Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur le thème : " L'avenir de la décentralisation ".
Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s'il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l'orateur disposera alors à son tour du droit de repartie, pour une minute.
Madame la ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l'hémicycle.
(…)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. Madame la sénatrice Canayer, vous l'avez dit, on ne peut pas inventer la décentralisation boulevard Saint-Germain. Il s'agit d'ailleurs non pas d'inventer la décentralisation, mais de mettre en œuvre ce que le Sénat appelle de ses vœux : une méthode qui garantisse l'efficacité de l'action publique jusqu'au dernier kilomètre, en prenant en compte le fait que la France est une nation une et indivisible, mais constituée de territoires divers et variés, où la norme doit être adaptée.
Comme vous, j'en appelle au pragmatisme. Je souhaite que l'on s'inspire des nombreux travaux qui ont déjà été réalisés, non seulement par le Sénat, où une réflexion de très grande qualité a été menée – chacun le sait –, mais aussi par Éric Woerth et d'autres encore.
En tout cas, madame la sénatrice, je vous le dis aussi franchement que je le pense : je ne crois pas aux Grands Soirs, parce que les lendemains sont des petits matins blêmes. (Sourires.) Sincèrement, je pense que nous avons subi trop de grandes lois de réforme territoriale. Je songe à la loi NOTRe, à la réforme des régions, ces lois qui ont été conçues d'une manière uniforme, un peu sous forme d'équations, et qui mesuraient l'efficacité de l'action publique en s'appuyant sur des seuils et le nombre d'habitants. Nous en corrigeons aujourd'hui encore les irritants.
Soyons donc pragmatiques. L'objectif est l'efficacité de l'action publique jusqu'au dernier kilomètre. Il faut que l'État – et cela n'a jamais été fait – définisse avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, et avec les associations d'élus ce qui relève de sa compétence. L'État doit se détendre, s'occuper de ce qu'il sait faire, puis laisser les collectivités agir.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Tout à fait !
Mme Françoise Gatel, ministre. Cela va de pair, vous l'avez dit, avec la simplification et la déconcentration – nous aurons l'occasion d'y revenir –, mais aussi avec une réforme des finances locales. L'autonomie fiscale, voire l'autonomie financière, sont des sujets qui méritent également d'être débattus.
En tout cas, je vous remercie, madame la sénatrice Canayer, car je pense que vous avez bien posé le problème. Je ne peux qu'acquiescer à un certain nombre de vos suggestions.
M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à Mme Annick Girardin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Annick Girardin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis plus de quarante ans, on cherche, avec la décentralisation, à rapprocher la décision publique du citoyen, sans rompre avec la cohérence nationale. Le débat organisé aujourd'hui fait écho à l'objectif du Premier ministre de lancer un " grand acte de décentralisation " pour clarifier les compétences et éviter la dilution des responsabilités.
Ces réflexions, le groupe du RDSE les mène au Sénat depuis des décennies. Pour rappel, en 2019, nous avons œuvré en faveur de la mise en place d'une véritable ingénierie territoriale et pris l'initiative de proposer la création de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), laquelle est d'ailleurs aujourd'hui affaiblie par une diminution des postes, soit l'inverse de ce qui est attendu par les territoires.
Dix ans après la loi NOTRe, Maryse Carrère a remis un rapport d'information intitulé Pour une intercommunalité de la confiance, au service des territoires et relayé les souhaits des élus : ils aspirent à un apaisement législatif et à une consolidation des équilibres existants. Par ailleurs, ils déplorent la multitude des contraintes et les complexités normatives excessives, qui ne tiennent pas compte des particularités et des spécificités de leurs territoires.
La proposition de loi de Jean-Yves Roux visant à permettre une gestion différenciée des compétences " eau " et " assainissement " et celle de Guylène Pantel et Rémy Pointereau visant à sécuriser le pouvoir préfectoral de dérogation afin d'adapter les normes aux territoires illustrent cette nécessaire adaptation au terrain.
Fort de son héritage, le groupe du RDSE défend depuis toujours la capacité à agir de nos territoires. Il plaide pour une simplification ancrée dans le réel face à un empilement de dispositifs à périmètre variable, qui étouffe nos collectivités et rend notre action commune illisible pour nos concitoyens.
Le Sénat et les élus de la Nation peuvent compter sur nous pour œuvrer en faveur de l'efficacité publique et de la proximité. Attention toutefois à ne pas ajouter une vague de plus, que l'organisation actuelle ne pourrait en l'état absorber.
Madame la ministre, mes chers collègues, puisque nous débattons aujourd'hui de l'avenir de la décentralisation, permettez-moi d'ouvrir une perspective plus lointaine, car c'est le rôle prospectif du Sénat, et d'évoquer une France repensée dans sa propre organisation au regard des défis nationaux et territoriaux qui s'annoncent.
Pendant une année, j'ai été placée au rang d'observatrice. J'ai mis à profit ce temps pour écouter et comprendre les attentes dans l'Hexagone comme en outre-mer. Elles sont claires : nos concitoyens ont besoin de proximité, d'efficacité et de sens, d'une présence tangible dans leur vie quotidienne en matière de santé, d'éducation, de mobilité, de services publics essentiels, entre autres.
Venant de Saint-Pierre-et-Miquelon, au cœur du bassin nord-américain, j'ai naturellement baigné dans un environnement fédéral. En étudiant de manière approfondie les organisations institutionnelles à l'échelon européen, une question s'est imposée à moi : et si la France de demain s'inspirait du modèle fédéraliste ?
C'est non pas une provocation, mais la conviction qu'un nouveau souffle est nécessaire pour notre modèle. Il s'agit non pas d'opposer Paris aux territoires, mais de redonner à chacun sa juste place dans une nouvelle construction nationale qui doit avoir deux objectifs : renforcer ce qui fait nation et conforter nos territoires dans leur liberté.
Dans cette configuration, nous devons nous interroger sur ce qui relève de l'État. Celui-ci doit non seulement exercer ce que l'on appelle aujourd'hui les compétences régaliennes, mais également être le garant de ce qui fait l'unité et la solidarité dans notre pays et être le porteur de ce qui constitue notre souveraineté et notre rayonnement.
Des entités fortes et responsables, disposant d'une plus grande liberté d'organisation au sein de leur territoire, verraient ainsi leurs compétences renforcées constitutionnellement, conformément au principe de subsidiarité. Ces entités, je les appelle les provinces, non par nostalgie, mais parce que ce mot est porteur d'une identité forte, de cultures, d'une histoire, de géographies.
Une France provinciale accorderait à chaque territoire son autonomie budgétaire et fiscale, tout en instaurant un mécanisme de solidarité nationale, la péréquation. Chaque province pourrait choisir son organisation, décider de conserver ou non le département, de fusionner ses communes et, pourquoi pas, de se doter d'un exécutif élu directement, capable d'assurer la coordination des services publics et de redonner visibilité et efficacité à l'action locale.
Nous pouvons nous inspirer de ce que nous avons déjà su faire dans les territoires ultramarins, qui sont de parfaits exemples de différenciation territoriale. Saint-Pierre-et-Miquelon, la Guadeloupe, la Guyane ou encore la Polynésie française, entre autres, montrent que la diversité statutaire n'empêche ni la cohésion ni la solidarité.
Cette provincialisation, dans ses délimitations, doit aussi tenir compte des défis de demain : ressources, forces économiques, zones vivables, équilibres écologiques et humains. Il nous faut penser à un maillage cohérent, durable, respectueux des identités et des transitions à venir.
Mes chers collègues, bien entendu, rien ne sera acté aujourd'hui. La France provinciale n'est pas une rupture, au contraire ; elle est peut-être une fidélité à notre histoire d'équilibre, aux territoires, aux libertés, une fidélité à notre volonté de bâtir une République vivante, incarnée et proche. Ainsi retrouvera-t-elle du souffle et la confiance de nos concitoyens.
Je vous poserai une seule question, madame la ministre : le Gouvernement mène-t-il des travaux en ce sens et a-t-il ouvert des pistes de réflexion ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. Je partage votre analyse, madame la sénatrice : peut-être vivons-nous une période de transition vers une organisation institutionnelle et territoriale appelée à s'adapter au monde d'aujourd'hui et de demain.
Nous avons beaucoup employé le mot " territoire ", qui est un peu clinique. Lorsque l'on parle d'un territoire, il n'est pas question de la province que vous avez évoquée, on ne la sent pas. Le mot ne laisse pas entrevoir d'éléments géographiques, culturels et historiques, alors que nous savons que les territoires peuvent fabriquer des alliances à partir de dispositions géographiques – nous l'avons vu pour l'eau et l'assainissement –, mais aussi d'enjeux culturels.
Comme vous, madame la sénatrice, je pense que donner de la liberté d'agir aux territoires et instaurer de la différenciation ne signifie pas rompre avec l'unité de la République. J'affirme ici que la République française est une et indivisible. Elle s'incarne autour de la promesse républicaine, qui est une promesse d'égalité de droits, quel que soit l'endroit où l'on habite et quelle que soit sa classe sociale.
Pour que cette promesse républicaine soit tenue, il faut mettre en place des moyens différents, vous avez parfaitement raison. Les dispositions spécifiques qui existent dans les territoires d'outre-mer sont l'exemple même d'une adhésion à la République, malgré des organisations différentes. Au-delà de l'outre-mer, nous avons reconnu et en quelque sorte sanctuarisé la différenciation, puisque nous appliquons des dispositions différentes pour les communes du littoral et pour les communes de montagne.
Il nous faut donc d'abord entamer ce travail qui n'a été fait lors d'aucune réforme territoriale : définir le rôle et la mission de l'État, au-delà de ses fonctions régaliennes. Il faut aussi réfléchir à un mécanisme de péréquation pour permettre aux territoires plus pauvres d'assumer eux aussi leurs compétences.
Comment travailler sur ce sujet ? Encore une fois, il ne s'agit pas de rester enfermé boulevard Saint-Germain. Nous avons vu comment les dernières lois territoriales, notamment la loi NOTRe, en fonctionnant mécaniquement, ont engendré dans les territoires des inadaptations qui nous coûtent cher.
Dès sa prise de fonctions, le Premier ministre a écrit à l'ensemble des élus locaux, notamment aux maires, pour les inviter à lui faire part de leurs suggestions.
M. le président. Veuillez conclure, madame la ministre.
Mme Françoise Gatel, ministre. Quand il a parlé de décentralisation, il a demandé aux présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat, aux présidents des délégations aux collectivités territoriales et à la décentralisation des deux chambres, à l'ensemble des exécutifs, de lui transmettre leurs suggestions avant le 31 octobre. C'est donc avec vous, je l'espère, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous construirons une nouvelle promesse républicaine fondée sur le souci d'efficacité.
M. le président. La parole est à M. Daniel Fargeot. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Daniel Fargeot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Premier ministre a voulu mettre la décentralisation au menu du dîner politique. J'ai cependant la douce impression qu'il nous l'a servie comme un digestif, après un budget indigeste, dont les dispositions vont dans le sens exactement inverse de la décentralisation, notamment pour les collectivités : suppression d'un quart de la compensation de la taxe foncière sur les propriétés bâties et de la cotisation foncière des entreprises (CFE) des industries ; pérennisation du Dilico (dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités) aggravé, Bercy sacrifiant encore une fois les bons élèves sur l'autel de la rigueur. Où est donc la volonté réelle de décentraliser ?
Pourtant, la décentralisation est la solution évidente à la crise profonde que nous vivons : crise de gouvernance, crise de confiance, crise financière. Nous avons atteint le paroxysme d'un système dans lequel l'État central s'occupe de tout, perd la main sur tout et oublie l'essentiel. La preuve : plus personne ne se comprend, pas même dans la cuisine de Matignon.
Une véritable décentralisation, c'est celle qui donne la main et les moyens, pas seulement des missions. Encore faut-il savoir de quoi l'on parle : décentraliser quoi et, surtout, décentraliser qui, puisque la responsabilité est au cœur du sujet ?
Depuis quarante ans, on confond faire confiance et se désengager. Nos chefs étoilés – les gouvernants – disent : " Je fais confiance aux territoires. " En cuisine, les commis – les territoires – répondent : « Je fais ce que je peux avec ce qu'il me reste. » La décentralisation doit être un transfert de confiance et non un transfert de charges.
