Déclaration de M. Gérald Darmanin, garde des sceaux, ministre de la justice, sur les dysfonctionnements obstruant l'accès à une justice adaptée aux besoins des justiciables ultramarins, à l'Assemblée nationale le 4 novembre 2025.

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Circonstance : Audition devant la Commission d'enquête sur les dysfonctionnements obstruant l'accès à une justice adaptée aux besoins des justiciables ultramarins

Texte intégral

M. le président Frantz Gumbs. Alors que les travaux de notre commission d'enquête touchent à leur fin, il nous a paru indispensable de vous entendre, monsieur le ministre, et de vous faire part des propositions formulées par les acteurs de la justice et de l'accès au droit que nous avons auditionnés. Vous avez reçu à cet effet un questionnaire précis et détaillé. Dans la mesure du possible dans la période budgétaire actuelle, nous espérons que vous pourrez y répondre de manière tout aussi précise.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Gérald Darmanin prête serment.)

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux, ministre de la justice. Je réponds par définition à toutes les invitations de l'Assemblée nationale et du Sénat, mais d'autant plus volontiers lorsqu'il s'agit de dysfonctionnements d'un service public, en l'occurrence de la justice.

Ces dysfonctionnements sont avérés dans l'ensemble du territoire national, qu'il s'agisse du nombre de magistrats manquants, qui est bien plus important que dans les autres pays européens, ou des moyens alloués depuis au moins cinquante ans par le gouvernement de la République au fonctionnement de la justice pénale et civile. Mais ces dysfonctionnements aggravent aussi les difficultés propres aux territoires ultramarins – une appellation qui, j'en suis conscient, résume un peu trop vite leur complexité et leur diversité –, tant dans le domaine de l'accès au droit que dans celui de la sécurité.

Cette sécurité, nous la devons à nos concitoyens. La sécurité juridique en matière civile – qu'il s'agisse des questions foncières ou de la propriété, de la vie familiale, de la protection des mineurs et des majeurs, ou encore de litiges commerciaux et économiques – est tout simplement ce qui permet la vie économique, sociale et familiale. Et cette sécurité juridique est évidemment essentielle en matière pénale.

Chacun sait que la criminalité, organisée ou simplement violente, touche particulièrement les territoires ultramarins – l'axe Antilles-Guyane en premier lieu, mais aussi l'océan Indien et une partie de la Polynésie. Les taux de criminalité y sont six à huit fois plus élevés que sur le reste du territoire national. En matière de violences sexuelles, à l'exception de Saint-Pierre-et-Miquelon, tous les territoires ultramarins connaissent malheureusement un taux de reproduction des violences intrafamiliales supérieur à celui du territoire hexagonal, tant à l'égard des femmes que des enfants. Les procédures civiles et pénales sont plus longues dans l'ensemble des juridictions ultramarines, la protection de la jeunesse plus complexe, et nous rencontrons davantage de difficultés pour garder les personnes sous main de justice, que ce soit en milieu ouvert, avec des bracelets électroniques par exemple, ou dans les prisons. Les conditions d'incarcération enfin sont très dégradées, même si l'on sait que certaines prisons du territoire hexagonal sont également dans une situation extrêmement difficile.

Même si cela ne dépend pas que de lui, le ministère de la justice a une responsabilité particulière pour assurer l'accès au droit, en lien avec les collectivités locales, qui font beaucoup d'efforts, et avec les professions juridiques. On sait les grandes difficultés qu'ont les avocats à s'organiser, du fait de l'insularité certes, mais aussi de l'accompagnement qui leur est apporté, qu'il s'agisse de l'aide juridictionnelle, de la formation des auxiliaires de justice ou de l'accès à certains territoires. Nous devons donc travailler à améliorer l'accès aux avocats, mais aussi à l'ensemble des professions en lien avec le ministère de la justice – notaires, commissaires de justice, experts-comptables ou commissaires aux comptes – ainsi que, puisqu'il s'agit d'accès au droit au sens large, aux associations qui aident les victimes, les consommateurs ou les accusés à accéder à un droit juste.

Nous partageons donc le constat qui a conduit à la création de votre commission d'enquête. En répondant à votre questionnaire, d'abord, puis en agissant de manière concrète au cours des semaines et des mois à venir, nous allons nous employer collectivement à rattraper un retard qui, s'il n'est pas le même dans tous les territoires ultramarins, se fait particulièrement remarquer.

Sur le plan budgétaire, la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 (LOPJ) prévoyait un volet outre-mer important. On comptait 362 magistrats – en matière civile, en matière pénale, en première instance et en cour d'appel – en outre-mer en 2016 : lorsque je suis arrivé au ministère de la justice le 24 décembre 2024, ils étaient 431. Il y a donc eu une augmentation extrêmement importante pendant le premier quinquennat du Président de la République, même si elle ne suffisait pas encore à rattraper le retard. Et nous en sommes aujourd'hui à 455 magistrats, en tenant compte des mouvements validés par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM). L'an prochain, si le budget est voté, nous prévoyons un total de 475 magistrats en outre-mer. En moyenne, le nombre de magistrats aura augmenté d'environ 7% par an en outre-mer, contre 3% par an sur le territoire hexagonal. Quant aux greffiers, les chiffres sont de 1 200 en 2024, 1 970 en 2025 et plus de 2 300 pour 2026.

La LOPJ est donc appliquée à l'équivalent temps plein près. Avec le ministère des armées, nous sommes les seuls à ne pas connaître de réduction budgétaire – je viens d'ailleurs de prendre connaissance des non-annulations de crédits que le Premier ministre a bien voulu m'accorder pour que nous puissions tenir toutes nos promesses, en matière d'effectifs et de projets immobiliers.

S'agissant des projets immobiliers outre-mer, vingt-et-un sont en cours ou seront annoncés dans les prochaines semaines, voire aujourd'hui. Ils concernent aussi bien des travaux de structure dans les palais de justice, qui sont particulièrement vieillissants, que le domaine pénitentiaire. Quant aux effectifs, on compte dans les seize établissements d'incarcération que gère le ministère des outre-mer – je ne compte pas ceux de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) – 6 636 détenus pour 2 120 agents pénitentiaires, avec un taux d'occupation de 145% en moyenne, qui connait des disparités suivant les territoires. Ce taux ne satisfait évidemment personne, d'où les nombreux projets pénitentiaires que j'ai évoqués. Je voudrais néanmoins faire remarquer qu'il y a un agent pénitentiaire pour trois détenus en outre-mer, contre un pour six en Hexagone. Cela signifie qu'à l'inverse de ce qui se passe pour la magistrature, les difficultés à assurer la réinsertion ou la surveillance des personnes mises sous main de justice sont plus grandes en Hexagone qu'en outre-mer.

Les dysfonctionnements de l'organisation de la justice outre-mer sont dus au manque de moyens, au retard des projets numériques, à la faiblesse des réseaux, aux difficultés d'accès au droit. Tout cela est aussi vrai pour les projets immobiliers.

Lorsque j'étais ministre de l'intérieur et des outre-mer, monsieur le président, nous avions créé une préfecture de plein exercice à Saint-Martin. Aujourd'hui, c'est l'ouverture d'un tribunal judiciaire de plein exercice que je suis en mesure de vous annoncer pour Saint-Martin, que je viendrai avec grand plaisir inaugurer dans quelques semaines si vous m'y invitez, ainsi qu'un projet de prison modulaire de soixante places, soit le nombre de Saint-Martinois détenus dans les prisons de Guadeloupe. Le territoire de Saint-Martin aura ainsi reçu, hier sa préfecture, aujourd'hui son tribunal judiciaire autonome et demain sa prison, afin que les Saint-Martinois puissent rendre visite aux détenus de leur territoire – et que nous soyons au rendez-vous de ce qu'il faut faire en matière de vie privée et familiale. Cela permettra également de réduire la coopération carcérale avec la Guadeloupe et de libérer le tribunal guadeloupéen des affaires saint-martinoises, afin d'améliorer le service public local.

À la Martinique, nous venons de recevoir la livraison de 120 places au centre pénitentiaire de Ducos, pour un total de 90 millions d'euros. En Guadeloupe, nous avons 200 places à Basse-Terre et bientôt 300 pour le centre pénitentiaire de Baie-Mahault, pour un coût total d'environ 180 millions. Je me suis également rendu en Guyane pour finaliser le financement de la prison promise il y a sept ans, dont la construction commence, pour un montant de presque 370 millions.

Je sais que M. le député de Wallis-et-Futuna est particulièrement attentif à l'appel d'offres lancé pour une prison de onze places. Même si le montant envisagé est passé de 9 à 19 millions, nous serons au rendez-vous pour que les Wallisiens ne soient pas envoyés en terre calédonienne pour purger leur peine. À Mayotte, où le centre pénitentiaire de Majicavo est occupé à 200 %, la situation est très préoccupante pour la dignité des personnes. Nous annonçons donc la construction de 400 places qui viendront soulager ces difficultés.

