Texte intégral
Q - Vous êtes depuis près de cinq années ministre chargé des Affaires européennes. A ce poste vous avez battu le record de longévité de toute la Cinquième République. Vous venez de publier un livre consacré à l'Europe et à sa place dans la mondialisation, un livre plutôt optimiste ; vous y posez beaucoup de questions mais vous y proposez aussi des réponses, c'est plutôt rare en France de la part des hommes politiques. Ce livre est aussi une sorte de bilan de ce qui a été fait. L'inventaire de ce qui reste à faire pour la construction de l'Europe. Quels progrès ont été faits ?
R - Ces années ont été très importantes pour l'Union européenne. Si on se retourne sur ces cinq ans, si on revient en 1997, que voit-on ? D'abord il n'y avait pas eu le Traité d'Amsterdam et le Traité de Nice. Ensuite nous n'avions pas ouvert les négociations pour l'élargissement avec les pays candidats. Nous l'avons fait en 1997 à Luxembourg puis à Helsinki deux ans après. Nous nous sommes engagés dans cette voie de l'élargissement, qui est maintenant la voie possible. C'est un choix historique qui a été fait au début des années 1990, mais maintenant il touche à sa fin puisque ces négociations s'achèvent et qu'en 2004, il y aura de nouveaux pays membres de l'Union européenne qui participeront aux élections au Parlement européen. L'euro, nous sommes en train de le célébrer et de le réussir ces jours-ci, c'est quelque chose que nous avons décidé en mars 1998. Il n'était pas évident qu'autant de pays réuniraient les critères et puis il fallait fixer les modalités pratiques de ce passage. Entre 1997 et 2002, pendant cette législature française, mais aussi pendant ces années de l'Europe, nous avons réussi cela. Le troisième chantier, c'est la défense européenne. Nous avions été impuissants pendant les crises en ex-Yougoslavie et en Bosnie au début des années 90, mais nous avons été autrement présents au Kosovo. Nous avons également été cohérents face à la crise qui s'est déroulée en Afghanistan après les événements du 11 septembre. Nous avons jeté les bases d'une défense européenne. Une Europe qui se réunifie avec l'élargissement, une Europe qui se dote d'une monnaie qui est un élément fondamental d'identification, une Europe qui se dote petit à petit d'une défense, une Europe qui progresse dans beaucoup d'autres domaines, comme la justice ou à la coopération policière, c'est une Europe qui prend figure comme un continent, et qui peut devenir "une puissance politique" et pas seulement un espace marchand. C'est cette ambition-là que l'on doit avoir pour l'Europe. Alors je ne suis pas seulement optimiste, je suis volontariste.
Q - Quels sont les défis ? Les prochaines années vont être décisives pour l'Europe.
R - Pour moi, le premier défi est celui de la réussite de l'élargissement. Parce que si l'élargissement représente des contraintes pour les pays candidats - contraintes parce qu'il peut y avoir des chocs économiques en retour - et si ce doit être la dilution pour l'ensemble du système, cela ne marchera pas. D'où l'utilité, effectivement, de périodes de transition. Et pour ce qui concerne l'Union européenne, soyons clairs ; on sait bien que lorsque nous serons 25, 27, ou 30, voire plus un jour, cela deviendra extrêmement difficile de décider. Cela l'est déjà à 15, d'où le besoin de faire un nouveau saut qualitatif en matière d'institutions. Nice était un traité nécessaire qui permet, au fond, de réaliser l'élargissement. On sait combien il y aura de députés européens slovènes ou combien il y aura de voix pour la Pologne au Conseil. Ce sont des réformes nécessaires. Mais il faut aller plus loin, dans l'identification politique de l'Europe, notamment en mettant en place une Constitution européenne. C'est ce que nous avons décidé à Laeken avec la fameuse Convention sur l'avenir de l'Union qui est présidée par M. Valéry Giscard d'Estaing. C'est un exercice déterminant car, si nous ne réussissons pas ce saut institutionnel, cette Europe élargie sera une Europe "molle" et une Europe inefficace.
