Interview de M. Jean-Pierre Farandou, ministre du travail et des solidarités, à France Inter le 9 décembre 2025, sur le vote du projet de loi de financement de la sécurité sociale à l'Assemblée nationale, les conséquences économiques et sociales en cas de rejet et la proposition du Rassemblement National de rouvrir les maisons closes.

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Média : France Inter

Texte intégral

BENJAMIN DUHAMEL
Bonjour Jean-Pierre FARANDOU.

JEAN-PIERRE FARANDOU
Bonjour.

BENJAMIN DUHAMEL
Merci d'être avec nous ce matin sur France Inter, alors que s'ouvre une journée cruciale pour la France, mais aussi pour vous, puisque l'on saura ce soir si le budget que vous avez défendu, celui de la sécurité sociale, sera adopté ou pas. Ça va se jouer à quelques voix près. Juste avant de parler d'arithmétique, est-ce que vous savez qui a dit cette phrase hier soir, ouvrez les guillemets, "Nous avons un texte qui ne prépare pas l'avenir de nos enfants".

JEAN-PIERRE FARANDOU
Non, je ne sais pas qui a dit ça, vous allez me le dire certainement.

BENJAMIN DUHAMEL
Vous avez une idée ou pas ?

JEAN-PIERRE FARANDOU
Non, je n'ai pas d'idée.

BENJAMIN DUHAMEL
C'est Édouard PHILIPPE, chez nos confrères de LCI, qui demande à ses députés Horizons de s'abstenir. Comment est-ce que vous voulez convaincre les parlementaires qui ne sont pas de votre camp de voter ce texte, si ce même Édouard PHILIPPE a des mots aussi sévères sur le texte que vous défendez ? Je répète cette phrase, "Nous avons un texte qui ne prépare pas l'avenir de nos enfants".

JEAN-PIERRE FARANDOU
Oui, moi je pense que la journée, c'est une journée de mobilisation pour ceux et celles qui veulent donner un budget à la sécurité sociale, et qui veulent aussi un peu de stabilité politique dans notre pays. C'est exactement ce qu'on a entendu, les Français veulent de la stabilité, c'est aujourd'hui. Il faut se mobiliser, ce budget n'est pas parfait, bien évidemment, moi le premier, je vais le concéder. Pourquoi il n'est pas parfait d'ailleurs ? Parce que les députés n'ont pas souhaité retenir les mesures qui allaient dans le sens de la rigueur économique. Par exemple, sur le gel des pensions, nous, on l'a apporté, cette idée-là, elle n'a pas été retenue. On voit bien que les parlementaires ont adouci la copie initiale, c'est un équilibre qui a été trouvé, c'est le compromis.

BENJAMIN DUHAMEL
Et vous-même, Jean-Pierre FARANDOU, vous avez lâché quand même beaucoup de choses aux Socialistes, la suspension de la réforme des retraites, vous avez renoncé à doubler les franchises médicales, vous avez renoncé à geler les prestations sociales et les pensions de retraite, ce n'est pas seulement de la faute des autres, non, c'est aussi la vôtre.

JEAN-PIERRE FARANDOU
Ça s'appelle les compromis, c'est ça, ça ne vous a pas échappé, il n'y a pas de majorité à l'Assemblée nationale, il n'y a pas de 49.3 non plus, le Premier ministre n'a pas souhaité utiliser cet instrument, donc c'est le débat parlementaire, c'est les petits pas, c'est les compromis. Un compromis, par définition, c'est lâcher votre position de départ et faire un pas vers l'autre, et réciproquement.

BENJAMIN DUHAMEL
Mais il se trompe, Édouard PHILIPPE, quand il dit "Nous avons un texte qui ne prépare pas l'avenir de nos enfants" ? Ce n'est pas facile de répondre à cette question.