En Polynésie, le centre pénitentiaire de Faa'a est particulièrement indigne – je le sais pour l'avoir visité à plusieurs reprises. La construction d'un nouveau site est envisagée avec les élus polynésiens. En Nouvelle-Calédonie, dans l'accord qui semble avoir été décidé et validé – je reste au conditionnel bien sûr – dans le cadre du processus porté par M. Valls, nous avons autorisé la construction d'un site supplémentaire – après la création du centre de détention de Koné – pour soulager la prison de Nouméa, laquelle est elle aussi dans un état indigne même si nous avons dépensé 30 millions cette année, à la suite des émeutes, pour améliorer le quotidien des agents pénitentiaires et des détenus.

J'en viens à la question de la sécurité juridique de nos concitoyens ultramarins, tant en droit civil qu'en droit pénal.

Je constate qu'aucune instruction ni circulaire du garde des sceaux n'a dessiné de politique pénale aux Antilles depuis 2014, alors que dans le même temps, le narcotrafic a gangrené l'ensemble du territoire mondial et singulièrement l'axe caribéen. J'adresserai donc aux magistrats du siège et du parquet une instruction commune à la Guadeloupe et à la Martinique lors de mon déplacement en Guadeloupe dans quelques semaines, au cours duquel j'annoncerai d'ailleurs des renforts en faveur de la juridiction interrégionale spécialisée (Jirs).

Aucune circulaire n'a été prise non plus depuis 2019 pour la Guyane, alors qu'elle fait face à plusieurs menaces : l'orpaillage illégal – j'ai une pensée, à ce sujet, pour le militaire mort lors des opérations de protection du territoire guyanais –, le narcotrafic et les atteintes à l'environnement. J'attends le déplacement du Président de la République au Brésil avant de produire une circulaire spécifique pour le territoire guyanais, après consultation des élus et des chefs de cour.

Enfin, il n'y a aucune circulaire pénale non plus pour les procureurs de La Réunion, de Mayotte, du Pacifique – qui fait pourtant face à des attaques du narcotrafic, en particulier autour de l'ice – ou de Saint-Pierre-et-Miquelon, qui connaît ses propres formes de délinquance. Le ministère de la justice n'a pas spécifié comment les procureurs de la République et les procureurs généraux devaient décliner les politiques pénales décidées à Paris par le garde des sceaux, ce qui est à l'origine de difficultés notables et complique considérablement leur action. Je propose donc, après avoir écouté une partie des auditions que vous avez menées, de rectifier cela, après consultation des élus, des magistrats et du monde juridique – avocats et notaires en particulier.

Deuxième innovation qui renforcera largement notre efficacité, nous allons agir dans le domaine du foncier, comme nous le faisons déjà en Corse, même si je ne compare évidemment pas la nature des îles. J'adresserai une circulaire de politique civile aux territoires ultramarins, qui concernera en particulier la Guyane et les Antilles, mais aussi par exemple Mayotte. Les difficultés foncières, qui ont de multiples conséquences – en matière d'adressage, d'organisation du monde économique, de respect des propriétés et des populations autochtones – méritent une instruction spécifique.

Je suis le premier garde des sceaux à avoir envoyé une circulaire de politique civile aux chefs de cour et de juridictions du territoire hexagonal. Il s'agit d'organiser la politique de la juridiction : les magistrats du siège et du parquet seront chargés de réunir dans les six mois qui viennent les élus locaux et nationaux et les responsables du monde économique, social et associatif afin de déterminer les priorités – le logement insalubre, le développement économique, les désordres fonciers ? – de leur action.

L'absence d'une politique foncière décidée au niveau national, en lien avec les notaires et les avocats, est une des difficultés de l'outre-mer. Je propose donc de changer cela. Le 11 décembre prochain, aux côtés de Mme la ministre des outre-mer et du ministre de l'intérieur, je réunirai les parlementaires de tous bords qui le souhaiteront et les élus locaux de toutes les collectivités dans le cadre d'une journée consacrée à la justice en outre-mer, qui se déroulera à la Chancellerie. Les membres de votre commission d'enquête qui le souhaitent y sont invités. Outre les élus, tous les chefs de cour et de juridictions ainsi que les barreaux de l'intégralité des territoires seront présents. Les améliorations qui en sortiront seront traduites au niveau réglementaire et, s'il le faut, législatif. Le projet de loi visant à assurer une sanction utile, rapide et effective, dit Sure, que je présenterai en janvier au conseil des ministres et qui touche notamment à la protection de l'enfance, à l'audiencement criminel, à la procédure pénale ou au respect des victimes, pourra être l'occasion, si votre commission d'enquête le souhaite, d'adapter certaines dispositions législatives aux contextes ultramarins.

Troisième point, essentiel : l'accès au droit.

Cela commence par l'accès aux tribunaux, qui sont souvent des bâtiments vieux, faisant peu de place aux victimes et aux avocats. J'ai demandé que des aménagements y soient réalisés – nous en parlerons aussi le 11 décembre –, comme nous le faisons en Hexagone. Je me rends d'ailleurs à Lyon cette semaine pour inaugurer un lieu nouveau, conçu pour que les victimes ne croisent pas leurs agresseurs et pour mieux accompagner les avocats et les associations de victimes – bref pour faciliter l'accès au droit.

Deuxièmement, nous proposons d'expérimenter l'usage de la visioconférence en matière civile, lorsque c'est possible et si l'avocat et les personnes concernées sont d'accord. La loi autorise déjà la visioconférence en matière pénale, ce que fait par exemple la Jirs de Fort-de-France pour l'ensemble du territoire caribéen et guyanais. Cela a été validé par le Conseil constitutionnel. La matière civile concerne les deux tiers des affaires traitées dans nos tribunaux, touchant à la vie familiale, à la vie économique, au logement et à l'urbanisme.

Enfin, l'accès au droit inclut aussi l'accès aux concours de la fonction publique pour les citoyens ultramarins qui souhaitent devenir magistrat, agent pénitentiaire, greffier. Au niveau national, 42% des agents de l'administration pénitentiaire sont ultramarins. Je remarque au passage que 20% viennent du Nord-Pas-de-Calais, ce qui montre bien l'attachement des territoires d'outre-mer comme de mon département à la fonction publique, à l'État et à la France !

Nous avons un gros travail d'accompagnement à faire pour ce personnel. À l'École nationale d'administration pénitentiaire (ENAP), à Agen, nos concitoyens Calédoniens, Wallisiens et de Polynésie qui ont réussi le concours se retrouvent souvent dans une situation sociale très difficile à leur arrivée sur le territoire hexagonal. C'est également vrai des personnes en poste qui veulent retourner dans leur territoire d'origine et à qui nous ne pouvons pas toujours donner une réponse satisfaisante car, vous l'aurez compris, nous avons moins de postes d'agents pénitentiaires en outre-mer que d'agents qui en sont originaires. L'administration pénitentiaire est donc chargée d'un travail de promotion interne, notamment par le biais de concours internes ouvrant aux postes d'officier et de commandement, et d'un travail d'accompagnement social.

Plus compliqué : seuls 0,016% des candidats qui passent le concours de l'École nationale de la magistrature (ENM) dans les territoires ultramarins le réussissent. Les Ultramarins qui passent le concours à Paris n'entrent pas dans cette statistique, mais on peut supposer qu'ils sont peu nombreux. Les raisons de ce taux sont assez simples et tiennent à la mauvaise organisation du ministère de la justice.

Ainsi, nous n'avons pas en outre-mer de prépas « talents », ces classes préparatoires, au nombre de six sur le territoire hexagonal, qui permettent de ne pas passer par des écoles privées pour préparer le concours difficile de l'ENM. Je vais donc annoncer en Guadeloupe la création d'une première prépa « talents » qui concernera la Guyane, la Guadeloupe et la Martinique. Je signerai dans trois semaines une convention avec l'université de Guadeloupe afin de mettre en place cette préparation au concours, qui sera donc publique et républicaine. Nous avons l'idée d'en ouvrir une autre à Cayenne l'an prochain, pour des cohortes de quinze à vingt élèves sélectionnés par les universités de droit de ces territoires.

Deuxièmement, lorsque vous passez le concours de l'ENM en tant que citoyen calédonien ou wallisien par exemple, vos épreuves se tiennent à Nouméa de 19 heures à 3 heures du matin, alors qu'elles ont lieu à Paris de 9 heures à 17 heures : la différence de traitement est évidemment trop importante. Même chose pour la Polynésie : un candidat des Marquises, par exemple, doit faire six heures de vol pour venir passer les épreuves à Papeete entre 2 heures et 7 heures du matin ; à Saint-Denis, à La Réunion, les épreuves ont lieu entre 16 heures et 21 heures ; à Mamoudzou, entre 15 heures et 20 heures.

