Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur le rôle de l'entreprise pour concourrir à la création de richesse dans le cadre d'un pacte pour la société de plein emploi, basée sur l'innovation, l'initiative, la régulation et le partage, Strasbourg le 25 mai 2000.

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Circonstance : 28ème Congrès national du centre des jeunes dirigeants d'entreprises, à Strasbourg le 25 mai 2000

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Jeunes dirigeants d'entreprises, vous êtes aussi de ceux qui s'efforcent d'innover et d'imaginer de nouvelles formes de rapports sociaux. Car vous croyez que l'efficacité contribue à l'équité, que l'économie doit être au service de l'homme, que l'entreprise, lieu de création de richesses, peut concourir à l'intérêt général. Et votre Congrès est pour moi une occasion de souligner l'importance d'un dialogue constant entre le Gouvernement et les entrepreneurs.
Le contexte de ce dialogue a changé. L'économie paraissait il y a trois ans " bloquée ". Elle a depuis rebondi avec force. C'est pour une bonne part le fruit de mesures visant à rétablir la confiance. Vous savez combien compte, pour la santé de l'entreprise, l'évaluation des ventes à venir et de la demande. Vous savez combien l'évolution de la situation des ménages détermine leur consommation. Il était évident, lorsque le Gouvernement s'est formé, que le pessimisme des uns confortait l'attentisme des autres. Nous sommes sortis de cette impasse. En pariant sur la croissance ; en ouvrant grâce aux emplois-jeunes des perspectives à 240.000 jeunes ; en accélérant, grâce à la loi sur la réduction du temps de travail, la reprise de l'emploi. Plus d'un million d'emplois ont été créés. 700.000 chômeurs ont en trois ans retrouvé un travail. C'est une dynamique vertueuse qui s'est enclenchée, fondée sur la confiance et la croissance. Il nous faut aujourd'hui la prolonger en tenant pleinement compte de cette " nouvelle donne ".
C'est un pacte pour la société du plein emploi que nous devons ensemble conclure.
Innovation, initiative, régulation et partage : tels sont les fondements de ce pacte.
Nous soutenons l'innovation par une politique volontariste. Nous consacrons à la recherche française des crédits et des moyens humains importants, afin de renforcer notamment le secteur des technologies de l'information et d'aider la recherche à nouer un partenariat durable avec les entreprises, en particulier les plus petites. Depuis 1998, la puissance publique a engagé 3,5 milliards de francs en faveur du capital risque, dans les incubateurs d'entreprise, les fonds d'amorçage et les réseaux technologiques. Ce dispositif global et cohérent met la science et la technologie au service de la croissance et de l'emploi : je souhaite que toutes les entreprises l'investissent.
Nous favorisons l'initiative. Vous vous dites convaincus " qu'à l'avenir, il y aura de plus en plus d'entrepreneurs ". Et c'est vrai : la croissance retrouvée a donné à beaucoup de nos concitoyens le goût du risque. C'est pour donner au plus grand nombre la possibilité d'accéder à la création d'entreprise que Laurent FABIUS et Marylise LEBRANCHU ont organisé le mois dernier des Etats généraux de la création d'entreprise, auxquels j'ai participé. Les mesures alors annoncées visent à rendre l'aventure de la création moins compliquée et moins coûteuse. Dès le 1er juillet prochain, l'Etat ne percevra plus un franc sur chaque création. Le site internet de l'Agence pour la création d'entreprise -APCE- offre en ligne depuis le 12 avril dernier les formulaires nécessaires à la création d'entreprise. Ceux-ci sont encore trop nombreux, sans doute. Une mission s'attachera à l'ensemble des aspects administratifs de la création d'entreprise pour que rien dans nos procédures n'empêche plus d'entreprendre. Je me réjouis que Laurent DEGROOTE, votre Président, ait accepté de participer à ses travaux.
Les changements en cours appellent de nouvelles régulations. Le développement de la société de l'information, l'expansion des réseaux de communication, la prise de conscience des risques environnementaux liés à la croissance demandent que nous élaborions des règles nouvelles.
Il nous faut aussi créer les conditions d'un juste équilibre de marché. Celui-ci ne s'impose pas toujours spontanément. Certains d'entre vous le savent, qui réclament du Gouvernement qu'il fasse prévaloir l'ordre public économique. C'est le sens du projet de loi sur les nouvelles régulations économiques que l'Assemblée Nationale a approuvé en première lecture. Les mesures qu'il comporte renforcent la transparence, le contrôle et la démocratie dans les opérations financières. La loi doit remédier aux plus graves inégalités entre acteurs économiques et prévenir les abus qui peuvent en découler. Elle contribuera à rendre plus équitables les rapports entre producteurs et distributeurs. Pour que la croissance profite à tous, il ne faut pas que le petit nombre des uns puisse favoriser les positions dominantes alors que le très grand nombre des autres entraînerait pour eux la dépendance économique.
Nous devons aussi partager largement les technologies nouvelles, la formation, les fruits de la croissance.