JEAN-PIERRE FARANDOU
Alors, après, ce budget de la sécurité social… Non, mais si, on y répond. On ne peut pas, dans un budget qui se prépare au dernier moment, faire des grandes réformes. Ça, ce n'est pas possible, d'autant plus que les conditions politiques ne s'y prêtent pas. Mais si, Édouard PHILIPPE, que j'estime beaucoup, d'ailleurs, vous savez, c'est grâce à lui que j'ai été président de la SNCF, il a proposé mon nom, au le président de la République, donc, vous voyez, j'ai la plus grande estime pour Édouard PHILIPPE, qui est homme d'État, à coup sûr, il faut des réformes, et les réformes, d'ailleurs, on les a engagées. Vous savez qu'on a lancé une conférence "Travail, emploi, retraite" pour s'occuper des retraites. Peut-être qu'il faudra s'occuper de la sécurité sociale aussi, mais ça, c'est dans le deuxième temps. D'abord, il faut passer ce budget très vite, donner un budget à la sécurité sociale pour les Français.

BENJAMIN DUHAMEL
Deux points d'arithmétique avec vous, Jean-Pierre FARANDOU. D'abord, j'imagine que vous avez des compteurs, des calculettes. Est-ce qu'en l'état, ça passe, ce soir, puisque c'est la question qu'on se pose depuis ce matin, 7 h ?

JEAN-PIERRE FARANDOU
Moi, vous savez, je suis très humble, on sait que ça sera serré.

BENJAMIN DUHAMEL
Mais est-ce que ce matin, c'est plutôt optimiste ?

JEAN-PIERRE FARANDOU
Non, non, je ne sais pas, c'est assez serré. La mobilisation, une fois de plus, sera déterminante. Moi, j'aimais l'image de rugby, vous savez, il y a une mêlée cet après-midi. Il faut que tous les copains viennent pousser avec nous dans la mêlée. En face, on a deux gros piliers décidés qui s'appellent le Rassemblement National et LFI. Ils vont pousser contre nous, parce qu'ils veulent le désordre. Ils utilisent ce vote contre pour créer des conditions de désordre politique et de crise politique. Ceux qui veulent la stabilité, et c'est un bon budget aussi, et je suis prêt à le défendre. C'est un budget où il y a des bonnes choses pour les Français. Donc vraiment, tout le monde doit se mobiliser pour venir pousser avec nous et gagner la mêlée cet après-midi.

BENJAMIN DUHAMEL
Et deuxième point d'arithmétique, est-ce que vous, le ministre du Travail et des Solidarités, pouvez nous dire où est-ce qu'on atterrit en termes de déficit de la sécurité sociale ? Puisque l'un des reproches qu'il vous est fait, c'est de dire qu'au fond, vous laissez dériver ce déficit de la sécurité sociale. Avec le texte voté dans sa version, où on en est en termes de déficit ?

JEAN-PIERRE FARANDOU
Oui, alors on commencera par se dire que s'il n'y a pas le vote, le déficit glisse à trente milliards l'année prochaine.

BENJAMIN DUHAMEL
Il glisse à trente milliards s'il n'y a aucun texte sur la sécurité sociale qui n'est voté sur toute l'année ?

JEAN-PIERRE FARANDOU
Oui, mais enfin on verra quand même, parce que si on n'y arrive pas maintenant, je ne vois pas pourquoi on n'y arriverait dans un mois ou deux quand même.

BENJAMIN DUHAMEL
Donc ce soir, on en est à combien ?

JEAN-PIERRE FARANDOU
On est autour de 23-24 milliards aujourd'hui, avant les transferts. On va faire des transferts qui sont normaux, donc on finira autour de 19, mais je le redis, si ça glisse... Donc au fond, même pour la rigueur, il vaut mieux quelque chose à 24 milliards qu'à 30 milliards. Même avec l'argument de la rigueur, 24 c'est mieux que 30.

BENJAMIN DUHAMEL
Et on précise des transferts, ça veut dire que c'est l'État qui va compenser pour la sécurité sociale. Je voudrais qu'on essaie de se projeter, Jean-Pierre FARANDOU, sur les conséquences de ce vote, d'abord sur la vie des Français. Vous avez dit que suivant, en cas de rejet du budget, il y aura une crise politique, économique et sociale. Concrètement, qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que le chômage va exploser, que les taux d'intérêt vont augmenter si le texte n'est pas voté ?

JEAN-PIERRE FARANDOU
Oui, je voudrais d'abord revenir sur les bonnes choses du budget.

BENJAMIN DUHAMEL
Oui, mais là, je vous pose une question sur s'il n'est pas adopté.

JEAN-PIERRE FARANDOU
Oui, mais s'il n'est pas adopté, il n'y aura pas les bonnes choses du budget.