L'égalité des chances n'est ainsi pas respectée, et de nombreux parlementaires interpellent le gouvernement à ce sujet depuis 2014. Entre 2020 et 2024, seuls quatre candidats ultramarins ont été admis à l'issue de ces concours, tous originaires de Guyane. Non seulement ce n'est pas suffisant, mais cela signifie que tous les candidats de l'océan Indien et du Pacifique ont échoué. Je pense qu'en la matière, le ministère de la justice a manqué non seulement de bon sens, mais surtout de respect vis-à-vis de la jeunesse des territoires ultramarins.

En tant que ministre des comptes publics puis ministre de l'intérieur, j'ai modifié ces pratiques pour le concours des douanes et pour celui de la direction générale des finances publiques (DGFIP) : les Ultramarins passent désormais ces concours dans leur territoire aux mêmes horaires qu'à Paris, avec des sujets différents, comme cela se fait pour le baccalauréat. J'ai donc demandé que les concours de l'École nationale des greffes et de l'ENM soient modifiés en ce sens dès la semaine prochaine pour préparer la rentrée de septembre 2026, afin d'assurer une pleine égalité des chances à tous les candidats.

Depuis que je suis ministre de la justice, j'organise très souvent des visioconférences thématiques avec les magistrats. Je sais qu'ils sont très conscients du désir d'égalité et de justice de nos compatriotes ultramarins, et frustrés par le manque de moyens et les difficultés qu'ils rencontrent. Leur volonté de servir en outre-mer est importante, je tiens à le souligner. Nous devons donc, avec le Conseil supérieur de la magistrature – car je ne suis pas seul à décider des nominations – pouvoir les encourager à se rendre dans des territoires jugés difficiles où de nombreux postes sont vacants. Je pense par exemple à Mayotte, où il m'a fallu sept mois pour trouver un procureur de la République, ou encore au territoire guyanais.

Je me réjouis donc du compromis que nous avons enfin trouvé avec le CSM afin que ceux qui servent dans des territoires méritant davantage d'expérience, de présence et de pondération voient leurs souhaits mieux pris en compte pour le poste suivant. Nous avons aussi modifié la règle qui voulait qu'on n'occupe pas plus d'un poste en outre-mer. Quant aux greffiers, dont 4 à 5% sont issus des territoires ultramarins, la direction des services judiciaires va élaborer des contrats stipulant qu'à l'issue d'un certain nombre d'années de service sur le territoire hexagonal, ils pourront retourner s'ils le souhaitent dans leurs territoires d'origine.

M. le président Frantz Gumbs. Vous nous avez indiqué que le taux d'occupation global des prisons outre-mer se montait à 145%. À titre de comparaison, quel est le taux dans l'Hexagone ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Le chiffre est à peu près le même, 145%, dans les maisons d'arrêt comme dans les centrales. Outre-mer inclus, nous en sommes à 86 000 détenus, dont 6 000 matelas au sol. Certaines maisons d'arrêt de l'Hexagone ont un taux d'occupation bien supérieur : 200% à Nanterre et à Villepinte par exemple. La seule maison d'arrêt qui dépasse ce taux outre-mer est celle de Majicavo, à Mayotte, qui atteint 230%.

M. le président Frantz Gumbs. Les auditions nous ont appris que la réalité en outre-mer était certes très différente de celle de l'Hexagone, mais également très diverse en fonction des territoires et même à l'intérieur de chacun d'entre eux. Il existe par exemple de grandes disparités entre le littoral et la région du fleuve en Guyane, ou entre les îles de Polynésie, ou encore au sein de la Nouvelle-Calédonie. Cela requiert de la part des magistrats et des personnels de grandes capacités d'adaptation face à des réalités culturelles fort diverses. Encouragez-vous cela, ou le fonctionnement du ministère est-il plus jacobin ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Je pense que le ministère de la justice, comme les autres, penche plus du côté jacobin et qu'il prend peu en compte les demandes non seulement des élus, mais des chefs de juridictions affectés dans des territoires ultramarins.

En voici un exemple très concret : en Nouvelle-Calédonie, à la suite d'une réunion que j'ai eue avec les chefs de cour et les chefs de juridictions, un substitut du procureur a été envoyé à Koné. Il s'agit d'une jeune parquetière, qui a accepté d'aller y travailler en dépit de l'absence de parquet spécifique. Cela fait plus de vingt ans je crois que le parquet général de Nouméa demande à la Chancellerie la création d'un poste de procureur de la République à Koné. L'administration et les ministres l'ont toujours refusée, à mon avis par méconnaissance du territoire – quand on connaît la Calédonie, on sait pourtant qu'il est très différent de vivre à Nouméa et à Koné. Nous allons donc faire valoir la demande du parquet de Nouméa, par respect pour la province nord.

Mais les difficultés que nous avons ne relèvent pas seulement de l'action trop jacobine de la justice. Il faut renforcer la présence de l'ensemble des acteurs du monde juridique, notamment les avocats. La Chancellerie doit lancer une réflexion collective avec les barreaux pour voir, y compris dans le domaine immobilier, comment accompagner leur installation. Là où s'installe un palais de justice, une prison, un centre éducatif ou de PJJ ou encore un parquet, il faut favoriser la création de véritables écosystèmes juridiques.

Pour le reste, si la centralisation s'impose toujours dans les villes-préfectures, il faut sans doute que la Chancellerie développe ailleurs la présence foraine, à l'image de ce que font d'autres ministères. C'est encore trop peu le cas. Je vois bien les limites de la visioconférence en outre-mer : outre la nécessité d'avoir un contact humain avec son juge, le réseau internet n'est souvent pas de qualité suffisante. Il revient donc aux magistrats et au service public de la justice de se déplacer, et de concevoir les choses un peu différemment qu'en Hexagone.

Ainsi, il est actuellement nécessaire que les lieux où la justice est rendue fassent l'objet d'un décret en Conseil d'État. À Lille, nous avons construit un nouveau tribunal qui se trouve déjà trop petit. Nous avons la possibilité de construire une extension dans la commune de La Madeleine, qui se trouve juste à côté, mais il faut un décret en Conseil d'État pour indiquer que La Madeleine est un lieu où la justice sera rendue. Cette centralisation normative, déjà excessive en Hexagone, entraîne des difficultés immenses lorsqu'on veut s'adapter à la vie ultramarine.

M. le président Frantz Gumbs. Vous êtes le bienvenu à Saint-Martin pour faire toutes les annonces que vous souhaitez à ce sujet !

M. Davy Rimane, rapporteur. Durant les auditions, l'Association des magistrats ultramarins nous a expliqué n'avoir jamais été sollicitée par l'ENM pour accompagner la formation des futurs magistrats d'outre-mer. Savez-vous pourquoi ?

Quelles actions concrètes comptez-vous mener pour remédier à la situation de Wallis-et-Futuna, qui reçoit à mon sens la palme d'or en matière de dysfonctionnements ? Nous avons été très marqués par ce que nous avons appris durant les auditions : à Wallis-et-Futuna, faute d'avocats sur le territoire, ce sont des citoyens-défenseurs qui œuvrent au quotidien pour assurer la défense des justiciables en matière pénale, sans accompagnement, sans formation et sans rémunération… Il n'y a rien ; on a l'impression d'avoir affaire à un no man's land. Je ne savais pas qu'une telle situation pouvait exister au sein de la République française.

Enfin, nous avons constaté un réel problème au niveau informatique : des appareils obsolètes, un système qui plante sans arrêt, des endroits privés de wifi et de possibilités de connexion… Il est quand même invraisemblable d'en être là en 2025, et à l'heure d'une dématérialisation toujours plus systématique des démarches !

M. Gérald Darmanin, ministre. Je ne sais pas pourquoi l'association que vous évoquez ne participe pas à la formation à l'ENM. C'est un tort. Je vais prendre contact pour qu'ils soient associés à la formation, ainsi qu'à la réforme de l'ENM par voie réglementaire que je suis en train d'imaginer – peut-être en avez-vous entendu parler par la presse.

Je pense en effet que, certes, il faut une école nationale de la magistrature, mais sociologiquement plus ouverte. Actuellement, un tiers des élèves de l'ENM viennent de Paris ou de la très petite couronne ; 60% ont des parents dans les professions juridiques publiques ; très peu d'entre eux sont issus de l'outre-mer, de l'immigration et des classes populaires, avec moins de 2% d'enfants d'ouvriers. Pour faire changer cela, il faut agir au niveau de la sélection. Je suis très attaché au concours républicain, mais à condition qu'il ne s'avère pas discriminatoire, comme on l'a vu avec la question des horaires. Et, au niveau de la formation, il faut à la fois mieux accueillir les élèves ultramarins, pour limiter le choc de l'arrivée en Hexagone, et former les magistrats destinés à prendre un poste en outre-mer.

Concernant Wallis-et-Futuna, vous avez parfaitement raison : ce qui s'y passe n'est pas acceptable dans notre République. Je salue à ce sujet le travail de la commission et du député Mikaele Seo, qui soutient très fortement son territoire auprès du ministère de la justice.