Q - Donc les années 2002, 2003, 2004, ce sont des années décisives pour la construction européenne. Mais comment expliquez-vous le fait que l'Europe soit encore mal connue, et surtout loin des préoccupations quotidiennes des peuples ?
R - Je pense que les responsabilités sont partagées. Il y a des responsabilités des politiques qui ne se sont pas suffisamment investis dans ce chantier, parce que ce n'est pas électoralement rentable, parce que ce n'est pas directement concret. Personnellement, je souhaite que, cette fois-ci, dans la campagne électorale française qui va commencer, on parle beaucoup de l'Europe. C'est là un enjeu essentiel pour l'avenir. C'est aussi la responsabilité des médias ; peu de médias en parlent suffisamment, parce que cela ne fait pas vendre, cela "ne fait pas d'audimat". Et puis il y a une responsabilité de l'Europe elle-même. Il faut bien reconnaître que l'Europe avec son petit budget, avec 0,9 du PIB de l'Union, avec ses politiques agricoles ou structurelles, importantes, mais qui ne répondent peut-être pas aux aspirations des peuples, ne fait pas encore rêver. Donc il va falloir créer ce rêve européen. Mais en même temps, je pense que ce qui est en train de se passer avec l'euro fera peut-être réfléchir, parce que l'on s'aperçoit que lorsque l'on a une réalisation commune, aussi fantastique, on peut avoir un choc fédérateur, que cela peut susciter l'enthousiasme. Quand on fait quelque chose ensemble, quand on est capable d'avancer ensemble, on est plus fort, on est plus puissant. On se sent mieux, et donc je souhaite que l'Europe politique vienne couronner l'Europe économique et monétaire.
Q - Et cet élargissement continue à susciter des interrogations. Nombreux sont ceux qui invoquent publiquement le devoir historique et moral de le réaliser, tout en avouant dans les couloirs leurs craintes et leurs réticences, pour ne pas dire leur hostilité. Vous, vous ne partagez pas ces sentiments. Vous dites haut et fort que l'adhésion de ces pays n'est pas seulement un devoir mais aussi une chance.
R - Je l'ai dit, et je le répète. Je suis persuadé que cette Europe réunifiée peut être belle, que ce continent qui a été divisé par des circonstances dramatiques, par les guerres mondiales, par la guerre froide, par le schisme communiste, s'il est capable de réaliser son unité, c'est-à-dire l'unité de tout le continent, il peut être une puissance pacifique, une puissance démocratique, une puissance humaniste. C'est là quelque chose qui vaut que l'on se batte pour cela. En même temps, il faut jeter un regard lucide sur cette affaire. C'est ce que j'appelle le projet commun. Et j'aimerais que, dans les pays candidats, on y pense aussi, qu'on ne voit pas l'Europe uniquement comme un tiroir caisse ou comme un club huppé ou honorable. C'est beaucoup plus que cela. Ce sont des valeurs, c'est une culture, c'est une implication politique, c'est un mode de décision ; c'est tout cela à la fois. Je pense que la Convention sera justement cette occasion-là, puisque les pays candidats y seront représentés. Moi, j'attends que les Polonais, que les Tchèques, que les Hongrois, que tous les autres, nous disent ce qu'ils pensent de l'avenir de l'Europe. Et l'avenir de l'Europe, ce n'est pas uniquement être dans l'Union européenne, c'est plus que cela : c'est un projet.
Q - En réalité, le débat sur l'avenir de l'Europe ne fait que commencer. Vous l'avez lancé en France il y a quelques mois. Dans chaque pays membre, il se poursuivra jusqu'à la fin de l'année 2004. Les pays candidats à l'adhésion vont participer à ce débat, avant même leur adhésion effective.
