Le vote au prisme du genre : femmes et hommes votent-ils différemment ? (2/3)
L'Actualité de la vie publique - Podcast - N° 59
Temps de lecture 12 minutes 7 secondes
Le vote au prisme du genre : femmes et hommes votent-ils différemment ? (2/3)
Patrice : Bonjour à toutes et à tous,
Bonjour « Léa »
Léa : Bonjour « Patrice »
Patrice : Depuis que les femmes françaises ont le droit d’aller aux urnes, leur manière de voter a évolué, aussi bien en matière d’abstention que dans le choix des candidats.
À l’occasion du 80e anniversaire du premier vote des femmes, au printemps 1945, voici une
nouvelle série de « L’Actualité de la vie publique » consacrée à la participation des femmes à la vie politique.
Au sommaire de ce deuxième épisode :
« Le vote au prisme du genre : femmes et hommes votent-ils différemment ?»
Patrice : Nous avons vu, Léa, lors de l’épisode précédent que les femmes ont voté pour la première fois en 1945. Comment le comportement électoral des femmes a-t-il évolué depuis les premières élections auxquelles elles ont participé ? Y a-t-il des différences entre le vote des femmes et celui des hommes ?
Léa : Aujourd’hui, Patrice, on peut dire que les femmes votent comme les hommes. Sauf dans quelques cas particuliers que nous allons aborder dans cet épisode, le genre en lui-même n’a plus réellement d’influence sur le comportement électoral. Pourtant, au moment de l’obtention du droit de vote par les femmes, celles-ci ne votent pas comme les hommes. Elles se déplacent moins aux urnes, et pour celles qui votent, leur choix se porte davantage vers des partis conservateurs. Leur vote majoritairement conservateur peut être expliqué par le fait que les femmes étaient à cette époque toujours dépendantes de leurs époux, sur plusieurs plans – notamment
économiquement. Par ailleurs, la religion jouait un rôle important dans l’orientation de leur vote. Rappelons que l’argument principal des Républicains laïcs qui s’opposaient au suffrage féminin était la crainte de l’influence de l’Église sur le vote des femmes.
Puis, au cours de la deuxième moitié du vingtième siècle, les femmes deviennent progressivement indépendantes. Elles travaillent davantage et ont un niveau de diplôme de plus en plus élevé. Cette autonomie acquise par les femmes, ajoutée à une prise de conscience des inégalités qu’elles subissent, les amènent à voter davantage pour des partis progressistes. Dans les années 1960, elles votent globalement autant que les hommes, et le choix des candidats qu’elles élisent diffère de moins en moins de celui de leurs homologues masculins. Les élections législatives de 1986 sont les premières élections auxquelles les femmes votent autant à gauche que les hommes.
Patrice : Au-delà de l’accès au marché du travail et d’une plus grande indépendance économique, le vote des femmes est-il influencé par d’autres enjeux politiques ?
Léa : Tout à fait Patrice, le vote des femmes ne saurait être expliqué uniquement par leur statut économique. Elles peuvent être attirées par les discours de certains partis et candidats,
généralement situés à gauche de l’échiquier politique, qui défendent des politiques publiques qui les concernent directement comme l’accès à l’IVG ou les programmes en faveur de l’égalité femmes-hommes. Le poids de ces projets politiques s’observe surtout chez les jeunes générations. Lors des élections présidentielles de 2022, les femmes de 25 à 34 ans ont davantage voté que les jeunes hommes du même âge pour le candidat de La France Insoumise, dont le programme
abordait la question de la condition féminine et de l’égalité hommes-femmes. Néanmoins, ce constat est à nuancer, puisque de plus en plus de jeunes femmes votent pour des partis d’extrême-droite, qui n’abordent pas ou peu ces questions. Les électeurs comme les électrices du Rassemblement national indiquent voter pour ce parti pour d’autres mesures proposées,
notamment en matière migratoire. Et même au-delà du vote pour des partis d’extrême-droite, les femmes ne sont pas toutes autant sensibles aux enjeux féministes, et de nombreuses électrices citent d’autres sujets de préoccupation qui orientent prioritairement leur vote, comme l’économie, la santé ou encore l’éducation.
