Interview de Mme Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, à Radio J le 9 décembre 2025, sur les discriminations, l'antisémitisme, 120 ans de la loi de 1905 de séparation des Églises et de l'État et le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026.

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Média : Radio J

Texte intégral

DAVID REVAULT D'ALLONNES
Bonjour Aurore BERGE.

AURORE BERGE
Bonjour.

DAVID REVAULT D'ALLONNES
Alors beaucoup de choses à examiner sur la situation politique, mais on va d'abord parler de quelques sujets liés à votre portefeuille ministériel, les discriminations. Et pour commencer, ce procès qui s'ouvre aujourd'hui devant le tribunal correctionnel de Nanterre. Une nourrice algérienne de 42 ans sous OQTF comparaît pour administration d'un produit nuisible avec la circonstance aggravante d'antisémitisme. Elle est accusée d'avoir versé des produits ménagers toxiques dans la nourriture et les boissons de la famille qui l'employait – les vins, les jus de fruits, le whisky, les pâtes – et quand elle a été interpellée, elle a dit aux policiers, je la cite : "Parce qu'ils ont de l'argent et le pouvoir." Qu'est-ce que ça vous inspire ?

AURORE BERGE
C'est la Justice qui déterminera. Mais je crois que la question évidemment de l'aggravation des faits par le fait d'antisémitisme semble en tout cas caractérisée, c'est-à-dire qu'on se retrouve avec le cœur même des préjugés antisémites, les mêmes préjugés antisémites qui ont conduit à l'enlèvement, la séquestration et l'assassinat d'Ilan HALIMI il y a 20 ans. C'est-à-dire qu'à partir du moment où on considère que des personnes sont ou seraient juives, ça veut dire qu'elles ont donc de l'argent et ça veut dire donc qu'il faut qu'elles en donnent plus, puisque c'était ça le sujet, c'était une augmentation salariale. Ça aurait pu conduire au pire, c'est-à-dire non seulement à une intoxication, mais peut-être au décès ou à des éléments irréversibles pour cette famille et peut-être même pour leurs enfants, donc c'est évidemment intolérable. Et c'est ce qu'on voit depuis le 7 octobre, c'est-à-dire qu'on a à la fois l'antisémitisme qui frappe. Un antisémitiste qui a violé une petite fille de 12 ans à Courbevoie. Et puis une forme d'antisémitisme d'atmosphère auquel on s'habituerait, auquel on voudrait nous habituer, et c'est là où il faut se dresser très clairement, et c'est là où il faut que la justice soit évidemment implacable.

DAVID REVAULT D'ALLONNES
Antisémitisme d'atmosphère, disiez-vous. Est-ce que vous estimez que La France Insoumise, qui a beaucoup exploité politiquement le conflit au Proche-Orient, contre Israël et le Hamas, a une responsabilité dans cet antisémitisme d'atmosphère ?

AURORE BERGE
Je crois qu'il y a une responsabilité écrasante de l'extrême gauche sur le risque de réenracinement de l'antisémitisme dans notre pays. C'est-à-dire que depuis le 7 octobre, on a vu que dans toutes nos démocraties, il y a eu un regain massif d'antisémitisme, toutes les démocraties, et la France n'ont pas été épargnées de ce point de vue-là, sauf qu'en France, on a en plus des partis politiques, un parti politique singulièrement ,qui a non seulement exploité et surfé sur l'antisémitisme, mais qui l'a presque légitimé, légitimé dans le fait que ça devenait l'obsession absolue, et c'est là où il faut assumer devoir les nouvelles formes d'antisémitisme. C'est-à-dire qu'il y a malheureusement celui auquel vous faisiez référence dans l'affaire juste avant, mais il y a les nouvelles formes d'antisémitisme, l'antisionisme, l'espèce de haine décomplexée d'Israël, et puis de cette obsession d'Israël.
Moi, j'ai vu quand même beaucoup de députés Insoumis qui passaient plus de temps, de manière très écrasante, à parler de la situation à Gaza qu'à parler de la France, des problèmes des Français, et donc à chercher à faire en sorte de diviser les Français au travers de ce qui s'y déroulait, oubliant le point de départ, oubliant le 7 octobre et les attentats terroristes, puisqu'ils n'ont jamais réellement reconnu que c'étaient des attentats terroristes.