Cette confiance suppose de la clarté : des compétences nettes, des moyens adaptés et, surtout, la fin du fameux « coco » : coconstruction, cofinancement, cogestion, « co-confusion ». Si, au passage, on supprimait le Dili-co, nous nous serions compris. (Sourires.)
Aujourd'hui, tout le monde rend des comptes à tout le monde, sauf aux électeurs. La France est devenue la championne du monde de la désorganisation systémique, prisonnière d'un modèle jacobin dotée des apparats d'une décentralisation. Cela ne fonctionne plus !
L'enlisement est devenu la norme si bien que, quand on veut véritablement faire avancer un projet, on invente une loi d'exception, comme pour Notre-Dame de Paris. C'est devenu le génie français : créer un régime dérogatoire pour chaque idée, faute d'une vision d'ensemble.
Madame la ministre, il est temps de remettre de l'ordre pour obtenir un plat de résistance consistant. Tocqueville l'analysait déjà : la décentralisation est non pas un transfert, mais un retour de responsabilité. Elle rapproche l'État du citoyen et fait vivre la démocratie.
Pourtant, on nous sert souvent une décentralisation managériale réduite à un pilotage par tableur Excel, avec des élus sous tutelle. Je n'y crois pas. Les territoires ne sont pas les filiales de l'État, les maires ne sont pas des sous-traitants de la République : ils en sont les premiers responsables. Encore faut-il, pour exercer leurs responsabilités, qu'ils puissent actionner de véritables leviers : la fiscalité locale, l'autonomie de décision, la souplesse normative.
Pour ce faire, un État et des territoires forts passent par une vague de déconcentration ; l'une ne va pas sans l'autre. D'ailleurs, le couple maire-préfet reste l'un des rares qui fonctionnent encore. C'est cette articulation qu'il faut renforcer, plutôt que de multiplier les agences et autres comités.
Jean-Louis Borloo en appelle à une " République fédérale à la française ". Une " République des responsabilités locales assumées " serait la cerise sur le gâteau. Remettons de la cohérence et de la responsabilité.
Enfin, le véritable enjeu est de rendre à chaque échelon les responsabilités qui lui reviennent, afin de redonner aux élus le goût de l'action publique et du sens à ce qu'ils font : à l'État, la stratégie et le régalien ; aux collectivités, la proximité, l'action et la redevabilité devant leurs électeurs.
Si la République veut rester indivisible, c'est bien parce que la responsabilité, elle, ne se divise pas. Bon appétit ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Henri Cabanel applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. Monsieur le sénateur Fargeot, je vous remercie de cette intervention gourmande. (Sourires.)
Vous avez raison, les élus locaux ne sont pas des commis de l'État. Il fut un temps où, chacun le sait, il existait de grands commis et où l'on considérait que la France marchait relativement bien. Cette opinion a changé. Je vous le redis avec beaucoup de conviction : l'action publique relève de l'État et des collectivités. À chacun sa responsabilité – j'aime ce mot – et à chacun ses compétences.
Vous avez raison, s'agissant par exemple des départements : on ne leur a pas transféré des compétences, on les a chargés de les mettre en œuvre comme l'État l'a dit, avec les moyens que ce dernier leur a donnés.
Ce qu'il nous faut, c'est transférer aux collectivités des responsabilités en leur donnant la capacité d'agir, de trouver des solutions. Cela suppose d'organiser la chaîne de l'ordonnancement – c'est le "qui fait quoi " dont parle le Premier ministre – et la chaîne du commandement. Le responsable organise et décide, mais il rend également des comptes.
Enfin, monsieur le sénateur, je suis heureuse de vous entendre parler de différenciation. Je me souviens de débats ici même, lors desquels on assimilait égalité et uniformité. Toutefois, l'uniformité n'a jamais été la garante de l'égalité ; elle est au contraire la garante de l'inégalité. Il existe une égalité de droits avec une différence de moyens. Travaillons donc pour corriger ces différences.
En matière de déconcentration, il y a un patron dans les départements, c'est le préfet. À lui d'harmoniser les choses.
Enfin, vous avez parlé de " qui fait quoi et avec quoi " et de financement. Une partie du budget des collectivités provient de dotations, l'autre doit sans doute reposer sur un levier fiscal, qu'il faut définir en fonction des compétences transférées.
Travaillons avec gourmandise sur ce chantier, car nous sommes tous d'accord sur l'objectif. Faisons face aux difficultés qui surgiront sans aucun doute, agissons en confiance pour débloquer les articulations qui ne manqueront pas à un moment de se gripper.
M. le président. La parole est à M. Daniel Fargeot, pour la réplique.
M. Daniel Fargeot. Comme vous l'avez dit, l'État doit se détendre et conserver à l'esprit un principe simple : faire preuve de bon sens et de pragmatisme. Là où il y a une volonté, il y a un chemin. (Exclamations amusées sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Bessin-Guérin.
Mme Marie-Pierre Bessin-Guérin. " Faites-nous confiance ! "
Voilà le cri du cœur de la maire de La Meilleraye-de-Bretagne, commune de 1 500 habitants, que j'étais avant d'être élue au Sénat. Ce cri du cœur n'est pas seulement le mien ; nous le savons tous ici, nombre d'élus locaux le poussent également.
Pour étayer mon propos, je vous ferai part d'un exemple personnel. Il y a quelques années, il m'a été demandé de réaliser des travaux sur l'une des voies de ma commune. En plus d'être coûteux, ceux-ci posaient un problème majeur en matière de sécurité routière. En tant que maire, j'ai proposé, avec les habitants, un autre chemin plus sécurisé, qui n'aurait nécessité que de petits aménagements à la marge. Il aura fallu une mobilisation de près de deux ans pour que notre voix soit entendue et que cette solution bien plus pragmatique soit finalement retenue. Nous aurions gagné bien du temps si nous avions été écoutés dès le départ…
Cet exemple illustre le quotidien de nombreux élus locaux en France. Il montre aussi à quel point il est impératif de remettre la confiance au cœur de notre relation avec les territoires. L'avenir de la décentralisation passe avant tout par la confiance : confiance dans les élus locaux, qui sont mobilisés en permanence ; confiance dans les instances de proximité, qui relaient avec force la voix des territoires.
Depuis plus d'une quarantaine d'années, plusieurs vagues de décentralisation se sont succédé. Elles répondaient toutes à des objectifs nobles, mais force est de constater qu'elles s'articulent mal entre elles. Le cadre juridique actuel manque de cohérence, mais aussi de souplesse. Il en résulte un manque de lisibilité, tant pour les élus locaux que pour nos concitoyens. Réformer ce cadre de façon globale s'impose aujourd'hui comme une évidence.
D'un point de vue constitutionnel tout d'abord, il s'agit notamment de sanctuariser les principes de subsidiarité et de différenciation territoriale. L'unité de la République, le lien avec les citoyens, passent autant par le respect des spécificités locales que par une action publique plus efficace et proche du terrain. C'est ce que permettent ces principes.
Se pose aussi, bien évidemment, la question de la répartition des compétences. Dans bien des domaines, elle doit être simplifiée et rationalisée. Il est essentiel aussi de renforcer les leviers de coopération entre les collectivités territoriales. À mon sens, la commune doit être au cœur de l'organisation territoriale française. Quant à l'échelon départemental, il reste indéniablement pertinent, en particulier dans les territoires les plus ruraux.
À cet égard, le groupe Les Indépendants – République et Territoires soutient l'idée d'une large réforme de la décentralisation pour une gouvernance fondée sur la proximité. Faut-il rappeler ici la crise des vocations, enjeu parfaitement cerné par les auteurs de la proposition de loi portant création d'un statut de l'élu local ?
Les chiffres parlent d'eux-mêmes. En 2025, plus de 6 % des maires élus en 2020 ont déjà démissionné de leur mandat. Le nombre de démissions volontaires a été multiplié par quatre par rapport à la précédente mandature.
Je donnerai un exemple concret : lorsque je suis devenue sénatrice il y a quelques semaines, j'ai dû renoncer à mon mandat de maire. Aucun candidat ne s'est présenté pour me succéder. Et pour cause, les multiples difficultés et obstacles inhérents à la fonction de maire rebutent de nombreuses personnes. C'est un véritable gâchis pour notre République, mes chers collègues.
Vous le voyez, vous le savez, il y a urgence. Les élus de proximité sont ceux qui font le lien entre la République et les citoyens. Il faut leur donner les moyens d'agir.
J'en viens à présent à l'épineux sujet des finances publiques locales. Celui-ci – je tiens à le souligner – doit être au cœur des réflexions sur l'avenir de la décentralisation. Non, le budget des collectivités territoriales n'est pas une variable d'ajustement. Lorsque je vois se profiler à l'horizon la baisse de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), à laquelle je suis fermement opposée, je m'inquiète.
Au-delà, il doit être mis fin définitivement à certaines pratiques. Chaque compétence dévolue à une collectivité doit donner lieu à une compensation financière adéquate. De la même façon, il est essentiel que le décideur soit celui qui paie et qu'une commune n'ait plus à l'avenir à financer des initiatives décidées par un autre échelon sans son accord.
Enfin, en matière de budget, la prévisibilité doit être le maître mot. Les collectivités locales doivent pouvoir se projeter et anticiper. Certaines communes attendent parfois des mois durant le versement de sommes pourtant déjà votées par un autre échelon. Oui, il faut donner aux collectivités les moyens d'agir, ce qui passe par une transformation de notre mode de fonctionnement actuel.
En définitive, je le rappelle encore, l'avenir de la décentralisation se résume à un maître mot : confiance. Faisons confiance aux élus de proximité, car ce sont bien eux qui incarnent et font vivre notre République au plus près de nos concitoyens dans nos territoires. Notre République s'honorerait à leur accorder la juste place qu'ils méritent et à leur donner les marges de manœuvre nécessaires pour exercer pleinement leurs prérogatives au service des Français.
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Marie-Pierre Bessin-Guérin. Madame la ministre, comment le Gouvernement compte-t-il accompagner les élus locaux, dont le travail est indispensable à notre pacte républicain ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. Madame la sénatrice Marie-Pierre Bessin-Guérin, je suis très heureuse de vous saluer quelques jours après votre arrivée au Sénat. Je répondrai point par point aux sujets que vous avez évoqués.
Je crois beaucoup à la proximité. Je le dis sans plaisanter : puisque nous défendons le circuit court dans le domaine de l'alimentation, j'aimerais qu'il en soit de même en matière d'action publique. Ce circuit est efficace et permet d'identifier le responsable. Selon le principe de subsidiarité, le niveau le mieux placé peut prendre la compétence et s'allier avec d'autres territoires.
Par ailleurs, madame la sénatrice, vous avez raison d'évoquer la question de l'engagement des élus locaux. Le Sénat a beaucoup travaillé sur la facilitation et la sécurisation de l'engagement. C'est en effet ici qu'est née une proposition de loi transpartisane, qui poursuit sa route aujourd'hui et que nous espérons voir adoptée le plus rapidement possible.
M. François Bonhomme. Il y a intérêt !
Mme Françoise Gatel, ministre. Notre intérêt commun est d'œuvrer pour les maires !
Sur les finances publiques, je tiens à apporter une correction et à vous rassurer, madame la sénatrice. L'enveloppe de la DETR ne diminue pas en 2026 dans le fonds d'investissement pour les territoires (FIT) ou en dehors de lui. Il est important de le redire.
En vous écoutant, j'ai constaté que vous avez déjà une forte culture sénatoriale, car vous prononcez des phrases que l'on entend souvent ici, par exemple " Qui décide paie ". En d'autres termes, celui qui fixe la norme doit l'assumer ; inversement, celui qui paie doit être associé à la décision. Comme l'a souligné le sénateur Fargeot précédemment, les élus locaux ne sont pas les commis de l'État ; ce sont des gens responsables qui doivent être associés aux décisions.
C'est en ne l'oubliant pas que nous retrouverons le chemin de la confiance de nos concitoyens et, surtout, de l'efficacité.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Anglars. (Applaudissements sur les travées de groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. Jean-Claude Anglars. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dès sa nomination, le Premier ministre a souhaité ouvrir des consultations rapides pour " présenter un nouvel acte de décentralisation, de clarification et de liberté locale ".