Il y a beaucoup de difficultés à Wallis-et-Futuna, tant dans l'accès au droit, et notamment l'aide juridictionnelle, que dans le fonctionnement de la justice ou l'action des agents pénitentiaires pour la réinsertion des détenus. Nous sommes en train de voir avec le Conseil national des barreaux (CNB), qui a élaboré la convention qui régit l'action des citoyens-défenseurs, s'il faut poursuivre sur cette voie.

Il faut aussi organiser les choses de sorte que Wallis-et-Futuna dépende moins de Nouméa et de la Nouvelle-Calédonie. Les Wallisiens doivent pouvoir faire valoir leurs droits, obtenir une réponse rapide aux décisions de justice et purger leur peine dans des conditions acceptables pour eux et pour leurs familles. Lorsque les événements calédoniens seront derrière nous, je me rendrai en Nouvelle-Calédonie et à Wallis-et-Futuna, comme je l'ai promis aux députés, pour rencontrer les chefs de cour. Le retour à une égalité de traitement pour nos concitoyens est d'ailleurs au cœur du programme d'action du procureur général que je viens de nommer à Nouméa. Les Wallisiens et les Futuniens sont encore moins bien traités que les citoyens des autres territoires ultramarins : c'est un scandale que nous devons corriger.

S'agissant des moyens informatiques, l'honnêteté me pousse à dire que la dette numérique est très importante dans toute la justice. La situation est désormais un tout petit peu meilleure dans le pénal, mais reste très mauvaise dans le civil, qui constitue l'essentiel des difficultés rencontrées par nos concitoyens.

Vous avez raison, il y a un paradoxe à vouloir dématérialiser de plus en plus les démarches alors que nos outils informatiques – appareils et logiciels – ne fonctionnent pas très bien. Il faut noter que les mises à jour et les reboot d'un certain nombre de logiciels se font aux horaires de Paris, ce qui entraîne parfois un décalage avec les territoires ultramarins, à l'origine de bugs ou d'arrêts des logiciels. Dans ce domaine aussi, il faut que le ministère décentralise les décisions.

Par ailleurs, nous devons passer à un réseau de communication plus fiable : nous étudions donc la possibilité de remplacer le réseau classique par un réseau de type Starlink, pour le dire très vite, qui permettrait à la justice et aux administrations pénitentiaires d'être autonomes, dans leurs locaux et en audience foraine, et d'avoir toujours le flux nécessaire pour gérer la masse toujours plus importante des procédures.

Les dysfonctionnements sont plus ou moins graves selon les territoires – moins importants à La Réunion et aux Antilles, beaucoup plus marqués en Guyane, dans le Pacifique ou à Mayotte – mais nous devons absolument les corriger.

M. Michaël Taverne (RN). S'agissant de la formation initiale des magistrats, les auditions nous ont appris l'existence d'un stage de quinze jours outre-mer, dont on nous a dit qu'il n'était pas suffisant pour s'adapter aux territoires. Nous proposons de l'étendre à trente jours, ce qui laisse le temps d'arriver sur place, de se remettre du décalage horaire et de prendre un peu ses repères.

S'agissant ensuite de l'accès à la justice, une stratégie d'aller vers est expérimentée par les forces de sécurité intérieure et les commissaires de justice : ne serait-il pas possible de développer une communication de ce type dans les territoires les plus isolés, par exemple sous la forme d'un numéro d'appel et d'une permanence, comme il en existe pour les agressions sexuelles et les violences intrafamiliales ?

Vous avez annoncé un renfort d'effectifs en faveur des Jirs, notamment à Fort-de-France. Je connais, pour être auditeur à l'Institut des hautes études du ministère de l'intérieur, l'importance du narcotrafic et de la criminalité organisée dans l'axe Antilles-Guyane. Les magistrats y sont confrontés en permanence et nous devons nous efforcer d'avoir toujours un temps d'avance dans ce domaine. Il faut donc mettre les effectifs là où les besoins sont les plus importants.

Merci d'avoir répondu à la question de l'inégalité de traitement au concours, qui m'avait aussi été posée par un collègue ultramarin.

S'agissant enfin des effectifs, que ce soit dans l'administration pénitentiaire ou dans la magistrature : à situation exceptionnelle, décision exceptionnelle ! Puisque vous avez indiqué qu'il n'y avait pas assez de postes outre-mer pour tous les agents pénitentiaires qui en sont originaires, ne serait-il pas possible d'aller un peu plus loin que la normale et de passer, par exemple, de quatre-vingts postes dans une maison d'arrêt à cent, pour s'adapter à la complexité et à la spécificité des territoires ultramarins ?

M. Gérald Darmanin, ministre. L'idée d'un stage plus long me paraît bonne, en tout cas, par exemple, pour un magistrat qui sortirait tout juste de ses années d'étude après avoir fait – je caricature – Sciences Po, une fac de droit puis l'ENM et qui n'aurait encore jamais mis les pieds en outre-mer. Mais d'autres entrent dans la magistrature après une première vie professionnelle dans les forces de l'ordre ou en tant qu'avocats ou greffiers, au cours de laquelle ils peuvent avoir appris à connaître les territoires ultramarins : dans ce cas-là, le stage pourrait être au contraire plus court. Il faut y réfléchir, car les juridictions attendent impatiemment les prises de poste des nouveaux magistrats, mais il est effectivement important de prendre le temps de découvrir les spécificités culturelles du territoire.

La question de la communication autour de l'accès au droit, notamment pour les victimes, entre dans le travail que j'ai demandé aux parquets d'effectuer en faveur de ces dernières. Je leur ai adressé une instruction particulière en ce sens, qui vaut pour tous les territoires de France. Dans le cas des violences intrafamiliales, que vous prenez comme exemple, le gros travail qu'effectuent déjà les forces de l'ordre doit se poursuivre : ils sont en effet les premiers à être au contact dans les commissariats et les brigades de gendarmerie.

Plus largement, nous devons réfléchir à la façon dont la justice communique avec les personnes. Beaucoup de choses me laissent dubitatif. Dans le cas d'un dépôt de plainte par exemple, nos concitoyens ne reçoivent plus aucune information par la suite, y compris si elle est finalement classée – ce qui, en plus, prend beaucoup de temps. Il n'existe pas d'accès sécurisé qui permette, comme pour le prélèvement de l'impôt à la source – où l'exigence de confidentialité est aussi importante –, de savoir où en est le traitement du dossier. Je ne trouve pas cela très satisfaisant, et je suis en train de mener une réforme dans ce domaine.

J'espère pouvoir faire des annonces à ce sujet dans les mois prochains. Dans le même esprit que ce que nous avons fait pour la réforme du prélèvement de l'impôt à la source, ou au ministère de l'intérieur pour la pré-plainte et la plainte en ligne – hier encore, il fallait se rendre au commissariat ou à la gendarmerie pour faire ce qu'il est désormais possible de faire par internet à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit, avec des délais de traitement beaucoup plus rapides –, je suis en train de bâtir un projet de portail du justiciable. Les avocats pourront y vérifier l'état de la plainte, savoir si un officier de police judiciaire a été désigné, si la plainte a été instruite, si des auditions sont en cours, s'il y a eu classement ou renvoi du dossier. Tout le monde peut vérifier en ligne où en est le bouquet de fleurs commandé chez Interflora ou la lettre envoyée par Chronopost : en dépit d'enjeux bien plus importants, nous sommes le seul service public à ne pas proposer ce type de suivi. Le portail en ligne permettra à tous les justiciables des outre-mer et de l'Hexagone de voir où en est leur plainte.

Par ailleurs, en cas de classement de la plainte, la lettre que reçoit le plaignant du procureur de la République doit non seulement en expliquer les raisons, mais aussi rappeler qu'il est possible de faire gratuitement appel au parquet général pour demander à reconsidérer la plainte – une requête qui est souvent entendue. Dans le même ordre d'idées, elle pourrait aussi indiquer l'adresse électronique ou le numéro de téléphone de l'association France Victimes, qui reçoit de l'argent du ministère de la justice pour accompagner les plaignants dans leurs démarches et met à leur disposition des juristes, au sein des tribunaux ou des mairies, qui ont accès aux dossiers et peuvent donner des explications ou redéposer une plainte avec davantage d'éléments.

Nous avons donc un énorme travail d'information à fournir, et vous avez raison de suggérer qu'il se concentre d'abord sur les cas de violences à l'égard des femmes et des enfants, malheureusement particulièrement présentes dans les territoires ultramarins.

La Jirs de Fort-de-France va être renforcée pour qu'il y ait le même nombre de magistrats au siège et au parquet en Martinique et en Guadeloupe. Je rappelle que les prisons antillaises accueillent 160 personnes poursuivies pour criminalité organisée, en détention provisoire ou condamnées. La criminalité organisée augmente également en Guyane, avec les factions brésiliennes, et en Polynésie, touchée par le trafic d'ice.

