Les lois Auroux : des réformes d'une ampleur inédite (2/3)
L’Actualité de la vie publique - podcast - N° 37
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Jean Auroux ministre du Travail en mai 1981 avait pour ambition de promouvoir la démocratie dans l’entreprise. Les lois qui portent son nom seront promulguées en 1982. «L ’Actualité de la vie publique» vous propose une nouvelle série consacrée à une œuvre réformatrice marquante de l’histoire du droit du travail. Que vont changer les 4 lois Auroux ?
Les lois Auroux : des réformes d'une ampleur inédite (2/3)
PODCAST SÉRIE 9 LES LOIS AUROUX
Vous écoutez « L’Actualité de la vie publique », un podcast du site Vie-publique.fr.
Signature sonore
ÉPISODE 2. « Les lois Auroux : des réformes d’une ampleur inédite »
[GÉNÉRIQUE]
Patrice : Bonjour à tous,
Bonjour « Stéphanie »
Stéphanie : Bonjour « Patrice »
Introduction de la série
Patrice : A son arrivée au pouvoir, en mai 1981, le nouveau gouvernement de gauche se propose de modifier en profondeur le code du travail. L’objectif est d’accorder de nouveaux droits aux travailleurs. Rue de Grenelle, le ministre en charge de cette réforme, s’appelle Jean Auroux. L’ambition affichée par le jeune ministre est de promouvoir une nouvelle citoyenneté dans l’entreprise et de moderniser les relations sociales en France. Les 4 lois qui portent son nom seront toutes promulguées au cours de l’année 1982.
Au sommaire de ce deuxième épisode : « Les 4 lois Auroux : des réformes d’une ampleur inédite ».
[ARCHIVE : extrait du discours de Jean Auroux « Je voudrais transformer le code du travail en code de démocratie économique. Et cette démocratie est fondée sur 2 piliers : le droit d’expression direct qui est en quelque sorte la démocratie directe et puis la négociation, notamment, la démocratie représentative avec les différentes institutions qui existent]
1. Patrice : Pouvez-vous nous rappeler, Stéphanie, dans quelle proportion les réformes mises en œuvre par Jean Auroux modifient-elles le code du travail ?
Stéphanie : Les lois Auroux sont des réformes d’une ampleur inédite puisque les 4 lois modifient au total près d’un tiers du code du travail, ce qui représente un ajout de plus de 300 articles. Mais il est vrai qu’elles ne sont pas parvenues à se hisser - dans la mémoire collective ou la mythologie politique - au même niveau que les réformes sociales du Front populaire et de la Libération après la Deuxième Guerre mondiale. Rappelons que le Front populaire c'est une coalition de partis de gauche au pouvoir entre 1936 et 1938).
[Intervention. Patrice : Est-ce que ce volume impressionnant de réformes mis en œuvre s’explique par le fait que le code du travail n’avait connu que peu de changements au cours des deux décennies qui précédent l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 ?]
Stéphanie : Oui tout à fait ! Les réformes initiées par la gauche en 1982 constituent en fait une forme de rattrapage, après des années de stagnation. Même si certains projets de modernisation ont été lancés sous le septennat de Valery Giscard d’Estaing, en réalité peu de choses ont été en réalité entreprises notamment au cours des années 1970.
2. Patrice : Quel est le contenu de la première loi promulguée le 4 août 1982 ?
Stéphanie : La loi du 4 août 1982 relative aux libertés des travailleurs dans l’entreprise encadre les règlements intérieurs. L'établissement d'un règlement intérieur est obligatoire dans toutes les entreprises d'au moins vingt salariés. Elle interdit notamment toutes les clauses restreignant les libertés individuelles sans rapport avec la tâche à accomplir. C’est la fin du règlement intérieur établi de façon unilatérale par le chef d’entreprise. Le règlement intérieur doit dorénavant être négocié avec les instances représentatives du personnel que sont les délégués du personnel, les délégués syndicaux, etc. Ce qui réduit évidemment significativement le pouvoir du chef d’entreprise. La loi réglemente également les procédures de sanction contre les salariés et crée l’entretien préalable au licenciement et le recours possible aux Conseils de prud’hommes dont la mission est de juger les litiges entre salariés et employeurs.