En France, la décentralisation définit la relation entre l'État et les collectivités territoriales. Elle repose sur plusieurs principes clés : répartition des compétences, libre administration, responsabilité des élus locaux, fiscalité directe locale.
À l'heure où le Parlement examine le projet de loi de finances, par lequel l'État souhaite une forte contribution des collectivités locales au redressement des comptes publics, il est bon de rappeler un fondement élémentaire : les collectivités locales disposent, certes, de concours financiers ponctuels de l'État, mais surtout d'un pacte qu'il est indécent de renier, les compensations des transferts de compétences ; de plus, elles disposent de ressources propres.
La suppression de la taxe d'habitation, échelonnée de 2018 à 2023, est une mesure confiscatoire pour les collectivités territoriales. Il faudra avoir le courage de procéder à son évaluation, car, en définitive, elle constitue une atteinte à la libre administration locale et creuse la dette de la nation.
L'acte III de la décentralisation a été mis en œuvre à marche forcée à partir de 2015. Alors qu'il visait à réorganiser et à clarifier les compétences des collectivités territoriales, les transferts de compétences obligatoires entraînent des dysfonctionnements et l'on observe la création d'hyperstructures qui éloignent les centres de décisions.
Notre assemblée n'a cessé de tenter de clarifier le partage des compétences en faisant inébranlablement du principe de subsidiarité sa boussole. Chaque compétence doit être exercée par l'échelon territorial le plus à même d'agir, ce qui dépend des territoires, admettons-le. La subsidiarité, corrélée aux libertés locales et aux principes de différenciation et d'expérimentation, doit reconnaître à tout échelon la capacité de pouvoir exercer une compétence, totale ou partielle.
C'est le sens de la proposition de loi visant à assouplir la gestion des compétences " eau " et " assainissement ", d'initiative sénatoriale, promulguée le 11 avril dernier, qui a pour objectif de laisser le choix du transfert aux élus. Il s'agit de prôner une intercommunalité choisie plutôt que subie. En effet, le socle de la République, c'est la commune, dont la clause de compétence générale doit conférer aux maires le pouvoir de décider pour tout ce qui concerne leur commune.
M. Laurent Burgoa. Très bien !
M. Jean-Claude Anglars. Par ailleurs, la possibilité d'expérimentation offerte par la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS), en permettant de s'emparer de nouvelles compétences sur une base volontaire, rouvre le champ des possibles pour le partage de compétences. Ainsi, depuis le 1er janvier 2024, les départements ou régions volontaires peuvent reprendre la gestion de routes nationales non concédées. C'est le cas de la RN 88 : le département de l'Aveyron a fait le choix volontariste d'en obtenir le transfert afin de conduire de manière déterminée sa mise en deux fois deux voies. Cet exemple illustre ce qu'aspire à être la décentralisation : une réponse sur mesure, adaptée aux besoins locaux.
La décentralisation ne se décrète pas, elle se construit. Plus qu'un nouvel acte de décentralisation imposé, les élus attendent désormais plus de liberté d'agir. Sur ce sujet, le Sénat sera un partenaire exigeant, relayant la voix des élus locaux – comme vous le savez, madame la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Burgoa. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je constate cet après-midi la puissance de l'Aveyron, qui prend décidément de la hauteur, si je puis dire ! (Sourires.)
Permettez-moi d'apporter quelques éléments très concrets en complément de ce qui a été dit.
Monsieur le sénateur, vous évoquez le transfert de compétences. Pour l'instant, nous avons surtout procédé à des transferts d'exécution de compétences prévus par la loi. (M. Jean-Baptiste Lemoyne acquiesce.) Au moment du transfert de l'exécution de l'État à la collectivité territoriale, une évaluation a été réalisée, mais il n'existe pas de clause de revoyure. La confiance passe à mon sens par la contractualisation et par une clause de revoyure, qui permet à chacun de vérifier la justesse et la pertinence des dispositifs mis en œuvre.
La liberté des territoires et des collectivités territoriales va de pair avec la responsabilité, je vous l'accorde, monsieur le sénateur ; je suis responsable, donc je suis libre ; je suis libre, donc je suis responsable – dans le cadre d'une nation une et indivisible.
J'en viens aux différences territoriales. Nous savons que certaines compétences ne peuvent pas s'exercer seules. Je prendrai un exemple bien connu, celui du tourisme.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Ah, très bien !
Mme Françoise Gatel, ministre. Le département et la région considèrent tous deux que cette compétence est de leur ressort, alors que tout dépend des territoires. À Honfleur ou à Deauville, c'est la commune elle-même qui exerce cette compétence, car elle incarne la destination touristique. Je pense, pour que les choses soient claires, qu'il faut désigner un chef de file…
M. Jean-Baptiste Lemoyne. C'est dommage, cela commençait bien…
Mme Françoise Gatel, ministre. … qui doit avoir la capacité de s'organiser avec la collectivité qui est la plus à même d'agir, exactement comme nous l'avons fait pour l'eau et l'assainissement. Voilà d'ailleurs un bon exemple d'intercommunalité utile et pertinente, dès lors qu'elle répond aux besoins, sans que soit imposée une structure qui ne fonctionne pas.
La loi 3DS permet de mener des expérimentations. Je crois que si nous procédions davantage à des expérimentations avant de décider, de manière définitive, que ce qui est voté ici ou ailleurs fonctionnera nécessairement partout, nous réduirions nombre d'irritants. Mme Canayer l'a bien dit, il nous faut modifier l'article 72-2 de la Constitution, pour que l'expérimentation puisse conduire à une véritable différenciation. C'est un enjeu essentiel, afin de ne pas imposer à certaines collectivités territoriales ce que d'autres auraient choisi.
M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce débat sur l'avenir de la décentralisation vient à point nommé. Le Premier ministre a annoncé vouloir un grand acte de décentralisation et a demandé leur contribution au Sénat et aux associations d'élus locaux.
Avant tout nouvel acte de décentralisation, il est impératif de faire le bilan des précédents, les actes I, II et III. Permettez-moi cette précaution méthodologique, car l'enfer peut être pavé de bonnes intentions. (Mme la ministre acquiesce.)
Certains objectifs annoncés – une meilleure lisibilité des politiques conduites, une meilleure identification du « qui fait quoi »… – peuvent sembler séduisants au premier abord, mais pourraient en fait se révéler des irritants.
J'entends ainsi parler d'une rationalisation des actions en matière de tourisme, de culture ou de sport. Ce sont justement des compétences où les interventions conjointes des communes, intercommunalités, départements et régions s'additionnent fort heureusement. Madame la ministre, ériger dans ces domaines un monopole d'intervention ou un chef de filat pour une collectivité territoriale au détriment des autres serait en réalité soustraire des moyens à des politiques qui contribuent à la vitalité et à l'attractivité de tous nos territoires – ruraux comme urbains, hexagonaux comme ultramarins. D'ailleurs, rappelons-le, il ne s'agit pas là d'une demande des collectivités. Pour la compétence tourisme, elles l'ont signifié avec force lors du congrès de la Fédération nationale des organismes institutionnels de tourisme (ADN Tourisme), qui réunit les offices de tourisme, les comités départementaux du tourisme et les comités régionaux du tourisme. J'espère que ces voix du terrain seront entendues.
Revenons au bilan des actes I, II et III de la décentralisation. Interrogez un maire, un président d'établissement public de coopération intercommunale (EPCI), un président de conseil départemental ou de conseil régional, ils vous diront tous que le système est au bout du rouleau. Ayons donc le courage de regarder ce qui a marché et ce qui n'a pas marché.
On peut objectivement saluer l'acte I, voulu par Gaston Defferre, car il a permis de libérer les énergies et mis fin à la tutelle de l'État sur les collectivités. En revanche, la prétendue " stricte " – les guillemets s'imposent – compensation des charges résultant du transfert de compétences s'est révélée une matrice destructrice, hélas !
J'en viens à l'acte II, décidé par les gouvernements successifs de Jean-Pierre Raffarin. L'intention était sûrement louable, mais la loi relative aux libertés et responsabilités locales a conduit, elle aussi, à des transferts de charges mal compensés. Force est de constater que ce texte, adopté grâce au 49.3, est mal né et a mal vieilli. Les départements, à qui l'on a alors attribué la gestion du revenu minimum d'insertion (RMI), sont aujourd'hui asphyxiés par son successeur, le revenu de solidarité active (RSA). Dans l'Yonne, le RSA coûte 60 millions d'euros : l'État n'en donne royalement que 27 millions ! Je pourrais aussi vous parler longuement de l'aide sociale à l'enfance (ASE) et des services départementaux d'incendie et de secours (Sdis), mais nous y serions encore demain matin…
Le Sénat a d'ailleurs été la vigie de l'autonomie financière des collectivités. Imaginez-vous qu'à l'époque le Gouvernement voulait faire rentrer les dotations dans les ressources propres des collectivités ! Hommage soit rendu à Daniel Hoeffel qui, sur ces travées, a veillé à ce que cela ne se produise pas. Déjà, en ouverture des travaux sur ce sujet, le président du Sénat Christian Poncelet soulignait " l'absolue nécessité de veiller à ne pas transformer les élus locaux en gestionnaires démotivés de ressources au sein desquelles les dotations préétablies occuperaient une part trop nettement prépondérante. " Cela ressemble, hélas ! au quotidien des élus locaux…
Pierre Mauroy, qui présida en 2000 une commission pour l'avenir de la décentralisation, déclarait : " Un élu vote l'impôt. Sinon, c'est lui retirer sa liberté. " Oui, des libertés ont été retirées aux collectivités. Avouons-le, tous les gouvernements, depuis quarante ans, ont péché.
Avec la suppression de pans entiers de fiscalité locale, les collectivités territoriales collectionnent les dotations de compensation ou les prélèvements sur recettes, qui deviennent véritablement illisibles. Pour couronner le tout, un acte III, avec deux textes fameux, la loi NOTRe et la loi Maptam (loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles), n'a pas laissé que de bons souvenirs aux élus locaux, qui doivent désormais vivre avec des cantons et des régions de taille XXL. Tout cela a fait dire au Président de la République, lors d'une allocution devant les maires prononcée au mois de novembre 2023, que la décentralisation était " cul par-dessus tête ".
Il faut donc tout repenser. L'avenir de la décentralisation passe par un profond changement de paradigme. Il faut tout revoir, de la cave au grenier, pour plusieurs raisons.
Première raison : dans ce monde caractérisé par des révolutions technologiques, des ruptures et des instabilités géopolitiques, l'État doit se concentrer sur l'essentiel et mettre le paquet sur le régalien, la jeunesse et l'innovation. Les territoires peuvent parfaitement prendre en charge des fonctions essentielles du quotidien. Pourquoi ne pas faire passer les agences régionales de santé (ARS) et les sujets de santé dans le giron des régions ? Je lance le débat.
Deuxième raison : nos concitoyens ont trop souvent le sentiment que le contrôle de leur vie, de leur pays, leur échappe. Redonner du pouvoir aux collectivités, c'est aussi redonner aux citoyens prise sur le cours des choses. Voyez la vitalité démocratique de nos voisins suisses au sein de leurs cantons !
Troisième raison : nos concitoyens ont besoin de réenracinement et de territoires qui gardent leur identité, quand la mondialisation uniformise tout. Il est d'ailleurs regrettable que certains voient encore dans les langues et cultures régionales une menace, alors qu'elles sont nos racines et qu'elles appartiennent au patrimoine de la France.
Vers quelle nouvelle organisation territoriale nous diriger ? Nos outre-mer peuvent utilement montrer le chemin. Ils sont à l'avant-garde de formules sur mesure. Faisons du sur-mesure partout ! Redonnons la main et la parole au terrain, aux collectivités territoriales, pour que celles-ci puissent décider elles-mêmes de leur organisation et des compétences qu'elles souhaitent assumer ! Voilà la subsidiarité, du bas vers le haut et non du haut vers le bas, en commençant par la cellule de base qu'est la commune.