DAVID REVAULT D'ALLONNES
C'était le caractère terroriste qui était plus ou moins occulté, effectivement. Beaucoup de polémiques sur l'antisémitisme également à l'université ces derniers mois. Des propos antisémites à la rentrée, on s'en souvient, sur des groupes WhatsApp d'étudiants, c'était à Paris 1. Un enterrement par les présidents d'universités d'un sondage réalisé par l'IFOP sur l'antisémitisme des enseignants qui avait été commandé par le ministère, la suspension d'un enseignant de Lyon 2, Julien THERY qui avait publié une liste de personnalités de génocidaires à boycotter, j'en passe, et des meilleurs ou des pires. Est-ce qu'il n'y a pas un problème dans l'université française aujourd'hui de ce point de vue ?

AURORE BERGE
Alors, en fait, il y a à la fois un problème structurant qui est les affaires que vous avez décrites, et en effet il y en a eu d'autres, et puis il y a un miroir sans doute déformant. C'est-à-dire qu'on l'a vu par exemple sur Sciences Po, parce que pendant des mois on a eu l'obligation de commenter ce qui s'y passait. On ne commente plus parce qu'on a un nouveau directeur qui agit et qui fait en sorte justement qu'il n'y ait pas de nouveaux faits.

DAVID REVAULT D'ALLONNES
Luis VASSY, pour ne pas le citer.

AURORE BERGE
Et je pense que c'est important aussi de dire quand les choses enfin sont rétablies tout simplement autour de valeurs républicaines. Mais miroir déformant, pourquoi ? Parce qu'à Sciences Po on commentait beaucoup, et c'était le fait d'une poignée d'étudiants qui occupaient, qui empêchaient les élèves d'accéder à des cours, qui créaient un climat absolument détestable, et qui souvent d'ailleurs n'étaient même pas de Sciences Po, mais qui venaient d'autres endroits. Donc il faut être lucide à la fois sur les tentatives d'entrisme et le fait que notre université est prise pour cible. Parce que quand vous arrivez à entrer dans le cœur même du savoir, de la manière avec laquelle les esprits sont supposés se former, être émancipés demain, vous vous dites que vous êtes au cœur du pouvoir d'aujourd'hui et de demain. Donc il faut être lucide là-dessus. Mais il faut aussi avoir un peu de recul pour comprendre que malgré tout, ça reste des faits qui sont, et heureusement d'ailleurs, extrêmement minoritaires, et le fait d'une poignée. Par contre, il faut être implacable. C'est ce qu'on a fait, c'est-à-dire qu'on a, par exemple sur ce professeur que vous évoquez à lui en deux, il y a une suspension immédiate à caractère provisoire de manière à justement ne pas prendre le risque d'attendre la décision de justice, puisqu'il y a aussi une procédure judiciaire. Il y a eu un article 40, un signalement au procureur de la République. On ne pouvait pas continuer et accepter que cet enseignant puisse continuer à enseigner au regard de ce qu'il avait fait. Et puis on a changé la loi. Donc ça c'est aussi important de dire que la loi a été modifiée justement pour que la question des sanctions soit beaucoup plus rapide et beaucoup plus efficace.

DAVID REVAULT D'ALLONNES
Alors nous commémorons aujourd'hui les 120 ans de la loi de séparation des églises et de l'État, la fameuse loi de 1905. À quel point est-elle menacée aujourd'hui ? À quel point la laïcité est-elle menacée selon vous ?

AURORE BERGE
Déjà elle est de moins en moins comprise et donc elle est de plus en plus contestée. On voit bien à quel point aujourd'hui certains cherchent à détourner le principe même de laïcité, qui est pourtant pour nous un principe cardinal, parce que c'est sans doute le principe duquel découlent tous les autres. Sans la laïcité, il n'y a pas d'égalité possible en droit, il n'y a pas de liberté et d'émancipation possible, il n'y a sans doute plus non plus de fraternité qui soit possible dans notre pays. Et c'est de plus en plus contesté parce que…

DAVID REVAULT D'ALLONNES
Mais par qui ?

AURORE BERGE
En fait des deux côtés, des deux bords si vous voulez, parce qu'on a une polarisation qui est de plus en plus grande. Et donc vous avez à la fois ceux qui expliquent que la laïcité, au lieu d'être ce qu'elle est, c'est-à-dire une liberté, une protection, devient une arme à l'encontre de certains de nos concitoyens. Ça c'est du côté de l'extrême gauche.

DAVID REVAULT D'ALLONNES
Qui explique que la liberté "serait islamophobe", c'est ça ?