R - La réunion de la Convention pour l'avenir de l'Union européenne, qui devrait se tenir en mars 2002 sera, je pense, la première réunion de l'Europe élargie, puisqu'il y aura un représentant par gouvernement de chaque pays membre, deux représentants des Parlements de chaque pays membre, des parlementaires européens, deux commissaires européens. Mais il y aura aussi deux représentants des Parlements de chaque pays candidat et un représentant des gouvernements. Nous serons donc exactement sur une base d'égalité et nous allons réfléchir tous ensemble. C'est pour cela que je me permets de relancer ce message : "Amis des pays candidats, quand vous viendrez à la Convention, dites-nous ce que vous pensez, vous n'êtes pas là pour nous écouter".
Q - Mais je pense qu'ils vont vous dire aussi que beaucoup d'entre eux redoutent une Europe bureaucratique, gérée depuis Bruxelles, ou encore que le modèle européen soit imposé par l'Allemagne ou la France. D'autres craignent encore une Europe libérale.
R - Tout cela ce sont des craintes qui peuvent être légitimes. "Bureaucratique", l'Europe l'est trop souvent. "Imposée par la France et l'Allemagne", je crois que c'est un peu un mythe. Il faut être conscient que nous sommes tous égaux mais que la France et l'Allemagne ont un rôle particulier à jouer. "L'Europe libérale", je la combats en tant que socialiste.
Ce que j'aimerais, c'est qu'on ne dise pas seulement ce dont on n'a pas envie ; il ne faut pas uniquement prendre des positions négatives. J'ai envie d'entendre "voilà quel est notre projet", "voilà où nous voulons aller". Un peu d'enthousiasme et un peu de volonté vont, je crois, pimenter agréablement cette Convention.
Q - Comment voyez-vous l'avenir de l'Europe ?
R - Je la vois comme un continent en paix définitive. Je la vois comme un continent pleinement démocratique. Je la vois comme un espace de culture, dans la diversité. Je la vois comme une puissance, dotée d'une monnaie, dotée d'une armée, d'une défense, avec une justice, une police, en tout cas une coopération policière extrêmement forte. Une puissance différente des Etats-Unis d'Amérique, car fondée sur plus de diversité. Une puissance qui sert à organiser la planète, un monde dont nous savons qu'il est en désordre, et parfois privé de sens.
Q - Vous êtes convaincu que le processus de l'élargissement de l'Union européenne ne s'arrêtera pas. Cette conviction semble confortée par le fait que "l'autre Europe" ne vous est pas étrangère ; vous avez des ascendances familiales roumaines et polonaises.
R - Oui, c'est vrai, ma mère est d'une famille d'origine polonaise et mon père est venu de Roumanie à la fin des années 40. Sans doute cela m'aide-t-il à comprendre que cette "autre Europe" c'est la nôtre, tout simplement. J'ai donc ce sentiment d'unité de l'Europe même si, en même temps, je suis lucide ; je connais les différents, les difficultés. Quand je vois le pays de mon père, la Roumanie, je me dis qu'il y a encore du chemin à parcourir. Mais c'est formidable de rencontrer autant de francophones et de francophiles.
Q - Ils n'ont d'ailleurs plus besoin de visa depuis le 1er janvier pour venir en Occident.
R - Oui, et grâce à la France aussi, car nous avons beaucoup pesé pour cela. Vous voyez que l'Allemagne ou la France peuvent jouer aussi des rôles aussi positifs pour les pays candidats.
Q - Je disais que vous avez battu le record de longévité au poste de ministre des Affaires européennes. Mais ce n'est peut être pas fini puisque vous avez déclaré récemment que vous ne quitteriez jamais les Affaires européennes quoi qu'il arrive.