Jean-Louis Borloo tiendra une causerie dans quelques instants, ici au Sénat, sur le fédéralisme à la française. Le principe fédératif de Proudhon peut nous orienter vers des recettes pour repenser l'articulation entre les collectivités et l'État, au bénéfice du citoyen. Pour que cela fonctionne, il faut que les collectivités retrouvent du pouvoir normatif, du pouvoir fiscal, du pouvoir de faire. Le temps n'est donc plus aux ajustements à la marge ni aux rustines, il est à une forme de révolution territoriale.
C'est cela qui permettra, pour reprendre les mots du penseur régionaliste et personnaliste Alexandre Marc, qu' " au sein de l'Europe, la France renouvelée reprenne la route royale de la nation créatrice et libératrice. " (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. Je reconnais bien là votre envie de convaincre, monsieur Lemoyne !
J'ai pris un exemple qui vous parle particulièrement, celui du tourisme. Si nous souhaitons une clarification des compétences, il faut à un moment désigner clairement qui est responsable, tout en permettant que, sur les territoires, les organisations soient spécifiques. Nous l'avons vu, par exemple, avec la gestion de l'eau et de l'assainissement : les territoires s'organisent comme ils l'entendent, mais un responsable est identifié.
Je rappelle que les communes disposent de la compétence générale, comme vous le savez. Elles conservent donc la capacité d'intervenir sur l'ensemble des champs, néanmoins il me semble nécessaire de clarifier le paysage. Quoi qu'il en soit, je constate que nous en débattrons longuement et que les points de vue seront variés.
La décentralisation va de pair avec la déconcentration, c'est-à-dire qu'il faut donner à l'État territorial la capacité d'apporter des solutions et une certaine liberté dans l'application des normes. Cela est en cours et, vous l'avez souligné, c'est une profonde révolution. Le préfet pourra ainsi constater qu'une norme est inadaptée à une collectivité et, à l'échelon local, être en mesure de décider.
Donner du pouvoir normatif aux élus locaux, je partage ce projet. Toutefois, vous le savez bien, il existe un enjeu de responsabilité et de judiciarisation. Certaines collectivités, notamment parmi les plus petites, ne souhaitent pas disposer de ce pouvoir normatif, car elles ne sont pas en mesure d'assumer les risques qui y sont associés. Cela signifie que la loi doit sans doute être moins bavarde : elle doit fixer un cadre normatif clair tout en laissant la possibilité aux collectivités qui le peuvent d'adapter ce cadre à leur réalité.
J'en viens au financement. Il y a un débat sur l'autonomie financière et fiscale. Je ne crois pas que, dans un pays où les collectivités exercent des compétences aussi importantes que l'éducation, on puisse se passer totalement de dotations. Les grands pays fédéraux, comme l'Allemagne, fonctionnent avec un système de dotations régionales ajustées au niveau des compétences exercées. À ces dotations provenant d'impôts nationaux partagés s'ajoute un levier fiscal, faute de quoi il n'y aurait pas d'égalité dans la qualité du service rendu.
Je prendrai un dernier exemple : celui du coût de la scolarisation d'un élève dans une école élémentaire. À l'échelon départemental, ce coût a été défini afin d'assurer un financement équitable.
M. le président. Il faut conclure, madame la ministre.
Mme Françoise Gatel, ministre. Nous établissons un coût et nous le reconnaissons. Je pense donc qu'il est nécessaire de maintenir un équilibre entre dotation et levier fiscal.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Alain Roiron. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Pierre-Alain Roiron. Madame la ministre, mes chers collègues, parler de l'avenir de la décentralisation suppose d'abord de dresser un constat lucide sur le présent. Quarante ans après les lois de décentralisation, nous sommes au seuil d'un nouveau modèle à inventer. Hélas, ce qui devait être un partage du pouvoir s'est peu à peu transformé en dilution progressive de celui-ci.
Aujourd'hui, alors que le Premier ministre annonce un grand acte de décentralisation, le projet de loi de finances pour 2026 dessine une trajectoire incompatible avec cette perspective. Rappelons que l'article 72-2 de notre Constitution garantit aux collectivités des " ressources dont elles peuvent disposer librement ". La décentralisation repose sur un triptyque indissociable : compétences, moyens, autonomie fiscale. Toutefois, cette autonomie s'étiole, notamment depuis la suppression de la taxe professionnelle en 2010 et de la taxe d'habitation en 2018. Cela crée une dépendance croissante aux dotations de l'État, laquelle fragilise la prévisibilité nécessaire à tout investissement de long terme.
Pierre Mauroy, Premier ministre au moment du vote de la loi relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État, dite Defferre, avait déjà cette formule prémonitoire : " Aucun nouvel acte de la décentralisation ne pourra désormais se passer d'une réforme en profondeur de l'État central lui-même. "
M. Patrick Kanner. Très bien !
M. Pierre-Alain Roiron. Réformer l'État en profondeur, c'est aussi et d'abord accepter que l'uniformité des règles ne garantisse plus l'égalité entre les territoires. Le droit à la différenciation territoriale, que notre famille politique défend, doit être pleinement consacré, de même que l'affirmation du pouvoir réglementaire des collectivités territoriales. C'est l'aboutissement logique du processus de décentralisation.
Il va sans dire qu'une telle réforme institutionnelle appelle une réelle traduction financière. L'autonomie budgétaire et fiscale demeure la condition sine qua non d'une décentralisation véritable et pérenne. Cependant, au-delà de la question financière, c'est toute l'architecture de nos compétences qu'il faut repenser. Trop de doublons subsistent entre l'État et les collectivités, entre les différents échelons territoriaux, créant confusion, inefficacité et pertes financières.
Comment justifier que l'État finance et définisse les normes ayant trait à l'apprentissage et à la formation professionnelle, tandis que les régions gèrent l'orientation et le développement territorial ? Ce chevauchement, constant depuis la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, illustre parfaitement cette dilution du pouvoir que nous dénonçons. En matière de politique du logement social, c'est la même incohérence : l'État fixe les quotas, les intercommunalités planifient, les départements financent. Cette fragmentation engendre lenteurs et inefficacité, pendant que des familles attendent un toit.
Nous appelons à un réexamen systématique de la répartition des compétences, guidé par un principe simple : une compétence, un échelon, des moyens adaptés. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. Monsieur le sénateur Roiron, je pense que vous confondez les temps.
Jusqu'en 2029, le temps budgétaire est un temps de redressement. En d'autres termes, nous travaillons non pas à niveau zéro, mais avec la réalité budgétaire et financière que nous connaissons tous. C'est bien, monsieur le sénateur, parce que nous partageons la même ambition d'une action publique efficace et de collectivités territoriales disposant des moyens nécessaires, qu'il nous faut redresser nos finances. Je pense donc qu'il n'y a pas de contradiction entre affirmer une volonté de décentralisation et le projet de budget que nous présentons, qui est un budget de redressement et non d'austérité.
Je partage ce qu'avait dit M. Mauroy à l'époque : commençons donc par définir ce que fait l'État ! J'aime l'idée d'un État qui assume la décentralisation, mais, dans le même temps, ce dont les collectivités doivent s'occuper et dans quelles conditions elles doivent le faire. Jusqu'à présent, il y a eu une délégation d'exécution de compétences, mais je pense que le temps qui vient, celui d'une transition et d'une période de crise, exige de nous une remise en ordre, si je puis dire, afin de redéfinir ce qui relève des compétences propres de l'État.
Pour ce qui concerne les financements, il faut un mix entre des dotations, qui garantissent que les objectifs fixés par l'État puissent être atteints, une capacité fiscale propre aux collectivités et, surtout, une clause de revoyure. Je l'ai dit tout à l'heure, le contrat doit reposer sur des clauses de revoyure. Il faut de la cohérence.
Je partage votre constat : lorsque les régions disposent de la compétence de l'économie et de l'emploi, mais n'ont pas la capacité d'agir sur la formation, l'efficacité n'est pas optimale. Sur le logement également, je vous rejoins. Est-ce depuis Paris que l'on doit continuer de définir des zonages qui échappent souvent à la réalité des territoires ? En Bretagne, par exemple, une territorialisation du logement et de l'investissement locatif a été expérimentée : cela a très bien fonctionné et n'a pas coûté plus cher.
Enfin, je le répète, M. Lemoyne a raison : avant d'inventer autre chose, il faut évaluer l'efficacité de ce qui a été fait, de ce qui ne l'a pas été ou de ce qui l'a été insuffisamment.
M. le président. Il faut conclure, madame la ministre.
Mme Françoise Gatel, ministre. En tout cas, je serai très heureuse de travailler avec vous tous autour d'un objectif qui nous réunit.
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme Céline Brulin. Je remercie mes collègues d'avoir organisé ce débat sur la décentralisation. Il touche au cœur de notre République, à sa capacité à garantir l'égalité, la solidarité et la proximité avec les citoyennes et citoyens.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, regardons toutefois la réalité en face. Depuis des années, nos territoires subissent un affaiblissement durable de la présence de l'État déconcentré et un recul continu des services publics : sous-préfectures exsangues, trésoreries éloignées et amoindries dans leur capacité à accueillir les contribuables comme à conseiller les élus locaux, permanences supprimées dans les caisses d'allocations familiales (CAF) et les caisses d'assurance retraite et de santé au travail (Carsat), bureaux de poste à l'amplitude horaire diminuée ou devenus agences postales communales, à la charge principale des mairies… – et j'en passe !
Les moyens de nos collectivités ont subi les mêmes coups de rabot et, à mesure qu'elles devaient assumer de nouvelles missions, répondre à de nouveaux besoins de la population, leurs ressources ont diminué.
Nous ne pouvons pas nous contenter de belles paroles ou de belles intentions. Il faut des actes, des moyens et du respect. C'est indispensable dans le climat de défiance que nous connaissons actuellement.
Les élus locaux, souvent les premiers à affronter les difficultés du quotidien, le disent : la République s'éloigne quand le service public recule. Quand la dotation globale de fonctionnement diminue, quand la fiscalité locale est réformée sans concertation, quand l'ingénierie publique manque, ce sont les maires, les conseillers départementaux et régionaux, qui doivent faire plus avec moins.
La multiplication des agences, sous couvert de modernité, d'agilité, d'efficience et autres concepts aussi libéraux que technocratiques, éloigne encore un peu plus les décisions et leur élaboration même, du terrain. Cette « agencisation » des politiques publiques, c'est la traduction d'un État bureaucratique qui ne fait plus avec les territoires, mais qui leur enjoint de déployer ses propres politiques, à coups d'appels à projets, de programmes nationaux à décliner.
Un nouvel acte de décentralisation, que nous appelons de nos vœux, doit clairement se traduire par de la confiance accordée aux territoires, sans que l'État se désengage de ses propres missions. Nous voulons un État partenaire, garant de l'égalité républicaine, pas un État qui se délite au profit d'acteurs privés, avides de nouveaux marchés.
Nous voulons un État accompagnateur, aménageur du territoire, pas censeur de décisions prises en vertu de la libre administration des collectivités territoriales. Nous défendons un modèle de coopération, pas de liens hiérarchiques ou d'autorité. Nous plaidons pour la restauration de la clause générale de compétence pour tous les échelons de collectivités, et pas seulement pour les communes.
C'est, à nos yeux, le moyen d'assurer la possibilité pour chaque échelon de mettre en œuvre des choix qui répondent aux besoins des habitants, à la réalité des territoires, dans leur complexité et leurs différences, tout en préservant l'unité et l'indivisibilité de la République.
Nous devons tirer les leçons d'une organisation territoriale où quelques métropoles devaient ruisseler, nous disait-on, « en mode gagnant-gagnant », sur l'ensemble de leur région. Des territoires fragiles ont continué de dévisser, dans une concurrence accrue qui conduit à ce que de plus en plus de nos concitoyens se sentent abandonnés, laissés pour compte de la République.
La République doit revenir à ses fondements mêmes, être garante d'égalité et n'accepter qu'aucun bassin de vie, qu'aucun de nos concitoyens ne soit considéré comme de seconde zone. Comme le disait Rousseau, " c'est précisément parce que la force des choses tend toujours à détruire l'égalité que la force de la législation doit toujours tendre à la maintenir ".