[Intervention. Patrice : La disposition la plus innovante introduite par cette première loi, c’est le droit d’expression directe, n’est-ce pas ?]
Stéphanie : Oui selon la formule restée célèbre de Jean Auroux – j’ouvre les guillemets : « l’entreprise ne doit pas être le lieu du bruit des machines et du silence des hommes » - je ferme les guillemets. La loi du 4 août instaure donc dans les entreprises de plus de 200 salariés un droit d’expression directe - c’est-à-dire sans médiation syndicale ou de représentants élus - et collective - dans le cadre de petits groupes de parole.
3. Patrice : Cette première loi reconnaît ainsi les libertés publiques et de nouveaux droits individuels dans l’entreprise. Et quel est le contenu des deux lois promulguées à l’automne 1982 ?
Stéphanie : Le deuxième texte, la loi du 28 octobre 1982 relative aux institutions représentatives du personnel renforce les attributions et les moyens du comité d’entreprise (le CE), obligatoire dans les entreprises de plus de 50 salariés. Celui-ci se voit accorder la personnalité civile légale. Ce qui lui donne la capacité juridique à agir en justice. La loi permet également aux membres du comité d’entreprise de recourir à des experts économiques extérieurs. Les membres du CE bénéficient désormais de formation, d’un accès aux informations économiques sur l’entreprise et d’un budget autonome fixé à 0,2 % de la masse salariale de l’entreprise. Ces ressources financières permettent dorénavant au CE de commander des expertises ou des audits préalables au droit d’alerte.
[Intervention. Patrice : Et cette loi créé également une nouvelle instance représentative du personnel]
Stéphanie : Oui patrice. Le comité de groupe. Cela concerne surtout les grands groupes français. Le comité de groupe est une structure mise en place au sein d’un groupe composé d’une entreprise dominante et des entreprises qu’elle contrôle. La loi du 28 octobre renforce également les moyens attribués aux délégués syndicaux et aux délégués du personnel. Leurs prérogatives et leurs protections sont accrues. Enfin, la loi introduit une nouvelle idée celle des administrateurs salariés dans les conseils d’administration des entreprises, à l’époque au nombre de 2 par conseil.
[Intervention 4. Patrice : Et quelles sont Stéphanie les nouvelles obligations introduites par la troisième loi promulguée en novembre ?]
Stéphanie : La loi du 13 novembre 1982 relative à la négociation collective et au règlement des conflits collectifs du travail institue une obligation annuelle de négocier sur les salaires, la durée et l’organisation du temps de travail. La nouveauté vient du fait que pour la première fois, la loi introduit l’idée que l’entreprise est le « premier niveau » de la négociation collective. Car, si depuis la loi du 27 décembre 1968, votée dans le cadre des accords de Grenelle, la possibilité de négocier des accords d’entreprise existait, c’est en réalité au niveau de la branche – c’est-à-dire des entreprises qui ont la même activité : chimie, automobile, etc.
[Intervention. Patrice : Cette loi fait donc le pari de la négociation d’entreprise et du développement de la politique contractuelle, c’est ça Stéphanie ?]
Stéphanie : Oui c’est ça ! La négociation annuelle obligatoire - la NAO dans le jargon syndical - est le levier qui doit permettre d’imposer la démocratie sociale au sein des entreprises. Jean Auroux misait sur le temps long pour que se développe peu à peu une véritable culture du dialogue social à l’échelle de l’entreprise.
4. Patrice : Venons-en à la dernière des quatre lois promulguées juste avant Noël, quel changement important introduit-elle ?
Stéphanie : La loi du 23 décembre 1982 relative aux comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail fusionne en un seul organisme les anciens CHS créés après la Deuxième Guerre mondiale (en 1947) et les commissions d’amélioration des conditions de travail. Elle donne au nouveau CHSCT la possibilité de recourir à un expert extérieur en cas de risque grave. La loi crée également un nouveau droit : le droit de retrait. Tout salarié peut dorénavant se retirer d’une situation de travail dont – je cite le texte - il a un « motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent » pour sa vie et cela, sans qu’aucune sanction, ni retenue de salaire ne puisse être prise à son encontre.