Ce que je voulais dire par là c'est que lorsque l'on a goûté à cela, aux affaires internationales, aux affaires européennes, on a, je pense, une dimension supplémentaire qui aide à comprendre que l'Europe est quelque chose qui ajoute à notre identité nationale. Je pense que ces années de ma vie, quoi que je fasse plus tard, vont imprégner ma vision, mon expérience. J'espère bien pouvoir continuer à être un acteur, mais peut-être en faisant autre chose. De toutes les façons, je n'oublierai pas l'Europe et je n'oublierai pas mes amis des pays candidats./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 février 2002)
R - Ces années ont été très importantes pour l'Union européenne. Si on se retourne sur ces cinq ans, si on revient en 1997, que voit-on ? D'abord il n'y avait pas eu le Traité d'Amsterdam et le Traité de Nice. Ensuite nous n'avions pas ouvert les négociations pour l'élargissement avec les pays candidats. Nous l'avons fait en 1997 à Luxembourg puis à Helsinki deux ans après. Nous nous sommes engagés dans cette voie de l'élargissement, qui est maintenant la voie possible. C'est un choix historique qui a été fait au début des années 1990, mais maintenant il touche à sa fin puisque ces négociations s'achèvent et qu'en 2004, il y aura de nouveaux pays membres de l'Union européenne qui participeront aux élections au Parlement européen. L'euro, nous sommes en train de le célébrer et de le réussir ces jours-ci, c'est quelque chose que nous avons décidé en mars 1998. Il n'était pas évident qu'autant de pays réuniraient les critères et puis il fallait fixer les modalités pratiques de ce passage. Entre 1997 et 2002, pendant cette législature française, mais aussi pendant ces années de l'Europe, nous avons réussi cela. Le troisième chantier, c'est la défense européenne. Nous avions été impuissants pendant les crises en ex-Yougoslavie et en Bosnie au début des années 90, mais nous avons été autrement présents au Kosovo. Nous avons également été cohérents face à la crise qui s'est déroulée en Afghanistan après les événements du 11 septembre. Nous avons jeté les bases d'une défense européenne. Une Europe qui se réunifie avec l'élargissement, une Europe qui se dote d'une monnaie qui est un élément fondamental d'identification, une Europe qui se dote petit à petit d'une défense, une Europe qui progresse dans beaucoup d'autres domaines, comme la justice ou à la coopération policière, c'est une Europe qui prend figure comme un continent, et qui peut devenir "une puissance politique" et pas seulement un espace marchand. C'est cette ambition-là que l'on doit avoir pour l'Europe. Alors je ne suis pas seulement optimiste, je suis volontariste.
Q - Quels sont les défis ? Les prochaines années vont être décisives pour l'Europe.
R - Pour moi, le premier défi est celui de la réussite de l'élargissement. Parce que si l'élargissement représente des contraintes pour les pays candidats - contraintes parce qu'il peut y avoir des chocs économiques en retour - et si ce doit être la dilution pour l'ensemble du système, cela ne marchera pas. D'où l'utilité, effectivement, de périodes de transition. Et pour ce qui concerne l'Union européenne, soyons clairs ; on sait bien que lorsque nous serons 25, 27, ou 30, voire plus un jour, cela deviendra extrêmement difficile de décider. Cela l'est déjà à 15, d'où le besoin de faire un nouveau saut qualitatif en matière d'institutions. Nice était un traité nécessaire qui permet, au fond, de réaliser l'élargissement. On sait combien il y aura de députés européens slovènes ou combien il y aura de voix pour la Pologne au Conseil. Ce sont des réformes nécessaires. Mais il faut aller plus loin, dans l'identification politique de l'Europe, notamment en mettant en place une Constitution européenne. C'est ce que nous avons décidé à Laeken avec la fameuse Convention sur l'avenir de l'Union qui est présidée par M. Valéry Giscard d'Estaing. C'est un exercice déterminant car, si nous ne réussissons pas ce saut institutionnel, cette Europe élargie sera une Europe "molle" et une Europe inefficace.
Q - Donc les années 2002, 2003, 2004, ce sont des années décisives pour la construction européenne. Mais comment expliquez-vous le fait que l'Europe soit encore mal connue, et surtout loin des préoccupations quotidiennes des peuples ?