Lors de la discussion de la loi narcotrafic, je me suis engagé à la fois à créer un parquet national anti-criminalité organisée, avec des renforts d'effectifs, et à conforter les Jirs partout sur le territoire national. Je tiendrai cette promesse en engageant des actions très concrètes au cours des prochaines semaines.

J'en viens aux agents pénitentiaires. Nous devons mener des projets de construction, extension ou rénovation d'établissements pénitentiaires outre-mer, afin que les détenus ultramarins qui purgent leur peine de prison dans l'Hexagone puissent retourner là où ils pourront recevoir la visite de leur famille et bénéficier d'une réinsertion locale. De nombreux projets sont en cours : deux en Guadeloupe, un en Guyane, Martinique, Nouvelle-Calédonie, Polynésie, à Wallis-et-Futuna et à Mayotte – bref partout à l'exception de Saint-Pierre-et-Miquelon – le tout pour différents types d'établissements – structure d'accompagnement vers la sortie, maison d'arrêt, maison centrale, prison modulaire.

Nous allons donc pouvoir armer – c'est le terme consacré – ces nouveaux établissements avec des effectifs supplémentaires, ce qui permettra à autant d'agents pénitentiaires ultramarins de retourner s'ils le souhaitent dans leurs territoires. Je rappelle pourtant les chiffres : un agent pour trois détenus en outre-mer, un pour six dans l'Hexagone. En tant que député de Maubeuge, j'imagine que vous ne voulez pas que je retire des agents de votre maison d'arrêt !

Enfin, les promotions actuelles de l'Enap dépassent le millier d'élèves, contre une moyenne de 700 élèves sous mes prédécesseurs. J'annoncerai bientôt la création d'une seconde école, dont une partie pourrait être décentralisée en outre-mer. Cela permettrait une réduction des coûts pour les élèves ultramarins, et donc une démocratisation de la formation des agents pénitentiaires.

Mme Sandrine Nosbé (LFI-NFP). Lors de notre déplacement en Guyane, nous nous sommes rendus sur les bords du Maroni à la rencontre des habitants dits " du fleuve ". L'absence de services publics dans les communes, parfois accessibles uniquement par voie fluviale, place leurs habitants dans une situation proche de la rupture du droit. En partenariat, le conseil départemental de l'accès au droit et l'ordre des avocats de la Guyane ont lancé en 2013 l'initiative des pirogues du droit, dans lesquelles embarquaient greffiers, magistrats, juristes, avocats et associations pour leur offrir un accès au droit. Mais nous avons appris que cette initiative avait été suspendue en début d'année. Pouvez-vous nous dire à quel moment les pirogues du droit pourront reprendre leur mission ?

M. Gérald Darmanin, ministre. La reprise aura lieu au mois de décembre – nous pourrons formaliser la date exacte à l'issue de la commission si vous le souhaitez. Je n'ai d'ailleurs pas tout à fait compris pourquoi l'initiative avait été suspendue. On vous a parlé de raisons budgétaires, mais ce n'est pas le cas : le ministère de la justice n'a ordonné aucune baisse des crédits. Mais le chef de juridiction fait ce qu'il souhaite bien sûr, conformément au principe d'indépendance de la justice dont je suis le garant, et il y a donc pu y avoir des arbitrages en interne.

Mme Nicole Sanquer (LIOT). Je voudrais commencer par remercier l'État pour les améliorations et les aménagements dont la Polynésie française bénéficie depuis quelques années, notamment en matière de renforcement des effectifs. Des personnels bilingues parlant le reo ont ainsi été recrutés pour rendre le droit accessible aux Polynésiens. Il y a eu aussi l'installation du tribunal foncier, avec même l'adaptation du code de procédure civile pour reconnaître le partage judiciaire par souche, et, spécialité de la Polynésie française, la mise en place de tribunaux forains pour s'adapter à l'éclatement de notre territoire.

Ma première question concerne l'aide juridictionnelle, qui se monte à 550 euros, bien en deçà du coût réel en Polynésie française des déplacements et du travail de recherche que fera un avocat pour défendre un citoyen. Avez-vous prévu une majoration spécifique de cette aide pour garantir une véritable égalité d'accès à la justice en Polynésie française et dans les autres territoires ultramarins confrontés au même problème ?

Je souhaiterais ensuite évoquer le pacs, le pacte civil de solidarité. En 2015, le Conseil constitutionnel a censuré l'extension du dispositif national à notre territoire, au motif que le droit des contrats relevait de la compétence du pays. Une loi du pays a donc été déposée à l'Assemblée de la Polynésie française, mais la Chancellerie nous a fait savoir, par l'intermédiaire du haut-commissariat de la République, que le pacs établi par une loi du pays ne serait pas reconnu ailleurs qu'en Polynésie française. Nous sommes donc dans un état d'incompréhension totale.

Enfin, nous sommes un peu les champions en matière de narcotrafic – en plus des violences intrafamiliales. La Polynésie française contribue à l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc), mais ne bénéficie d'aucun retour. Pourtant, nos besoins en matière de prévention et de prise en charge sont immenses : le narcotrafic est un véritable fléau pour notre jeunesse et dans nos quartiers. Monsieur le ministre, puisque nous avons la compétence santé, nous ne pouvons pas recevoir des crédits de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca). Seriez-vous favorable à la création d'un fonds de concours dédié aux collectivités du Pacifique, qui pourrait nous aider à mener la lutte contre l'ice, cette drogue qui dévaste nos familles et augmente la violence et même les taux de suicides en Polynésie ? La plupart des ministres que j'ai rencontrés – outre-mer, santé, intérieur – y étaient favorables, mais la création du fonds de concours doit être portée par un ministère : êtes-vous prêt à soutenir cette demande ?

Par ailleurs, vous avez évoqué la situation sociale des agents ultramarins qui réussissent les concours nationaux. Là aussi, nous connaissons une injustice. En effet, tous les lauréats de concours issus des départements et régions d'outre-mer ont accès à une prime d'installation, sauf ceux issus des collectivités du Pacifique. Je compte sur votre soutien pour faire avancer ce dossier.

Pour conclure, j'ai hâte de découvrir votre circulaire pénale déclinant les consignes de Paris concernant le narcotrafic : il y a urgence, en Polynésie française.

M. Gérald Darmanin, ministre. Madame la députée, j'ai bien reçu le courrier dans lequel vous me demandiez un rendez-vous et serai très heureux de vous recevoir.

S'agissant du pacs, la direction des affaires civiles et du sceau et moi-même n'avons pas la même lecture que les services de M. le haut-commissaire à Papeete. En effet, si l'on admettait que ce contrat n'avait de valeur que pour le gouvernement autonome, cela voudrait dire qu'en modifiant la loi organique pour rectifier cela, tous les autres contrats perdraient a contrario leur valeur sur le territoire national. Avec Mme la ministre des outre-mer et le secrétariat général du gouvernement, nous allons donc vous répondre formellement et apporter un éclairage à M. le haut-commissaire pour que les pacs contractés en Polynésie – dans le cadre du statut d'autonomie prévu par la Constitution – puissent s'appliquer sur tout le territoire national sans qu'il soit besoin de changer la loi organique.

Concernant la question très intéressante de l'aide juridictionnelle, ce serait un point à aborder avec les barreaux et les associations d'usagers. Je n'envisage pas une aide spécifique par territoire ultramarin : en effet, il y a aussi des différences fortes dans l'Hexagone entre les territoires ruraux et urbains. En revanche, il existe un dispositif qui permet de majorer les frais de déplacement pour soutenir la profession des avocats : les montants en jeu sont moins importants et pourraient être plus facilement obtenus par les parlementaires. M. le député de Wallis-et-Futuna a déposé un amendement proposant d'allouer la somme de 90 000 euros à l'accès au droit et à la justice, qui n'a pas rempli les conditions de recevabilité financière. La difficulté venant apparemment moins du fond que du formalisme de la procédure parlementaire, le gouvernement pourra la lever si, comme je l'espère, il a l'occasion de discuter de la deuxième partie du projet de loi de finances. Sinon, je m'engage à déposer au Sénat un amendement reprenant vos propositions et celles du député de Wallis-et-Futuna, en citant leurs auteurs. Un tel amendement se chiffrerait à quelques centaines de milliers d'euros, ce qui serait acceptable pour le budget du ministère de la justice et améliorerait très concrètement l'accès au droit des Polynésiens, des Wallisiens et des Futuniens.

Entre parenthèses, je regrette qu'il n'existe pas de solidarité entre barreaux : on pourrait imaginer que, si l'État fait sa part, les barreaux les plus riches du territoire hexagonal contribuent aussi à l'accès à la profession d'avocat ailleurs, notamment outre-mer. J'en parlerai avec la présidente du CNB.

