Le droit de vote des femmes, un combat historique (1/3)
L'Actualité de la vie publique - Podcast - N° 58
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Le droit de vote des femmes, un combat historique (1/3)
Léa : Bonjour à toutes et à tous
Bonjour « Patrice »
Patrice : Bonjour « Léa »
Léa : Au printemps 1945, les Françaises votent pour la première fois. L’obtention par les femmes de ce droit fondamental est le résultat d’un long combat qui aura pris plus d’un siècle.
À l’occasion du 80e anniversaire de cet événement fondateur de la lutte pour l’égalité des droits civiques, voici une nouvelle série de « L’Actualité de la vie publique » consacrée à la participation des femmes à la vie politique.
Au sommaire de ce premier épisode :
« Le droit de vote des femmes, un combat historique ».
Léa : Première question, Patrice, à l’occasion de quelle élection les Françaises exercent-elles pour la première fois leur droit de vote ?
Patrice : La première fois que les Françaises votent, c’est à l’occasion des élections municipales de 1945, dont les deux tours ont lieu le 29 avril et le 13 mai. À ce moment-là, la Deuxième Guerre mondiale prend fin en Europe, après la capitulation des armées allemandes, les 7 et 8 mai.
Ces élections sont pour les femmes l’aboutissement d’un long combat politique dont les prémices remontent à la Révolution française. Les révolutionnaires de 1789 étaient en effet animés par la volonté de bâtir une société de citoyens en rupture avec l’Ancien régime et les sociétés d’ordres.
Léa : Tous les hommes libres et égaux en droits, mais le mode de suffrage instauré prive de nombreuses catégories de la population, en particulier les femmes, de droits politiques. Pour quelles raisons ont-ils décidé d’exclure les femmes de la communauté civique ?
Patrice : Alors d’abord, il faut rappeler que la manière dont les révolutionnaires de 1789 conçoivent la citoyenneté s’inspire des idées philosophiques nouvelles forgées au cours du XVIIIe siècle, comme les principes de liberté individuelle et d’égalité. Des notions qui s’opposent aux principes sur lesquels reposait l’organisation de la société sous l’Ancien régime, c’est-à-dire sur des inégalités dites « naturelles ». Ensuite, ils estiment qu’être citoyen implique d’être indépendant sur le plan personnel et économique et aussi, de pouvoir faire preuve d’autonomie du point de vue intellectuel. Or, ils considèrent que seuls les hommes disposent de ces qualités. Dans ces conditions, les femmes se retrouvent exclues de la citoyenneté.
Léa. Au début de la Révolution, la notion de citoyen actif – qui s’oppose à celle de citoyen passif - s’impose. A quoi ces deux notions correspondent-elles, Patrice ?
Patrice : La notion de citoyen actif apparaît en effet dès le début de la Révolution. Elle est formalisée par un acteur clé de la période révolutionnaire Emmanuel-Joseph Sieyès. Celui-ci conçoit le vote comme une fonction que seuls certains individus, ayant les capacités intellectuelle et économique suffisantes, peuvent exercer. Le droit de vote et d’éligibilité doit ainsi être réservé aux citoyens actifs, c’est-à-dire aux hommes qui paient un minimum d’impôt, appelé « cens », et qui va donner son nom au mode de suffrage instauré durant la Révolution : le suffrage censitaire. Les femmes appartiennent, elles, à la catégorie des citoyens passifs, au même titre que les enfants et les domestiques.
Léa. Mais j’imagine que dès cette époque, il y a des voix qui s’élèvent pour défendre les droits politiques des femmes ?
Patrice : Oui Léa, certaines figures importantes de la Révolution s’engagent activement en faveur du droit de vote pour les femmes. Comme le mathématicien et philosophe, Nicolas de Condorcet, qui avant même 1789, publie des essais, dans lesquels il se prononce en faveur du suffrage féminin. Ou encore la femme de lettres, Olympe de Gouges qui, elle aussi, défend les droits politiques des femmes, au nom de l’égalité de tous les citoyens, notamment, en 1791, dans sa célèbre Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Mais en fin de compte ces plaidoyers resteront vains (n’emportent pas l’adhésion de la majorité) : les femmes sont officiellement exclues du droit de vote par l’Assemblée nationale, le 22 décembre 1789. Elles se voient accorder l’égalité civile mais pas les droits politiques.
Léa : L’avènement de la Deuxième République, en 1848, marque un progrès en termes de droits politiques avec la fin du suffrage censitaire que vous avez mentionné mais les femmes ne sont toujours pas concernées, pour quelles raisons ?