Patrice : Et est-ce que les femmes participent-elles autant à la vie politique que les hommes ?
Léa : Alors malgré une nette progression de l’engagement politique des femmes depuis
l’obtention du droit de vote, un écart persiste par rapport au niveau d’engagement des hommes. Ceux-ci participent davantage à des campagnes politiques, s’engagent plus souvent dans un parti politique, etc.… L’une des explications à cet écart est que les femmes sont en moyenne toujours plus impliquées dans la sphère familiale et domestique que les hommes, ce qui réduit le temps qu’elles pourraient consacrer à des activités politiques exigeant de la disponibilité et des
ressources. L’impression d’être insuffisamment compétentes ou légitimes peut également décourager certaines femmes. En revanche, elles s’impliquent dans d’autres modes d’action politique, tels que la signature de pétitions ou la participation à des manifestations, et ce davantage que les hommes.
Patrice : Et pour revenir à la participation politique via le vote : est-ce que le taux d’abstention varie selon le genre ?
Léa : Alors plus exactement, le taux d’abstention selon le genre varie en fonction du type
d’élection. On remarque que le vote des femmes est « intermittent ». Les femmes participent
davantage que les hommes aux élections mobilisatrices, à savoir notamment les élections
présidentielles et législatives, qui sont très couvertes médiatiquement. En revanche, elles se
déplacent moins aux urnes pour les élections considérées plus secondaires. Ainsi, au premier tour des dernières élections régionales et départementales, en 2021, le taux d’abstention des femmes était estimé à plus de 70 % par les instituts de sondage, contre seulement 59 à 65 % chez les hommes.
Patrice : l’âge des votantes, Léa, a-t-il également un impact sur l’abstention ?
Léa : Tout à fait Patrice, l’âge est un facteur important à prendre en considération. Aujourd’hui
encore, les femmes nées avant l’acquisition du droit de vote se déplacent moins aux urnes que les hommes de la même génération. Mais l’abstention augmente également chez les plus jeunes, hommes comme femmes. À la dernière élection présidentielle, en 2022, la tranche la plus
abstentionniste était celle des plus jeunes (les 18-29 ans), hommes comme femmes. En revanche, l’abstention systématique – c’est-à-dire aux deux tours - était plus marquée chez les jeunes hommes (27 %) que chez les jeunes femmes (20 %).
Patrice : Alors on voit bien comment le genre et la génération peuvent avoir un impact dans la manière de voter - ou de s’abstenir - ; mais existe-t-il d’autres facteurs socioculturels qui influencent le vote, au sein-même du groupe des femmes ?
Léa : Effectivement Patrice, d’autres facteurs sont à prendre en compte pour expliquer le vote des femmes. On l’a vu, la présence sur le marché du travail a une influence dans le vote. La classe sociale et le niveau de diplôme sont également des éléments à prendre en considération. En France, les femmes avec un niveau de diplôme plus faible votent aujourd’hui davantage pour le Rassemblement national. Pour prendre l’exemple d’un autre pays : aux États-Unis, le niveau de
diplôme a également une forte influence, notamment au sein du groupe des femmes blanches. À l’élection présidentielle, depuis 2004 (année de réélection de Georges W. Bush), les femmes blanches peu diplômées votent en majorité pour le candidat républicain – y compris pour Donald Trump. Au contraire, les femmes blanches très diplômées optent pour le candidat démocrate, aux côtés des femmes appartenant à un groupe ethnique minoritaire (notamment les femmes
afro-américaines, latinas et asiatiques). En France, il n’est en revanche pas possible de déterminer l’influence de l’appartenance à un groupe ethnique minoritaire, les statistiques ethniques étant
interdites.
Patrice : Concernant justement les partis pour lesquels votent les femmes qui se déplacent aux urnes, qu’est-ce que le phénomène du Gender gap ?
Léa : Le concept de Voting gender gap a été développé aux États-Unis par la National Organisation of Women (l’Organisation nationale des femmes). Il s’inspire du concept initial de Gender pay gap, qui désigne l’écart de salaires entres les femmes et les hommes. Le Voting gender gap désigne les différences de vote entre les partis de droite et ceux de gauche selon que l’on est un homme ou une femme. Ce terme a été particulièrement employé lors de l’élection présidentielle américaine de 1980, lors desquelles on a constaté que les femmes avaient davantage voté pour le candidat démocrate, Jimmy Carter, que pour le républicain, Ronald Reagan. Depuis cette élection, le Gender gap est un invariant aux États-Unis, avec un écart de vote de 4 à 12 points de pourcentage entre les femmes et les hommes.