C'est une exigence de justice -et d'efficacité.
Nous voulons partager des connaissances qui deviennent sources de richesse. Une " fracture numérique " ne doit pas s'instaurer entre ceux qui disposent des nouvelles technologies et ceux qui en seraient exclus. Diffuser largement l'information et les compétences est par ailleurs un moyen de mieux assurer notre développement futur. C'est pourquoi nous achevons la connection au réseau de l'ensemble des lycées et collèges, nous lançons la création d'une grande école de l'internet, nous engageons un programme en faveur d'un accès gratuit à l'internet pour tous -en commençant par les jeunes-, nous voulons aider les ménages à s'équiper de micro-ordinateurs.
La formation doit devenir pour chacun un droit. Parce qu'elle permet à chacun de conserver -ou de retrouver- dans ses choix professionnels une liberté précieuse. Mais aussi parce que la forte croissance de l'emploi suscite déjà dans certains métiers et territoires des difficultés de recrutement. L'intelligence, les savoirs et les savoir-faire des salariés deviennent chaque jour des atouts plus décisifs de la compétitivité des entreprises. Les rapides avancées des technologies demandent que nous développions de fortes capacités d'adaptation et de mobilité. Le projet de loi de modernisation sociale présenté hier au Conseil des ministres par Martine AUBRY permettra de franchir une première étape sur l'apprentissage et la validation des acquis de l'expérience professionnelle. Dans un pays comme le nôtre, si attaché à la reconnaissance sociale qu'accordent les diplômes, cette réforme préparée par Nicole PERY est une petite révolution. Désormais toute personne engagée dans la vie active sera en droit de faire reconnaître son expérience en vue de l'obtention d'un diplôme ou d'un titre à finalité professionnelle. Aprés la formation initiale, l'apprentissage et la formation continue, c'est une "quatrième voie " d'acquisition des diplômes que nous mettons en place.
Il faut aussi mieux répartir les fruits du travail. La réforme de l'épargne salariale préparée par Laurent FABIUS est actuellement soumise pour concertation aux organisations syndicales et professionnelles. L'enjeu est d'importance. Il s'agit d'abord de rendre une telle épargne accessible au plus grand nombre des salariés, pour qu'ils bénéficient plus largement des performances de l'entreprise. Cette réforme leur donnera d'autre part des droits nouveaux, en leur permettant de faire valoir, dans la gestion de l'entreprise, leurs préoccupations. Une éthique du développement, un souci de justice et de solidarité, le respect de l'environnement pourront ainsi être mieux pris en compte.
Pour nouer ce pacte, nous avons besoin d'entreprises et d'entrepreneurs qui imaginent et qui proposent : nous avons besoin de vous.
D'abord afin d'encourager la création d'entreprises. Votre mouvement peut apporter une importante contribution à la modernisation et la simplification des règles applicables. Lors des Etats généraux de la création d'entreprises, vous avez rendu publiques vingt-deux propositions complémentaires. Nous avons déjà commencé de mettre en oeuvre certaines d'entre elles. C'est le cas de la réduction des cotisations sociales du créateur d'entreprises. D'autres propositions, que nous partageons, dépendent des partenaires sociaux, comme la question du droit à l'indemnité de chômage du salarié qui démissionne pour créer une entreprise. Nous pourrons travailler ensemble à d'autres de vos suggestions, telles par exemple que l'idée d'enseigner l'esprit d'entreprise ou de développer un parrainage des créateurs d'entreprises par des entrepreneurs établis. Afin de faire régulièrement un bilan précis des progrès accomplis, le Gouvernement présentera désormais chaque année, devant le Parlement, un rapport sur l'ensemble des mesures de simplification administrative adoptées en faveur des entreprises.
Vous devez devenir des partenaires de la régulation. Cela concerne les règles nouvelles que nous voulons faire prévaloir dans les opérations financières et les relations entre producteurs et distributeurs. Faire primer le respect du contrat, la réciprocité des obligations et l'équilibre entre les parties est un des objectifs fondamentaux que le Gouvernement poursuit. Et ces règles ne sauraient s'imposer sans un véritable " civisme commercial ", dont vous serez les acteurs.
Dans certains domaines, les entreprises peuvent prendre une part plus large encore à la régulation. Nous avons besoin de vous pour lutter contre la cybercriminalité et assurer la sûreté des communications sur internet. La loi ne s'oppose pas à l'auto-régulation. Il s'agit au contraire d'encourager et de valoriser la responsabilité de tous les acteurs. Associations comme entreprises multiplient les chartes et les codes déontologiques, effectuent le recensement des bonnes pratiques sans que quiconque songe à les substituer au droit positif ou à l'action du juge. Les spécificités de l'internet, sa fluidité technique, son caractère décentralisé et sa dimension planétaire rendent d'autant plus nécessaire le développement des pratiques d'autorégulation par les acteurs, entreprises comme particuliers. Loin de se substituer à l'action de la puissance publique, l'autorégulation peut ainsi en relayer les effets.