BENJAMIN DUHAMEL
Donc ça veut dire quoi, une crise économique et sociale ?

JEAN-PIERRE FARANDOU
D'abord, au plan social, il y a l'amélioration de la retraite pour les femmes dans ce budget : les femmes du secteur privé et du secteur public. Il y a de nouveaux congés naissance pour les parents. Il y a de l'argent pour l'Hôpital et les EHPAD.

BENJAMIN DUHAMEL
Ce n'est pas la question que je vous pose, Jean-Pierre FARANDOU. Vous dites que ça sera la crise économique et sociale si le texte n'est pas voté. Concrètement, ça veut dire quoi ?

JEAN-PIERRE FARANDOU
Là, on en revient à la stabilité. C'est-à-dire que le fait que le budget ne soit pas voté, on voit bien qu'il peut créer les conditions d'une tension politique. C'est d'ailleurs ce que veulent LFI et le RN. Ils veulent créer les conditions d'une tension politique. Et on voit bien ce qu'ils veulent. Ils veulent la censure du Gouvernement. Ils veulent la dissolution du Parlement. Ils veulent de l'Assemblée nationale. Ils veulent la démission... Donc, on n'en est pas là. On n'en est pas là, mais forcément…

BENJAMIN DUHAMEL
Mais donc, si le texte n'est pas voté, crise économique et sociale, c'est inquiétant pour les Français qui écoutent ça ce matin.

JEAN-PIERRE FARANDOU
C'est un point qu'on donne à ceux qui veulent la crise, c'est ça. Moi, cet après-midi, je ne veux pas qu'on donne ce point-là à ceux qui veulent la crise. Il faut, au contraire, que ceux qui veulent la stabilité et éviter toute crise se réunissent et poussent ensemble cet après-midi.

BENJAMIN DUHAMEL
Jean-Pierre FARANDOU, il y a un an, quand il n'y a eu ni projet de loi de finances, ni projet de loi de finances de la sécurité sociale et une loi spéciale, il n'y a pas eu de crise économique et sociale en France ?

JEAN-PIERRE FARANDOU
Ah ben, vous savez, ça, on peut en parler. Au niveau économique, quand même, l'absence de budget, si on est très regardé, vous avez les taux d'intérêt qui vont augmenter, le fameux spread, l'écart de spread avec l'Allemagne qui va s'accroître.

BENJAMIN DUHAMEL
Donc, c'est ce qui va se passer si le budget de la sécurité sociale ne passe pas. Les taux d'intérêt vont augmenter.

JEAN-PIERRE FARANDOU
Et le PLF derrière, parce qu'on peut penser que si le projet de loi sur la sécu ne passe pas, je ne vois pas comment celui de l'État passerait. Quinze milliards d'un coup, ce n'est quand même pas négligeable.

BENJAMIN DUHAMEL
Donc, c'est ce que vous craignez si ce texte n'est pas voté ?

JEAN-PIERRE FARANDOU
Ah ben oui, je crains qu'on glisse sur une mauvaise pente, oui, effectivement.

BENJAMIN DUHAMEL
C'est important. Et puis, il y a les conséquences politiques. Le 13 octobre dernier, voilà ce que disait Sébastien LECORNU, ouvrez les guillemets : "Notre seule mission - c'était devant vous, ce qu'il disait - notre seule mission est de dépasser la crise politique". Si le budget est rejeté, c'est un échec du Premier ministre, il devra partir.

JEAN-PIERRE FARANDOU
Oh ben moi, je souhaite continuer à travailler, en tout cas. Vous savez d'ailleurs, et c'est aussi pour ça ce que disent les Français, on l'a entendu, les Français, ils veulent qu'on s'arrête de parler de budget, ils veulent qu'on conclue sur ce budget. C'est cet après-midi que ça se passe, ça tombe bien. Moi, j'ai plein de projets de loi qui sont prêts. J'en ai un contre la lutte contre la fraude fiscale, j'en ai un pour simplifier le système d'aide. On est prêts, mais si on ne fait que du budget, on n'y arrive pas. Laissez-nous travailler, donnez-nous un peu de stabilité pour travailler.