Patrice : Alors au cours du printemps 1848, une grande partie de l’Europe est touchée par un mouvement révolutionnaire, que l’on a appelé le « Printemps des peuples ». En France, cet événement aboutit au retour de la République. La France est alors un des premiers pays au monde à instaurer le suffrage universel masculin pour tous les hommes âgés de 21 ans jouissant de leurs droits civils. Si les femmes ont, elles aussi, participé à cette Révolution, elles n’obtiennent toujours pas le droit de vote. Les Républicains n’avancent plus tout à fait les mêmes arguments pour s’opposer à l’égalité des droits politiques. Ils considèrent les femmes comme inférieures – physiquement et intellectuellement - et jugent leur niveau d’instruction tout à fait insuffisant. Mais le plus important, c’est que dans un contexte d’intense hostilité entre des républicains laïcs et l’église catholique, ils estiment que l’influence qu’exerce sur elles le clergé, constitue une menace susceptible de mettre en péril la République.
Léa. Dans ce contexte, Patrice, de quelle manière, les militantes de la cause des femmes réagissent-elles face à cette conception de l’universalisme qui ne s’applique qu’aux hommes ?
Patrice : La révolution de 1848 a suscité un certain espoir parmi les militantes pour les droits des femmes. Des journaux féminins comme La Voix des femmes ou L’Opinion des femmes sont créés à ce moment-là, respectivement par Eugénie Niboyet et Jeanne Deroin. Les militantes créent aussi des clubs politiques féminins qui défendent des réformes favorables aux femmes. Mais à la suite de la répression qui s’abat au moment des émeutes des mois de mai et juin 1848, avec notamment des restrictions des libertés - de la presse et du droit de réunion -, les groupes de militantes se séparent et les clubs de femmes sont fermés sur ordre du Préfet de Paris, pour atteinte à la sécurité de l’État.
4. Léa : Alors à quelle époque, les mouvements féministes deviennent-ils suffisamment pour véritablement faire entendre leur voix ?
Patrice : Vers la fin du XIXe siècle, sous la Troisième République, les mouvements féministes se renforcent et des associations sont créées. Parmi les militantes suffragistes emblématiques de cette période figure notamment la journaliste Hubertine Auclert, qui est la première en France, en 1882, à employer et à populariser le terme « féminisme », dans le sens qu’on lui connaît aujourd’hui. La même année est fondée la Ligue française pour le droit des femmes. Puis en 1909, l’Union pour le suffrage des femmes est créée. Une organisation qui a joué un rôle important au début du XXe siècle.
Léa : Les revendications et moyens d’action font-ils l’objet d’un consensus au sein des différents mouvements féministes que l’on retrouve en Europe ?
Patrice : Non Léa ! Il y a des débats concernant les revendications. L’égalité civique, qui est une revendication importante dans l’histoire du féminisme, n’est pas considérée par toutes les féministes comme prioritaire et suffisante pour atteindre l’émancipation des femmes. Il y a aussi des désaccords sur les moyens d’action. En France, les suffragistes sont dans leur majorité légalistes : elles organisent des pétitions, des manifestations pacifiques, des banquets républicains, publient des journaux, etc. En revanche, les « suffragettes » britanniques, face à l’échec de cette stratégie pacifique, choisissent sous l’impulsion de leur leader, Emmeline Pankhurst, de recourir à des modes d’action plus spectaculaires comme la grève de la faim ou illégaux comme la désobéissance civile ou les actions violentes (par exemple tenter de forcer l’entrée du Parlement, essayer d’entrer à Buckingham Palace pour remettre une pétition au roi George V, déclencher des incendies volontaires, etc.).
Léa. Mais mener le combat sous cette forme doit avoir un prix ?]
Patrice : Oui Emmeline Pankhurst et les suffragettes sont nombreuses à être victimes de violences policières ou condamnées à des peines d’emprisonnement pour des violations répétées de la loi.
Léa : Est-ce qu’à cette époque, certains pays ont accordé le droit de vote aux femmes ?
Patrice : Les premières femmes qui obtiennent ce droit sont, en 1869, les habitantes du Wyoming un territoire de l’ouest américain qui à cette époque ne fait pas encore partie de l’Union au niveau fédéral. Au niveau fédéral justement ce droit sera accordé en 1920. En 1893, la Nouvelle-Zélande devient le premier pays au monde à accorder le droit de vote pour toutes les femmes de plus de 21 ans. En 1902, c’est au tour des Australiennes d’obtenir ce droit (mais les femmes autochtones en sont exclues). Et en 1906, la Finlande devient le premier pays au monde qui permet aux femmes non seulement de voter, mais aussi d’être élues au Parlement.
Léa : Si quelques pays ont accordé le droit de vote aux femmes avant la Première guerre mondiale, c’est cet événement qui apparaît comme un moment décisif dans de nombreux pays. Quel rôle la guerre a-t-elle joué dans l’évolution du combat pour le droit de vote des femmes ?
Patrice : La guerre va jouer, Léa, un rôle d’accélérateur en créant les conditions qui permettent dans de nombreux pays l’introduction du droit de vote pour les femmes, notamment à la suite de bouleversements politiques majeurs. C’est le cas en Russie, en Allemagne ou en Autriche. En 1918, le Royaume-Uni introduit également le droit de vote pour les femmes mais avec des restrictions notamment d’âge jusqu’en 1928, il faut avoir 30 ans pour voter.