S'agissant de la lutte contre la drogue, vous êtes particulièrement touchés par l'ice, mais aussi par le cannabis, dont le taux de THC peut atteindre un niveau très nocif lorsqu'il est produit localement. J'entends ce que vous dites sur la Mildeca ; plusieurs options peuvent être envisagées. Ainsi, une convention entre l'État français et le gouvernement polynésien pourrait permettre à la Mildeca d'intervenir. Par ailleurs, la Polynésie n'a malheureusement jamais candidaté aux appels à projets que nous lançons afin de financer un certain nombre d'actions, alors qu'elle pourrait tout à fait être retenue. Je pense notamment à tout ce qui pourrait se faire entre le gouvernement, compétent en matière de santé, et les services pénitentiaires d'insertion et de probation (Spip) de l'État. Nous allons faire passer la consigne pour que vous puissiez remplir des dossiers et demander cet argent.

Mais je partage aussi votre idée d'un fonds de concours. Il y aurait deux manières d'y contribuer. D'abord, je peux inscrire dans la circulaire de politique pénale que je vais prendre la possibilité pour le procureur de Papeete d'exiger que les saisies soient réattribuées aux associations, au gouvernement ou aux collectivités locales. Ainsi, la voiture, la montre ou l'argent saisis serviront directement le territoire. Cela ne se fait pas encore assez. Je comprends très bien ce que vous dites également au sujet de l'Agrasc.

Ensuite, le procureur et le tribunal de Papeete peuvent aussi, plutôt que de condamner des gens à des peines d'amende qu'ils ne paieront peut-être pas, ou à des peines de sursis qui ne changeront peut-être pas leur regard sur ce qu'ils ont fait, recourir au dispositif pénal de la " contribution citoyenne ". Ce dernier se pratique aussi bien sûr dans le territoire hexagonal : si je condamne par exemple un auteur de violences conjugales à verser 5 000 euros, cet argent n'ira pas à l'État mais à l'association de protection des femmes du territoire. La peine est ainsi plus intelligible pour la société, pour la victime et même pour l'auteur des faits. Cette forme de réparation, qui relève de la justice restaurative, pourrait financer l'action des associations ou des collectivités locales en matière d'accès au droit, de protection et de lutte contre les addictions. Les procureurs de la République la requièrent malheureusement très peu.

Je vais accélérer ce dossier : on pourrait faire en sorte, par le biais d'une convention avec la direction des finances publiques locale, que cette peine soit davantage requise dans vos territoires pour financer la lutte contre la drogue et les addictions.

Quoi qu'il en soit, nous allons travailler ensemble, madame la députée, à redonner à votre territoire des moyens pour lutter contre la drogue et les addictions.

Mme Nicole Sanquer. Je précise que la DGFIP effectue bien des saisies, mais en francs Pacifique : cet argent ne peut donc être rapatrié auprès de l'Agrasc, qui n'accepte que des devises comme l'euro ou les dollars. Je vous remercie par avance de faciliter l'emploi de l'argent sale pour réparer les dégâts causés par la drogue.

M. Jean-Victor Castor (GDR). Mes questions concernent naturellement la Guyane.

La première concerne la surpopulation carcérale. La prison de Remire-Montjoly, prévue pour 617 places, accueille 1 080 prisonniers, dont des membres de trois factions brésiliennes. Elle compte déjà neuf décès depuis le début de l'année, dont cinq suicides. Lors de la visite que j'ai faite il y a quelques mois, il manquait vingt surveillants : c'est trente aujourd'hui. Il est incompréhensible que le ministère n'ait pas renforcé les effectifs de surveillants. Que comptez-vous faire précisément ?

Au moment de l'accord de Guyane, en 2017, la population s'est mobilisée en faveur de la création de deux cités judiciaires : celle de l'Ouest et celle de Cayenne, dont la construction était promise depuis une vingtaine d'années. Le système judiciaire guyanais est en effet très éclaté, avec des bâtiments répartis un peu partout dans les villes de Cayenne et de Saint-Laurent. Or les travaux, annoncés au Journal officiel en 2017, viennent seulement de démarrer : pouvez-vous expliquer la raison de ce délai ? Connaissez-vous les dates de réception prévisionnelles des chantiers ?

S'agissant des ressources humaines, Davy Rimane et moi-même avions interpellé le ministre Dupond-Moretti, à l'époque, sur la nécessité d'organiser des concours locaux afin d'ancrer les personnels dans leurs divers métiers, sur le modèle de la très belle expérience qui avait eu lieu pour les greffiers. Qu'en pensez-vous ? Dans quelle mesure cette initiative pourrait-elle être élargie, par exemple aux Spip ?

La réalité très particulière des prisons guyanaises, qui tient à la multiplicité des origines culturelles et linguistiques des prisonniers, nous amène par ailleurs à préconiser de favoriser le recrutement et la formation de surveillants originaires de la région, notamment dans le cas du centre pénitentiaire de Saint-Laurent-du-Maroni, en puisant par exemple dans la très longue liste de Guyanais employés dans les prisons de l'Hexagone qui attendent de rentrer. Quel est votre avis sur la question ? Comment pourrait-on favoriser le retour au pays de ces surveillants déjà formés sans pour autant nuire aux besoins en Hexagone ?

Concernant la future prison de Saint-Laurent-du-Maroni, vous n'ignorez pas, monsieur le ministre, que l'idée d'y installer un quartier de lutte contre la criminalité organisée (QLCO) suscite une opposition unanime de la part des élus, des corps intermédiaires – associations et chambres consulaires – et de la population. Ma lettre et ma question écrite à ce sujet restent sans réponse à ce jour. Les Guyanais ne veulent pas de ce quartier de haute sécurité, pour des raisons à la fois historiques – la mémoire du bagne pèse encore sur notre territoire – et de bon sens. Les criminels concernés font en effet partie de cartels impliqués dans le trafic de drogue, d'armes et de personnes – réseaux de prostitution notamment – qui brassent des milliards de dollars et qui peuvent à tout moment mettre en difficulté les forces militaires françaises, comme c'est arrivé par le passé lors d'opérations venues de l'étranger, menées avec des armes de guerre à la frontière et sur le fleuve. Installer des personnes haut placées de ces cartels dans un quartier de haute sécurité à Saint-Laurent relève pour moi de la folie. Je ne comprends pas pourquoi votre ministère s'obstine dans cette direction alors que nous y sommes tous opposés.

M. Mikaele Seo (EPR). Comme l'a souligné le rapporteur, le fonctionnement de la justice à Wallis-et-Futuna est bien différent de celui des autres territoires ultramarins, pour trois raisons principales. D'abord, il est toujours régi par des textes datant de 1955, qu'il faudra sans doute revoir. Ensuite, la coutume y joue un rôle très important – il faudrait d'ailleurs, monsieur le ministre, réfléchir à intégrer cette force dans la justice nationale. Enfin, nous dépendons la plupart du temps de la Calédonie, pour faire appel ou pour prendre un avocat par exemple. Pour ces trois raisons, la justice de Wallis-et-Futuna n'est pas une vraie justice.

Vous avez déjà pris des initiatives, monsieur le ministre. Merci en particulier pour la mise en place de l'accès en ligne au casier judiciaire. D'autres sont attendues en matière d'aide juridictionnelle – non pas tant au niveau des coûts qu'à celui de l'écriture juridique : la difficulté principale de Wallis-et-Futuna est en effet l'absence de barreau sur son territoire. Merci d'avoir annoncé vouloir reprendre mon amendement au Sénat. Cela montre que vous avez l'intention de travailler à une vraie justice pour Wallis-et-Futuna, indépendante de la Nouvelle-Calédonie.

Le sentiment commun en effet, c'est que nous dépendons trop de la Nouvelle-Calédonie. Je vous invite à venir voir la réalité sur place. Pour le reste, les questions à poser sont nombreuses. Par exemple, la justice pour mineurs n'existe pas à Wallis-et-Futuna : quels moyens allez-vous y consacrer ? Ou encore, pourrions-nous avoir une instance d'appel sur place, pour ne pas avoir à prendre l'avion pour Nouméa à chaque fois ?

M. Jiovanny William (SOC). Merci, monsieur le ministre, pour l'annonce de votre projet de loi visant à remettre les victimes d'infraction au cœur du circuit judiciaire. Vous connaissez mon attachement au sujet, et vous aviez d'ailleurs soutenu ma proposition de loi visant à préserver les droits des victimes dépositaires de plaintes classées sans suite.

Je voudrais appeler votre attention sur la question de la politique foncière judiciaire. Nous rencontrons des problèmes de contentieux foncier et de contentieux sur l'indivision, alimentés par la spéculation foncière, le manque de moyens financiers des indivisés, la cupidité de certains acheteurs, parfois étrangers, et une jurisprudence qui, par le biais de la fameuse théorie de l'apparence, engendre des inégalités et des catastrophes familiales. Certaines lois récentes visant à faciliter la sortie de l'indivision ne sont pas suffisamment appliquées et posent des problèmes qui nécessitent des révisions législatives – je salue le travail accompli en ce sens par certains chefs de cour, notamment à la cour d'appel de Martinique. Quelle est la position de votre ministère sur cette question ? Une réforme du droit successoral est-elle envisageable pour pallier ces difficultés ?