AURORE BERGE
Oui c'est ça, c'est-à-dire qu'on veut intérioriser l'idée, on veut dire aux Français et notamment à nos compatriotes musulmans : "La République ne veut pas de vous, la République ne vous aime pas, la République veut vous exclure et regardez ce principe de laïcité justement est fait aujourd'hui et est brandi aujourd'hui pour mieux vous mettre à l'écart." Ce n'est évidemment pas ce que, nous, on porte dans la République, donc ça c'est pour l'extrême gauche. Et puis il y a l'autre côté de forme de mâchoire, de tenaille identitaire de l'extrême droite qui abuse du principe de laïcité uniquement à l'encontre d'une partie de nos concitoyens et qu'il n'y a pas du tout la vision…

DAVID REVAULT D'ALLONNES
Les musulmans, pour ne pas les citer.

AURORE BERGE
Exactement… Et qu'il n'y a pas du tout la vision universaliste qui est la nôtre du principe de laïcité. Donc ça passe, je pense, par une vraie reconquête républicaine sur ce principe, déjà dans son enseignement, dans sa définition, dans la manière avec laquelle on peut, et dès le plus jeune âge, réexpliquer – c'est le rôle majeur de l'école et l'éducation nationale – à nos enfants ce que ça leur permet. Ça leur permet ce moment exceptionnel de respiration qui fait que quand ils entrent dans l'école de la République, on ne les regarde plus comme étant de telle ou telle origine ou de telle et telle identité, on ne les regarde que comme des citoyens français. Et ça, c'est la plus puissante des libertés qu'on puisse avoir.

DAVID REVAULT D'ALLONNES
Alors, on va passer à l'actualité politique nationale, une journée décisive aujourd'hui bien sûr. Les députés doivent voter le PLFSS, le fameux budget de la Sécurité sociale. Ça va se jouer à un fil.
D'un côté, Renaissance, votre parti, le PS, le MoDem, votent pour ; de l'autre côté, RN, LFI et le PCF votent contre ; au milieu, les écologistes, Horizons et LR, on ne sait pas s'ils vont s'abstenir. Est-ce qu'il va y avoir de la déperdition de voix ? Ça va se jouer vraiment à un fil. Est-ce que vous êtes optimiste ?

AURORE BERGE
Alors, moi, de toute façon, tant que le vote n'a pas eu lieu, il n'a pas eu lieu. Donc, on se bat et on se bat jusqu'à la dernière minute pour essayer de convaincre. Convaincre pourquoi ? Parce que dans tous les cas, il faudra un projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Il faut que les auditeurs l'entendent. C'est-à-dire que quand bien même ce serait rejeté cet après-midi, il faudra y revenir. Il n'y a pas de possibilité de faire comme on l'a, par exemple, sur le budget de l'État, une loi spéciale. Il n'y a pas de cordes de rappel sur le budget de la Sécurité sociale. Pourquoi on a besoin qu'il soit voté aussi ? C'est parce que sinon, vous avez un risque massif de dérapage du déficit. Si ce texte n'est pas adopté, je sais qu'il n'est pas parfait, qu'il ne peut, pas par principe même, convenir à tout le monde, puisque ça s'appelle du compromis. Ça veut dire qu'on aura 30 milliards de déficit pour l'année 2026.

DAVID REVAULT D'ALLONNES
Au lieu de grosso modo 20, c'est ça aujourd'hui ?

AURORE BERGE
Au lieu d'un peu plus de 20 milliards. Évidemment que ça pourrait être perfectible, évidemment qu'on pourrait mieux faire, mais on a l'assemblée qu'on a. On a une assemblée qui est fracturée, qui est morcelée et qui ne s'est pas forcément mise d'accord pour moins de dépenses. Ce que je sais, c'est que si on n'adopte pas ce texte, alors il n'y a rien qui ralentira la dépense et on finira à 30 milliards. Et c'est juste insoutenable. C'est-à-dire que c'est intenable pour nos finances publiques, c'est intenable sur le poids qu'on fait peser sur nos créanciers et qui, à un moment, vont arrêter aussi de nous suivre. C'est pour ça qu'on essaie de convaincre sur la nécessité d'adopter ce projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Et puis, je crois que les Français ont aussi envie qu'on passe à autre chose. Ça fait 18 mois qu'on parle du budget, 18 mois qu'on parle du budget de l'État, du budget de la Sécurité sociale, qu'on emploie des mots comme loi spéciale, ordonnance, 49.3. Je pense que plus personne ne comprend rien. Par contre, ce que les Français ont compris, c'est qu'on devait normalement être suffisamment matures pour se mettre d'accord ensemble. Ils ont besoin aussi qu'on passe, encore une fois, à d'autres sujets qui les concernent, sur les valeurs qu'on a évoquées, sur comment on renforce les principes républicains, sur la question de leur sécurité au quotidien, sur la question de l'école, sur la question moi que je porte, sur l'égalité. Et on a besoin de temps parlementaire pour le faire. Sinon, ça veut dire qu'en janvier, en février, on recommencera de nouvelles discussions budgétaires.