R - Je pense que les responsabilités sont partagées. Il y a des responsabilités des politiques qui ne se sont pas suffisamment investis dans ce chantier, parce que ce n'est pas électoralement rentable, parce que ce n'est pas directement concret. Personnellement, je souhaite que, cette fois-ci, dans la campagne électorale française qui va commencer, on parle beaucoup de l'Europe. C'est là un enjeu essentiel pour l'avenir. C'est aussi la responsabilité des médias ; peu de médias en parlent suffisamment, parce que cela ne fait pas vendre, cela "ne fait pas d'audimat". Et puis il y a une responsabilité de l'Europe elle-même. Il faut bien reconnaître que l'Europe avec son petit budget, avec 0,9 du PIB de l'Union, avec ses politiques agricoles ou structurelles, importantes, mais qui ne répondent peut-être pas aux aspirations des peuples, ne fait pas encore rêver. Donc il va falloir créer ce rêve européen. Mais en même temps, je pense que ce qui est en train de se passer avec l'euro fera peut-être réfléchir, parce que l'on s'aperçoit que lorsque l'on a une réalisation commune, aussi fantastique, on peut avoir un choc fédérateur, que cela peut susciter l'enthousiasme. Quand on fait quelque chose ensemble, quand on est capable d'avancer ensemble, on est plus fort, on est plus puissant. On se sent mieux, et donc je souhaite que l'Europe politique vienne couronner l'Europe économique et monétaire.
Q - Et cet élargissement continue à susciter des interrogations. Nombreux sont ceux qui invoquent publiquement le devoir historique et moral de le réaliser, tout en avouant dans les couloirs leurs craintes et leurs réticences, pour ne pas dire leur hostilité. Vous, vous ne partagez pas ces sentiments. Vous dites haut et fort que l'adhésion de ces pays n'est pas seulement un devoir mais aussi une chance.
R - Je l'ai dit, et je le répète. Je suis persuadé que cette Europe réunifiée peut être belle, que ce continent qui a été divisé par des circonstances dramatiques, par les guerres mondiales, par la guerre froide, par le schisme communiste, s'il est capable de réaliser son unité, c'est-à-dire l'unité de tout le continent, il peut être une puissance pacifique, une puissance démocratique, une puissance humaniste. C'est là quelque chose qui vaut que l'on se batte pour cela. En même temps, il faut jeter un regard lucide sur cette affaire. C'est ce que j'appelle le projet commun. Et j'aimerais que, dans les pays candidats, on y pense aussi, qu'on ne voit pas l'Europe uniquement comme un tiroir caisse ou comme un club huppé ou honorable. C'est beaucoup plus que cela. Ce sont des valeurs, c'est une culture, c'est une implication politique, c'est un mode de décision ; c'est tout cela à la fois. Je pense que la Convention sera justement cette occasion-là, puisque les pays candidats y seront représentés. Moi, j'attends que les Polonais, que les Tchèques, que les Hongrois, que tous les autres, nous disent ce qu'ils pensent de l'avenir de l'Europe. Et l'avenir de l'Europe, ce n'est pas uniquement être dans l'Union européenne, c'est plus que cela : c'est un projet.
Q - En réalité, le débat sur l'avenir de l'Europe ne fait que commencer. Vous l'avez lancé en France il y a quelques mois. Dans chaque pays membre, il se poursuivra jusqu'à la fin de l'année 2004. Les pays candidats à l'adhésion vont participer à ce débat, avant même leur adhésion effective.
R - La réunion de la Convention pour l'avenir de l'Union européenne, qui devrait se tenir en mars 2002 sera, je pense, la première réunion de l'Europe élargie, puisqu'il y aura un représentant par gouvernement de chaque pays membre, deux représentants des Parlements de chaque pays membre, des parlementaires européens, deux commissaires européens. Mais il y aura aussi deux représentants des Parlements de chaque pays candidat et un représentant des gouvernements. Nous serons donc exactement sur une base d'égalité et nous allons réfléchir tous ensemble. C'est pour cela que je me permets de relancer ce message : "Amis des pays candidats, quand vous viendrez à la Convention, dites-nous ce que vous pensez, vous n'êtes pas là pour nous écouter".