Léa. Et alors pourquoi la France, pourtant considérée comme pionnière en matière de droits fondamentaux, reste-t-elle à l’écart de cette évolution qui touche une bonne partie de l’Europe ?
Patrice : En France, le conflit a aussi modifié la perception du rôle des femmes dans la société, en raison de leur participation à l’effort de guerre. Elles sont nombreuses à remplacer les hommes partis au front dans des métiers qu’elles n’occupaient pas avant la guerre. Cette nouvelle image dont jouissent les femmes renforce les arguments en faveur de l’émancipation et de l’obtention de nouveaux droits. Par exemple, l’écrivain et homme politique Maurice Barrès, qui est député, dépose en 1916 une proposition de loi visant à accorder le droit de vote aux veuves et aux mères des soldats tués au front (c’est le suffrage des morts). Mais finalement, rien ne va changer pour les Françaises. Dans les années qui suivent la guerre, plusieurs propositions de loi sont encore déposées, mais le Sénat bloque toutes les initiatives et s’oppose systématiquement à l’élargissement du suffrage. Les arguments des opposants sont toujours les mêmes, en particulier ceux des radicaux-socialistes, l’influence jugée trop importante de l’Église sur les électrices ou encore le risque de perturbation de l’ordre social.
Léa : Malgré tout le mouvement suffragiste ne désarme pas en France dans les années 1930, notamment grâce à des femmes comme Louise Weiss, n’est-ce pas Patrice ?
Patrice : Oui le combat des féministes continue malgré tout. D’autant plus que la France apparaît désormais en retard par rapport aux autres pays européens. Vous avez raison, la militante féministe Louise Weiss, à la tête de l’association, « La femme nouvelle », fondée en 1934, mène des campagnes actives, organise des manifestations et publie de nombreux articles pour sensibiliser l’opinion publique. En 1935, elle se présente symboliquement aux élections municipales de Montmartre et l’année suivante aux élections législatives.
Léa. Et est-ce que la victoire du Front populaire en 1936 change les choses pour les femmes en matière de droits politiques ?
Patrice : Si la victoire du Front populaire, en avril-mai 1936, soulève beaucoup d’espoir du point de vue du progrès social, elle ne se traduit pas par l’obtention de nouveaux droits politiques pour les femmes. La Chambre des députés se prononce pourtant une nouvelle fois en faveur du vote des femmes mais le gouvernement ne prend pas position et n’oblige pas le Sénat à inscrire la proposition de loi à son ordre du jour. Par contre, Léon Blum à la tête du gouvernement nomme pour la première fois, trois femmes sous-secrétaires d’Etat : Cécile Brunschvicg (Éducation nationale), Suzanne Lacore (Protection de l’enfance) et Irène Jolliot-Curie (Recherche scientifique). Mais l’absence de progrès sur la question des droits politiques relance le débat au sein des associations suffragistes sur les modes d’action. Louise Weiss fait notamment partie de celles qui choisissent de s’inspirer des actions plus radicales auxquelles avaient eu recours les suffragettes anglaises.
Léa : Et c’est finalement un autre conflit mondial, celui de 1939-1945, qui va jouer un rôle déterminant et consacrer enfin le suffrage féminin. Comment a-t-il été acquis ?
Patrice : Durant l’occupation, la participation des femmes à la Résistance a été importante. La question du suffrage féminin ne figure pas au programme du Conseil national de la résistance (le CNR), adopté en mars 1944, qui liste les réformes sociales et économiques à mettre en œuvre à la libération. Mais la plupart des partis politiques considère désormais que l’accès des femmes à la majorité politique est une évolution indispensable. Le général de Gaulle qui partage cet avis et préside le Comité français de libération nationale (à Alger puisque la France est encore occupée) se prononce, au printemps 1944, en faveur de l’égalité des droits civiques. Les choses vont ensuite aller très vite. Le 24 mars 1944, l’Assemblée consultative provisoire adopte un amendement qui instaure le droit de vote et d’éligibilité à toutes les Françaises. Et un mois plus tard, une ordonnance du 21 avril, dispose je cite que « les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes ». L’année suivante, le 29 avril 1945, les femmes participent pour la première fois à une élection.
Léa : Et en 1946, le préambule de la Constitution de la IVe République rappellera que la loi garantit aux femmes des droits égaux à ceux des hommes dans tous les domaines ! C’est la fin de cet épisode ! Merci beaucoup « Patrice ».
Dans le deuxième épisode, nous nous intéresserons au comportement électoral des femmes : votent-elles comme les hommes ?
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On se retrouve très bientôt ! Au revoir « Patrice », au revoir à toutes et à tous !
Patrice : Au revoir ! A bientôt
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· France Inter (2025), « Gender Gap : le vote a-t-il un genre ?», Zoom Zoom Zen, 23 janvier