Par ailleurs, le centre pénitentiaire de Ducos, en Martinique, ne compte pas d'unité pour malades difficiles (UMD), contrairement à ce qui existe en Hexagone. Lors de ma visite, en juin, j'ai été alerté au sujet de problèmes de santé mentale liés aux addictions. La situation est aggravée par le manque de coordination avec les hôpitaux. Les soignants de la cité hospitalière de Mangot Vulcin, que j'ai également rencontrés, souffrent d'ailleurs énormément, notamment parce qu'ils doivent fouiller les patients alors même qu'ils n'y sont pas habilités. Bref il est difficile d'incarcérer des personnes malades sans traiter les causes sous-jacentes : êtes-vous favorable à la création d'UMD dans les territoires ultramarins ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur Castor, il manque effectivement du personnel de surveillance au centre pénitentiaire de Remire-Montjoly – trente agents, en partie à cause de l'absentéisme, et en grande partie faute d'affectations par le ministère. J'ai été alerté il y a un mois et demi et j'ai demandé au directeur de l'administration pénitentiaire de résoudre cette situation inacceptable d'ici le tout début du mois de janvier, en puisant notamment dans le vivier d'agents guyanais en Hexagone qui souhaitent retourner sur leur territoire d'origine, afin que l'on retrouve des effectifs normaux dans une prison effectivement en état de surpopulation carcérale. J'espère que cela sera réglé dans les cinq à six semaines.

L'État fournit un effort considérable en Guyane en matière d'immobilier judiciaire, à Cayenne comme à Saint-Laurent-du-Maroni. Vous me demandez pourquoi les choses bougent depuis je suis arrivé – il est un peu délicat de vous répondre. Il n'y avait pas de crédit affecté à la construction du centre de Saint-Laurent-du-Maroni, malgré l'obtention déjà ancienne du permis de construire. Quand je suis arrivé à la tête du ministère, le 24 décembre dernier, j'ai organisé assez vite des réunions sur la question de l'immobilier, notamment ultramarin, et je me suis rendu en Guyane. Le crédit de presque 500 millions d'euros prévu n'était pas encore approuvé par le ministère de la justice : il l'est désormais, depuis la réunion interministérielle organisée en mars ou avril dernier, qui a autorisé M. le préfet à signer le permis de construire. La livraison aura un an de retard sur ce qui avait été prévu avec mes deux prédécesseurs, Mme Belloubet et M. Dupond-Moretti : en 2029, Saint-Laurent disposera ainsi d'une cité judiciaire, de locaux administratifs, d'une prison et d'un centre de PJJ.

Cela soulève la question très importante de l'accès aux avocats, qui doivent pouvoir venir apporter leur aide aux victimes comme aux personnes accusées. J'ai longuement rencontré les représentants du barreau lors de mon déplacement. Avec Mme la maire et le président de la collectivité, nous devons travailler aux moyens d'aider les avocats à s'installer à Saint-Laurent, quitte à laisser des terrains ou à mettre des bureaux à la disposition du barreau de Cayenne.

La surpopulation carcérale est très préoccupante en Guyane, et vous avez raison d'insister sur le profil particulier des condamnés. À la Martinique, sur 1 101 détenus, 844 sont français – en incluant les binationaux ; en Guadeloupe, ils sont 900 sur un peu plus d'un millier de détenus. En Guyane en revanche, plus de la moitié des personnes emprisonnées au centre pénitentiaire de Cayenne sont étrangères : sur 1 000 détenus, on y trouve 500 Français, 215 Brésiliens – dont plus de 150 membres de factions –, 116 Surinamiens, 73 Guyaniens et 54 Haïtiens. Même si les Antilles ont leur lot de délinquance issue de l'immigration, notamment à Sainte-Lucie, la difficulté particulière que connaît la Guyane tient à cette criminalité organisée d'origine étrangère.

Il y a effectivement des détenus très dangereux dans la prison de Cayenne, souvent issus de factions brésiliennes qui brassent comme vous le disiez beaucoup d'argent. J'en ai rencontré personnellement plusieurs – on parle d'assassinats, d'armes, de grande violence. Il est très difficile d'assurer les conditions sécuritaires requises pour le personnel pénitentiaire – et je ne peux pas ne pas penser à ce sujet à l'affaire Amra. Je ne tire pas de tout cela la même conclusion que vous.

Il faut bien sûr pouvoir surveiller ces personnes très dangereuses et les garder sous main de justice. Je n'ai pas bien compris comment vous vouliez y parvenir. Vous n'êtes pas favorable au QLCO de soixante places qui est prévu à Saint-Laurent. Pourtant, il n'apparaît pas excessif, avec 150 membres des factions brésiliennes dans la prison guyanaise et 160 membres de la criminalité organisée dans le territoire caribéen.

Le dispositif des QLCO a été validé par le Conseil d'État, par le Conseil constitutionnel et par le Parlement, et je constate que tous les recours dont il a fait l'objet ont donné raison à la Chancellerie. Je ne vois pas très bien quel autre endroit pourrait accueillir les prisonniers dangereux dans des conditions de sécurité importantes. Comptez-vous les envoyer ailleurs – aux Antilles, ou encore sur le territoire hexagonal ? Je ne pense pas que ce serait très raisonnable. Premièrement, il faudrait leur faire effectuer des allers-retours à Cayenne pour les présenter devant le tribunal. Deuxièmement, et même si je comprends tout à fait la spécificité de l'histoire guyanaise, je vous assure qu'aucun élu du territoire de la République – ni dans le Pas-de-Calais, ni à Condé-sur-Sarthe, Valence ou Aix, ni ailleurs où le dispositif va pourtant être généralisé – n'est jamais favorable à l'accueil d'une prison, et encore moins d'un quartier de haute sécurité.

Nous allons continuer ce travail ensemble, d'ici à 2029. Mais si des cartels sont capables d'attaquer des prisons, ils le feront d'autant plus qu'elles sont mal protégées. Or nous savons tous que la prison de Cayenne est vétuste et en difficulté pour assurer sa sécurité. Je suis prêt à vous recevoir à ce sujet. Pour ce qui est de votre question écrite, mea maxima culpa, mais j'ai signé la semaine dernière une réponse à votre lettre. Si elle n'est pas encore arrivée à votre cabinet, vous en aurez une copie à l'issue de cette audition.

S'agissant des concours, enfin, je suis favorable à la mise en place de concours territoriaux – pour l'administration pénitentiaire, la PJJ, les Spip, les greffes, voire l'ENM. En revanche, il ne faudrait pas que ces concours régionaux donnent le droit de rester sur le territoire, sous peine de bloquer le retour au pays des personnes affectées dans l'Hexagone qui attendent depuis parfois dix, quinze ou vingt ans – je reçois d'ailleurs beaucoup de courriers de votre part et de celle de vos collègues à ce sujet. Je suis donc ouvert à ce qu'il y ait plus d'égalité et de proximité dans la sélection, mais pas à l'idée d'une affectation prioritaire locale.

Monsieur Seo, je suis parfaitement d'accord sur le fait que la coutume doit être respectée, et même être mise davantage au cœur des politiques publiques de la justice. Elle doit sans doute faire partie de la formation des personnes qui rendent la justice à Wallis-et-Futuna, ainsi qu'en Nouvelle-Calédonie d'ailleurs. J'ai bien compris que vous êtes nombreux à réclamer votre indépendance vis-à-vis de ce territoire, qui lui-même demande son indépendance vis-à-vis de la France. Je suis pour ma part favorable à la création de territoires autonomes, je l'ai montré à Saint-Martin, même si les choses sont un peu plus compliquées pour Wallis-et-Futuna.

Pour commencer, la population y est moins nombreuse qu'à Saint-Martin, et les lieux plus difficiles d'accès. Surtout, nous devons nous assurer de la présence effective d'agents du ministère de la justice et de magistrats sur le territoire, pour qu'ils n'aient pas à venir en avion depuis Nouméa. J'ai été confronté à cette question il n'y a pas si longtemps au sujet des enseignants de Wallis-et-Futuna. J'ai un souvenir, disons, intéressant de ce débat social qui nous a beaucoup mobilisés et que nous avons réussi à résoudre en dépit de sa complexité.

Contrairement à ce qui se passe au ministère de l'intérieur, où gendarmes et préfets n'ont d'autre choix que de se plier à leurs affectations, je n'ai pas ce type d'autorité sur le personnel du ministère de la justice : lorsque j'ouvre des postes, personne n'est obligé d'y aller. Je suis tout à fait disposé à y travailler, y compris en me rendant une nouvelle fois sur place, mais la question n'est pas simple. D'après la Constitution, le Conseil supérieur de la magistrature est une sorte de copilote du ministère de la justice pour ce qui est des RH. Nous devons donc trouver ensemble un moyen pour que la promesse de l'indépendance judiciaire de Wallis-et-Futuna ne soit pas vaine : il serait malaisant pour le territoire que des postes soient créés et que personne n'accepte d'y aller. Il y a sans doute des solutions, par exemple en promettant aux gens l'affectation de leur choix à l'issue d'un poste à Wallis-et-Futuna.