5. Patrice : Comment Stéphanie, toutes ses réformes sont-elles accueillies ?
Stéphanie : En fait, l’accueil que les partenaires sociaux ont réservé aux lois Auroux a été très inégal. Le patronat, par l’intermédiaire du CNPF – l’ancêtre du MEDEF – a dénoncé les réformes, car elles lui semblaient remettre en cause l’autorité du chef d’entreprise. Le patronat ne voulait ni du CHSCT, ni de la négociation annuelle obligatoire, la NAO mais il sera finalement plutôt légaliste et finira par s’en accommoder. Les lois Auroux ne suscitent pas vraiment non plus l’enthousiasme de l’ensemble des syndicats, à l’exception de la CFDT qui les a largement inspirées. Les organisations syndicales ne sont pas convaincues par certaines des nouvelles mesures comme le droit d’expression directe des salariés – qui « court-circuite » entre guillemets les représentants syndicaux - ou la négociation annuelle obligatoire (la fameuse NAO) car elle n’est pas assortie d’une obligation de résultat.
[Intervention. Patrice : Et puis le ministère du Travail n’a pas vraiment les moyens de contrôler l’application de la nouvelle législation, n’est-ce pas ?]
Stéphanie : Tout à fait il dispose en effet de peu de moyens de contrôle. Mais les lois Auroux ont également été victimes de la détérioration de la situation économique qui survient dès le début du septennat de François Mitterrand. Les premiers signaux sont perceptibles dès l’automne 1981. Et puis, les lois Auroux ont bien donné aux syndicats des nouveaux moyens, mais c’est au moment où s’amorce déjà en France le déclin du syndicalisme.
Fin de l’épisode :
Patrice : Merci beaucoup « Stéphanie » ! C’est la fin de cet épisode ! Le droit d’expression directe, la NAO ou le CHSCT n’ont plus de secret pour nous.
Nous consacrerons le troisième et dernier épisode de notre série à l’héritage laissé aujourd’hui par les lois Auroux.
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On se retrouve très bientôt ! Au revoir « Stéphanie », au revoir à tous !
[Stéphanie : Au revoir et à bientôt !]
- J. Auroux (1981), « Les droits des travailleurs », Rapport au président de la République et au Premier ministre, Collection des rapports officiels, La Documentation française, septembre
- Dossier (2022), « Des lois Auroux aux ordonnances travail : détricotage ou héritage ? », Liaisons sociales magazine, n°229, février
- Institut Montaigne (2011), « Reconstruire le dialogue social », Rapport, Entreprise & Personnel, juin
- INA (1982), « Entretien avec Jean Auroux sur le projet de loi Auroux sur les droits des travailleurs », extrait, Magazine d’actualités, France régions 3, 13 mai
- C. Laurent-Atthalin (1983), Les nouvelles dispositions des quatre lois Auroux », Le Monde, 22 février
- France Stratégie (2021), « Comité d’évaluation des ordonnances relatives au dialogue social et aux relations du travail », Rapport 2021, décembre
- J.-P. Jacquier (2008), « Lois Auroux : un bilan », Documents, www.clesdusocial.com, mai
- M. Tracol (2022), « Les lois Auroux ou le compromis fragile », Alternatives économiques, 2 juin
- M. Tracol (2012), « Les lois Auroux ou l’ambition de la démocratie sociale », Fondation Jean Jaurès, Note n° 144, 5 septembre
- B. Perrut (2006), Rapport sur la loi de modernisation du dialogue social, Commission des affaires culturelles, familiales et sociales, Assemblée nationale, 29 novembre
- « Témoignage de Jean Auroux, ancien ministre du Travail du gouvernement d'union de la gauche, 1981-1983 » (2014), Histoire@Politique. Politique, culture, société, n° 24, septembre-décembre