Q - Mais je pense qu'ils vont vous dire aussi que beaucoup d'entre eux redoutent une Europe bureaucratique, gérée depuis Bruxelles, ou encore que le modèle européen soit imposé par l'Allemagne ou la France. D'autres craignent encore une Europe libérale.
R - Tout cela ce sont des craintes qui peuvent être légitimes. "Bureaucratique", l'Europe l'est trop souvent. "Imposée par la France et l'Allemagne", je crois que c'est un peu un mythe. Il faut être conscient que nous sommes tous égaux mais que la France et l'Allemagne ont un rôle particulier à jouer. "L'Europe libérale", je la combats en tant que socialiste.
Ce que j'aimerais, c'est qu'on ne dise pas seulement ce dont on n'a pas envie ; il ne faut pas uniquement prendre des positions négatives. J'ai envie d'entendre "voilà quel est notre projet", "voilà où nous voulons aller". Un peu d'enthousiasme et un peu de volonté vont, je crois, pimenter agréablement cette Convention.
Q - Comment voyez-vous l'avenir de l'Europe ?
R - Je la vois comme un continent en paix définitive. Je la vois comme un continent pleinement démocratique. Je la vois comme un espace de culture, dans la diversité. Je la vois comme une puissance, dotée d'une monnaie, dotée d'une armée, d'une défense, avec une justice, une police, en tout cas une coopération policière extrêmement forte. Une puissance différente des Etats-Unis d'Amérique, car fondée sur plus de diversité. Une puissance qui sert à organiser la planète, un monde dont nous savons qu'il est en désordre, et parfois privé de sens.
Q - Vous êtes convaincu que le processus de l'élargissement de l'Union européenne ne s'arrêtera pas. Cette conviction semble confortée par le fait que "l'autre Europe" ne vous est pas étrangère ; vous avez des ascendances familiales roumaines et polonaises.
R - Oui, c'est vrai, ma mère est d'une famille d'origine polonaise et mon père est venu de Roumanie à la fin des années 40. Sans doute cela m'aide-t-il à comprendre que cette "autre Europe" c'est la nôtre, tout simplement. J'ai donc ce sentiment d'unité de l'Europe même si, en même temps, je suis lucide ; je connais les différents, les difficultés. Quand je vois le pays de mon père, la Roumanie, je me dis qu'il y a encore du chemin à parcourir. Mais c'est formidable de rencontrer autant de francophones et de francophiles.
Q - Ils n'ont d'ailleurs plus besoin de visa depuis le 1er janvier pour venir en Occident.
R - Oui, et grâce à la France aussi, car nous avons beaucoup pesé pour cela. Vous voyez que l'Allemagne ou la France peuvent jouer aussi des rôles aussi positifs pour les pays candidats.
Q - Je disais que vous avez battu le record de longévité au poste de ministre des Affaires européennes. Mais ce n'est peut être pas fini puisque vous avez déclaré récemment que vous ne quitteriez jamais les Affaires européennes quoi qu'il arrive.
Ce que je voulais dire par là c'est que lorsque l'on a goûté à cela, aux affaires internationales, aux affaires européennes, on a, je pense, une dimension supplémentaire qui aide à comprendre que l'Europe est quelque chose qui ajoute à notre identité nationale. Je pense que ces années de ma vie, quoi que je fasse plus tard, vont imprégner ma vision, mon expérience. J'espère bien pouvoir continuer à être un acteur, mais peut-être en faisant autre chose. De toutes les façons, je n'oublierai pas l'Europe et je n'oublierai pas mes amis des pays candidats./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 février 2002)