Notre ambition, c'est une décentralisation solidaire, dans un cadre national clair, avec des moyens et un accompagnement de l'État. Et cette solidarité doit s'incarner par une péréquation repensée et renforcée, pour réduire les écarts entre territoires riches et territoires pauvres. Aucune liberté locale ne peut s'exercer sans autonomie financière, aucune compétence ne peut être transférée sans être compensée de façon pérenne.
Nous ne pouvons pas déconnecter ce débat du contexte et des débats budgétaires en cours. " Dangereux ", " indigeste pour nos collectivités ", " une saignée sans précédent ", " une purge massive, une punition collective " : voilà un florilège des commentaires qu'inspire aux associations d'élus votre projet de budget… Et pour cause ! Près de 8 milliards d'euros de nouvelles baisses des moyens des collectivités locales ! Pour l'instant, la seule chose que vous décentralisez, c'est l'austérité.
À l'inverse, nous pensons que les collectivités doivent devenir les fabriques du changement attendu par nos citoyens. Donnons-leur du souffle, des moyens et la confiance qu'elles méritent. Nous ferons œuvre utile pour notre économie, pour la cohésion sociale et, même, pour la démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
(Mme Sylvie Vermeillet remplace M. Alain Marc au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Vermeillet
vice-présidente
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. Madame la sénatrice, je ne regrette pas d'être venue, après le plaidoyer que vous venez de prononcer !
Nous nous connaissons bien et je sais la sincérité de votre conviction et de votre engagement dans votre territoire. Néanmoins, je pense que vous faites une sorte de procès en excès. Je me suis déplacée dans cinquante départements, tous très différents, et je n'ai pas constaté la même réalité que vous.
Je connais les difficultés des territoires très ruraux et des territoires industriels, mais je ne peux pas laisser dire que l'État aurait disparu des écrans radars. Six nouvelles sous-préfectures ont été créées. Aujourd'hui, dans tous les départements où je me suis rendue, j'ai rencontré l'ensemble des maires et il n'y a pas de parole plus franche ni plus claire qu'une parole de maire. Tous m'ont dit que les préfets et les sous-préfets étaient désormais dans un rôle non plus de censure, mais d'accompagnement et de facilitation, pour aider à trouver des solutions.
Quand vous évoquez les bureaux de poste, madame la sénatrice, vous êtes trop sérieuse pour que je vous croie. Dans mon propre village, le bureau de poste était vide et, lorsque l'on rentrait du travail, il était déjà fermé, car il n'ouvrait que jusqu'à quinze heures ! Ce dont nous avons besoin aujourd'hui, c'est d'un service disponible quand les citoyens le sont. De nombreuses communes ont d'ailleurs créé des commerces multiservices qui incluent un point postal, ce qui permet une offre de proximité tout en assurant une meilleure viabilité économique.
Je pense que le monde change, que nous traversons des transitions, rien n'est parfait. Il faut accepter de se transformer pour continuer à offrir à nos concitoyens ce dont ils ont besoin.
Le budget que nous proposons est un budget non pas d'austérité, mais de redressement. Le Gouvernement aurait pu ne pas le présenter et laisser filer les déficits, mais, dans cinq ans, tout le monde dans cet hémicycle aurait râlé contre l'État, qui nous aurait conduits à la faillite et l'on n'aurait plus les moyens de financer les services publics locaux.
Mme la présidente. Madame la ministre, il faut conclure.
Mme Françoise Gatel, ministre. Pour être juste, la nuance est nécessaire. Travaillons ensemble à améliorer les choses !
M. Alexandre Basquin. C'est le principe !
Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin, pour la réplique.
Mme Céline Brulin. Madame la ministre, je reprendrai l'exemple que vous avez cité. Même si vous maîtrisez sans doute mieux que moi les chiffres, il existe, à ma connaissance, presque autant d'agences postales communales que de bureaux de poste. Je souhaitais par conséquent vous alerter : des missions qui étaient auparavant exercées par des services publics nationaux sont à présent à la charge de nos collectivités.
En qualifiant le projet de loi de finances de " budget d'austérité ", je n'ai fait que m'appuyer sur quelques-uns des propos des associations d'élus. Vous pouvez vous réjouir de ce PLF, mais il posera problème, car, au sein des collectivités, il fait l'unanimité contre lui.
J'entends dire que l'heure serait au dialogue, mais, quand on vous écoute, cela ne me semble pas être le cas. Il n'est pas imaginable de transférer aux collectivités non seulement l'austérité, mais aussi l'endettement actuel de l'État. En faisant ainsi, on ne résoudrait aucun des problèmes, on les déplacerait, on les aggraverait et on abîmerait encore plus la cohésion nationale.
Ce n'est vraiment pas le chemin que souhaite prendre mon groupe. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Ghislaine Senée.
Mme Ghislaine Senée. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le Sénat débat aujourd'hui de décentralisation, alors que le Premier ministre appelle les groupes politiques à contribuer à un projet de loi sur l'avenir des territoires.
Nous prenons cette invitation au sérieux. Il nous faut d'abord regarder la réalité en face. L'État est dans une situation politique extrêmement fragile : absence de majorité stable, menace latente de dissolution, défiance généralisée envers les élus nationaux et, devant nous, un embouteillage électoral : élections municipales en 2026, présidentielle en 2027 et législatives au plus tard dans la foulée de celle-ci.
Dans ce contexte et alors que la France connaît en outre une grave crise financière, annoncer un nouveau grand acte de décentralisation suscite chez les élus locaux au mieux de la défiance, au pire de la colère : il ne faut pas leur raconter d'histoires. Or nous constatons ces sentiments dans les différents retours des associations ; il semble que cette initiative les agace. Les maires et les présidents des conseils départementaux et régionaux n'ont pas besoin que l'État leur promette le Grand Soir institutionnel. Ils n'ont pas davantage besoin d'effets d'annonce. Il leur faut plutôt des marges de manœuvre,…
Mme Françoise Gatel, ministre. Oui.
Mme Ghislaine Senée. … de la visibilité, de la stabilité financière, des moyens humains et des outils juridiques clairs.
Le Gouvernement doit avancer sur ces sujets, car, depuis dix ans, la décentralisation est moins en panne qu'en recul. Suppression de la taxe d'habitation, compensations via des fractions de TVA, contrats de maîtrise des dépenses, perte d'autonomie fiscale et financière, reprise en main des préfectures : c'est une recentralisation silencieuse, mais profonde, qui s'est réalisée.
Le projet de loi de finances pour 2026 contient encore une ponction, de 6 milliards à 7 milliards d'euros, sur les budgets locaux, à laquelle s'ajoutent 1,2 milliard de charges nouvelles liées aux cotisations retraite de la CNRACL. Ces coupes signifient moins de rénovations d'écoles, moins de lignes de bus, moins de réseaux de chaleur, moins d'investissements pour s'adapter aux effets du dérèglement climatique et les prévenir, autrement dit moins de transition écologique, moins de résilience et des carences fatales dans la préparation de l'avenir.
Pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, la décentralisation ne se limite pas et ne peut pas se limiter à des répartitions de compétences ou à une remise à plat des agences et des opérateurs. Personnellement, je me méfie toujours du " pragmatisme ", du " bon sens " auquel vous avez fait plusieurs fois référence, madame la ministre.
La décentralisation est, au contraire, un projet politique et démocratique fondé sur la subsidiarité, la coopération et, surtout, la confiance. Nous aussi, nous revendiquons un fédéralisme différencié. Nous défendons des régions fortes, autonomes, capables de planifier, de coordonner, d'accompagner et de mettre en œuvre les politiques de mobilité, d'aménagement du territoire, de formation et d'adaptation au changement climatique.
Nous défendons un bloc communal tout aussi fort, car beaucoup se joue au sein de ces collectivités : rénovation des logements, mobilité du quotidien, accès à la nature, circuits alimentaires, tissu associatif. À cette échelle, les transitions deviennent concrètes, vécues et partagées. Or les communes et intercommunalités doivent composer avec des appels à projets illisibles, une ingénierie insuffisante, des financements instables et des injonctions contradictoires. C'est, en fait, l'inverse de la subsidiarité…
Permettez-moi de faire un zoom sur la transition écologique. Les alertes des associations d'élus rejoignent celles que mon groupe formule depuis plusieurs années : sans investissement local, la France s'écartera de la trajectoire climatique qu'elle s'est fixée. Pour avancer, il faut changer de méthode, clarifier les compétences, construire la transition avec les territoires, sortir de la logique de guichet et sécuriser les ressources.
La décentralisation n'existe pas sans autonomie fiscale et financière. Restaurer un véritable pouvoir de taux, donner aux régions des ressources dynamiques, comme une part modulable de l'impôt sur les sociétés, garantir aux départements une ressource stable, telle une fraction de la CSG, indexer les dotations sur l'inflation et compenser intégralement les transferts de charges : ce sont non pas des revendications techniques, mais bien les conditions mêmes de l'existence et de l'efficacité de l'action publique locale.
J'ajoute ceci : la décentralisation doit être un progrès démocratique et non une régression. On ne redonne pas du pouvoir aux territoires en concentrant davantage les responsabilités entre les mains de quelques-uns. Aussi, le retour du cumul des mandats serait un contresens, une manière de verrouiller la vie politique locale au lieu de l'ouvrir. La transition écologique exige de la proximité, de l'écoute et de la disponibilité. Elle ne se pilote ni à distance ni à temps partiel.
Mon groupe exige, à tout le moins, de faire cesser les ponctions sur les collectivités, de sanctuariser un fonds consacré à la transition écologique territoriale, avec une trajectoire définie et une réelle croissance pluriannuelle de ses ressources, et d'engager la restauration progressive d'une véritable autonomie financière locale. La transition écologique ne réussira pas sous tutelle. Elle exige de la confiance, de la clarté et de la démocratie.
Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Ghislaine Senée. Les collectivités sont prêtes à prendre leurs responsabilités, à l'État de prendre les siennes. Qu'il desserre le garrot et leur donne les moyens et la liberté d'agir ! (M. Simon Uzenat applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. Madame la sénatrice Senée, la situation politique est très fragile, chacun le sait, et l'état financier et budgétaire de notre pays est très grave. Ce dernier constat nous concerne tous, tant les collectivités que nos concitoyens. Faut-il pour autant rester immobile ? Un cycliste qui arrête de pédaler finit par chuter !
Madame la sénatrice, nous sommes d'accord : ne confondons pas l'horizon, c'est-à-dire l'amélioration de l'organisation de notre pays, et le temps du redressement des finances. Aussi, si ce projet de loi de finances n'est pas, je le répète, un budget d'austérité, il doit néanmoins être frugal pour permettre au pays de se rétablir et d'avoir un avenir.
Vous affirmez, madame la sénatrice – je l'entends bien volontiers –, que les paroles du Premier ministre sur la décentralisation engendrent de la colère et de l'incompréhension. Pour ma part, j'ai aussi perçu de l'envie de la part des élus. Je serais heureuse que nous arrivions à débattre du sujet et que nous avancions en nous appuyant sur tout le travail effectué par le Sénat. Nous le devons à nos concitoyens et aux élus locaux.
Je n'ai jamais promis de Grand Soir. J'ai même indiqué tout à l'heure détester les Grands Soirs, parce qu'ils ne font que laisser place, pour rester polie, à de petits matins blêmes… Je souhaite appliquer les décisions du Premier ministre, c'est-à-dire définir qui est responsable de quoi, comment on s'y prend et avec quels moyens. Il me semble que nous sommes d'accord là-dessus.
En ce qui concerne les appels à projets, l'État les a largement supprimés ou, en tout cas, les a considérablement encadrés.
En revanche, je partage vos propos sur les injonctions contradictoires. Ayant été maire, comme nombre de sénateurs, je me souviens d'avoir un jour franchi les portes de six bureaux pour un projet et d'en être ressortie avec cinq consignes différentes et une terrible migraine… Renforcer les pouvoirs du préfet de département signifie simplifier, en assurant l'accompagnement de l'État. Par conséquent, madame la sénatrice, je pense, une nouvelle fois, que nos analyses se rejoignent.
En ce qui concerne la transition écologique,…
Mme la présidente. Il faut conclure, madame la ministre.
Mme Françoise Gatel, ministre. … l'État a mis en place les contrats pour la réussite de la transition écologique (CRTE), afin que chaque territoire ait son propre projet en la matière.