DAVID REVAULT D'ALLONNES
Alors, s'entendre, dites-vous, mais on a parfois l'impression que Sébastien LECORNU, ça marche plutôt dans la discussion avec les Socialistes, même s'il a repris de certains compromis, mais qu'il y a des membres de l'ex-majorité qui posent problème. Edouard PHILIPPE, l'ancien Premier ministre, qui a estimé devant son mouvement Horizons, devant ses députés : "on ne peut pas voter pour le PLFSS". Avec des amis comme ça, quand même, vous n'avez pas vraiment besoin d'ennemis, non ?

AURORE BERGE
Moi, j'évite de donner des leçons de morale aux uns et aux autres, parce que je ne suis pas sûre que ce soit la meilleure technique pour les inviter à voter pour le budget, mais aussi parce que chacun peut avoir des points de vue différents. Ce que je sais, c'est qu'encore une fois, on a réussi, depuis 2017, à avancer et acheminer ensemble avec Renaissance, avec le MoDem, avec Horizons, et que depuis plus d'un an, on essaye de le faire avec les LR. Alors, ce n'est pas idéal, ce n'est pas évident, ce n'est pas facile tous les jours, mais ça permet quand même d'avancer.
Et ça a permis, justement, dans l'année passée, de se doter de budget, ça a permis d'avancer sur la lutte contre le narcotrafic, qui pourrit quand même la vie d'un certain nombre de nos communes et donc d'un certain nombre de Français, d'avancer sur la lutte contre l'antisémitisme, par exemple, à l'université, ou des lois importantes que j'ai portées avec les parlementaires, notamment sur l'égalité, la lutte contre les violences faites aux femmes, la question du consentement.
Donc, c'est-à-dire qu'on est capable de faire des choses, on est capable de se mettre d'accord, on est capable de s'entendre, et il faut qu'on arrive à en faire la démonstration. Parce que sinon, je pense que le risque, c'est que de toute façon, on soit tous et collectivement balayés. Les Français ne feront pas dans le détail pour savoir à qui la faute, à qui la responsabilité, ils verront juste qu'on a discuté pendant des semaines, pendant des mois, et qu'à la fin, ça n'a pas fonctionné, et qu'en plus, donc, on leur promet que ça va recommencer.

DAVID REVAULT D'ALLONNES
Le problème, c'est que chacun a un petit peu en tête cette grande échéance, la mère de toutes les batailles de 2027, et on constate aussi qu'il y a pléthore de prétendants dans le Bloc central à cette présidentielle, j'en ai compté une dizaine. Comment est-ce qu'on va faire pour les départager ? Je crois que vous, vous êtes pour une primaire.

AURORE BERGE
Oui, parce que vous le dites vous-même, c'est-à-dire qu'on a à la fois un certain nombre de candidats, tant mieux, ça veut dire qu'il y a un vivier, ça veut dire qu'il y a des ambitions. Je trouve que c'est plutôt bien de ce point de vue-là de se dire qu'aussi, il y a un vrai match, presque, qui existe, démocratique, au sein du Bloc central. Vous voyez que dans d'autres parties, la question se pose moins, parce que de toute façon, il y a un ou une candidate et c'est comme ça et c'est fixé, les règles du jeu sont fixées à l'avance. Par contre, s'il n'y a pas une candidature unique, le risque est évident et il est colossal. Le risque, c'est qu'on offre aux Français le choix entre le RN et La France Insoumise, parce que Jean-Luc MELENCHON, malgré les deux dernières années qu'on a passées, continue à avoir un socle qui n'est pas négligeable, et parce qu'aujourd'hui, on voit qu'on a une envolée du Rassemblement national à plus de 35% dans les sondages. Quand on est face à cette situation, on a une obligation de responsabilité et l'obligation de responsabilité, ça veut dire une candidature unique et ça veut dire s'en donner les moyens.
Et à part la primaire, je ne vois pas bien comment on pourrait réussir à départager et à aboutir sur une candidature. Ça ne veut pas dire que ça nous garantit la victoire, mais ça nous en donne un peu les moyens, alors que sans ça, je crains malheureusement qu'on offre la victoire au Rassemblement national et ce n'est évidemment pas ce que je souhaite pour le pays.

DAVID REVAULT D'ALLONNES
Merci beaucoup, Aurore BERGE.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 10 décembre 2025