Patrice : Le système électoral français est-il comparable aux États-Unis en matière de Gender gap ?
Léa : Alors la situation en France n’est pas vraiment comparable à celle des États-Unis. Le système électoral états-unien est différent du système français. De structure binaire - avec deux partis seulement qui remportent alternativement les élections - le système américain favorise la
polarisation, et donc un éparpillement moindre des voix. C’est pourquoi un Gender gap apparaît plus facilement aux États-Unis qu’en France, où le multipartisme caractérise les élections – du moins le premier tour.
Patrice : On entend aussi parler, Léa, d’un Radical Right Gender Gap, de quoi s’agit-il ?
Léa : Alors sur la base du principe du Gender gap, le concept de Radical Right Gender gap a été théorisé par la chercheuse Terri Givens. Il décrit un principe selon lequel les femmes soutiendraient moins les partis d’extrême droite que les hommes.
Patrice : de telles différences dans le vote pour les partis d’extrême-droite sont-elles
observées au sein de l’Union européenne, et plus particulièrement en France ?
Alors oui au sein des pays de l’Union européenne, un Radical Right Gender gap apparaît quasiment systématiquement, bien qu’il existe des nuances entre les pays et selon le type d’élections. Mais la France fait figure d’exception : on n’y observe plus d’écart en fonction du genre dans le vote pour les candidats du Rassemblement national – anciennement Front national -, et ce depuis l’élection présidentielle de 2012. Le Rassemblement national est ainsi parvenu depuis cette date à conquérir une partie de l’électorat féminin, puisque le scrutin présidentiel de 2022 a été le
troisième consécutif à ne pas révéler de différences entre les femmes et les hommes dans le vote pour ce parti.
Patrice: Pour revenir à la question de l’âge qui, nous l’avons vu, a un impact dans le vote, une
polarisation croissante est de plus en plus observée entre les jeunes femmes et les jeunes hommes. Pour quelles raisons ?
Léa : Effectivement Patrice, les jeunes se distinguent des autres générations à ce sujet aussi. Davantage que leurs aînés, ils votent soit pour un parti de gauche radicale, soit pour un parti d’extrême-droite. L’enquête European Social Survey révèle qu’en moyenne, les jeunes femmes
européennes se disent plus à gauche que leurs homologues masculins. En France, on observe
aussi une tendance générale des jeunes femmes à voter pour des partis progressistes. Néanmoins si l’on s’intéresse uniquement aux jeunes électeurs du Rassemblement national, on remarque que les jeunes femmes y sont plus nombreuses que les jeunes hommes. À l’élection présidentielle de 2022, plus d’un tiers des femmes âgées de 18 à 24 ans ont voté pour la candidate de ce parti au premier tour, contre un quart des hommes. De 1988 à 2017, le vote pour le Front – puis le Rassemblement – National a quadruplé chez les jeunes femmes. Alors plusieurs caractéristiques sont observées chez les jeunes électrices de ce parti à la popularité croissante : une situation
professionnelle instable, une forte exposition au chômage ou encore des manques de perspectives éducatives.
Patrice : et à l’inverse, le genre du candidat ou de la candidate influe-t-il sur le vote ?
Léa : Non Patrice, on ne peut pas affirmer que les électeurs et électrices vont voter différemment selon que le candidat est un homme ou une femme. Comme nous l’avons vu, c’est avant tout en fonction de leurs préoccupations que les électeurs votent. Une exception est néanmoins apparue lors de l’élection présidentielle de 2022, concernant le vote pour le candidat du parti Reconquête !. Les femmes ont beaucoup moins voté pour lui que les hommes, faisant ressurgir un Radical Right Gender gap. Mais cet écart semble davantage lié aux positions de ce candidat qu’à son genre.
Patrice : Alors nous avons beaucoup discuté de l’évolution du comportement électoral des femmes. Mais le Gender gap est-il seulement dû à l’évolution des pratiques des femmes ?