Mais l'entreprise est aussi un des lieux où se bâtit l'intégration, où les individus se forgent une identité et où se tisse le lien social. Il est donc essentiel que les partenaires sociaux se saisissent des changements que connaît notre société.
Les entreprises doivent prendre une part plus active au dialogue social. Le dialogue social est source de performance, écrivez-vous en tête de votre contribution au débat en cours entre patronat et syndicats. Vous êtes en cela fidèles à l'esprit qui anime depuis sa création le CJD. Cet esprit vous a conduit souvent à prendre des positions originales par rapport à celles défendues par les organisations traditionnelles du patronat français. Il serait tentant pour moi de réagir à certaines de vos réflexions. Au risque de vous décevoir, je ne le ferai pas. Pas plus que je n'ai voulu prendre publiquement position sur les propositions des organisations patronales ou syndicales dans le cadre de leurs discussions dites " de refondation sociale ". Parce que c'est entre partenaires sociaux que ces discussions doivent d'abord se nouer, même si le dialogue avec le Gouvernement est ensuite nécessaire.
Car nous ne vivons pas -partenaires sociaux et pouvoirs publics- dans deux mondes séparés, l'un régi par le seul contrat, et l'autre fondé sur des garanties minimales fixées par le législateur. Je l'ai déjà dit à maintes reprises, et je l'affirme à nouveau devant vous : la loi et le contrat ne doivent pas être opposés. Il s'agit d'articuler entre elles deux légitimités -celle de l'action publique, celle de la négociation entre partenaires sociaux.
Lorsque ces derniers prennent leurs responsabilités et concluent des accords collectifs, l'Etat a le devoir d'en tenir compte. Mais il reste le garant de l'intérêt général, qui ne doit pas être négligé dans les compromis entre intérêts particuliers. Cette notion d'intérêt général, dont je sais que vous avez débattu, et -pour ce Gouvernement- la volonté de progrès demeurent au cur de l'action publique. Préserver le socle des droits fondamentaux des salariés et des chômeurs -l'ordre public social-, mais aussi assurer le respect d'exigences de justice et d'équité, maintenir la cohésion sociale ou territoriale, ou encore veiller à l'équilibre des comptes sociaux, sont des responsabilités que le Gouvernement et le Parlement ne peuvent et n'entendent pas abdiquer.
Lorsque les partenaires sociaux n'occupent pas l'espace de la négociation collective, il est nécessaire que le Gouvernement prenne l'initiative. Encore faut-il que cette initiative ne ferme pas la voie de la négociation, mais au contraire la stimule. L'exemple des 35 heures, qui ont donné une impulsion nouvelle a la négociation -à ce jour plus de 32 000 accords sont signés-, me paraît à cet égard éclairant.
C'est pourquoi je me réjouis que le dialogue soit -j'ai envie de dire " enfin "- engagé depuis le début de l'année sur plusieurs thèmes importants. Je pense notamment à l'amélioration de l'assurance-chômage pour les salariés précaires, à la présence syndicale dans les petites entreprises -sujet sur lequel vous avez travaillé- et à la rénovation de notre système de formation professionnelle. Je souhaite que ces discussions aboutissent à des avancées concrètes, dont les chômeurs, les salariés et les entreprises tirent profit.
L'avenir de ce pacte pour le plein emploi se jouera aussi en Europe. Vous l'avez souligné, Monsieur le Président : le social ne doit pas être la variable d'ajustement de la compétition économique entre les Etats membres de l'Union européenne. Et je sais que Madame Louise GUERRE, qui prendra bientôt votre succession à la tête du CJD, attache une importance particulière à la dimension européenne de votre action. La modernisation de nos économies est inséparable du renforcement du modèle social que nous partageons. Et nous affirmerons durant la prochaine Présidence française de l'Union européenne une priorité sociale. Nous proposerons à nos partenaires l'adoption d'un agenda social. Le contenu de cet agenda doit être ambitieux : une protection sociale élevée, un droit adapté aux évolutions de l'organisation du travail, une politique de l'emploi qui tienne compte des mutations de l'économie et de la production, la lutte contre l'exclusion et toutes les formes de discriminations. A cette fin, nous définirons un programme de travail à l'horizon de cinq ans avec la Commission européenne et tous les acteurs concernés -gouvernements, Parlement européen, partenaires sociaux, associations.

Mesdames, Messieurs,
Sur tous ces thèmes, les entreprises ne doivent pas craindre d'engager la discussion. Car c'est avec vous aussi que nous pourrons nouer un tel pacte. Qu'il s'agisse de créer les conditions de l'innovation et de l'initiative, de bâtir des instruments rénovés de régulation, de renouveler les termes et le contenu du dialogue social, c'est l'efficacité globale de notre économie et la cohésion sociale que nous cherchons ensemble à renforcer. Nous progressons ainsi vers un objectif essentiel qui doit mobiliser les énergies de tous : donner à chacun sa place dans une société du travail et de la création.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 30 mai 2000)