Mme la présidente. La parole est à Mme Ghislaine Senée, pour la réplique.
Mme Ghislaine Senée. Le problème, ce n'est pas que le cycliste reste immobile, c'est que, dans certains territoires, il n'a même plus de vélo ! En effet, sans autonomie financière, pas de décentralisation, tout le monde le sait.
Dès lors, le débat sur la décentralisation, aussi intéressant soit-il, peut être considéré comme un moyen d'occuper le terrain de la part du Premier ministre et, à ce titre, vous faites très bien votre travail, madame la ministre. Néanmoins, la réalité est qu'il faut se donner les moyens d'agir.
Nous nous retrouverons pour en discuter lors de l'examen du PLF.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-François Longeot. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, décentraliser est à la fois nécessaire, souhaité et attendu. Toutefois, comment y parvenir lorsque tout le monde fait tout et que personne ne sait plus vraiment qui est responsable de quoi ?
Le transfert de compétences vers l'échelon local est une avancée essentielle, à condition que celles-ci ne soient pas morcelées entre deux échelons et six acteurs différents ! La complexité du millefeuille administratif a un coût : 7,5 milliards d'euros par an. Dès lors, une clarification est tout aussi nécessaire, tout autant souhaitée et peut-être même encore plus attendue que la décentralisation. Réduire ce millefeuille administratif reviendrait à trancher le nœud gordien qui entrave toute véritable politique de décentralisation.
Il est plus que jamais nécessaire, dans cette optique, d'appliquer enfin le principe « Une norme créée, une norme supprimée ». (Mme la ministre acquiesce.) Plus encore, il faut s'assurer que la norme créée n'ajoute pas pour les collectivités de la complexité à la complexité. Pour ce faire, il convient, par exemple, de faciliter les possibilités de saisine du Conseil national d'évaluation des normes.
Madame la ministre, comment le Gouvernement entend-il concrètement réduire le nombre de strates, clarifier les compétences et " désembrouiller " ce millefeuille administratif ?
Les filières à responsabilité élargie du producteur sont, elles aussi, victimes d'un archipel de réglementations : celles-ci sont souvent conçues en silos, sans vision d'ensemble.
Comme le préconisent justement nos collègues Marta de Cidrac et Jacques Fernique dans un excellent rapport d'information sur l'économie circulaire, il est urgent de bâtir une " stratégie industrielle interministérielle " claire et déclinée de façon cohérente à l'échelon régional.
Pourtant, pour que les régions soient capables d'assumer ce rôle, encore faut-il leur en donner les moyens. Le fonds Économie circulaire pourrait devenir le bras armé de ces collectivités, en cogestion avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) : à l'État la stratégie, aux territoires l'action. En effet, la décentralisation ne vaut que si elle s'accompagne de la confiance – ce mot a été évoqué plusieurs fois, faire confiance aux élus est primordial – et des moyens nécessaires aux administrations compétentes pour appliquer les politiques dont elles ont la charge.
Madame la ministre, la décentralisation vers les régions des financements de l'économie circulaire fera-t-elle partie de l'acte IV annoncé par M. le Premier ministre ?
Enfin, décentraliser, c'est avant tout rapprocher le pouvoir du citoyen. Ce principe fondateur n'a de sens que s'il s'accompagne du plein exercice des libertés locales. Pourtant, force est de constater que plusieurs réformes récentes ont contribué à affaiblir progressivement cet exercice, réduisant ainsi la capacité des élus à agir librement au nom de leurs administrés.
La suppression totale de la taxe d'habitation sur les résidences principales l'illustre parfaitement. Elle a eu un double effet néfaste : d'une part, elle a distendu le lien civique et concret entre le citoyen et sa collectivité ; d'autre part, elle a réduit l'autonomie financière des communes, qui, désormais, dépendent principalement de dotations ou de compensations décidées par l'État.
Il est temps de resserrer ce lien, de rendre aux collectivités les moyens de leur liberté et de faire confiance à l'expertise des élus, ancrés dans la réalité de leur territoire. Cela passe par la réaffirmation de l'autonomie fiscale comme un véritable pilier de notre République. Pourquoi ne pas l'ériger en principe constitutionnel, au même titre que la libre administration des collectivités territoriales ? Ce serait là un signal fort de confiance, en faveur de la responsabilité et de la vitalité démocratique locales.
Madame la ministre, comment le Gouvernement entend-il redonner aux collectivités les moyens réels de leur liberté ? Prévoyez-vous de réaffirmer leur autonomie fiscale ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. Monsieur Longeot, nous construirons ensemble cette nouvelle phase de décentralisation, y compris sous l'angle financier. Comme je l'ai indiqué précédemment, nous ne réformerons pas d'une manière pertinente et structurelle le financement des compétences exercées par les collectivités au travers d'un projet de loi de finances.
Reprenons vos questions l'une après l'autre.
Vous m'interrogez sur la décentralisation du financement de l'économie circulaire, autre sujet sur lequel nous travaillerons ensemble. Il faut de la cohérence : puisque les régions ont pour attribution le développement économique, ne doivent-elles pas avoir également la charge de la formation et de l'emploi ?
En partant non pas des attributions actuelles, mais des services à rendre, déterminons quelle échelle est la plus adaptée aux objectifs, quelles collaborations envisager et comment fournir des moyens cohérents par rapport aux compétences, de telle sorte que ces dernières soient assurées efficacement.
Je vois d'ici les débats que nous aurons, car les avis divergent de manière nette, comme vous avez pu le constater au cours de ce débat. Certains suggèrent de doter tous les niveaux de collectivité de la clause générale de compétence, d'autres souhaitent un chef de file par sujet, pour mieux comprendre qui fait quoi. Comme vous le voyez, le sujet n'est pas simple…
En matière de simplification, je proposerai au Premier ministre une démarche, d'ailleurs lancée par le Sénat, l'exigence de l'évaluation et d'allégement des normes. Ainsi, nous pouvons nous guérir de cet afflux de règles contradictoires, qui nous coûte cher et nous empêche d'agir.
Pour reprendre une recommandation d'un rapport d'information que Rémy Pointereau et moi avions " commis " quand je siégeais sur vos travées, je souhaite que l'examen de tout projet de loi soit précédé d'une étude d'options, avant même la réalisation d'une étude d'impact : avons-nous vraiment besoin de rédiger un texte sur le sujet envisagé ? Il faudrait en outre intégrer aux textes du Gouvernement et du Parlement des " clauses guillotines ", comme on les appelle en Angleterre, qui instaurent une norme pour une durée déterminée, quatre ou cinq ans.
Mme la présidente. Il faut conclure, madame la ministre.
Mme Françoise Gatel, ministre. Cela oblige à l'évaluer et éventuellement à la corriger.
M. Jean-François Longeot. Merci !
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Allizard. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Bitz applaudit également.)
M. Pascal Allizard. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, aborder les questions de décentralisation au moment où s'ouvrent les difficiles discussions budgétaires et à la veille d'une année électorale 2026 importante pour les collectivités territoriales nous offre l'occasion de mettre en lumière certains sujets préoccupants, qui ont été développés depuis presque une heure.
Chacun d'entre nous constate dans le département dont il est le représentant les difficultés quotidiennes des collectivités, en particulier des plus modestes. Lorsque nous sommes sur le terrain, nous voyons aussi l'affaiblissement progressif des services déconcentrés de l'État dans les préfectures ou les sous-préfectures, souvent par manque de moyens.
À quelques jours du congrès des maires, les questions budgétaires préoccupent les élus. Les finances du pays sont fortement dégradées et doivent être redressées au plus vite. Les collectivités assurent une part significative de l'investissement public ; aussi, en fragilisant ces leviers, des pans entiers de l'économie du territoire sont affectés.
Au-delà des restrictions budgétaires, n'est-ce pas en réalité à une forme de recentralisation financière de la part de l'État que nous assistons ? Les élus et leurs associations s'en inquiètent à juste titre.
De plus, les règles imposées entravent leur action. Voilà des années que les élus locaux entendent des discours volontaristes sur la réduction des normes. Pourtant, l'État dicte aux collectivités non seulement ce qu'elles doivent faire, mais aussi comment elles doivent le faire. Ce n'est plus possible.
Le cas du " zéro artificialisation nette " (ZAN) est emblématique des complexités actuelles. La mise en œuvre de la garantie communale d'un hectare suscite de nombreuses interrogations et les interprétations de l'administration varient d'un département à l'autre, d'une administration à l'autre. J'ai adressé, madame la ministre, une question écrite à l'un de vos collègues et j'ai eu – c'est fantastique ! – une réponse de mon préfet ! Ce procédé est totalement décourageant…
Les élus, notamment ceux de la ruralité, ont donc le sentiment de perdre la maîtrise de l'avenir de leur collectivité. Or les habitants de ces territoires veulent faire des projets et il ne s'agit nullement – vous le savez bien – de faire de ces territoires une réserve naturelle pour urbains en mal de campagne.
Quarante années après les premières lois de décentralisation, l'échelon local a connu des évolutions positives – il faut tout de même le rappeler –, mais l'accumulation des difficultés pèse sur l'avenir.
Aussi, je souhaite savoir, madame la ministre, comment le Gouvernement entend lever ces irritants pour donner un nouvel élan à la décentralisation, clarifier les compétences et restaurer une confiance, qui a été altérée, dans la relation État-collectivités. (M. Jean Sol applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. Monsieur le sénateur Allizard, votre question porte sur deux sujets : d'une part, les normes et, comme on dit, l'enchevêtrement des compétences ; d'autre part, le ZAN.
Commençons par ce dernier point. Je sais à quel point le Sénat a mis en avant l'absence d'étude d'impact préalable à l'adoption du ZAN – dispositif qui porte un nom un peu étrange… – et je connais la difficulté de définir un objectif de frugalité foncière, auquel nous souscrivons d'ailleurs tous, de manière uniforme.
La Haute Assemblée a œuvré à la révision de cette définition via la proposition de loi visant à instaurer une trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus locaux (Trace), dont l'inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale est annoncée, semble-t-il, même si les points de vue sur ce texte divergent. Je rencontrerai les sénateurs et les députés pour en discuter ; j'espère que nous cheminerons ensemble. C'est l'intérêt de tous.
Ensuite, en ce qui concerne les normes, qui sont produites par les règlements mais aussi les lois, il faut que leur accumulation cesse. Chacun d'entre vous connaît l'excellent rapport de Boris Ravignon sur le sujet : le coût net des normes pour les seules collectivités entre 2009 et 2023 dépasse 14 milliards d'euros. Certaines de ces normes sont très utiles, mais nous pourrions peut-être nous passer d'une partie des autres. Chaque année, le flux de normes, c'est-à-dire l'adoption de nouveaux textes, représente une dépense supplémentaire de 2 milliards à 3 milliards d'euros.
Il nous faut donc tous faire preuve de frugalité normative. Veillons à ce que les règles qui sont édictées n'empêchent pas l'action, ne la ralentissent pas et n'engendrent pas de coûts supplémentaires.
Par conséquent, comme je l'ai répété tout au long de l'après-midi, je souhaite vraiment que l'État suive les préconisations du Sénat : il faut travailler davantage avec le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) pour s'attaquer au stock de normes et alléger les contraintes, afin de retrouver une capacité d'action et de gagner en rapidité.
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Allizard, pour la réplique.
M. Pascal Allizard. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse. Je vous remercie également d'avoir cité précédemment Deauville et Honfleur ; en tant que Calvadosien, je ne peux pas ne pas le relever !
Plus sérieusement, les chiffres de 2024 sont tout de même extrêmement inquiétants : la production normative de cette année-là représente près de 450 millions d'euros de dépenses supplémentaires pour les collectivités. Le sujet est donc toujours d'actualité. Il faut vraiment mettre fin à ce mouvement…
Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Briquet. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Isabelle Briquet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, depuis plus de quarante ans, la décentralisation constitue l'un des piliers de notre démocratie. Elle repose sur un principe fondamental : la libre administration des collectivités territoriales. Toutefois, ce principe n'a de sens que s'il s'accompagne d'une véritable autonomie financière permettant aux collectivités d'exercer leurs compétences avec responsabilité et visibilité.