Léa : Et non Patrice, les différences de vote dépendent aussi – voire surtout – du comportement des hommes. Chez les jeunes hommes, notamment, on observe un conservatisme social de plus en plus fort. L’exemple du vote pour le candidat de Reconquête ! est assez illustratif de l’influence que peut avoir le genre masculin de l’électeur dans ses opinions politiques. Les discours du
candidat sur des concepts tels que la « masculinité » ou la famille traditionnelle ont attiré certains
électeurs, là où ils ont plutôt fait figure de repoussoir chez les femmes. Ainsi, les hommes peuvent orienter leur vote, de la même manière que les femmes, en fonction d’éléments liés à leur position sociétale.
Patrice : Donc Léa malgré quelques exceptions, on peut conclure en définitive que le genre, à lui seul, n’a plus d’influence sur le vote en France.
C’est la fin de cet épisode ! Merci beaucoup « Léa ».
Dans le troisième et dernier épisode, nous nous intéresserons à la place des femmes au sein des institutions politiques : sont-elles aussi présentes que les hommes aux instances de pouvoir ?
Vous pouvez réécouter gratuitement les deux premiers épisodes de cette série sur vos plateformes préférées et notre chaîne YouTube. N’hésitez pas à vous y abonner !
Et pour en savoir plus, rendez-vous sur notre site internet Vie-publique.fr et nos réseaux sociaux.
On se retrouve très bientôt ! Au revoir « Léa », au revoir à toutes et à tous !
Léa : Au revoir !
· Briatte A.-L. (2020), « Le droit de vote des femmes », Encyclopédie d’histoire numérique de l’Europe, ISSN 2677-6588, mis en ligne le 22 juin, Permalien : https://ehne.fr/fr/node/12266
· Durovic A. et Mayer N. (2022), « Un vent de renouveau : la recomposition des genders gaps électoraux à l’élection présidentielle française de 2022 », Revue française de science politique, vol. 72, n° 4
· Durovic A. (2023), « Des avancées paradoxales : inégalités générationnelles et de genre dans la participation politique en France (1981-2018) », Revue française de science politique, vol. 73, n° 1
· Campos Posada A. (2023), « Le droit de vote des femmes : chronologie d’un combat historique », Histoire et civilisations, www.histoire-et-civilisations.com, 30 août
· Deroeux I. (2025), « Des femmes plus progressistes, des hommes plus conservateurs : pourquoi les clivages idéologiques s’accentuent chez les jeunes », Entretien avec Anja Durovic, Les Décodeurs, www.lemonde.fr, 13 février
· Global Gender Gap Report 2024, Forum économique mondial, 11 juin
· HCE (2022), Parité politique : la nécessité d’un acte II, Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, Rapport n° 2022-12-12-PAR-54, 12 décembre
· INSEE (2022), Femmes et hommes, l’égalité en question, INSEE Références
· INSEE (2022), « Vingt ans de participation électorale : en 2022, les écarts selon l’âge et le diplôme continue de se creuser », INSEE Première, n° 1929, novembre
· Lardeux L. et Tiberj V. (2022), « Le vote et l’abstention des jeunes au prisme de leurs valeurs et de leur situation sociale », Analyses et synthèses, INJEP, n° 62, 22 novembre
· Manière F. (2021), « Le vote des femmes, un si long combat », Hérodote.net, 13 novembre
· Michon S. (2020), « La féminisation du personnel politique européen et la parité en Europe », Encyclopédie d’histoire numérique de l’Europe, ISSN 2677-6588, mis en ligne le 22 juin, Permalien : https://ehne.fr/fr/node/12311
· Observatoire des inégalités (2024), « La parité en politique ne progresse plus », 1er août
· Pflimlin E. (2018), « 1918 : les femmes obtiennent le droit de vote au Royaume-Uni », Les Décodeurs, www.lemonde.fr, 6 février
· Public Sénat (2022), « Les femmes votent-elles comme les hommes ? Entretien avec Janine Mossuz-Lavau », Je vote, tu votes, nous votons, podcast, 15 février 2025
· France Inter (2025), « Gender Gap : le vote a-t-il un genre ?», Zoom Zoom Zen, 23 janvier