BENJAMIN DUHAMEL
Mais donc, vous avez, Jean-Pierre FARANDOU, oui mais donc, en fait, ce que je comprends, c'est que c'est pile je gagne, face tu perds. Ça passe, vous vous en faites l'idée, si ça ne passe pas, ben ce n'est pas grave et on continue de travailler. Et vous avez, comme vous me le dites ce matin, d'autres textes de loi en préparation.

JEAN-PIERRE FARANDOU
Ben oui, nous, on est prêts, on est prêts à travailler. Alors après, c'est des conditions politiques, elles seront appréciées le moment venu. Mais en tout cas, nous, ce qu'on souhaite, c'est avoir de la stabilité pour travailler pour les Français.

BENJAMIN DUHAMEL
Donc si le texte est rejeté ce soir, vous serez encore ministre du Travail et des Solidarités ?

JEAN-PIERRE FARANDOU
Ah ben moi, tant que je ne dis pas le contraire, je reste ministre du Travail et des Solidarités. Ce n'est pas moi qui décide, donc on verra. On appréciera la situation politique telle que se dessine. Il y a encore du travail, il y a encore le PLF comme ça a été indiqué. On verra. Moi, il me tarde que ça se termine, mais il n'y a pas que moi. Je crois que les Français aussi, ils sont lassés.

BENJAMIN DUHAMEL
Vous en avez marre de ces débats autour du budget, de siéger au banc ?

JEAN-PIERRE FARANDOU
C'est-à-dire qu'au bout d'un moment, ça fait presque deux mois qu'on y est, on va trois mois. Si on doit recommencer l'année prochaine, janvier, février, ça fera cinq mois. C'est presque une demi-année qu'on va consacrer au budget. Ce n'est pas possible. On a autre chose à faire à côté. Moi, par exemple, je rêverais de travailler sur l'emploi des jeunes, l'emploi des seniors, réduire les accidents du travail, m'occuper de la lutte contre la pauvreté, c'est ça qu'ils attendent les Français. Ce n'est pas qu'on passe la moitié de l'année à faire du budget.

BENJAMIN DUHAMEL
Pour terminer, Jean-Pierre FARANDOU, je voudrais vous soumettre cette proposition du Rassemblement National qui veut rouvrir les maisons closes. Alors, ils n'utilisent pas ce terme. Je vais citer Jean-Philippe TANGUY, le député RN, qui souhaite donc "Des lieux tenus par les prostituées elles-mêmes en mode coopératif", voilà l'expression qui est utilisée, ce qui pourrait passer par une proposition de loi. Comme ministre du Travail et donc aussi du plus vieux métier du monde, est-ce que vous êtes favorable à cette proposition de loi, rouvrir les maisons closes et en faire des espaces coopératifs tenus par les prostituées elles-mêmes ?

JEAN-PIERRE FARANDOU
Oui. Honnêtement, là, dans ce moment, je suis très concentré sur la sécurité sociale. Si Monsieur TANGUY veut poser un projet de loi, on le regardera tranquillement. S'il n'y a pas de réponse oui-non rapide, il faut regarder ce qu'il y a dans sa proposition. On verra. Moi, en ce moment, je suis très concentré pour finaliser le budget. Je le redis, cet après-midi, ça se passe, mobilisation générale pour donner enfin un budget à la sécurité sociale dans notre pays.

BENJAMIN DUHAMEL
Oui, mais, pardon Jean-Pierre FARANDOU, mais c'est un sujet important qui pose la question de savoir s'il faut donner un cadre aux travailleuses du sexe. On a des exemples autour de nous, en Belgique par exemple. Est-ce que, philosophiquement, l'idée de permettre aux prostituées de travailler dans des maisons closes qui pourraient améliorer leur sécurité, est-ce que c'est quelque chose, philosophiquement, qui vous paraît intéressant ?

JEAN-PIERRE FARANDOU
Je vois bien les sujets qui sont posés, ils sont sérieux. Mais je le redis, comme ils sont sérieux, il faut laisser le temps d'examiner la proposition de loi. Je ne la connais pas, laissons-la arriver, regardons-la. Et je le redis, s'il vous plaît, concentrons-nous aujourd'hui sur l'événement important, donnant un budget cet après-midi à la sécurité sociale.

BENJAMIN DUHAMEL
Merci beaucoup Jean-Pierre FARANDOU, qui veut à la fois se concentrer sur le budget, mais qui en même temps a hâte de ne plus en parler.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 10 décembre 2025