Or force est de constater que cette autonomie est gravement fragilisée. En trois ans, l'épargne nette des collectivités a chuté de 40 %. Une telle dégradation de leur autofinancement compromet directement leur capacité d'investissement, au moment même où l'État leur demande d'accélérer la transition écologique, la rénovation énergétique ou la modernisation de leurs équipements publics.
Le contraste est saisissant entre les déclarations politiques et la réalité budgétaire. Le Premier ministre affirme vouloir renouer la confiance avec les territoires, restaurer la proximité et inaugurer un nouvel acte de décentralisation, mais le PLF 2026 consacre, en réalité, une logique inverse : une recentralisation financière et une dépendance accrue des collectivités aux dotations d'État. Cela a été largement évoqué lors du précédent débat.
Dans ces conditions, comment parler de confiance ? Comment évoquer un nouvel acte de décentralisation, alors que les leviers fiscaux locaux disparaissent les uns après les autres ? Cette situation pose une question institutionnelle de fond : peut-il y avoir libre administration sans autonomie fiscale ?
Depuis plusieurs années, le financement des collectivités est de plus en plus contraint. Les réformes successives, comme la suppression de la taxe d'habitation ou la diminution des impôts de production, ont eu pour effet de nationaliser les recettes locales. Il n'existe pas de véritable autonomie si la collectivité ne dispose d'aucun levier fiscal pour ajuster ses ressources en fonction de ses charges.
Madame la ministre, cette situation conduit mon groupe à poser une question claire : le Gouvernement envisage-t-il un retour vers une fiscalité locale adaptée à chaque strate de collectivité, permettant de renouer le lien entre décision, financement et responsabilité ? C'est à cette seule condition que nous pourrons redonner sens à la libre administration et restaurer la confiance des élus locaux, qui sont les premiers partenaires de l'État dans la mise en œuvre des politiques publiques.
Un nouvel acte de décentralisation se bâtira non pas sur des promesses verbales et des transferts sans moyens, mais sur la clarté, la stabilité et la responsabilité. Les collectivités territoriales ne sont pas un appendice budgétaire de l'État, elles en sont le socle opérationnel. C'est pourquoi nous appelons le Gouvernement à ouvrir sans tarder un chantier sur la refondation de la fiscalité locale, en lien étroit avec les associations d'élus et le Parlement, afin que chaque niveau de collectivité dispose à nouveau de ressources propres adaptées à ses compétences. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. Madame la sénatrice Isabelle Briquet, je vous remercie de votre intervention. Je le répète, le temps budgétaire que nous vivons est celui du redressement, parce que nous partageons tous une ambition : non seulement maîtriser la dépense publique, mais aussi s'assurer qu'elle soit parfaitement utile. Nous devons garantir, pour l'avenir, le fonctionnement de nos services publics.
J'y insiste, sans cette étape de redressement des finances publiques – elle est désagréable, je l'entends –, nous ne pourrons plus assurer le financement des services de l'État et des collectivités. Nous visons un horizon, mais, au préalable, ce passage à gué est nécessaire.
Comme j'ai déjà eu l'occasion de l'indiquer, chacun reconnaît et affirme la nécessité d'une réforme des finances locales, parce que nous n'avons pas cessé d'y coller des rustines et d'y introduire de l'incohérence.
Prenons l'exemple des départements. Leurs dépenses sont, pour l'essentiel, d'ordre social : ces dépenses représentent pratiquement 70 % de leurs charges, sont fixes et ne cessent de s'alourdir. Face à cela, ces collectivités ont comme recettes les droits de mutation à titre onéreux, qui constituent une sorte de levier fiscal. Tant que le montant de ces droits progressait, tout le monde était content et l'on n'entendait personne protester ; seulement, les DMTO étant devenus volatils avec la crise de l'immobilier, les ressources sur lesquelles s'appuyaient les départements pour financer leurs dépenses sociales se sont évanouies.
Dès lors, je reviens à votre propos sur la cohérence entre la compétence et la ressource. Éric Woerth explique très bien dans son rapport qu'il serait plus logique que les départements reçoivent une part de l'impôt national qu'est la CSG. Ce dernier est plus fiable, car fondé sur des recettes structurelles.
Enfin, j'y insiste avec beaucoup de sincérité : les collectivités locales ne sont ni les commis ni des appendices de l'État.
Mme la présidente. Il faut conclure, madame la ministre.
Mme Françoise Gatel, ministre. Ce sont des acteurs essentiels pour la cohésion sociale.
Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Briquet, pour la réplique.
Mme Isabelle Briquet. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse. Nous avons déjà eu l'occasion d'échanger sur le sujet, mais nos discussions ne font que commencer.
En effet, si les prises de décision locales ne sont plus possibles, faute de marge de manœuvre, alors, plutôt que de " décentralisation ", il faudra parler de " déconcentration ". Ce sera plus clair, même si ce n'est pas du tout ce que nous souhaitons… (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Chaize. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Patrick Chaize. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, alors que le Président de la République a plutôt œuvré dans le sens d'une recentralisation depuis 2017, le Premier ministre appelle à un acte IV de la décentralisation. Eu égard à cette annonce, je rappelle une réalité simple : nous arrivons au bout du modèle actuel d'organisation et de financement des collectivités. Pourtant, dans le contexte politique fragmenté que nous connaissons, il serait illusoire d'attendre un grand bouleversement institutionnel.
Pour avancer, il suffit, me semble-t-il, de réaffirmer quelques principes fondamentaux.
Tout d'abord, il faut mettre l'accent sur la place du département. Depuis plus de deux siècles, celui-ci est un pilier de l'action publique de proximité, au même titre que la commune et l'État. Il est présent dans la vie quotidienne des Français, où qu'ils vivent. Il faut donc cesser d'agiter régulièrement la menace de sa disparition ou de la recentralisation.
Les réalités territoriales sont diverses, parfois au sein d'un même département. C'est pourquoi il faut instaurer un véritable droit à la différenciation. Le département doit pouvoir adapter ses politiques à son territoire plutôt que d'être réduit à un rôle de guichet social.
Ensuite, la libre administration des collectivités doit être pleinement respectée. Toute décision nationale qui affecte les finances locales doit être concertée et, si nécessaire, compensée à l'euro près. Sans cela, il n'y a ni autonomie ni responsabilité.
De même, il est temps de rétablir une véritable autonomie fiscale, afin de redonner du sens au lien entre l'impôt, l'action publique et nos concitoyens. La déconnexion actuelle entretient incompréhension et défiance.
Par ailleurs, l'État doit se recentrer sur ses fonctions régaliennes, notamment la sécurité.
Pour le reste, faisons confiance aux collectivités. Elles savent agir, elles connaissent les besoins du terrain.
En réalité, le cœur du sujet n'est pas seulement la répartition des compétences. C'est – cela a été rappelé plusieurs fois cet après-midi – la confiance : la confiance dans l'élu local, dans la capacité des collectivités à organiser la vie de nos concitoyens, dans la force du terrain.
Notre pays ne souffre pas d'un manque de démocratie, mais il pâtit d'un État qui veut trop en faire, là où la réponse doit être locale, au moyen d'une autonomie fiscale et financière.
Dans un monde complexe, nous avons besoin de proximité, de souplesse et de liberté d'action. Redonner aux collectivités les moyens d'agir, ce n'est pas affaiblir la République, c'est la renforcer.
Dans ce contexte, que comptez-vous faire, madame la ministre, pour accorder, ou ré-accorder, votre confiance aux élus locaux ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. Monsieur le sénateur Chaize, votre dernière phrase résume parfaitement la situation. Pourquoi faut-il qu'il y ait de la confiance entre des partenaires et non plus un État qui délègue à des collectivités – lesquelles n'auraient pas leur mot à dire – l'exécution de ses compétences ? Parce qu'il y va de l'efficacité de l'action publique, jusqu'au dernier kilomètre. C'est la confiance de nos concitoyens que nous recherchons et que nous devons mériter.
D'abord, je partage votre analyse : il importe de définir le rôle de l'État, garant des fonctions régaliennes, mais également porteur d'une mission de péréquation, destinée à offrir à tous les territoires les moyens d'agir.
Ensuite, je le répète, je ne m'inscris nullement dans une logique de suppression d'un niveau de collectivité. Partons des services que nous avons à rendre et voyons qui est le mieux placé. Le Sénat a plutôt considéré, naguère, que les départements étaient une échelle intéressante pour mutualiser des réseaux. Nous l'avons vu sur le très haut débit, mais nous l'avons vu aussi sur l'eau et l'assainissement.
Quant à la recentralisation, elle doit aussi faire l'objet d'une discussion : lorsqu'un département doit exécuter, scrupuleusement, la compétence que l'État lui a confiée dans des conditions prédéfinies, pourquoi ne pas envisager une renationalisation ? Une expérimentation est d'ailleurs en cours concernant l'éventuelle renationalisation du revenu de solidarité active. Cela doit pouvoir fonctionner dans les deux sens. Il convient que nous nous interrogions sur ce point.
Enfin, un mot sur les normes : on en meurt ! Nous siégeons ici sous la protection de Portalis (Mme la ministre désigne de la main la statue du jurisconsulte, qui surplombe le fauteuil de la présidence.), qui disait : " Les lois sont faites pour les hommes, et non les hommes pour les lois. " La norme demeure nécessaire : nos concitoyens la réclament pour garantir leur sécurité et prévenir les risques, nous sommes d'accord, d'autant que la Constitution consacre le principe de précaution ; l'État s'y conforme donc. Toutefois, je le dis sans vouloir accabler quiconque, d'autant que je suis issue de cette maison, le législateur charge parfois la barque. Il nous revient donc aussi, quand nous élaborons la loi, d'accorder notre confiance aux élus et de reconnaître que le maire est aussi responsable qu'un parlementaire.
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Chaize, pour la réplique.
M. Patrick Chaize. Madame la ministre, je vous remercie de de votre réponse. Nous partageons, me semble-t-il, le même constat. Maintenant, si j'ose dire, " y a plus qu'à "… (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Françoise Gatel, ministre. Voilà !
Mme la présidente. La parole est à M. Simon Uzenat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Simon Uzenat. Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, pour reprendre l'intitulé du thème de notre débat, plus que jamais nous pouvons dire que la décentralisation est l'avenir.
Nos citoyens sont aujourd'hui en colère, voire défaitistes, face à l'impuissance publique. L'une des meilleures solutions est le pouvoir d'agir local et la libre administration de nos collectivités.
Vous l'avez dit, d'une certaine manière, face à la crise démocratique – nous en sommes tous conscients –, nous avons besoin de proximité, de reconnaissance, de différenciation. C'est le message que les citoyens nous adressent.
Pour cela, il faut un État qui se concentre sur le régalien, qui assure la péréquation pour garantir cette égalité républicaine et qui laisse aux collectivités territoriales la responsabilité de la vie quotidienne de nos forces vives : nos citoyens, nos associations, nos entreprises.
Je souhaite, madame la ministre, centrer mon propos sur quelques sujets que vous connaissez bien, vous qui avez été une parlementaire bretonne et qui restez bretonne dans l'âme.
Le premier point d'attention est l'autonomie, un sujet porté avec conviction par la région Bretagne en tant que collectivité, ainsi que par l'ensemble de ses élus. Cette autonomie s'entend de façon très large, mais en particulier dans sa dimension financière et fiscale.
Vous avez précédemment évoqué le nécessaire équilibre entre les dotations et le levier fiscal. Force est de constater que cet équilibre est aujourd'hui inexistant, puisque près de 80% des recettes réelles de fonctionnement et d'investissement, notamment des départements et des régions, procèdent de transferts financiers de l'État et que les paniers de recettes sont complètement déconnectés des compétences des collectivités. Vous avez cité à ce titre les départements, mais c'est vrai également pour les régions : celles-ci perçoivent des taxes sur les cartes grises ou sur l'essence, alors qu'elles doivent promouvoir les mobilités décarbonées…
Quelles mesures concrètes proposez-vous à cet égard ?
