l'exportation de médicaments et d'ordonnances, avec des flux illicites d'argent en espèces provenant en grande partie du narcotrafic. Il faut donc que nous soyons très lucides et que nous écartions la " petite fraude des gens modestes " que certains évoquent parfois à l'Assemblée nationale.
Je suis résolument opposée à cette idée, car la fraude dont je vous parle est le fait de réseaux très organisés et internationalisés, qui ont déployé leurs activités tous azimuts et qui ont compris un élément essentiel : plus la politique publique considérée a l'air sociale, plus elle semble ciblée sur les classes populaires et moyennes, plus elle fait l'objet de fraudes.
La politique publique qui a connu le plus fort taux de fraude est ainsi MaPrimeAdapt', alors qu'elle porte l'aide à l'adaptation des logements des personnes en situation de handicap. Cela me révolte : plus nous déployons des outils publics qui ciblent des personnes fragiles que nous souhaitons accompagner, plus les réseaux criminels se disent qu'il existe, derrière le paravent de la solidarité, des failles permettant d'extorquer de l'argent public pour l'envoyer dans des pays exotiques où il n'est aucunement question de rénover des logements.
Il est donc nécessaire que nous tenions aux Français un discours de vérité au sujet de la fraude, en rappelant que nous ne ciblons pas les citoyens - c'est pourquoi nous avons instauré le droit à l'erreur -, mais l'extorsion, qui met à mal un système social et républicain auquel nous sommes tous attachés.
Dans le cadre des débats à venir, j'essaierai d'être la plus transparente possible sur les faits. Ensuite, vous, sénatrices et sénateurs, voterez aux côtés de vos collègues députés : le texte est entre vos mains.
M. Olivier Henno, président. - Merci, madame la ministre, de nous avoir consacré autant de temps.
Source https://www.senat.fr, le 27 octobre 2025