Il n'y a effectivement pas de politique pénale de protection de l'enfance à Wallis-et-Futuna. J'avais l'intention de lancer une mission importante, impliquant l'inspection générale de la justice et la PJJ, sur la protection des mineurs en outre-mer, avec un volet particulier pour Wallis-et-Futuna car j'ai déjà été interpellé sur le sujet. Je peux attendre début décembre et les conclusions de votre commission d'enquête si vous le souhaitez.

Quant à l'accès au droit, je pense qu'il y a beaucoup de choses à faire concernant l'aide juridictionnelle et la présence des avocats. En tout cas, nous allons soutenir votre amendement, monsieur le député, et mettre fin au feuilleton du centre pénitentiaire de Wallis. Je me rendrai sur place dès que les difficultés calédoniennes seront derrière nous – il faut en effet passer par Nouméa, puisqu'il n'existe pas encore de vol direct entre Paris et Futuna – pour vous soutenir, monsieur le député, dans votre action courageuse en faveur de ce magnifique territoire.

Monsieur William, je voudrais d'abord vous remercier pour le travail important que vous effectuez en faveur des victimes. Indépendamment de nos différences politiques, j'étais heureux de soutenir votre proposition. Je pense que vous trouverez, dans le projet de loi que je présente, des dispositions qui s'inspirent de votre travail et qui correspondent au débat public que nous avons pu avoir dans l'hémicycle – j'espère d'ailleurs que nous pourrons continuer à y travailler ensemble.

S'agissant de la santé mentale des prisonniers, vous avez parfaitement raison : l'absence d'UMD crée des difficultés pour les détenus et pour les agents. Lors de ma venue en Guadeloupe, à Saint-Martin et à la Martinique au mois de décembre, j'aurai l'occasion si vous le souhaitez de rencontrer avec vous le personnel médical, dont je suis conscient qu'il fait un travail très difficile dans les prisons françaises, et en particulier dans votre territoire. Je partage néanmoins la responsabilité de ce sujet avec l'agence régionale de santé. J'attends une réponse du ministère de la santé sur la création d'une UMD dans votre territoire et un autre, et j'espère que la question sera réglée lors de ma venue. Le problème semble être celui de la disponibilité du personnel médical, déjà assez rare à la Martinique.

En ce qui concerne la construction d'établissements pénitentiaires, je pense que nous pourrions recourir aux prisons modulaires, comme nous avons commencé à le faire sur le territoire hexagonal. Il ne s'agit pas de prisons en kit ou d'Algeco, comme j'ai pu l'entendre, mais de prisons en béton, réalisées en usine et facilement assemblables puisque cela élimine la difficulté des intempéries. Le savoir-faire local permettra parfaitement de faire face aux difficultés particulières qui pourraient se présenter en outre-mer. Il faudra aussi aménager des prisons existantes parfois insalubres. Enfin, il faut permettre aux Martiniquais détenus en Hexagone d'avoir un contact avec leur famille et une réinsertion plus facile en ouvrant des places supplémentaires sur le territoire.

Pour ce qui est du foncier, j'ai bien pris note de vos remarques et nous y travaillerons. Vous avez parfaitement raison, il faut savoir reconnaître que le désordre foncier est en partie de la responsabilité du ministère de la justice, en lien avec le notariat. Je me rapprocherai donc du Conseil supérieur du notariat au sujet de la difficulté que vous évoquez, que je connais mal, et nous pourrons y consacrer un moment lors de mon déplacement à la Martinique. Souvent, quand un ministre vient, on ne parle que de pénal. Pourtant on voit bien que la question foncière est essentielle dans votre terre, qu'elle fait partie des éléments qui freinent votre développement – avec la cupidité, le passé colonial, la mauvaise organisation locale ou étatique – et qu'elle alimente sans doute aussi la déprise démographique.

Enfin je suis très favorable à une réforme du droit successoral, sachant que c'est une question très complexe dans les Antilles, et plus encore d'ailleurs en Guyane. La direction des affaires civiles et du sceau aura bientôt l'occasion de lancer ce chantier, qui pourra aller assez vite puisqu'une grande partie de ces réformes civiles sont d'ordre réglementaire.

Je vous encourage donc à venir à la journée du 11 décembre, dont la matinée sera consacrée aux affaires civiles en outre-mer et aux questions foncières. Ce sera l'occasion d'avancer et peut-être de coconstruire des annonces que nous pourrons faire ensemble.

M. Davy Rimane, rapporteur. En guise de conclusion, j'aimerais revenir sur quelques points auxquels nous devons être attentifs.

La question foncière est très importante dans tous les territoires ultramarins, pour des raisons qui tiennent à leur histoire. Elle est particulièrement aiguë à la Martinique, où magistrats, élus et associations insistent beaucoup sur la question de la spoliation foncière – un phénomène en nette croissance, et qui s'étend désormais à la Guadeloupe.

Un deuxième point à surveiller concerne les dépôts de plainte, qui, dans leur grande majorité, ne sont pas remontés au niveau du parquet. Ce dernier est en train d'étudier la question avec les forces de police et de gendarmerie. On se rend également compte que les dépôts de plainte ne peuvent se faire qu'aux heures ouvrées dans les casernes de gendarmerie, alors que la police nationale est joignable vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il y a donc un gros problème sur cet aspect de l'accès au droit dans nos territoires, qui mériterait une discussion entre le ministère de l'intérieur et vous-même.

Un travail est par ailleurs nécessaire au sujet du financement du conseil départemental de l'accès au droit : peut-on objectivement demander à un président de tribunal judiciaire d'aller réclamer des sous aux collectivités pour le financer, comme cela arrive aujourd'hui ? Il faut revoir le système.

S'agissant de la prison de Saint-Laurent-du-Maroni, elle était demandée par la population et est très bien accueillie sur notre territoire. Ce n'est donc pas la prison en soi qui pose un problème – même si elle est effectivement implantée là où se trouvait le second bagne de Guyane, après celui des îles du Salut – mais son organisation.

Lors de ma visite vendredi dernier à la prison de Remire-Montjoly, le directeur m'a rapporté que des prisonniers membres de factions brésiliennes avaient été transférés en Hexagone parce qu'ils étaient restés très actifs depuis la prison. Même dans la prison, ils continuent à commettre leurs méfaits ! Or le futur centre pénitentiaire de Saint-Laurent-du-Maroni sera séparé du Suriname par un fleuve qui n'est pas une frontière, mais un bassin de vie. Si des factions, qui ont des moyens considérables et sont très organisées, décident de lancer une opération importante contre la prison, c'est non seulement le centre pénitentiaire et son personnel qui devront être sécurisés, mais aussi la commune et tout le bassin de vie de l'Ouest guyanais.

C'est la raison pour laquelle la population et les autorités locales doivent avoir leur mot à dire si l'on décide d'y incarcérer des individus dangereux. Je rappelle que la Guyane fait 84 000 km2, dont 90 % sont recouverts par de la forêt primaire dans laquelle il est très facile de disparaître – vous avez d'ailleurs évoqué la mort du militaire dans la lutte contre l'orpaillage illégal, qui est un véritable fléau sur notre territoire. Nous vous invitons donc à débattre sur cette question avec les élus du territoire et avec la population guyanaise concernée.

Pour conclure, j'aimerais dire qu'il y a une réelle volonté, de la part des personnes que nous avons rencontrées, dont celles qui travaillent au ministère de la justice, d'accomplir leur mission avec exigence et même, parfois, de manière innovante. Nous avons ainsi appris que des juges se déplacent dans les îles éloignées de Polynésie avec leur greffier pour recueillir des saisines orales, que le greffier transcrit ensuite par écrit et qui deviennent officielles. Je trouve cela formidable. Beaucoup de nos territoires ont une culture de l'oralité ou sont freinés par la barrière de la langue : ce type d'initiative gagnerait donc à être étendu à d'autres territoires, comme la Guyane ou Wallis-et-Futuna.

M. le président Frantz Gumbs. Merci aux députés pour la variété et la densité de leurs questions, et au ministre pour ses réponses qui me semblent complètes. Nous serons preneurs, monsieur le ministre, de tout élément d'information complémentaire que vous jugeriez utile et nécessaire à nos travaux.

Il reste à faire évoluer le caractère jacobin de la gestion du ministère, alors que les chefs de cour prennent des initiatives et font preuve d'une grande imagination pour s'adapter aux réalités du terrain. Je pense à ce magistrat qui venait d'arriver en Nouvelle-Calédonie et prenait comme un signe d'irrespect le fait que le prévenu baisse les yeux et ne le regarde pas pendant qu'il lui parlait, sans savoir que c'est un signe de soumission dans la culture kanak… Il faut donc pouvoir s'adapter rapidement à des réalités culturelles très éloignées de celles de l'Hexagone.


Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 19 novembre 2025