Mon deuxième point d'attention concerne le pouvoir réglementaire local, sujet que vous connaissez bien, madame la ministre. Très concrètement, il s'agit de faire confiance aux élus locaux. C'est tout le sens de la différenciation entre nos territoires : oui, une péninsule, un territoire de montagne, une île, présentent des réalités spécifiques, et, en matière de transition écologique, les mêmes solutions ne sauraient s'appliquer uniformément sur l'ensemble du territoire national.
Nous sommes aujourd'hui dans un entre-deux : la notion d'" autorité organisatrice " a été mise en avant, mais sa traduction concrète dans les faits tarde à se réaliser.
Nous évoquons les uns et les autres des actions concrètes. L'article 72 de la Constitution offre des pistes de travail. En outre, des propositions de loi constitutionnelle ont été déposées, mais, dans la période actuelle, nous aurons sans doute du mal à utiliser cet outil. Par conséquent, madame la ministre, quelles actions concrètes et urgentes le Gouvernement pourrait-il déployer pour que les élus puissent enfin voir se matérialiser cette confiance que nous entendons leur accorder ?
Ma dernière question, madame la ministre, porte sur la consultation démocratique tant attendue par les Bretons et par les habitants de la Loire-Atlantique, afin qu'ils puissent enfin donner leur avis sur le rattachement de ce département à cette région, reconstituant ainsi la Bretagne historique.
Mme Françoise Gatel, ministre. Ah !
M. Simon Uzenat. Nous estimons que cela doit être le fruit d'un processus démocratique. Les précédents gouvernements s'y étaient engagés, notamment en 2024. Prévoyez-vous enfin d'actionner les leviers pour que cette consultation puisse avoir lieu ? (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. Monsieur le sénateur Uzenat, il ne vous aura pas échappé, cela a été souligné précédemment, que l'existence du Gouvernement est très précaire, son espérance de vie est incertaine.
Nous avons la volonté d'avancer et d'aborder un certain nombre de sujets. Il faudra notamment entreprendre la révision constitutionnelle de l'article 72, afin de permettre la différenciation.
Pour ce qui est du pouvoir réglementaire local, c'est une vraie question, qui suscite à la fois de l'envie et de la peur. Je le rappelle, ce pouvoir réglementaire local est accordé aux communes depuis la loi du 5 avril 1884, mais il n'est pas très connu et il n'est pas utilisé. Depuis 1983, cette compétence est également accordée aux départements et aux régions. Ainsi, comme le dit le sénateur Chaize, " y a plus qu'à " ou presque.
Je veux en outre souligner la nécessité d'une cohérence entre les compétences et les ressources. Le panier de ressources doit permettre de faire face aux dépenses ; il faut donc des dotations adaptées et un levier fiscal. Il existe déjà une liberté d'agir, puisque, l'année dernière, vous avez décidé de permettre aux régions de percevoir un versement mobilité. Certaines régions s'en sont saisies, dont la Bretagne, mais pas toutes.
Vous m'avez enfin posé une question un peu centrée sur la Bretagne, mais il s'agit en réalité d'une vraie question de fond. C'est le maréchal Pétain qui a mis fin à la Bretagne à cinq départements : les quatre départements que nous connaissons aujourd'hui, auxquels s'ajoutait la Loire-Atlantique. Le rattachement de la Loire-Atlantique à la Bretagne est depuis longtemps un sujet de débat. Cela aurait sans doute une certaine cohérence, mais, sans modifier ma position personnelle sur le sujet, cette question exige un traitement responsable ; on ne saurait rattacher un département à une région sans s'interroger sur l'avenir les départements qui demeurent dans la région d'origine. Parlons-en.
Mme la présidente. La parole est à M. Simon Uzenat, pour la réplique.
M. Simon Uzenat. Nous avons beaucoup parlé de confiance. Or la confiance repose sur le respect de la parole de l'État, laquelle est aujourd'hui gravement mise en cause.
Nous le constatons notamment à la lecture du projet de loi de finances, madame la ministre. Lorsqu'il est question d'une compensation à l'euro près, puis que l'on y revient, notamment au travers du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée, les règles du jeu se trouvent modifiées en cours de mandat. Une telle instabilité ne favorise pas la confiance. Il faut de la cohérence entre la parole et les actes et nous en sommes pour l'instant très loin.
Vous évoquiez un budget de redressement, madame la ministre. Oui, le redressement s'impose, mais il ne faudrait pas que le remède soit pire que le mal, car, en l'occurrence, vous vous attaquez à l'un des moteurs essentiels de la croissance, du développement économique et du soutien à l'emploi local. Nous le réaffirmons, la préservation des moyens d'action des collectivités permet de soutenir le rebond économique, notamment via la commande publique.
Enfin, j'ai bien entendu votre remarque sur le versement mobilité régionale et rurale. Nous plaidons justement pour offrir un bouquet de solutions aux collectivités locales, notamment aux régions, via une taxe de séjour additionnelle. Libre à elles ensuite de choisir parmi des options. Ce dispositif existe pour la région Île-de-France ; nous souhaitons qu'il puisse s'appliquer à l'ensemble des régions françaises.
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Klinger. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Christian Klinger. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la décentralisation en France est un sujet complexe et récurrent, un vieux serpent de mer.
La France est marquée par un jacobinisme tenace, en vertu duquel Paris concentre pouvoir et ressources. La décentralisation se heurte à une méfiance historique envers les territoires. Cette complexité institutionnelle, la superposition des échelons et le chevauchement des compétences rendent le système illisible pour nos concitoyens.
Il est manifeste que, au plus haut niveau de l'État, à l'Élysée, la décentralisation n'est pas en odeur de sainteté. Il y règne plutôt un parfum de jacobinisme, avec une note florale persistante de narcissisme. Alors que le paquebot France croule sous la dette et que le bateau prend l'eau de partout, on s'enfonce tranquillement vers les abîmes, à 3 400 milliards sous les mers, tout en remarquant que les passagers se font séduire à tribord par la sirène Marine, qui promet un trésor de solutions qui n'existent pas, ou à bâbord par la sirène Mathilde qui nous conduit droit dans le panneau… (Sourires.)
Nous voyons bien que nous sommes à la fin d'un cycle, que le système actuel est à bout de souffle. Pour lui redonner de l'oxygène, il faut repenser notre organisation, ce qui passe inévitablement par une décentralisation aboutie. Pour cela il faut du courage, de l'audace et un mini big-bang territorial.
Certes, il faudra renverser la table, mais aussi faire confiance aux élus locaux, qui détiennent la solution.
Mon mentor en politique, Adrien Zeller, militait, lorsqu'il était président du conseil régional d'Alsace, pour le droit à l'expérimentation. Il disait, à juste titre, que l'Alsace était à la bonne échelle pour mettre en place de nouvelles politiques publiques, au plus près de nos concitoyens. Mais pour cela il faut oser : oser la différenciation, oser l'expérimentation, afin d'en tirer des conclusions sur ce qui fonctionne ou ce qui ne fonctionne pas.
Prenons l'exemple de la Collectivité européenne d'Alsace (CEA), qui est un premier pas vers la décentralisation. Créée par une loi de 2019, elle est née de la fusion des deux départements alsaciens, le Haut-Rhin et le Bas-Rhin, en une seule collectivité territoriale. Les deux départements ont été remplacés par une seule collectivité, qui exerce les compétences normalement dévolues aux départements, ainsi que certaines compétences de l'État, en disposant d'une marge de manœuvre accrue pour adapter les politiques publiques aux spécificités alsaciennes.
Nous sommes néanmoins restés au milieu du gué. En transférant d'autres compétences, comme celles de la région ou de l'État, nous aurions une décentralisation aboutie avec, enfin, la disparition d'une strate du millefeuille institutionnel, mais aussi, à la clé, de fortes économies de fonctionnement. Selon l'économiste Jean-Philippe Atzenhoffer, le transfert des compétences de la région vers la Collectivité européenne d'Alsace engendrerait une économie de fonctionnement de l'ordre de 100 millions d'euros par an.
Madame la ministre, les milliards que cherche le Gouvernement sont là : 100 millions d'euros à l'échelle alsacienne, imaginez le montant au niveau national !
La solution est donc dans la décentralisation, la simplification et la mise en œuvre des politiques publiques par les élus locaux.
Mme la présidente. Veuillez conclure.
M. Christian Klinger. Décentraliser, c'est faire des économies et reconnaître l'identité d'un territoire, tout en préservant l'unité républicaine.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. Monsieur le sénateur, la Collectivité européenne d'Alsace – je salut d'ailleurs Agnès Canayer, ici présente, qui fut rapporteur du texte qui l'a instituée – n'est pas une collectivité à statut particulier au sens de l'article 72 de la Constitution. C'est l'exemple même de la différenciation, fondée sur le fait que l'Alsace a une particularité, au-delà de son identité : elle est un espace frontalier.
C'est sur ce fondement que nous avons travaillé à la coopération transfrontalière, à la création de fédérations culturelles ou sportives à l'échelle de l'Alsace et au transfert des routes non concédées.
Ce que je vous propose, c'est de procéder à une évaluation de la mise en œuvre de ce texte ; la question sera ouverte. Je l'ai indiqué : nous ne nous orientons pas vers un Grand Soir de découpes et de copier-coller de territoires. Il n'empêche qu'il convient peut-être de revenir à une approche plus équilibrée.
En 2024, le Président de la République a indiqué qu'il fallait rouvrir la question des transferts de compétences, sans pour autant s'engager dans de grands jeux institutionnels.
Je rappelle toutefois que, depuis 2017, des avancées ont été réalisées avec la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS) – vous avez d'ailleurs participé à cette évolution –, ainsi qu'avec la loi relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique.
Je ne doute pas que ce débat se poursuivra.
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Klinger, pour la réplique.
M. Christian Klinger. Effectivement, l'Alsace est un véritable terrain de jeu, qui pourrait encore recevoir quelques compétences supplémentaires. Il conviendrait en effet de faire un bilan d'étape, afin de voir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.
Sabine Drexler, qui est aussi conseillère d'Alsace, peut en témoigner : les élus sont en attente de compétences accrues, mais évidemment avec les moyens correspondants.
Conclusion du débat
Mme la présidente. En conclusion de ce débat, la parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, mes propos seront un écho de nos débats.
Je me félicite de la richesse de nos échanges, qui témoignent à la fois de la diversité de nos opinions et de l'engagement du Sénat en faveur de la confiance entre l'État et les territoires. Une fois encore, je salue les travaux conduits ici, que Mme Agnès Canayer a rappelés avec justesse.
La question de la décentralisation n'est pas une question technique, elle touche au corps même du pacte républicain. Pourquoi décentralise-t-on ? Pourquoi déconcentre-t-on ? Pourquoi différencie-t-on ?
Vous l'avez rappelé tout au long de l'après-midi, la République repose sur deux piliers : l'État et les collectivités, qui doivent être responsables et en mesure d'agir pour offrir à nos concitoyens les services qu'ils attendent.
Les réformes successives ont souvent engendré de la complexité ; à tout le moins, elles ont créé des irritants. Il a beaucoup été question de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République ; on a formaté la taille des collectivités et on a imposé des transferts de compétences, en faisant fi de la réalité des territoires. Depuis 2017, nous avons accompli plusieurs avancées, certes modestes mais réelles : la loi relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique, la loi 3DS, ainsi que le lancement de la simplification et de l'expérimentation.
Il importe néanmoins de réaffirmer un cadre clair de responsabilités partagées. Il n'y a pas un donneur d'ordre et des sous-traitants ; il y a des partenaires, qui doivent travailler ensemble pour renforcer l'efficacité de l'action publique. Nous devons définir un horizon, indépendamment de la durée de vie des gouvernements, afin d'avancer, de progresser, de retrouver la confiance, tout en traversant le gué du déficit budgétaire, qu'il convient de prendre plus que jamais en considération si nous nourrissons des ambitions fortes.
Je terminerai sur un point auquel je tiens : l'engagement résolu dans la chasse aux normes inutiles, ou du moins leur évaluation systématique.
Je vous remercie de la qualité de nos échanges et de la pertinence de vos observations. Ce débat marque le commencement d'un travail que nous mènerons, à la demande du Premier ministre, en parfaite synergie avec vous, avec les élus locaux, via leurs associations, et avec l'ensemble des partenaires concernés.
Source https://www.senat.fr, le 25 novembre 2025